CJCE, n° C-256/01, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Debra Allonby contre Accrington & Rossendale College, Education Lecturing Services, trading as Protocol Professional et Secretary of State for Education and Employment, 2 avril 2003

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 2 avr. 2003, Allonby, C-256/01
Numéro(s) : C-256/01
Conclusions de l'avocat général Geelhoed présentées le 2 avril 2003. # Debra Allonby contre Accrington & Rossendale College, Education Lecturing Services, trading as Protocol Professional et Secretary of State for Education and Employment. # Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) - Royaume-Uni. # Principe de l'égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins - Effet direct - Notion de travailleur - Enseignant non salarié féminin accomplissant un travail présumé de valeur égale au travail accompli, dans le même collège, par des enseignants salariés masculins, mais en vertu d'une convention avec une société tierce - Exclusion des enseignants non salariés du droit de s'affilier à un régime de pension professionnel. # Affaire C-256/01.
Date de dépôt : 3 juillet 2001
Précédents jurisprudentiels : 17 mai 1990 ( C-262/88, Rec. p. I-1889
17 septembre 2002 ( C-320/00, Rec. p. I-7325
Coloroll Pension Trustees ( C-200/91, Rec. p. I-4389
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 62001CC0256
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2003:190
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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62001C0256

Conclusions de l’avocat général Geelhoed présentées le 2 avril 2003. – Debra Allonby contre Accrington & Rossendale College, Education Lecturing Services, trading as Protocol Professional et Secretary of State for Education and Employment. – Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) – Royaume-Uni. – Principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins – Effet direct – Notion de travailleur – Enseignant non salarié féminin accomplissant un travail présumé de valeur égale au travail accompli, dans le même collège, par des enseignants salariés masculins, mais en vertu d’une convention avec une société tierce – Exclusion des enseignants non salariés du droit de s’affilier à un régime de pension professionnel. – Affaire C-256/01.


Recueil de jurisprudence 2004 page 00000


Conclusions de l’avocat général


I – Introduction

1 Un collège licencie ses enseignants travaillant à temps partiel, majoritairement des femmes. Ensuite, il rachète leurs services par l’intermédiaire d’une agence, auprès de laquelle elles sont inscrites en tant que travailleurs indépendants. Par ce montage, le collège entend réaliser des économies sur ses frais de personnel. Pour les enseignants concernés, ce montage implique une baisse de rémunération par rapport à celle dont ils bénéficiaient dans le cadre de la relation de travail initiale. Dans ce contexte, les questions suivantes ont été soulevées:

— les enseignantes concernées peuvent-elles comparer leur situation, pour ce qui est de leur rémunération, y compris les conditions d’accès à un régime de pension, à celle d’un enseignant masculin qui a maintenu son rapport salarié avec le collège;

— les enseignantes concernées peuvent-elles exiger d’être admises au régime de pension s’il s’avère que la condition d’affiliation limitant l’accès à ce régime aux enseignants employés en vertu d’un contrat salarié constitue une différence de traitement non objectivement justifiée?

II – Cadre juridique

A – Le droit communautaire

2 Selon l’article 2 CE, la Communauté a pour mission de promouvoir, entre autres, l’égalité entre les hommes et les femmes.

3 Le principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur est inscrit à l’article 141 CE. La première phrase de l’article 141, paragraphe 2, CE dispose que:

«Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier.»

4 La directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (1), dispose en son article 1er, premier alinéa, que:

«Le principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, qui figure à l’article 119 du traité [(2)] et qui est ci-après dénommé `principe de l’égalité des rémunérations', implique, pour un même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale, l’élimination, dans l’ensemble des éléments et conditions de rémunération, de toute discrimination fondée sur le sexe.»

B – Le droit interne

5 Au Royaume-Uni, le principe de l’égalité des rémunérations est inscrit dans l’Equal Pay Act 1970. L’article 1er de cette loi est libellé comme suit:

«1. Obligation d’égalité de traitement des hommes et des femmes occupant un même emploi

1) Si un contrat en vertu duquel une femme est employée auprès d’un établissement situé en Grande-Bretagne ne comprend pas (directement ou par référence à une convention collective ou autre) une clause d’égalité, une telle clause sera réputée y être incluse.

2) La clause d’égalité est une stipulation relative aux conditions contractuelles (concernant la rémunération ou non) en vertu desquelles un travailleur féminin est employé (ci-après dénommées le `contrat du travailleur féminin') et ayant pour effet:

[…]

c) dans le cas où un travailleur féminin est employé pour un travail différent de ceux visés sous a) et b) ci-dessus, qui, du point de vue des compétences qui sont exigées de ce travailleur féminin (figurant par exemple sous des rubriques telles que contraintes, qualifications et capacités de décision) est de valeur égale à celui d’un travailleur masculin occupant le même emploi:

i) si (à l’exception de la clause d’égalité) une stipulation du contrat de travail féminin est ou devient moins favorable au travailleur féminin qu’une stipulation similaire du contrat de ce travailleur masculin, la stipulation du contrat du travailleur féminin est réputée modifiée de sorte qu’elle cesse d’être moins favorable, et

ii) si (à l’exception de la clause d’égalité) il advient à un moment ou à un autre que le contrat du travailleur féminin ne renferme pas une stipulation correspondant à un avantage figurant dans le contrat de ce travailleur masculin, le contrat du travailleur féminin sera réputé renfermer une telle stipulation.

[…]

6) Sous réserve des dispositions des paragraphes suivants, aux fins du présent article:

a) le terme `employé’ signifie employé en vertu d’un contrat de travail (`contract of service') ou d’apprentissage ou en vertu d’un contrat conclu en vue de l’exécution à titre personnel de tout travail ou de toute tâche, et tous termes similaires sont à interpréter en conséquence;

b) […]

c) deux employeurs doivent être considérés comme associés si l’un est une société contrôlée (directement ou indirectement) par l’autre, ou s’ils sont tous deux des travailleurs contrôlés (directement ou indirectement) par un tiers, et les travailleurs masculins doivent être traités comme occupant le même emploi qu’un travailleur féminin s’ils sont employés par le même employeur, ou par un employeur associé, au sein du même établissement ou dans des établissements situés en Grande-Bretagne dont celui-ci fait partie et où s’appliquent les mêmes conditions générales de travail, soit pour tous les employés dans leur ensemble, soit pour tous les employés d’une même catégorie.»

6 La Pensions Act 1995 renferme de nouvelles dispositions que le Royaume-Uni a adoptées à la suite de l’arrêt Barber (3) et de plusieurs arrêts subséquents. L’article 62 de cette loi, qui doit, selon son article 63, paragraphe 4, être lu en combinaison avec l’article 1er de l’Equal Pay Act 1970 (étant donné que la Cour de justice a dit pour droit que les régimes de pension professionnels doivent être considérés comme une rémunération), dispose en ses quatre premiers paragraphes:

«62. La règle de l’égalité de traitement

1) Tout régime de pension ne contenant pas une règle d’égalité de traitement est réputé en renfermer une.

2) Une règle d’égalité de traitement est une règle qui s’applique aux conditions auxquelles:

a) des personnes peuvent s’affilier au régime de pension; et

b) les personnes affiliées au régime sont traitées.

3) Sous réserve des dispositions du paragraphe 6 ci-après, la règle d’égalité de traitement a pour effet que lorsque:

a) un travailleur féminin est employé pour un travail équivalent à celui d’un travailleur masculin occupant le même emploi,

b) un travailleur féminin est employé pour un travail considéré comme équivalent à celui d’un travailleur masculin occupant le même emploi, ou

c) un travailleur féminin est employé pour un travail, différent de ceux visés sous a) ou b) ci-dessus, qui, du point de vue des compétences qui sont exigées de ce travailleur féminin (figurant par exemple sous des rubriques telles que contraintes, qualifications et capacités de décision) est de valeur égale à celui d’un travailleur masculin occupant le même emploi, mais que l’une des conditions visées au paragraphe 2 (à l’exception de la règle [d’égalité de traitement]) est ou devient moins favorable au travailleur féminin qu’au travailleur masculin, cette condition sera réputée modifiée de sorte qu’elle cesse d’être moins favorable.

4) La règle d’égalité de traitement ne s’applique pas à une différence de traitement entre les femmes et les hommes dans l’application de l’une des conditions visées au paragraphe 2 si les trustees ou administrateurs du régime de pension démontrent que cette différence de traitement résulte effectivement d’un facteur matériel qui

a) est étranger à la différence de sexe, mais

b) résulte d’une différence matérielle entre les situations de la femme et de l’homme.»

7 Le régime de pension professionnel pour les enseignants figure dans le Teachers’ Superannuation Scheme 1988 (ci-après le «TSS») et a été institué par les Teachers’ Superannuation Scheme [Consolidation] Regulations 1988 et les Teachers’ Superannuation [Amendment] Regulations 1993 (ci-après les «TSS-Regulations»). Le TSS est géré par le ministre. Selon les règles qui régissent le TSS, les enseignants titulaires d’un contrat de travail à temps plein ou à temps partiel peuvent s’affilier à ce régime de pension.

