CJCE, n° C-192/01, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre Royaume de Danemark, 23 septembre 2003

  • Protection de la santé publique, préservation des végétaux·
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  • Mesures d'effet équivalent·
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  • Vitamine·
  • Denrée alimentaire

Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 23 sept. 2003, Commission / Danemark, C-192/01
Numéro(s) : C-192/01
Arrêt de la Cour du 23 septembre 2003. # Commission des Communautés européennes contre Royaume de Danemark. # Manquement d'État - Articles 28 CE et 30 CE - Interdiction de commercialisation de denrées alimentaires auxquelles des vitamines et des minéraux ont été ajoutés - Justification - Santé publique - Besoin nutritionnel. # Affaire C-192/01.
Date de dépôt : 4 mai 2001
Précédents jurisprudentiels : Commission/Italie, C-228/91
Cour AELE du 5 avril 2001, EFTA Surveillance Authority/Norway ( E-3/00, EFTA Court Report 2000-2001, p. 73
Monsanto Agricoltura Italia e.a., C-236/01
National Farmers ' Union e.a., C-157/96, Rec. p. I-2211
Toolex ( C-473/98, Rec. p. I-5681
Solution : Recours en constatation de manquement : obtention
Identifiant CELEX : 62001CJ0192
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2003:492
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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62001J0192

Arrêt de la Cour du 23 septembre 2003. – Commission des Communautés européennes contre Royaume de Danemark. – Manquement d’État – Articles 28 CE et 30 CE – Interdiction de commercialisation de denrées alimentaires auxquelles des vitamines et des minéraux ont été ajoutés – Justification – Santé publique – Besoin nutritionnel. – Affaire C-192/01.


Recueil de jurisprudence 2003 page I-09693


Sommaire

Parties

Motifs de l’arrêt

Décisions sur les dépenses

Dispositif

Mots clés


Libre circulation des marchandises – Restrictions quantitatives – Mesures d’effet équivalent – Réglementation nationale subordonnant la commercialisation de denrées alimentaires enrichies en éléments nutritifs à la preuve d’un besoin nutritionnel de la population – Inadmissibilité – Justification – Protection de la santé publique – Absence – Violation du principe de proportionnalité

rt. 28 CE et 30 CE)

Sommaire


$$Manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE un État membre qui applique une pratique administrative impliquant que des denrées alimentaires enrichies en vitamines et en minéraux qui sont légalement produites ou commercialisées dans d’autres États membres ne peuvent être commercialisées sur son territoire que s’il est démontré que cet enrichissement en éléments nutritifs répond à un besoin dans la population de cet État membre.

En effet, si le droit communautaire ne s’oppose pas, en principe, à ce qu’un État membre interdise, sauf autorisation préalable, la commercialisation de denrées alimentaires lorsque des éléments nutritifs, tels que des vitamines ou des minéraux autres que ceux dont l’emploi est déclaré licite par la réglementation communautaire, y ont été incorporés, dès lors qu’il appartient aux États membres, à défaut d’harmonisation et dans la mesure où des incertitudes subsistent en l’état actuel de la recherche scientifique, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes, ce pouvoir d’appréciation doit toutefois être exercé dans le respect du principe de proportionnalité. Il incombe en outre aux autorités nationales de démontrer dans chaque cas d’espèce, à la lumière des habitudes alimentaires nationales et compte tenu des résultats de la recherche scientifique internationale, que leur réglementation est nécessaire pour assurer la sauvegarde de la santé publique et, notamment, que la commercialisation des produits en question présente un risque réel pour celle-ci.

À cet égard, le caractère systématique d’une interdiction de commercialisation des produits enrichis ne répondant pas à un besoin nutritionnel de la population ne permet pas de respecter le droit communautaire quant à l’identification et à l’évaluation d’un risque réel pour la santé publique, lequel exige une évaluation approfondie, cas par cas, des effets que pourrait entraîner l’adjonction des minéraux et des vitamines en cause.