III – Les circonstances de l’espèce au principal et le déroulement de la procédure

8 Les questions préjudicielles ont été posées dans le cadre d’un litige opposant Mme Debra Allonby au Accrington & Rossendale College (ci-après le «collège»), à Education Lecturing Services Ltd (ci-après «ELS») et au Secretary of State for Education and Employment (ministre de l’Éducation et de l’Emploi, ci-après le «ministre»). Le litige est né du renvoi, par la non-reconduction de leur contrats de travail, d’un certain nombre de chargés de cours employés par le collège sur une base horaire, dont Mme Allonby, et de sa décision de n’embaucher des chargés de cours sur une base horaire que par l’intermédiaire d’ELS, qui offrait à ceux-ci la faculté de s’inscrire en tant que travailleurs indépendants accomplissant des missions d’enseignement auprès d’établissements d’enseignement supérieur.

9 Initialement, Mme Allonby était employée par le collège en tant que chargée de cours en bureautique à temps partiel. Elle a été employée de 1990 à 1996 sur la base de contrats successifs d’un an aux termes desquels elle était rémunérée sur une base horaire en fonction du niveau des enseignements dispensés. Il n’est pas contesté qu’il s’agissait de contrats de travail continus impliquant des obligations légales pour l’employeur.

10 Vers 1996, les charges financières sont devenues de plus en plus lourdes pour l’employeur en raison de modifications législatives octroyant aux chargés de cours à temps partiel le droit à des avantages identiques ou équivalents à ceux dont bénéficiaient les chargés de cours à temps plein. Le collège employait 341 chargés de cours à temps partiel. Pour réduire ses charges fixes, il a décidé de ne pas reconduire leurs contrats de travail et de ne faire appel à eux qu’en tant que sous-traitants. Le contrat de Mme Allonby a été résilié à compter du 29 août 1996. On lui a indiqué qu’elle pourrait continuer à fournir des services d’enseignement au collège en tant que sous-traitant. Pour cela, elle devait s’inscrire auprès d’ELS. Celle-ci est une société à engagement limité par garantie («company limited by guarantee») qui opère en tant qu’agence et dispose d’un fichier de chargés de cours disponibles auxquels les collèges peuvent faire appel, en désignant nommément le chargé de cours s’ils le souhaitent. C’est ainsi que Mme Allonby, et d’autres personnes dans son cas devant s’inscrire auprès d’ELS si elles voulaient continuer à exercer leur activité de chargés de cours à temps partiel, sont devenues des travailleurs indépendants. Leur rémunération était constituée d’une partie du prix convenu entre ELS et le collège. Leur revenu a diminué et elles ont perdu un certain nombre d’avantages antérieurs liés à l’emploi. Le collège qui, comme la plupart des autres établissements d’enseignement supérieur, connaissait des difficultés financières, a estimé pouvoir ainsi économiser 13 000 GBP par an.

11 Sur les 341 chargés de cours à temps partiel, employés sur une base horaire, qui ont été licenciés par le collège pour se voir ensuite à nouveau proposer du travail par l’intermédiaire d’ELS, 110 étaient des hommes et 231 des femmes. En outre, le collège employait, en 1996, 105 chargés de cours à temps plein, dont 55 hommes et 50 femmes, et 23 chargés de cours à temps partiel, dont 12 hommes et 11 femmes.

12 La proportion d’hommes et de femmes employés à temps partiel et payés à l’heure par le collège en 1996 était à l’image de la situation générale au Royaume-Uni, où le travail à temps partiel est pour l’essentiel effectué par les femmes. D’autre part, le fichier d’ELS comprenait à peu près autant d’hommes que de femmes. D’après le décompte le plus récent dont le Tribunal (la juridiction de première instance) a pu disposer, 18 050 hommes étaient inscrits pour 19 909 femmes, soit un écart inférieur à 5 %.

13 À la fin du mois d’août 1996, Mme Allonby, soutenue par son syndicat, a engagé un recours contre le collège. Elle revendiquait une indemnité de licenciement et faisait valoir que son licenciement était abusif car entaché d’une discrimination prohibée fondée sur le sexe. En décembre 1996, elle a introduit trois autres procédures:

— contre le collège, car celui-ci se rendait coupable d’une discrimination à son encontre en tant que prestataire, en violation de la Sex Discrimination Act, dans le cadre de l’exécution de services d’enseignement;

— contre ELS, car cette agence était tenue de lui verser une rémunération équivalente – c’est-à-dire proportionnelle – à celle que recevait du collège un homme chargé de cours à temps plein;

— contre l’État, représenté par le Department for Education and Employment (ministère de l’Éducation et de l’Emploi, ci-après le «ministère»), car il agissait en violation de la loi en lui refusant l’accès au TSS en tant que travailleur indépendant.

Il ressort du dossier du litige au principal que ces deux séries de recours ont été engagées à titre d’affaires témoins également pour les autres chargés de cours affectés.

14 La demande de versement d’une indemnité de licenciement s’est conclue par un accord à l’amiable entre les parties. Dans une décision préliminaire du 20 août 1997, l’Employment Tribunal a jugé que Mme Allonby ne pouvait prendre un chargé de cours masculin employé à temps plein par le collège en tant que personne de référence pour les besoins de son recours. Par une série de décisions du 8 juillet 1998, le Tribunal a jugé que le licenciement, bien qu’abusif, ne donnait pas lieu à réparation et qu’il constituait une discrimination indirecte fondée sur le sexe pouvant cependant être objectivement justifiée. Le Tribunal a également rejeté la demande d’admission au TSS dirigée contre le ministère, ainsi que le recours au titre de l’article 9 de la Sex Discrimination Act, au motif que tous les prestataires qu’ELS a mis à la disposition du collège, hommes et femmes, étaient traités de la même manière. Ces décisions ont toutes été confirmées le 29 mars 2000 par une série d’arrêts de l’Employment Appeal Tribunal. Celui-ci a cependant consenti à ce que Mme Allonby interjette appel sur toutes ces questions.

15 Celle-ci a présenté les moyens suivants devant la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division):

a) son renvoi par le collège constitue une discrimination indirecte illicite fondée sur le sexe; cette question a été renvoyée devant l’Employment Tribunal pour réexamen;

b) en lui refusant ensuite de bénéficier d’avantages accordés aux chargés de cours salariés, le collège se serait rendu coupable d’une discrimination fondée sur le sexe à son encontre en raison de son statut de prestataire de services («contract worker»); cette question a également été renvoyée devant l’Employment Tribunal pour réexamen;

c) ELS avait l’obligation de lui assurer la même rémunération qu’un chargé de cours masculin employé par le collège; c’est l’une des questions faisant l’objet du renvoi préjudiciel;

d) le refus de son affiliation au TSS constitue une discrimination illicite fondée sur le sexe; à ce sujet également, une question préjudicielle a été posée.

16 Quant aux éléments sous c) et d), la juridiction de renvoi a constaté ce qui suit (points 17 à 20).

17 À l’encontre d’ELS, Mme Allonby soutient que l’article 141 CE lui garantit, quand elle travaille pour le collège, une rémunération égale à celle d’un chargé de cours masculin employé par le collège pour un travail qui doit être considéré comme équivalent. Elle réclame d’ELS une rémunération égale à celle de chargés de cours salariés par le collège en utilisant un chargé de cours salarié bien déterminé, M. Ross Johnson, en tant que personne de référence.

18 Les circonstances de fait pertinentes concernant cette revendication d’une rémunération identique sont les suivantes:

a) Mme Allonby et M. Johnson accomplissent des tâches présumées équivalentes de chargés de cours auprès du collège, bien que pas toujours au même endroit;

b) M. Johnson est employé par le collège en tant que chargé de cours et est rémunéré par le collège dans des conditions déterminées par celui-ci;

c) Mme Allonby collabore avec ELS en tant que travailleur indépendant. Elle remplit des missions qui lui sont confiées par ELS auprès du collège ou ailleurs;

d) le collège convient avec ELS du montant des honoraires qu’il versera pour chaque chargé de cours. ELS convient avec Mme Allonby de la rémunération qu’elle percevra pour chaque mission et fixe les conditions de travail de ses chargés de cours. Le collège n’exerce pas d’autorité directe sur ELS dans ces domaines ou dans d’autres domaines;

e) le collège et ELS emploient aussi bien du personnel masculin que du personnel féminin.

19 À l’encontre d’ELS, du collège et du ministre, Mme Allonby revendique le droit de pouvoir s’affilier au TSS i) sur la base d’une comparaison de sa situation avec celle d’un chargé de cours masculin employé par le collège, ou ii) sans une telle comparaison, sur la base de la preuve statistique que les enseignantes sont proportionnellement bien moins nombreuses que les enseignants à pouvoir satisfaire à la condition d’être employé en vertu d’un contrat de travail, alors qu’elles remplissent toutes les autres conditions d’affiliation au TSS. En l’espèce, les tribunaux saisis ne se sont pas encore prononcés sur l’existence d’une telle preuve, ni sur la question de la justification objective. Toutefois, la Court of Appeal estime que, pour des motifs d’économie de procédure, il convient d’abord de poser la question pour ensuite, si la réponse s’y prête, établir les éléments matériels.

20 Les circonstances de fait relatives aux demandes de Mme Allonby en matière de pension sont les suivantes:

a) le TSS est établi par le ministre en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi;

b) pour pouvoir s’affilier au TSS, il faut être un travailleur salarié et avoir été recruté en tant qu’enseignant par un établissement d’enseignement relevant d’une certaine catégorie. Le collège constitue l’une de ces catégories;

c) les travailleurs indépendants ne peuvent pas s’affilier au TSS;

d) le TSS assure le versement de pensions de retraite et d’autres prestations principalement en fonction de la durée d’emploi de l’affilié et d’un «salaire de référence» perçu dans un emploi relevant du TSS; cet emploi ne doit pas nécessairement toujours avoir été le même, mais il doit en revanche avoir été exercé au sein d’établissements couverts;

e) les salaires déterminant les prestations perçues au titre du TSS peuvent varier d’un employeur à l’autre;

f) les prestations versées au titre du TSS sont financées par les cotisations des affiliés au TSS et de leurs employeurs;

g) aucun des chargés de cours travaillant pour ELS n’est un travailleur salarié. En conséquence, aucun d’entre eux ne peut prétendre s’affilier au régime.

Les questions préjudicielles

21 Par ordonnance du 23 mars 2001, parvenue au greffe de la Cour de justice le 3 juillet 2001, la Court of Appeal (England &Wales) (civil Division) a sollicité une décision à titre préjudiciel sur les questions suivantes:

«1) L’article 141 CE a-t-il un effet direct permettant à un travailleur féminin de prétendre à la même rémunération qu’un travailleur masculin dans les circonstances de l’espèce au principal?

2) L’article 141 CE a-t-il un effet direct permettant à Mme Allonby de prétendre à l’affiliation au régime de pension i) soit en comparant sa situation à celle de M. Johnson, soit ii) en démontrant, statistiques à l’appui, que, parmi les enseignants qui remplissent les autres conditions d’affiliation, un pourcentage nettement plus faible de femmes que d’hommes peuvent satisfaire à la condition d’être employé en vertu d’un contrat de travail pour pouvoir s’y affilier, et en établissant que cette condition n’est pas objectivement justifiée?»

Procédure devant la Cour

22 Dans la procédure qui s’est déroulée devant la Cour, des observations écrites ont été présentées par Mme Allonby, par ELS, par le gouvernement du Royaume-Uni, par le gouvernement allemand et par la Commission. Mme Allonby, ELS, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission ont précisé leur point de vue au cours de l’audience du 28 janvier 2003.

IV – Appréciation

La première question préjudicielle

23 Mme Allonby souligne que les circonstances de l’espèce sont symptomatiques d’une évolution qui s’opère dans les relations de travail et qui peut se répercuter de manière importante sur l’efficacité du principe d’égalité de traitement des hommes et des femmes sur le marché du travail prévu à l’article 141 CE. De plus en plus souvent, les employeurs ont coutume d’externaliser certaines de leurs activités en les confiant à des sous-traitants et à des agences, comme les agences d’intérim. Les travailleurs effectuant les activités sous-traitées travaillent ensuite dans la même entreprise, le même établissement ou le même service et exécutent fréquemment des activités comparables à celles des travailleurs qui restent salariés par cette entreprise. La rémunération qu’ils perçoivent pour ces activités peut cependant être considérablement plus basse, alors que leur statut peut également varier, en ce sens qu’ils exécutent leurs activités en tant qu’indépendants prestant des services et non plus en tant que travailleurs salariés. Cette différence de statut peut entraîner des conséquences négatives pour les personnes qui exécutent les activités sous-traitées en tant qu’indépendants.

24 Dès lors que des employeurs externalisent des activités principalement exécutées par les femmes, occasionnant ainsi des conséquences négatives pour les niveaux de rémunération, la protection offerte par l’article 141 CE disparaît si cette disposition ne peut pas, ou plus, être invoquée dans une telle situation. C’est a fortiori le cas si les employeurs recourent justement à de tels montages pour échapper aux conséquences du principe d’égalité des rémunérations prévu à l’article 141 CE. Dès lors, selon Mme Allonby, il est essentiel d’interpréter l’article 141 CE de façon à maintenir son efficacité dans des circonstances où des établissements, services ou entreprises externalisent entièrement ou partiellement leurs activités.

25 Mme Allonby souligne que, en l’espèce, le collège a licencié le personnel à temps partiel afin de le reprendre ensuite indirectement, par l’intermédiaire d’ELS. De cette manière, il réalise des économies sur les charges liées à l’application de la législation en matière d’égalité de traitement des travailleurs salariés à temps partiel. Elle fait valoir qu’elle continue d’exécuter le même travail auprès du collège, mais dans des conditions considérablement plus défavorables que celles dont bénéficie la personne de référence qu’elle a choisie. Elle estime dès lors que, dans ces circonstances, elle doit pouvoir comparer son travail et sa rémunération à ceux de ladite personne de référence.

26 Selon Mme Allonby, le fait que son employeur direct (ELS) et son employeur indirect (le collège) constituent en droit national deux entités juridiques distinctes ne fait pas obstacle à l’application de l’article 141 CE. Au contraire de l’article 1er, paragraphe 6, sous c), de l’Equal Pay Act, selon lequel la personne de référence doit être employée par le même employeur ou par un employeur associé au premier dans la même entreprise ou dans le même groupe d’entreprises, cette exigence ne figure pas dans la jurisprudence de la Cour. Elle estime que, pour donner pleinement effet au principe d’égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes pour un même travail, elle doit pouvoir se fonder sur le travail effectué et la rémunération perçue par les hommes et les femmes dans la même entreprise ou le même service, quel que soit l’employeur et sans qu’il doive s’agir du même employeur. Il résulte en effet de l’arrêt Defrenne II (4) qu’il suffit que la femme et la personne de référence de sexe masculin se trouvent «dans un même établissement ou service». En l’espèce, M. Johnson et elle-même travaillent dans un seul et même établissement.

27 Mme Allonby a observé à l’audience qu’il résulte du récent arrêt Lawrence e.a. (5) que, pour se prévaloir de l’article 141 CE, il faut que la différence de traitement puisse être attribuée à une source unique. La Cour n’a pas précisé que l’effet de l’article 141 CE demeure limité aux femmes et aux hommes qui travaillent pour le même employeur. Dans l’affaire Lawrence e.a., la différence ne pouvait pas être attribuée à une source unique. Mme Allonby fait valoir que ce serait en revanche le cas en l’espèce. La discrimination est en effet née au collège, lorsque celui-ci a pris la décision de recourir à ELS en tant qu’intermédiaire. De ce fait, elle a été obligée, si elle voulait continuer d’enseigner auprès du collège, à s’inscrire en tant que travailleur indépendant auprès d’ELS. Le collège pouvait ensuite recourir à ses services à moindres frais par l’intermédiaire d’ELS. Dans les faits, elle continue cependant à travailler pour le collège et sous la direction et les instructions de cet établissement. Selon Mme Allonby, le fait qu’ELS ne constitue pas en soi la source de la discrimination ne fait pas obstacle à l’application de l’article 141 CE. Cette disposition s’applique en effet également lorsque la source de la discrimination réside dans la direction d’un groupe d’entreprises, dans une convention collective de travail ou dans une mesure réglementaire. Dans tous ces cas, cette source de discrimination se trouve hors de portée de l’employeur individuel, mais, en fin de compte, il doit quand même payer davantage à ses travailleurs féminins s’il y a discrimination.

28 Selon Mme Allonby, l’affaire Lawrence e.a. se distingue également de l’espèce en ce qu’il s’agissait dans ce cas d’un transfert d’entreprise. On n’a jamais prétendu non plus dans cette affaire que le transfert de travailleurs était d’une nature telle que le Council pouvait empêcher la différence de traitement. Après le transfert, le Council ne pouvait plus non plus fixer le salaire individuel des travailleurs transférés. En l’espèce, il ne s’agit cependant pas d’un transfert d’entreprise. En outre, le collège peut bel et bien influer, par l’intermédiaire de sa convention avec ELS, sur le niveau des rémunérations versées par celle-ci à Mme Allonby. En effet, le collège et ELS conviennent toujours, dans le cadre de la fourchette de rémunérations appliquée par ELS pour diverses catégories, un tarif horaire pour les chargés de cours mis à la disposition du collège. Celui-ci dispose donc, grâce à sa convention avec ELS, d’une importante influence sur la rémunération d’un chargé de cours. Le collège pourrait, dans le cadre de sa relation contractuelle avec ELS, être tenu d’appliquer le principe d’égalité des rémunérations, à travail égal, pour les hommes et les femmes qui travaillent pour lui et dans ses écoles, et cela qu’ils soient directement employés par lui ou qu’ils travaillent indirectement pour lui par le biais du contrat avec ELS.