( voir points 42, 44-46, 56-57 et disp. )

Parties


Dans l’affaire C-192/01,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. H. C. Støvlbæk, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume de Danemark, représenté par M. J. Molde, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que, en appliquant une pratique administrative impliquant que des denrées alimentaires enrichies qui sont légalement produites ou commercialisées dans d’autres États membres ne peuvent être commercialisées au Danemark que s’il est démontré que cet enrichissement en éléments nutritifs répond à un besoin dans la population danoise, le royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE,

LA COUR,

composée de M. J.-P. Puissochet, président de la sixième chambre, faisant fonction de président, MM. M. Wathelet, R. Schintgen, et C. W. A. Timmermans, présidents de chambre, MM. C. Gulmann et A. La Pergola, Mmes F. Macken (rapporteur) et N. Colneric, MM. S. von Bahr, J. N. Cunha Rodrigues, et A. Rosas, juges,

avocat général: M. J. Mischo,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l’audience du 1er octobre 2002,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 décembre 2002,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l’arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 4 mai 2001, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l’article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en appliquant une pratique administrative impliquant que des denrées alimentaires enrichies qui sont légalement produites ou commercialisées dans d’autres États membres ne peuvent être commercialisées au Danemark que s’il est démontré que cet enrichissement en éléments nutritifs répond à un besoin dans la population danoise, le royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.

2 Il est constant que, à la date pertinente du présent recours, il n’existait pas dans la réglementation communautaire de dispositions fixant les conditions dans lesquelles peuvent être ajoutés des éléments nutritifs dans les denrées alimentaires de consommation courante, tels les vitamines et les minéraux.

3 En ce qui concerne les denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière, certaines d’entre elles ont fait l’objet de directives adoptées par la Commission sur le fondement de la directive 89/398/CEE du Conseil, du 3 mai 1989, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière (JO L 186, p. 27).

La réglementation nationale

4 Aux termes de l’article 14 de la lov n° 471 om fødevarer m.m. (loi n° 471 relative aux denrées alimentaires), du 1er juillet 1998 (Lovtidende A 1998, p. 2826), qui a remplacé la loi n° 310, du 6 juin 1973, tout en laissant inchangé l’état du droit en ce qui concerne les additifs:

«Par additif alimentaire, on entend dans la présente loi toute substance qui, sans être en soi un aliment ou un ingrédient habituel d’aliments composés, est destinée à être ajoutée à des aliments afin d’en modifier la valeur nutritive, la durée de conservation, la couleur, l’arôme, le goût ou dans d’autres buts d’ordre technologique ou autre.»

5 En vertu de l’article 15, paragraphe 1, de la loi n° 471, seules peuvent être utilisées ou vendues comme additifs des substances autorisées par le ministre de l’Alimentation (ci-après le «ministre»).

6 Conformément à l’article 15, paragraphe 2, de ladite loi, le ministre peut établir des règles relatives aux conditions d’utilisation des additifs, notamment le but, les quantités et les produits auxquels ils sont associés, ainsi que les règles relatives à l’identité et à la pureté des additifs.

7 Le bekendtgørelse nº 282 om tilsætningsstoffer til fødevarer (décret n° 282 relatif aux additifs destinés à l’alimentation), du 19 avril 2000 (Lovtidende A 2000, p. 1861), prévoit l’obligation de déclarer les additifs à l’Office vétérinaire et alimentaire (ci-après l'«Office») six mois avant l’utilisation de ceux-ci.

8 Aux termes de l’article 20 du décret n° 282:

«1. Les additifs suivants peuvent être mis en oeuvre six mois après leur déclaration à l’Office vétérinaire et alimentaire:

cultures bactériennes,

moisissures et levures,

enzymes, et

éléments nutritifs.

2. La mise en oeuvre d’un additif en vertu du paragraphe 1 est toutefois subordonnée à la condition que l’Office n’ait pas préalablement interdit l’additif déclaré.

3. L’Office peut autoriser la mise en oeuvre de l’additif avant l’expiration du délai de six mois à compter de la déclaration.»

9 Avant l’entrée en vigueur du décret nº 282, cette déclaration était faite auprès du ministre conformément aux dispositions de l’article 16, paragraphe 2, de la loi nº 471.

10 Quant à l’adjonction de vitamines et de minéraux aux denrées alimentaires, le fonctionnement du système danois d’autorisation préalable est caractérisé par l’existence d’une pratique administrative, fondée sur les dispositions de la loi n° 471 et du décret n° 282 mentionnées aux points 4 à 9 du présent arrêt, qui subordonne l’autorisation de l’adjonction de tels éléments à un ou plusieurs des critères arrêtés conformément aux principes généraux régissant l’adjonction d’éléments nutritifs aux aliments, repris du Codex Alimentarius, instauré en 1963 par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et l’OMS (Organisation mondiale de la santé) (ci-après la «pratique administrative danoise»).