29 Selon ELS, le gouvernement du Royaume-Uni, le gouvernement allemand et la Commission, l’article 141 CE n’est pas directement applicable en l’espèce.

30 ELS fait valoir qu’il ne saurait y avoir de discrimination salariale que si l’on peut identifier une seule et même partie coupable de discrimination, c’est-à-dire une source unique, pouvant être tenue pour responsable de la différence de rémunération entre hommes et femmes. Cette source peut être une personne morale ou même un groupe de personnes morales, pour autant qu’il existe un contrôle commun. À défaut de ce dernier élément, si des entités distinctes paient à leurs travailleurs respectifs des rémunérations différentes, on ne saurait se prévaloir de l’égalité des rémunérations au titre de l’article 141 CE. Ce n’est que si la différence de rémunération est attribuable à une source unique que le juge est en mesure de vérifier si cette différence est liée au sexe du plaignant, et ce n’est que si l’employeur est le même qu’il peut s’expliquer sur les motifs de cette différence entre les rémunérations.

31 ELS souligne qu’elle fournit des services à des établissements d’enseignement dans tout le Royaume-Uni. Les chargés de cours qui s’inscrivent auprès d’elle peuvent indiquer quelle école ils préfèrent et à quelle période ils sont disponibles. Une des conditions qu’ELS exige pour les chargés de cours inscrits auprès d’elle réside dans leur qualité de travailleurs indépendants. Un chargé de cours n’a aucune obligation d’accepter une mission déterminée. En outre, ELS et le chargé de cours conviennent d’une rémunération pour chaque mission que celui-ci accepte. Un chargé de cours peut accepter une mission auprès de plusieurs établissements d’enseignement. ELS convient sur une base annuelle avec chaque établissement d’enseignement d’un prix pour les services à exécuter. Son niveau est fixé sur une base commerciale. Enfin, ELS observe que le collège n’a aucune influence sur la rémunération versée par ELS à Mme Allonby, pas plus qu’ELS n’a d’influence sur la rémunération versée par le collège à M. Johnson.

32 ELS explique que, bien que tous les chargés de cours inscrits dans sa base de données exécutent leur mission en qualité de travailleurs indépendants, elle est considérée comme un employeur pour les besoins des recours fondés sur l’Equal Pay Act. Cela résulte de la définition de la notion d'«employé» prévue à l’article 1er, paragraphe 6, sous a), de cette loi. Cette définition s’étend également aux contrats conclus en vue de l’exécution à titre personnel de tout travail ou de toute tâche. En conséquence, Mme Allonby a également dirigé son recours contre ELS, bien que l’on ne puisse pas lui reprocher de discrimination.

33 ELS indique également que l’objectif de l’article 141 CE, à savoir l’égalité des rémunérations, nécessite une appréciation des rémunérations versées par un employeur à ses travailleurs masculins et féminins (6). Par ailleurs, la notion de «rémunération» ne peut être interprétée comme visant les rémunérations payées par des employeurs différents. Dans ce cadre, ELS indique que le fait que des avantages naissent en raison de l’existence d’une relation de travail constitue, dans la jurisprudence de la Cour, un élément clé de la notion de rémunération (7).

34 ELS observe que Mme Allonby l’attaque elle, et non pas son ancien employeur, pour la différence de rémunérations entre elle-même et la personne de référence de sexe masculin employée par le collège. Si Mme Allonby obtient gain de cause, les conséquences pratiques s’étendent bien au-delà de l’espèce. Cela signifie entre autres qu’elle doit également pouvoir opérer une comparaison avec une personne de référence de sexe masculin lorsqu’elle est mise au service d’un autre établissement d’enseignement. Il ne faut pas non plus en négliger les conséquences pour les bureaux de consultants en gestion et les autres intermédiaires de services.

35 Le gouvernement du Royaume-Uni évoque également de telles conséquences qui dépasseraient les objectifs de l’article 141 CE. Une augmentation accordée par un employeur à son personnel pourrait automatiquement donner lieu à un recours fondé sur une discrimination salariale chez un autre employeur, à moins que celui-ci n’augmente lui aussi les rémunérations de son personnel. En outre, un employeur n’est pas forcément au courant de telles augmentations salariales, indépendamment même du point de savoir si cela serait souhaitable, notamment dans le secteur privé. Pour les agences d’intérim, il en résulterait une obligation de verser à leur personnel intérimaire une rémunération égale à celle du personnel du client. Dans ce cas, une agence d’intérim ne pourrait pas mettre de personnel à disposition avant de connaître le niveau de rémunération et les autres conditions de travail – dont les assurances maladie ou les avantages en matière de retraite, qui sont généralement versés par un tiers – applicables chez le client. L’agence d’intérim devrait ensuite garantir à l’ensemble de son personnel le même niveau de rémunération, indépendamment donc du client. Inversement, un travailleur pourrait réclamer d’un client la même rémunération que celle qui est versée au personnel intérimaire.

36 Le gouvernement allemand observe encore que, si l’article 141 CE produisait également un effet direct en cas de différence de rémunération chez divers employeurs, les partenaires sociaux se verraient privés d’une partie substantielle de leur marge de manoeuvre lors de la conclusion de conventions collectives.

37 La Commission a développé deux thèses dans ses observations écrites. La première revient à dire qu’ELS n’est pas l’employeur, mais que, dans les faits, c’est toujours le collège qui l’est. Il faudrait regarder au-delà du montage imaginé par le collège. Ce montage sert seulement à éviter une relation contractuelle directe avec Mme Allonby, afin d’échapper ainsi à la législation sociale applicable. La Commission a cependant indiqué à l’audience qu’elle abandonnait cette piste. Si elle estime qu’il est peu souhaitable qu’un employeur puisse, par le biais de solutions alternatives, vider les droits que les travailleurs puisent dans l’article 141 CE (ou dans d’autres dispositions sociales), elle estime également que la parade ne doit pas être recherchée dans une extension artificielle de l’article 141 CE, tel un amalgame fictif d’employeurs, avec tous les problèmes qui y sont liés.

38 La seconde thèse, finalement retenue par la Commission, consiste à dire que, qu’ELS soit ou non l’employeur au sens de l’article 141 CE, cet article ne permet pas une comparaison entre «travailleurs» et «indépendants». Cette dernière catégorie ne relève en effet pas du champ d’application dudit article. Le droit à l’égalité des rémunérations ne peut être étendu qu’aux travailleurs dont la situation est régie par la même entité que celle de la personne de référence, étant donné que ce n’est que dans cette hypothèse que la différence de rémunération dérivera d’une source commune. Il est inhérent à la notion de discrimination qu’il n’existe en finale qu’une seule source à l’origine de la différence de traitement ou responsable de celle-ci.

Appréciation

39 Dans notre appréciation, nous partons du principe que Mme Allonby travaille encore dans la même école, fût-ce en tant que travailleur indépendant par l’intermédiaire d’ELS, et fournit le même travail qu’auparavant. Peut-elle comparer sa situation en tant qu’indépendante («self-employed») avec celle d’un travailleur salarié de ce collège, un chargé de cours dont nous présumons également qu’il fournit un enseignement équivalent? Mme Allonby considère que la réponse à cette question doit être affirmative. Selon elle, la circonstance qu’il n’y a pas unicité d’employeur est sans incidence. C’est d’ailleurs à ELS qu’elle réclame cette rémunération identique. Nous examinerons ces éléments séparément.

40 Dans son récent arrêt Lawrence e.a. (8), la Cour a observé que rien dans le libellé de l’article 141, paragraphe 1, CE n’indique que l’applicabilité de cette disposition est limitée à des situations dans lesquelles des hommes et des femmes effectuent leur travail pour un même employeur. Dans cette mesure, une comparaison entre elle et une personne de référence au collège serait donc possible.

41 La Cour a cependant également dit pour droit dans cet arrêt, et nous avions également conclu en ce sens dans cette affaire, que, lorsque les différences constatées dans la rémunération de travailleurs fournissant un travail identique ou similaire ne sont pas attribuables à une source unique, il manque une entité «qui est responsable de l’inégalité et qui pourrait rétablir l’égalité de traitement» (9). Une telle situation ne relève pas de l’article 141, paragraphe 1, CE.

42 Si l’on transpose ce jugement à l’espèce, c’est l’image suivante qui se dégage. Il résulte de l’ordonnance de renvoi et des éléments du dossier que Mme Allonby exécute des missions dans le cadre de sa convention de prestation de services avec ELS. Il est vrai qu’elle les exécute au collège, où travaille la personne de référence choisie par elle, mais il n’existe plus de relation de travail entre elle-même et le collège. Comme l’a constaté le juge national, le licenciement a mis fin à celle-ci. En outre, le collège et ELS appliquent des conditions de travail différentes, qui sont également fixées indépendamment les unes des autres. En plus, c’est ELS qui fixe la contrepartie financière pour Mme Allonby et le collège pour M. Johnson. Bien que Mme Allonby et M. Johnson donnent cours dans la même école, la différence de rémunération entre elle et lui n’est pas attribuable à une source unique. Sur la base de la jurisprudence précitée, l’article 141, paragraphe 1, CE ne s’applique pas à cette situation, de sorte que Mme Allonby ne saurait puiser dans une comparaison avec M. Johnson une action contre ELS ou, éventuellement, contre le collège.

43 Nous pourrions nous arrêter à cette constatation, qui découle incontestablement de la jurisprudence de la Cour dans l’affaire Lawrence e.a. La question se pose cependant de savoir si le juge doit en l’espèce fermer les yeux sur le fait que, dans les circonstances ayant donné lieu au litige au principal, c’est très précisément pour échapper aux conséquences du principe d’égalité de traitement inscrit à l’article 141 CE qu’un montage juridique a été organisé. Une modification de la nature juridique de la relation entre Mme Allonby et son employeur initial, le collège, annihile la protection que Mme Allonby pouvait puiser dans l’article 141 CE en tant que travailleur de sexe féminin.

44 Nous nous trouvons ici face à un exemple illustrant une évolution plus large qui s’opère dans les relations de travail au sein de la Communauté européenne, fût-ce de manière plus prononcée dans un État membre que dans un autre. Elle se présente comme suit: d’une part, les employeurs confient de plus en plus d’activités qu’ils ne considèrent pas comme centrales dans leur entreprise à des cocontractants ou sous-traitants spécialisés. En tant qu’expression d’une spécialisation toujours croissante dans les relations économiques, cette évolution ne doit pas en elle-même être considérée comme indésirable sur le plan social ou sociétal. D’autre part, il s’opère un phénomène selon lequel, dans certaines professions, les relations contractuelles de travail classiques entre employeurs et travailleurs, le travail salarié, sont remplacées par des relations contractuelles de prestation de services, dans le cadre desquelles les prestataires de ces services interviennent en tant qu’indépendants. Là aussi, les avantages de la spécialisation et de la diversification techniques et fonctionnelles ne rendent pas cette évolution a priori indésirable sur le plan social ou sociétal.

45 Néanmoins, les montages juridiques que l’on rencontre dans le contexte de ces développements peuvent également être utilisés pour échapper aux conséquences de la législation d’ordre public visant à la protection du facteur travail ou, comme dans le cas de l’article 141 CE, à la mise en oeuvre de principes fondamentaux de droit sur le marché du travail. Les circonstances ayant donné lieu à l’espèce, telles qu’exposées dans le dossier du litige au principal sans avoir été contestées, suggèrent nettement que tel serait le cas en l’espèce. Matériellement, très peu de choses ont changé dans la manière de fonctionner de Mme Allonby en tant que chargée de cours et dans l’environnement dans lequel elle a continué d’exercer ses activités après le mois d’août 1996. Elle agit sous la direction et la responsabilité du collège, qui a d’ailleurs dû continuer d’assurer l’organisation de ses activités. Le collège demeure responsable à l’égard de ses étudiants de la qualité du transfert de connaissances qu’elle assure. En résumé, dans toutes ses activités, elle est en pratique liée par les indications de la direction du collège en tant que commettant. Il n’y a qu’une seule différence, mais elle est importante. La rémunération de ses activités lui est versée, en tant que sous-traitant, par ELS, qui s’est contractuellement engagée à l’égard du collège à fournir les services d’enseignement dont cet établissement a besoin.

46 Nous observons au passage que tant ELS que le gouvernement du Royaume-Uni admettent implicitement que les modifications qui se sont produites après le mois d’août 1996 dans la situation juridique de Mme Allonby ont changé très peu de choses à son mode de fonctionnement en tant que chargée de cours au sein du collège.

47 La Commission a bien saisi le dilemme qui se présente en l’espèce, à savoir si le glissement qui s’est produit dans la situation juridique de Mme Allonby justifie d’étendre la jurisprudence consacrée par la Cour à la possibilité d’attribuer une discrimination – indirecte – à une source unique, ou s’il faudra que le législateur intervienne pour s’opposer aux montages juridiques qui ont pour objet ou pour effet de vider la protection que les justiciables peuvent puiser dans l’article 141 CE.

48 Dans ses observations écrites, la Commission a initialement exprimé sa préférence pour une solution prétorienne. Elle faisait initialement valoir que le collège, bien que n’étant plus formellement un employeur, pourrait encore être considéré comme tel pour les besoins de l’article 141 CE. L’idée sous-jacente à cet égard consistait à contrer les employeurs dans ce qu’elle considère comme un abus de droit, à savoir licencier leur personnel à temps partiel pour ensuite de nouveau recourir à ses services par l’intermédiaire d’une agence et chercher ainsi à échapper au droit social applicable, tels l’égalité des rémunérations pour un travail identique ou équivalent et d’autres droits sociaux reconnus aux travailleurs salariés à temps partiel. Un tel «abus» pourrait vider de son effet le principe d’égalité inscrit à l’article 141 CE. En conséquence, dans des cas comme l’espèce, ce ne seraient pas les relations juridiques entre l’employeur initial et ses travailleurs à temps partiel, mais les relations effectives – qui demeurent quasiment inchangées – qui devraient être déterminantes.

49 La Commission a expressément renoncé à l’audience à cette idée fondée sur une fiction juridique. En premier lieu, il n’existe pas de source communautaire – au sens de l’arrêt Lawrence e.a. – qui pourrait être tenue pour unique responsable de la différence de traitement et qui pourrait remédier à cette différence. Le licenciement n’est en effet pas contesté; il n’existe donc plus aucun lien, en termes de droit du travail, entre le collège et Mme Allonby qui pourrait servir de point de départ pour le rétablissement de l’égalité des rémunérations. La question qui se pose ensuite consiste à savoir combien de temps cette fiction juridique permettrait encore de tenir l’employeur initial pour responsable des différences de rémunération. En effet, ces différences de rémunération peuvent encore s’aggrandir par le simple effet de l’écoulement du temps. Initialement, la Commission cherchait à opérer un rattachement avec la personne qui, selon elle, pouvait par excellence être tenue responsable de la naissance de la différence, à savoir le collège lorsqu’il a décidé de réformer son organisation. La difficulté ici, c’est que le collège ne peut pas être tenu pleinement responsable de la différence qui s’est développée entre Mme Allonby et la personne de référence. En effet, la rémunération que Mme Allonby perçoit pour les services qu’elle fournit est convenue entre ELS et elle-même. Le collège ne saurait en être tenu responsable, même s’il essayait, dans ses relations avec ELS, de maintenir l’équivalence des rémunérations entre ses travailleurs et les sous-traitants d’ELS. Il va d’ailleurs de soi que, par le simple écoulement du temps, le maintien d’un tel parallèle dans les rémunérations devient plus difficile. Là encore, on se heurte à l’absence d’une source unique pouvant être tenue pour responsable du maintien et du rétablissement de l’égalité.

50 Nous observons à titre surabondant que, dans la procédure au principal, Mme Allonby avait dirigé sa demande contre ELS. Nous ne saurions partager le point de vue exprimé par Mme Allonby à l’audience, selon lequel il existe une source unique à laquelle la différence de rémunérations est imputable (le collège), et qu’elle doit donc pouvoir comparer sa situation avec celle de M. Johnson pour faire prospérer à l’encontre d’ELS sa demande fondée sur l’égalité des rémunérations. L’origine de la différence entre la rémunération que touchait Mme Allonby lorsqu’elle était encore employée au collège et celle que lui verse maintenant ELS pour ses missions peut éventuellement être reprochée au collège, mais certes pas à ELS. Celle-ci, selon les termes de la Cour, n’est donc pas l'«entité qui est responsable de l’inégalité et qui [(10)] pourrait rétablir l’égalité de traitement». S’il en allait autrement, cela signifierait qu’un employeur (ELS) doit supporter les conséquences du comportement d’un autre employeur (le collège) sans qu’il n’existe aucun lien entre celui qui a occasionné l’inégalité et celui qui doit y remédier.