11 En vertu de la pratique administrative danoise, l’adjonction d’additifs tels que des vitamines ne peut être légalement pratiquée que dans les cas suivants:

— l’adjonction de l’additif est supposée remédier à une situation (ou prévenir une telle situation) dans laquelle une partie importante de la population ingère une quantité insuffisante de l’élément nutritif en question (par exemple, l’adjonction d’iode au sel);

— l’adjonction de l’additif doit avoir pour but de compenser une perte de la valeur nutritive d’un produit survenue durant le processus industriel de transformation (par exemple, l’adjonction de vitamine C aux jus de fruits);

— l’adjonction a trait à de nouvelles denrées alimentaires, ou produits analogues, pouvant être utilisées à la place et de la même manière qu’un produit traditionnel (par exemple, l’adjonction de vitamine A à la margarine, qui est un substitut du beurre);

— l’adjonction à des denrées alimentaires constituant en elles-mêmes un repas ou destinées à une alimentation spéciale (par exemple, des substituts du lait maternel, des aliments pour enfants ou des produits pour des régimes amaigrissants).

La procédure précontentieuse

12 La Commission a été saisie en 1998 d’une plainte formulée par un opérateur économique en raison d’entraves à la commercialisation d’une denrée alimentaire légalement commercialisée dans d’autres États membres, plainte qui mettait en doute la conformité de la pratique administrative danoise avec les dispositions des articles 28 CE et 30 CE.

13 La Commission a, le 4 novembre 1999, adressé au royaume de Danemark une lettre de mise en demeure dans laquelle elle attirait l’attention de cet État membre sur le fait que la pratique administrative danoise constitue une entrave injustifiée aux échanges au sens des articles 28 CE à 30 CE, dans la mesure où l’Office applique ladite pratique de manière à interdire la commercialisation au Danemark de denrées alimentaires auxquelles des éléments nutritifs, notamment des vitamines et des minéraux, ont été ajoutés, à moins qu’il n’existe un besoin nutritionnel de ces éléments dans la population danoise.

14 Dans leur réponse du 22 décembre 1999, les autorités danoises ont soutenu que, compte tenu du fait que le degré de nocivité des vitamines et des minéraux ne peut être établi avec suffisamment de certitude et conformément à l’arrêt du 14 juillet 1983, Sandoz (174/82, Rec. p. 2445), il suffit aux États membres, pour qu’ils soient fondés à se prévaloir de l’article 30 CE, de démontrer que l’enrichissement des denrées alimentaires en vitamines et en minéraux ne répond pas à un besoin réel.

15 N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a, le 12 septembre 2000, émis un avis motivé invitant le royaume de Danemark à se conformer à ses obligations résultant des articles 28 CE et 30 CE dans un délai de deux mois à compter de la notification dudit avis. La Commission faisait notamment valoir qu’une interdiction de commercialisation en vertu de la pratique administrative danoise au motif que l’adjonction de vitamines ou de minéraux ne répond à aucun besoin nutritionnel constitue une entrave injustifiée aux échanges au sens desdites dispositions. Pour que cette entrave puisse être justifiée au titre de l’article 30 CE, les autorités danoises devraient démontrer que le produit auquel des éléments nutritifs ont été ajoutés constitue une menace réelle pour la santé publique s’il était commercialisé et consommé sur le marché danois. Selon la Commission, cela signifie que lesdites autorités devraient indiquer les données scientifiques sur lesquelles elles ont fondé leur refus d’autorisation, ainsi que les raisons pour lesquelles la teneur en vitamines et en minéraux des produits considérés représente une menace pour la santé publique.

16 Par lettre du 6 novembre 2000, les autorités danoises ont répondu à l’avis motivé. Elles ont fait valoir que la Cour a clairement indiqué dans l’arrêt Sandoz, précité, que les États membres, lorsqu’ils appliquent une interdiction d’adjonction de vitamines, ne sont pas tenus de démontrer un risque concret lié au produit considéré, une telle tâche étant impossible dans les conditions actuelles. Selon lesdites autorités, il suffit, pour assurer le respect du principe de proportionnalité, que les États membres établissent que l’adjonction de l’élément nutritif en cause ne répond pas à un besoin réel.

17 N’étant pas convaincue par la réponse des autorités danoises à l’avis motivé, la Commission a introduit le présent recours.

Sur le recours

Les arguments des parties

18 La Commission considère que la pratique administrative danoise constitue une entrave à la libre circulation des marchandises.