51 Selon nous, c’est à juste titre que la Commission a aussi indiqué que, en l’espèce, le licenciement lui-même pouvait être constesté, car la restructuration ainsi envisagée des rapports juridiques avec le personnel à temps partiel produisait des effets discriminatoires à l’égard des femmes. Cela a d’ailleurs été le cas en l’espèce, et Mme Allonby a obtenu une certaine réparation.

52 Enfin, la Commission a souligné que c’est l’assouplissement des relations de travail qui se trouve au coeur du problème. Face aux conséquences néfastes qui en résultent du point de vue de la protection sociale, l’intervention du législateur est souhaitable. À cet égard, elle a annoncé une directive visant à accorder aux travailleurs qui exercent leurs activités par l’intermédiaire d’une agence de placement professionnel une protection accrue, par analogie avec la protection dont bénéficie le personnel salarié.

53 Nous partageons l’appréciation – qui n’est guère aisée – exprimée ici par la Commission. Le fait que, indéniablement, on assiste dans la Communauté à un glissement des relations de travail plus traditionnelles vers des relations flexibles, telles des formes de «travail indépendant», pose de manière plus générale la question des conséquences que le législateur communautaire doit en tirer s’agissant de la protection particulière accordée par le droit communautaire aux travailleurs, qu’ils soient salariés ou indépendants. Le principe d’égalité de traitement, tel que ce principe fondamental de droit est inscrit aux articles 13 CE et 141 CE et confirmé aux articles 21, paragraphe 1, et 23 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, constitue un élément essentiel de cette protection. Cela justifie une intervention expresse du législateur communautaire au titre de l’article 141, paragraphe 3, CE. Selon nous, une telle intervention peut précéder d’autres mesures visant à assurer la protection des travailleurs, mesures pour lesquelles l’article 137, paragraphe 3, CE requiert l’unanimité au Conseil.

54 Nous parvenons dès lors à la conclusion que, en l’état actuel du droit communautaire et dans les circonstances de l’affaire au principal, l’article 141 CE ne saurait être invoqué pour réclamer la même rémunération pour les femmes que pour les hommes.

La seconde question préjudicielle

55 Par sa seconde question, le juge de renvoi souhaite s’entendre dire si l’article 141 CE produit un effet direct, de sorte que Mme Allonby peut réclamer son affiliation au TSS, soit en comparant sa situation à celle de M. Johnson soit sur la base d’une preuve statistique.

56 Comme cela ressort déjà des éléments qui précèdent, le statut des chargés de cours à temps partiel qui étaient initialement employés par le collège et travaillent à présent par l’intermédiaire d’ELS a été modifié. Au collège, ils travaillaient sur la base d’un contrat de travail salarié («contract of service»); chez ELS, ils travaillent en tant que travailleurs indépendants sur la base d’un contrat de prestation de services («contract for services»).

57 L’affiliation au TSS n’est possible qu’en cas d’exécution d’un travail ouvrant le droit à l’affiliation à ce régime de pension («pensionable employment»). En vertu des TSS-Regulations, une relation de travail sur la base d’un contrat de travail salarié relève de la notion de «pensionable employment», mais non pas une relation fondée sur un contrat de prestation de services.

58 La seconde question est également liée à l’impossibilité pour Mme Allonby de désigner une personne de référence, ce qui constitue une exigence de la réglementation nationale en matière de pensions de retraite. Mme Allonby fait valoir qu’une telle exigence constitue un obstacle pour accéder à un régime de pension. Elle estime que, aux fins de sa demande d’affiliation au régime de pension, elle peut se référer à la situation de M. Johnson ou, en cas de réponse négative à la première question préjudicielle et donc également à la première partie de la seconde question, démontrer, statistiques à l’appui, que l’exclusion des «self-employed workers» de la participation au régime de pension affecte bien davantage de femmes que d’hommes. Cette discrimination résulte de la définition utilisée dans le régime de pension, en vertu de laquelle les travailleurs actifs sur la base d’un contrat de prestation de services sont exclus du régime. Si elle y parvient et s’il n’existe pas de justification objective, le ministre, en sa qualité de législateur et de gestionnaire du régime de pension, devra modifier ces conditions de sorte que, en finale, les chargés de cours travaillant en tant qu’indépendants sur la base d’un contrat de prestation de services pourront s’affilier et que son employeur, ELS, sera tenu d’y contribuer.

59 Mme Allonby affirme que 1) la discrimination émane de la définition des personnes ayant le droit de s’affilier au TSS; 2) étant donné que cette définition constitue une discrimination indirecte à l’encontre des femmes, cette discrimination serait décelable sur la base d’une analyse purement juridique, et 3) il est indifférent qu’elle puisse ou non désigner chez son employeur actuel, ELS, une personne de référence pour déterminer la discrimination alléguée, car celle-ci découle des conditions d’affiliation, sur lesquelles ELS n’a aucune influence.

60 Mme Allonby souligne que, dans les litiges en matière d’égalité de traitement, la Cour se satisfait de statistiques si elles permettent de démontrer qu’une pratique ou exigence affecte de façon disproportionnée les femmes. Dans de telles situations, une personne de référence qui exécute le même travail pour une même entreprise ou service n’est pas indispensable.

61 À cet égard, elle invoque les affaires Rinner-Kühn (11) et Seymour-Smith et Perez (12), dans lesquelles la discrimination résultait de la législation. Elle souligne que la même approche a été adoptée pour des régimes de pension professionnels applicables à tout un secteur économique, comme dans l’arrêt Fisscher (13), dans lequel la Cour a dit pour droit que l’article 141 CE porte aussi sur le droit d’affiliation, que les administrateurs d’un régime de pension sont tenus, tout comme les employeurs, de respecter les dispositions de cet article et que le travailleur discriminé peut faire valoir ses droits directement à l’encontre desdits administrateurs.

62 Mme Allonby observe que l’arrêt Fisscher (14) ainsi que l’arrêt Bilka (15) concernaient l’accès à un régime de pension. Dans ce cadre, les activités effectuées par les femmes concernées n’étaient pas directement en question. Il en va autrement dans les affaires concernant l’égalité des prestations des régimes. Dans ces cas, il peut s’avérer nécessaire de déterminer si la femme reçoit une pension moindre pour le même travail ou pour un travail équivalent. Cependant, même dans ces cas, la Cour n’a pas estimé nécessaire de réserver son appréciation aux cas où une personne de référence effective peut être désignée, dès lors qu’il résulte des exigences mêmes du régime que soit les hommes soit les femmes perçoivent des prestations de retraite inégales pour un travail égal qu’ils ont effectué dans le passé.

63 Elle affirme que, en conséquence du TSS, un enseignant travaillant en vertu d’un contrat de travail et exécutant le même travail qu’elle reçoit de son employeur une rémunération plus élevée, à travers sa pension, qu’elle de son employeur. Elle invoque l’arrêt Liefting (16) pour affirmer que, dans cette affaire comme dans le cas d’espèce, l’homme et la femme peuvent travailler pour deux employeurs différents. Dans les deux cas, l’auteur de la discrimination est le législateur et administrateur du régime de pension. Mme Allonby estime néanmoins que la pension constitue dans les deux cas une rémunération, puisqu’elle est reçue en raison de l’emploi et payée par l’employeur. Selon elle, le même principe se dégage de l’arrêt Beune (17).

64 Mme Allonby estime que la référence faite par le gouvernement du Royaume-Uni à l’arrêt Coloroll Pension Trustees (18) pour affirmer que l’article 141 CE est limité aux situations dans lesquelles le personnel comprend des personnes des deux sexes est sans pertinence. Selon elle, il s’agissait dans cette affaire d’un régime de pension isolé, applicable à une entreprise spécifique qui n’employait que des hommes. Dès lors, il ne pouvait pas y avoir de discrimination. En revanche, le TSS constitue un régime à l’échelle nationale applicable aux enseignants des deux sexes.

65 Le gouvernement du Royaume-Uni estime que, pour le même motif que dans le cadre de la première question préjudicielle, il y a lieu de répondre par la négative à la première partie de la seconde question préjudicielle. M. Johnson et ses collègues ont le droit de participer au régime parce que le collège a décidé de les employer sur la base d’un contrat de travail. En revanche, Mme Allonby et ses collègues ne peuvent être affiliés parce qu’ELS a choisi de les engager sur la base d’un contrat de prestation de services. Le juge a en outre relevé que le collège n’exerce pas de contrôle direct sur ELS en ce qui concerne le montant de la rémunération versée, de sorte que l’on ne pourrait certes pas suggérer que le collège contrôle quelles personnes travaillant pour ELS ont le droit de s’affilier au TSS. Selon le gouvernement du Royaume-Uni, toutes les personnes actives auprès d’ELS travaillent sur la base d’un contrat de prestation de services et sont donc exclues du TSS. Mme Allonby ne saurait donc invoquer l’article 141 CE, car aucune personne de référence ne peut être désignée.

66 Le gouvernement du Royaume-Uni souligne également les conséquences de l’approche de Mme Allonby. Une agence d’intérim, telle ELS, serait alors tenue, en vertu de l’article 141 CE, d’assurer au personnel de son fichier les mêmes conditions de pension que celles que les clients d’ELS offrent à leur personnel. Ce serait impraticable. Cette obligation n’existerait pas seulement en cas de régime sectoriel de pension, mais également lorsque les clients ont leur propre régime professionnel de pension, ce qui est courant dans le secteur privé au Royaume-Uni. De telles agences sont dans l’impossibilité d’assurer à leur personnel une affiliation au régime de pension du client. Il leur serait également impossible de mettre en place leur propre régime de pension permettant de calculer différemment les prestations pour différentes périodes de service selon les conditions de chaque régime propre à chacun des clients d’ELS.

67 S’agissant de la seconde partie de cette question préjudicielle, le gouvernement du Royaume-Uni observe que, dans le cadre de la procédure nationale, aucune statistique n’a encore été produite qui permettrait au juge national d’apprécier s’il y a discrimination. Le Royaume-Uni doute que Mme Allonby puisse démontrer cela, étant donné que, ne fût-ce que chez ELS, on trouve la même proportion d’hommes que de femmes. Étant donné cette répartition, on ne saurait affirmer que l’externalisation des missions affecte sensiblement plus de femmes que d’hommes. En outre, le gouvernement du Royaume-Uni doute que la jurisprudence de la Cour dans les arrêts Rinner-Kühn, Liefting et Beune octroie à Mme Allonby le droit de s’affilier au TSS – et d’obliger ainsi ELS à verser des cotisations au titre de Mme Allonby – même si ELS n’applique pas de distinctions fondées sur le sexe entre les enseignants masculins et féminins de son fichier. Selon le gouvernement du Royaume-Uni, la réponse à cette question est négative.

68 Le gouvernement du Royaume-Uni se réfère à la jurisprudence de la Cour (19) selon laquelle les prestations de pension peuvent constituer une rémunération au sens de l’article 141 CE lorsqu’elles émanent tout au moins indirectement d’un employeur. Il en résulte qu’il y a discrimination lorsqu’un employeur opère une distinction selon le sexe lors du paiement de pensions. L’administrateur d’un régime de pension partage à cet égard l’obligation de l’employeur d’éviter un tel résultat (20). Il est en effet expressément chargé de l’exécution des obligations de l’employeur. Un administrateur doit donc effectuer les versements d’une manière compatible avec l’obligation de l’employeur, mais là s’arrête son obligation.

69 Le gouvernement du Royaume-Uni souligne que l’argument de Mme Allonby implique que les conditions d’un régime de pension peuvent être contraires à l’article 141 CE sans même qu’un employeur cotisant au régime applique des rémunérations divergentes en fonction du sexe. Selon le gouvernement du Royaume-Uni, ce point de vue est inconciliable avec le fondement de l’application de l’article 141 CE aux régimes de pension professionnels. Selon lui, un régime de pension et son administrateur ne sauraient violer l’article 141 CE si l’employeur participant concerné ne le viole pas.

70 Le gouvernement du Royaume-Uni souligne encore une autre conséquence, illogique, du point de vue de Mme Allonby. Un employeur, en l’occurrence ELS, qui respecte pour l’ensemble de ses enseignants, hommes ou femmes, l’égalité de traitement sur la base de conditions qui ne leur donnent pas droit à l’affiliation au TSS serait en effet tenu, soi-disant en application du principe d’égalité de traitement, de verser des cotisations de pension pour tous les enseignants de son fichier, quel que soit leur sexe. Selon le gouvernement du Royaume-Uni, la relation entre un employeur et un administrateur, telle que formulée dans l’arrêt Coloroll Pension Trustees, se trouve ainsi inversée. Ce que Mme Allonby cherche en réalité à obtenir, c’est d’obliger un employeur, en vertu de l’article 141 CE et par le biais de l’intervention d’un administrateur, à participer à un régime de pension, bien que ledit employeur n’applique aucune discrimination dans la rémunération et ne souhaite pas non plus participer à un régime de pension.

71 Il souligne que le TSS a été institué en tant que régime de pension pour travailleurs employés par des établissements publics d’enseignement, mais qu’il permet également aux travailleurs d’établissements privés d’y participer pour autant que l’employeur concerné ait fait une demande en ce sens en suivant une procédure particulière. Des établissements comme ELS, qui occupent des enseignants sur la base d’un contrat de prestation de services, n’ont cependant jamais manifesté d’intention de participer. En outre, il observe que, dans ce domaine, le Royaume-Uni connaît une forme de pension d’État, qu’il est loisible aux employeurs d’instituer un régime de pension pour le remplacer, mais qu’il n’est nullement souhaitable qu’ils y soient tenus.

72 S’agissant de la définition d'«employé» utilisée, le gouvernement du Royaume-Uni a indiqué que, en droit national, il existe une différence entre un contrat de travail et un contrat de prestation de services. Le fait que l’Equal Pay Act devait créer une possibilité de recours tant pour les personnes travaillant sur la base d’un contrat de travail que pour celles qui travaillent sur la base d’un contrat de prestation de services n’implique nullement, selon lui, une politique en vertu de laquelle les personnes travaillant sur la base d’un contrat de prestation de services doivent toujours être traitées de la même manière que les travailleurs salariés.

73 La Commission estime également que, si Mme Allonby ne peut pas se prévaloir de l’article 141 CE pour sa demande d’une rémunération identique, elle ne peut pas davantage l’invoquer en ce qui concerne les pensions. En effet, les pensions professionnelles relèvent de l’article 141 CE, car il s’agit d’une rémunération de l’employeur. Ces deux éléments ne sauraient être appréciés isolément. Elle observe que le choix d’ELS d’engager tous les chargés de cours sur la base d’un contrat de prestation de services, si bien qu’ils ne peuvent pas s’affilier au TSS, n’a rien à voir avec une discrimination fondée sur le sexe. La Commission souligne aussi que la demande de Mme Allonby n’apporterait pas seulement un changement pour elle, mais également pour tout le personnel figurant sur le fichier. La Commission estime que tel n’est pas l’objet de l’article 141 CE.

Appréciation

74 S’agissant du point de savoir si Mme Allonby peut, aux fins de sa demande d’affiliation au TSS, établir une comparaison avec M. Johnson ou si, dans l’absolu, il lui faut une personne de référence, nous observons ce qui suit.

75 En ce qui concerne la première partie de la seconde question, nous sommes d’accord avec Mme Allonby, la Commission et le gouvernement du Royaume-Uni pour dire que la réponse à cette partie doit être la même que pour la première question. Par la notion de rémunération au sens de l’article 141 CE, on entend tous les avantages en espèces ou en nature, actuels ou futurs, pourvu qu’ils soient payés, serait-ce indirectement, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier. Dans sa jurisprudence, la Cour a dit pour droit que les avantages de pension relèvent de cette notion. Il en résulte que, si Mme Allonby ne peut pas comparer sa situation à celle d’une personne de référence déterminée en ce qui concerne l’une des composantes de sa rémunération, elle ne peut pas non plus le faire pour une autre composante de sa rémunération.

76 Étant donné que les prestations de pension relèvent de la notion de rémunération, il en résulte qu’aucune distinction fondée sur le sexe ne peut être opérée 1) ni en ce qui concerne le droit à l’affiliation 2) ni en ce qui concerne l’octroi. Tout employeur qui opère néanmoins une telle distinction agit en violation de l’article 141 CE.

77 On a déjà constaté dans le cadre du traitement de la première question que, à la suite du licenciement, Mme Allonby ne donne plus cours au collège sur la base d’un contrat de travail conclu avec celui-ci, mais en tant qu’indépendante, par l’intermédiaire d’ELS, sur la base d’un contrat de prestation de services. Si elle avait encore été salariée à temps partiel du collège, elle aurait bénéficié du droit de s’affilier au TSS. Cette situation a cependant été modifiée en raison d’une modification du statut sur la base duquel elle exerce ses activités.

78 Indépendamment de cette question du statut de travailleur salarié ou indépendant, une personne de référence ou un cadre de référence est nécessaire pour déterminer s’il existe une discrimination fondée sur le sexe. Il en va de même en ce qui concerne le droit à l’affiliation. Nous avons déjà observé, dans le cadre du traitement de la première question, que, même si cette situation peut être insatisfaisante, Mme Allonby ne peut pas, en l’état actuel du droit, comparer sa situation avec celle d’une personne de référence salariée par le collège lorsqu’elle invoque l’effet direct de l’article 141 CE.