19 Le gouvernement danois ne conteste pas le fait que sa pratique constitue une entrave à la libre circulation des marchandises, mais il soutient qu’elle est justifiée au titre de l’article 30 CE.

20 La Commission estime que l’interdiction généralisée, en l’absence d’un besoin nutritionnel dans la population danoise, de la commercialisation de produits alimentaires auxquels des vitamines ou des minéraux ont été ajoutés n’est pas justifiée par l’une des raisons énoncées à l’article 30 CE et, notamment, la protection de la santé et de la vie des personnes. L’absence de besoin nutritionnel ne constituerait pas, selon la Commission, une justification admise en vertu de l’article 30 CE.

21 Tout en reconnaissant la nécessité pour les États membres de définir une politique alimentaire visant à améliorer l’état de santé général de la population, la Commission soutient, néanmoins, que des préoccupations d’ordre général relatives à la composition souhaitable du régime alimentaire de la population de ces États ne sauraient constituer une justification légale des entraves aux échanges entre ces derniers.

22 Quant à l’arrêt Sandoz, précité, la Commission fait valoir que l’interdiction de commercialisation en cause dans le litige ayant donné lieu à cet arrêt était motivée non par l’absence d’un besoin nutritionnel, mais par le fait que la présence de deux vitamines spécifiques dans les produits en question dans ce litige présentait un risque pour la santé publique.

23 La Commission estime que l’interprétation que les autorités danoises donnent de l’arrêt Sandoz, précité, repose sur une déduction a contrario erronée du point 20 de celui-ci. Elle soutient que ce point établit seulement qu’une interdiction de commercialiser des denrées alimentaires auxquelles des vitamines ont été ajoutées est contraire au principe de proportionnalité lorsque l’adjonction répond à un besoin nutritionnel. En revanche, ledit arrêt ne pourrait être valablement invoqué à l’appui de la thèse selon laquelle l’adjonction de vitamines à des denrées alimentaires présente, dans tous les cas où il n’existe pas un besoin nutritionnel dans la population concernée, un risque pour la santé publique.

24 La Commission rappelle que l’État membre qui cherche à justifier, en se fondant sur l’article 30 CE, une interdiction de commercialisation d’un produit légalement fabriqué et/ou commercialisé dans d’autres États membres, telle que celle en cause en l’espèce, doit, conformément à cette disposition, démontrer qu’une telle interdiction est nécessaire pour protéger la santé publique.

25 En se référant au point 28 de l’arrêt de la Cour AELE du 5 avril 2001, EFTA Surveillance Authority/Norway (E-3/00, EFTA Court Report 2000-2001, p. 73), la Commission soutient que la simple constatation de l’absence d’un besoin nutritionnel ne suffit pas à justifier une interdiction généralisée de denrées alimentaires enrichies en vitamines ou en minéraux. Une telle interdiction devrait à tout le moins être subordonnée à la condition que les risques pour la santé publique que présente l’adjonction de ces vitamines soient prouvés par une analyse approfondie desdits risques.

26 Selon la Commission, l’État membre doit démontrer, dans chaque cas d’espèce, en se référant aux données scientifiques justifiant le refus d’autorisation, les raisons pour lesquelles la teneur en vitamines et en minéraux des denrées alimentaires en cause représente une menace pour la santé publique.

27 Quant à la présente espèce, la Commission fait valoir, d’une part, que des considérations d’ordre général, telles que celles invoquées par les autorités danoises au sujet du risque potentiel d’une consommation excessive de vitamines, ne constituent pas des preuves suffisantes de l’existence d’un risque pour la santé publique en relation avec l’adjonction de vitamines aux denrées alimentaires. D’autre part, elle considère que le fait qu’il existe un risque particulier lié à l’ingestion de certaines vitamines, telles les vitamines A ou D, ne justifie pas une interdiction générale ou systématique de l’enrichissement des denrées alimentaires dans tous les cas autres que ceux visés par le Codex Alimentarius.

28 Le gouvernement danois soutient, quant à lui, que la Cour a déjà relevé dans l’arrêt Sandoz, précité, que, lorsque les États membres appliquent une interdiction d’adjonction de vitamines, ils ne sont pas tenus de démontrer un risque concret lié à chaque denrée alimentaire, une telle tâche étant impossible en l’état actuel de la science. Selon ledit gouvernement, pour respecter le principe de proportionnalité, il suffit d’établir que l’enrichissement des denrées alimentaires ne répond pas à un besoin nutritionnel dans la population concernée.