79 Même si Mme Allonby ne peut pas directement invoquer l’article 141 CE pour comparer sa situation avec celle de M. Johnson, il n’en demeure pas moins qu’une discrimination indirecte peut résulter d’un régime sectoriel ou légal. En l’espèce, les TSS-Regulations excluent les enseignants travaillant sur la base d’un contrat de prestation de services. Il peut y avoir discrimination (indirecte) s’il apparaît que cette condition d’accès affecte sensiblement plus de femmes que d’hommes. C’est cependant au juge national qu’il appartient d’apprécier s’il y a discrimination et s’il existe une justification objective.

80 Nous souhaitons encore observer ce qui suit. En premier lieu, le Royaume-Uni a voulu mettre en oeuvre, par le biais de l’Equal Pay Act, ses obligations en vertu de la directive 75/117. En deuxième lieu, le Royaume-Uni, à la suite de l’arrêt Barber et d’arrêts ultérieurs, a adapté la Pensions Act afin d’y ancrer également le principe d’égalité de traitement. Le régime professionnel de pension pour enseignants, à savoir un régime à l’échelle nationale, a été institué par l’État et son fonctionnement est régi par la Pensions Act et par les TSS-Regulations. Or, cette dernière mesure exclut les relations de travail fondées sur un contrat de prestation de services; elle ne concerne que les relations de travail fondées sur un contrat de travail. Cette exclusion donne lieu à un certain nombre de problèmes qui seront examinés ci-après.

81 Nous ne sommes guère convaincu par les arguments du gouvernement du Royaume-Uni selon lesquels il ne saurait être question de discrimination. Naturellement, nous partageons l’idée que l’on ne peut pas reprocher cela à ELS ou au collège. Là n’est pas le problème. Ce problème se situe en effet dans la législation elle-même. C’est également pour cette raison que Mme Allonby dirige son recours, à titre principal, contre le ministre, moins en sa qualité d’administrateur que de législateur. Les observations du gouvernement du Royaume-Uni selon lesquelles la situation de l’administrateur d’un fonds de pensions reflète les obligations de l’employeur au titre de l’article 141 CE sont en soi correctes, mais elles ne tiennent pas compte du fait que la discrimination peut également résulter du libellé de la loi elle-même.

82 Nous observons les éléments suivants à l’appui de ce point de vue. Si le collège avait cherché à résoudre ses problèmes financiers en ne concluant désormais avec son personnel à temps partiel que des contrats de prestation de services, il aurait dû continuer de proposer à ce personnel la même rémunération, proportionnellement, qu’à son personnel à temps plein. C’est ce qui résulte en effet de l’Equal Pay Act. Cependant, le personnel à temps partiel, qui n’est pas sous contrat de travail salarié avec le collège, n’aurait pas pu accéder au TSS, car il ne satisfait pas à cette condition d’affiliation. Il naît alors une situation dans laquelle les travailleurs salariés et les travailleurs «indépendants» ne peuvent pas être traités de manière égale, car ces derniers ne peuvent pas obtenir le droit à la rémunération future que représentent les prestations de pension. Si l’on peut alors démontrer, statistiques à l’appui, que cette inégalité de traitement affecte plus sévèrement les femmes que les hommes, l’article 141 CE peut être directement invoqué à cet égard.

83 Dès lors, nous estimons que le raisonnement du gouvernement du Royaume-Uni repris au point 72 ci-dessus présente une contradiction interne. Si l’on affirme d’une part que l’Equal Pay Act poursuit le même objectif que l’article 141 CE, à savoir l’interdiction des discriminations dans la rémunération fondées sur le sexe, et que, pour assurer l’efficacité de cette interdiction, il assimile travailleurs salariés et «indépendants», il est difficile de soutenir que cette assimilation n’aurait plus cours lorsqu’il s’agit de la pension en tant que rémunération différée.

84 Il résulte d’ailleurs de l’ordonnance de renvoi, points 50 et 109, que l’Employment Appeal Tribunal a constaté que, dans un tel cas, le contrat de prestation de services doit être considéré, en vertu de l’Equal Pay Act, comme un contrat de travail aux fins de l’application de la pension professionnelle. Dans cette hypothèse, Mme Allonby aurait encore dû obtenir l’autorisation en vertu de la Pensions Act. Il n’en demeure pas moins que le TSS, en tant que régime transsectoriel, traite de manière inégale les enseignants sous contrat de travail et ceux qui proposent leurs services en tant qu’indépendants. De cette manière, ce régime contribue justement à ce que les établissements d’enseignement recourent à des montages comme celui qui fait l’objet du litige au principal. Le fait que l’Equal Pay Act assimile explicitement les deux catégories de travailleurs en matière de rémunération alors que le TSS opère une distinction génère ainsi une situation qui, à supposer que davantage de femmes que d’hommes en sont affectées, porte atteinte à l’effet matériel de l’article 141 CE. Dans un tel cas, c’est au législateur national qu’incombe l’obligation juridique de veiller à ce que les deux catégories de travailleurs puissent s’affilier aux mêmes conditions au régime de pension.

85 L’argument du gouvernement du Royaume-Uni, selon lequel les employeurs ne sont pas tenus d’instituer leur propre régime de pension professionnel ou d’y adhérer, est dénué de pertinence à ce stade. D’ailleurs, Mme Allonby estime que les établissements d’enseignement privés ont également l’obligation de cotiser au fonds de pension professionnel en cause, mais que, actuellement, des établissements, comme ELS, n’ont pas le choix eu égard à la définition appliquée. La question qui se pose ici consiste à savoir si Mme Allonby peut démontrer, statistiques à l’appui, que la définition utilisée dans les TSS-Regulations est indirectement discriminatoire. Si elle y parvient et s’il n’existe pas de justification objective, le législateur devra apporter un changement en la matière. Le point de savoir si son recours contre ELS, pour que celle-ci cotise pour elle au TSS, doit être accueilli est une autre question. Comme cela ressort des éléments qui précèdent, nous estimons qu’il y a lieu de répondre à la question par l’affirmative.

V – Conclusion

86 Eu égard aux considérations qui précèdent, nous suggérons à la Cour de répondre comme suit aux questions de la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division):

«1. Dans des circonstances comme celles de l’espèce au principal, où des différences ont été constatées entre les rémunérations des chargés de cours travaillant pour le collège sur une base salariée et de ceux qui exécutent des services dans le cadre d’un contrat de prestation de services conclu avec un tiers, l’article 141, paragraphe 1, CE ne saurait être invoqué à l’encontre de ce collège ou de ce tiers, car les différences de rémunération, y compris le droit d’affiliation à un régime de pension, ne peuvent pas être attribuées à une source unique et, en conséquence, il manque une entité pouvant être tenue pour responsable de cette différence et de son élimination.

2. L’article 141, paragraphe 1, CE peut être invoqué à l’encontre d’un régime de pension professionnel légalement organisé qui est exclusivement ouvert aux personnes qui exécutent des services d’enseignement dans un cadre salarié et non pas aux chargés de cours qui exécutent des services, s’il s’avère que cette restriction affecte sensiblement plus de femmes que d’hommes sans que cela soit objectivement justifié.»

(1) – JO L 45, p. 19.

(2) – Devenu, après modification, article 141 CE.

(3) – Arrêt du 17 mai 1990 (C-262/88, Rec. p. I-1889).

(4) – Arrêt du 8 avril 1976, dit «Defrenne II» (43/75, Rec. p. 455).

(5) – Arrêt du 17 septembre 2002 (C-320/00, Rec. p. I-7325).

(6) – ELS se réfère à cet égard à la jurisprudence suivante: arrêts Defrenne II (précité à la note 5); du 27 mars 1980, Macarthys (129/79, Rec. p. 1275); du 9 novembre 1993, Roberts (C-132/92, Rec. p. I-5579), et du 28 septembre 1994, Coloroll Pension Trustees (C-200/91, Rec. p. I-4389).

(7) – Arrêt Barber (précité à la note 4).

(8) – Précité à la note 6.

(9) – Les italiques sont de notre fait.

(10) – Les caractères italiques sont de notre fait.

(11) – Arrêt du 13 juillet 1989 (171/88, Rec. p. 2743).

(12) – Arrêt du 9 février 1999 (C-167/97, Rec. p. I-623).

(13) – Arrêt du 28 septembre 1994 (C-128/93, Rec. p. I-4583).

(14) – Précité à la note 14.

(15) – Arrêt du 13 mai 1986 (170/84, Rec. p. 1607).

(16) – Arrêt du 18 septembre 1984 (23/83, Rec. p. 3225).

(17) – Arrêt du 28 septembre 1994 (C-7/93, Rec. p. I-4471).

(18) – Précité à la note 7.

(19) – Arrêts Bilka (précité à la note 16), et Beune (précité à la note 18).

(20) – Arrêts Coloroll Pension Trustees (précité à la note 7, points 17 à 24), Barber (précité à la note 4, points 28 et 29).

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CJCE, n° C-256/01, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Debra Allonby contre Accrington & Rossendale College, Education Lecturing Services, trading as Protocol Professional et Secretary of State for Education and Employment, 2 avril 2003