29 Quant à l’établissement d’un risque pour la santé publique, le gouvernement danois estime qu’il ressort également de l’arrêt Sandoz, précité, qu’il suffit de constater que l’ingestion de doses élevées de vitamines et de minéraux peut avoir des effets nocifs, que la recherche scientifique n’est pas en mesure de fixer avec certitude les valeurs limites critiques ni de déterminer les effets précis d’une telle ingestion et que, dès lors, l’existence d’un danger pour la santé humaine ne saurait être exclue, puisque le consommateur ingère des quantités supplémentaires qu’il n’est pas possible de prévoir ni de contrôler.

30 Selon lui, une évaluation concrète du danger au cas par cas ne trouve aucun fondement dans la jurisprudence de la Cour et ne serait pas possible en pratique. Le gouvernement danois fait valoir que, pour conserver une réelle vue d’ensemble des quantités de vitamines et de minéraux absorbées par la population, à travers la consommation des aliments, il est nécessaire de mettre en oeuvre une politique d’ensemble de nature préventive, qui prenne en considération le fait que les sources d’absorption de ces éléments nutritifs sont multiples et qui tienne compte de l’interaction complexe se produisant lors de l’ingestion de ceux-ci ainsi que de l’absorption d’autres substances importantes pour l’organisme.

31 À cet égard, le gouvernement danois se réfère à diverses études scientifiques sur les vitamines et les minéraux, lesquelles, selon lui, montrent l’effet nocif de l’ingestion desdits éléments nutritifs non seulement lorsqu’elle est effectuée à fortes doses, mais également à des doses relativement faibles en raison des combinaisons de ces éléments entre eux.

32 Ainsi, s’agissant des vitamines A, D et B 6, le gouvernement danois fait valoir que, même à des doses relativement faibles, il peut être constaté qu’elles ont un effet toxique.

33 Quant à l’arrêt EFTA Surveillance Authority/Norway, précité, auquel la Commission se réfère, le gouvernement danois estime qu’il peut s’expliquer par les circonstances concrètes ayant entouré le traitement de la demande présentée par la société Kellogg´s qui était à l’origine de l’affaire.

34 Selon le gouvernement danois, pour qu’une interdiction de commercialisation soit justifiée sur le fondement de l’article 30 CE, il n’est pas nécessaire de prouver que les quantités ajoutées d’éléments nutritifs à un produit donné sont à ce point importantes qu’elles constituent un risque pour la santé publique.

35 Il fait valoir, en outre, que la Cour a déjà reconnu, notamment dans les arrêts Sandoz, précité, et du 11 juillet 2000, Toolex (C-473/98, Rec. p. I-5681), que l’incertitude scientifique, qui est à la base du principe de précaution, peut justifier une approche prudente des États membres par rapport à l’existence de dangers potentiels.

36 Le gouvernement danois ajoute que sa pratique administrative s’inspire directement du Codex Alimentarius auquel la jurisprudence de la Cour se réfère fréquemment.

37 En définitive, ledit gouvernement fait valoir que sa pratique administrative est justifiée par le fait qu’il existe un risque potentiel pour la santé publique dans la mesure où des vitamines et des minéraux sont ajoutés aux denrées alimentaires, alors que, au Danemark, il n’existe pas de besoin nutritionnel.

Appréciation de la Cour

38 La libre circulation des marchandises entre les États membres est un principe fondamental du traité CE qui trouve son expression dans l’interdiction, énoncée à l’article 28 CE, des restrictions quantitatives à l’importation entre les États membres ainsi que de toutes mesures d’effet équivalent.

39 L’interdiction des mesures d’effet équivalant à des restrictions édictée à l’article 28 CE vise toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire (voir, notamment, arrêts du 11 juillet 1974, Dassonville, 8/74, Rec. p. 837, point 5; du 12 mars 1987, Commission/Allemagne, dit «Loi de pureté pour la bière», 178/84, Rec. p. 1227, point 27, et du 16 janvier 2003, Commission/Espagne, C-12/00, Rec. p. I-459, point 71).

40 Il est constant que la pratique administrative danoise constitue une mesure d’effet équivalant à des restrictions quantitatives au sens de l’article 28 CE.

41 En effet, cette pratique, qui exige que la commercialisation de denrées alimentaires enrichies en vitamines et en minéraux en provenance d’autres États membres où elles sont légalement fabriquées et commercialisées soit subordonnée à la preuve d’un besoin nutritionnel dans la population danoise, rend la commercialisation de ces denrées plus difficile, voire impossible, et, par conséquent, entrave les échanges entres les États membres.

42 Quant à la question de savoir si cette pratique administrative peut néanmoins être justifiée sur le fondement de l’article 30 CE, il appartient aux États membres, à défaut d’harmonisation et dans la mesure où des incertitudes subsistent en l’état actuel de la recherche scientifique, de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé et de la vie des personnes et de l’exigence d’une autorisation préalable à la mise sur le marché des denrées alimentaires, tout en tenant compte des exigences de la libre circulation des marchandises à l’intérieur de la Communauté (voir arrêts Sandoz, précité, point 16; du 13 décembre 1990, Bellon, C-42/90, Rec. p. I-4863, point 11, et du 17 septembre 1998, Harpegnies, C-400/96, Rec. p. I-5121, point 33).

43 Ce pouvoir d’appréciation relatif à la protection de la santé publique est particulièrement important lorsqu’il est démontré que des incertitudes subsistent en l’état actuel de la recherche scientifique quant à certaines substances, telles les vitamines qui ne sont en règle générale pas nocives par elles-mêmes, mais qui peuvent produire des effets nuisibles particuliers dans le seul cas de leur consommation excessive avec l’ensemble de la nourriture dont la composition n’est pas susceptible de prévision ni de contrôle (voir arrêt Sandoz, précité, point 17).

44 Le droit communautaire ne s’oppose donc pas, en principe, à ce qu’un État membre interdise, sauf autorisation préalable, la commercialisation de denrées alimentaires lorsque des éléments nutritifs, tels que des vitamines ou des minéraux autres que ceux dont l’emploi est déclaré licite par la réglementation communautaire, y ont été incorporés.

45 Toutefois, en exerçant leur pouvoir d’appréciation relatif à la protection de la santé publique, les États membres doivent respecter le principe de proportionnalité. Les moyens qu’ils choisissent doivent donc être limités à ce qui est effectivement nécessaire pour assurer la sauvegarde de la santé publique; ils doivent être proportionnés à l’objectif ainsi poursuivi, lequel n’aurait pas pu être atteint par des mesures restreignant d’une manière moindre les échanges intracommunautaires (voir arrêts précités Sandoz, point 18; Bellon, point 14, et Harpegnies, point 34).

46 En outre, l’article 30 CE comportant une exception, d’interprétation stricte, à la règle de la libre circulation des marchandises à l’intérieur de la Communauté, il incombe aux autorités nationales qui l’invoquent de démontrer dans chaque cas d’espèce, à la lumière des habitudes alimentaires nationales et compte tenu des résultats de la recherche scientifique internationale, que leur réglementation est nécessaire pour protéger effectivement les intérêts visés à ladite disposition et, notamment, que la commercialisation des produits en question présente un risque réel pour la santé publique (voir, en ce sens, arrêts Sandoz, précité, point 22; du 30 novembre 1983, Van Bennekom, 227/82, Rec. p. 3883, point 40; Loi de pureté pour la bière, précité, point 46, et du 25 mai 1993, Commission/Italie, C-228/91, Rec. p. I-2701, point 27).

47 Une interdiction de commercialisation des denrées alimentaires auxquelles des éléments nutritifs ont été ajoutés doit donc être fondée sur une évaluation approfondie du risque allégué par l’État membre qui invoque l’article 30 CE (voir, en ce sens, arrêt EFTA Surveillance Authority /Norway, précité, point 30).

48 Une décision d’interdire la commercialisation, qui constitue, d’ailleurs, l’entrave la plus restrictive aux échanges concernant les produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres, ne saurait être adoptée que si le risque réel allégué pour la santé publique apparaît comme suffisamment établi sur la base des données scientifiques les plus récentes qui sont disponibles à la date de l’adoption d’une telle décision. Dans un tel contexte, l’évaluation du risque que l’État membre est tenu d’effectuer a pour objet l’appréciation du degré de probabilité des effets néfastes de l’addition de certaines substances nutritives aux denrées alimentaires pour la santé humaine et de la gravité de ces effets potentiels.

49 Certes, une telle évaluation du risque pourrait révéler qu’une incertitude scientifique persiste quant à l’existence ou à la portée de risques réels pour la santé publique. Dans de telles circonstances, il doit être admis qu’un État membre peut, en vertu du principe de précaution, prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 1998, National Farmers’ Union e.a., C-157/96, Rec. p. I-2211, point 63). Toutefois, l’évaluation du risque ne peut pas se fonder sur des considérations purement hypothétiques (voir, en ce sens, arrêts EFTA Surveillance Authority/Norway, précité, point 29, et du 9 septembre 2003, Monsanto Agricoltura Italia e.a., C-236/01, non encore publié au Recueil, point 106).

50 En appréciant le risque en cause, ce ne sont pas seulement les effets spécifiques de la commercialisation d’un produit individuel contenant une quantité déterminée de substances nutritives qui sont pertinents. Il pourrait être approprié de prendre en considération l’effet cumulé de la présence sur le marché de plusieurs sources, naturelles ou artificielles, d’une substance nutritive déterminée et de l’existence possible à l’avenir de sources additionnelles qui peuvent raisonnablement être prévues (voir arrêt EFTA Surveillance Authority/Norway, précité, point 29).

51 Dans plusieurs cas, l’appréciation de ces éléments démontrera qu’il y a un grand degré d’incertitude scientifique et pratique à cet égard. Une application correcte du principe de précaution présuppose, en premier lieu, l’identification des conséquences potentiellement négatives pour la santé de l’adjonction proposée de substances nutritives, et, en second lieu, une évaluation compréhensive du risque pour la santé fondée sur des données scientifiques disponibles les plus fiables et des résultats les plus récents de la recherche internationale (voir, en ce sens, arrêts précités EFTA Surveillance Authority/Norway, point 30, et Monsanto Agricoltura Italia e.a., point 113).

52 Lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel pour la santé publique persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt EFTA Surveillance Authority/Norway, précité, point 31).

53 De telles mesures ne doivent être admises que si elles sont non discriminatoires et objectives (voir, en ce sens, arrêt EFTA Surveillance Authority/Norway, précité, point 32).

54 Il convient d’ajouter que, dans un tel contexte, le critère du besoin nutritionnel de la population d’un État membre peut jouer un rôle lors de l’évaluation approfondie effectuée par ce dernier du risque que l’adjonction d’éléments nutritifs aux denrées alimentaires peut présenter pour la santé publique. Toutefois, contrairement à l’interprétation proposée par le gouvernement danois de l’arrêt Sandoz, précité, l’absence d’un tel besoin ne saurait, à elle seule, justifier une interdiction totale, sur le fondement de l’article 30 CE, de commercialisation des denrées alimentaires légalement fabriquées et/ou commercialisées dans d’autres États membres.

55 En l’espèce, la pratique administrative danoise est disproportionnée dans la mesure où, en dehors des quatre cas restrictivement définis de ce qui est jugé constituer un besoin nutritionnel et qui sont mentionnés au point 11 du présent arrêt, elle interdit systématiquement la commercialisation de toutes denrées alimentaires auxquelles des vitamines et des minéraux ont été ajoutés, sans distinguer selon les différents vitamines et minéraux ajoutés ou selon le niveau du risque que leur adjonction peut éventuellement présenter pour la santé publique.

56 En effet, le caractère systématique de l’interdiction de commercialisation des produits enrichis ne répondant pas à un besoin nutritionnel de la population, tel qu’il résulte de la pratique administrative danoise, ne permet pas de respecter le droit communautaire quant à l’identification et à l’évaluation d’un risque réel pour la santé publique, lequel exige une évaluation approfondie, cas par cas, des effets que pourrait entraîner l’adjonction des minéraux et des vitamines en cause.

57 Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que, en appliquant une pratique administrative impliquant que des denrées alimentaires enrichies qui sont légalement produites ou commercialisées dans d’autres États membres ne peuvent être commercialisées au Danemark que s’il est démontré que cet enrichissement en éléments nutritifs répond à un besoin dans la population danoise, le royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

58 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du royaume de Danemark et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1) En appliquant une pratique administrative impliquant que des denrées alimentaires enrichies qui sont légalement produites ou commercialisées dans d’autres États membres ne peuvent être commercialisées au Danemark que s’il est démontré que cet enrichissement en éléments nutritifs répond à un besoin dans la population danoise, le royaume de Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 28 CE.

2) Le royaume de Danemark est condamné aux dépens.

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CJCE, n° C-192/01, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre Royaume de Danemark, 23 septembre 2003