Cour nationale du droit d'asile, 5 mai 2023, n° 22059108

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CNDA, 5 mai 2023, n° 22059108
Numéro(s) : 22059108

Sur les parties

Texte intégral


COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE 22059108
___________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS M. Z AM AF
___________
La Cour nationale du droit d’asile Mme Anton-Bensoussan
Présidente
___________ (3ème Section, 4ème Chambre)
Audience du 14 avril 2023 Lecture du 5 mai 2023 ___________
Vu la procédure suivante :

Par un recours et un mémoire enregistrés le 13 décembre 2022 et le 9 février 2023, M. Z AM AF, représenté par Me Zoubeidi-AK, demande à la Cour :
1°) d’annuler la décision du 14 octobre 2022 par laquelle le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d’asile et de lui reconnaître la qualité de réfugié ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire ;

2°) de mettre à la charge de l’OFPRA la somme de 1 400 (mille quatre-cents) euros à verser à Me Zoubeidi-AK en application de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
M. AF, qui se déclare de nationalité guinéenne, né le […], soutient qu’il craint d’être exposé à des persécutions ou à une atteinte grave du fait des autorités guinéennes, en cas de retour dans son pays d’origine en raison de ses opinions politiques.
Vu :
- la décision attaquée ;
- la décision du bureau d’aide juridictionnelle du 02 décembre 2022 accordant à M. AF le bénéfice de l’aide juridictionnelle ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;
- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.


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Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de M. Hurst, rapporteur ;
- les explications de M. AF, entendu en français et en peul guinéen et assisté de M. AA AC, interprète assermenté ;
- et les observations de Me Heleno, se substituant à Me Zoubeidi-AK.

Considérant ce qui suit :
Sur la demande d’asile :
1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
2. M. AF, de nationalité guinéenne, né le […], soutient qu’il craint d’être exposé à des persécutions ou des traitements inhumains ou dégradants, constitutifs d’une atteinte grave, du fait des autorités guinéennes, en cas de retour dans son pays d’origine, en raison de ses opinions politiques. Originaire de Conakry, d’ethnie peul et de confession musulmane, il fait valoir qu’il était commerçant au marché Madina. Son père, qui était militant de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), a été assassiné en 2009 lors de la manifestation du 28 septembre. En 2015, il s’est impliqué dans la politique en tant que sympathisant. Le 2 décembre 2016 il est devenu membre actif de l’UFDG. Le 2 août 2017, il a été arrêté à la suite d’une manifestation à Conakry contre la volonté du Président AL Condé de briguer un troisième mandat. Il a été emprisonné au commissariat de Matoto où il a subi de mauvais traitements. Il a ensuite été transféré à la gendarmerie de Matam où il est resté enfermé jusqu’au 27 août 2017. Il a pu être libéré après le paiement d’une caution d’une somme de 700 000 francs guinéens par sa mère et avoir signé un document attestant qu’il abandonnait toute activité politique. En septembre 2017 il a été élu au poste de secrétaire chargé de l’organisation et à l’implantation au comité de base de Hamdallaye. Dans le cadre des élections locales de 2018, il est allé à la rencontre des électeurs pour présenter le programme de l’UFDG. À cette occasion, il a été menacé de mort sur les réseaux sociaux par un militaire. Le 4 février 2018, il a été désigné délégué d’un bureau de vote dans la commune de Kaloum. En fin de journée, des membres du parti Rassemblement du peuple de Guinée sont intervenus et ont tenté de corrompre les électeurs. Alors qu’il s’était opposé à ces manœuvres et qu’il rédigeait un procès-verbal, il a été arrêté, menacé de mort puis libéré rapidement. À la suite de manifestations contre les résultats de ces élections, le 6 février 2018, il a été arrêté et détenu à la Compagnie Mobile d’intervention et de sécurité de Bambéto où il est resté emprisonné dix jours avant d’être transféré au camp de Soronkoni. Il y est resté enfermé huit mois lors desquels il a été torturé. Il a été libéré le 12 septembre 2018 et a été informé de l’assassinat de son frère. De retour à Conakry et après deux mois de convalescence, il a repris ses activités militantes. Le 14 octobre 2019, lors d’une manifestation organisée par le Front National pour la Défense de la Constitution, il a été arrêté et conduit au commissariat de Camayenne où il a de nouveau
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été torturé pendant cinq jours, accusé du meurtre d’un policier. Il a ensuite été transféré à la prison centrale pendant trois jours, puis emmené au camp de Camayenne où il a été torturé. Grâce à l’aide d’un des gardiens, il est entré en contact avec sa mère qui a accepté de régler une caution d’un million de francs guinéens. Le 6 novembre 2019, avec la complicité d’autres gardiens et à condition de quitter le pays, il s’est évadé. Il est alors entré en clandestinité à Coyah pendant trois jours. Craignant pour sa sécurité et ne pouvant se prévaloir de la protection des autorités de son pays, l’intéressé a quitté la Guinée le 10 novembre 2019, et est arrivé en France le 21 août 2021. Par ailleurs, en janvier 2020, des militaires ont perquisitionné le domicile familial à sa recherche et ont arrêté son deuxième frère.
3. Les déclarations écrites et orales de M. AF, notamment lors de l’audience publique, se sont révélées claires et spontanées s’agissant de son engagement politique au sein de l’UFDG et du ciblage dont il a fait l’objet par les autorités guinéennes. En particulier, il a indiqué en des termes circonstanciés les raisons pour lesquelles il avait choisi d’adhérer à ce parti. Le cheminement de son engagement, à travers son historique familial, la teneur de son militantisme, ainsi que son évolution au sein du parti ont également été évoquées de façon crédible et substantielle. En effet, son élection au poste de secrétaire chargé de l’organisation et à l’implantation dans son comité de base et les tâches lui étant attribuées ont été décrites à travers des propos empreints de vécu. Il en va de même au sujet de la mission que lui avait confié le parti dans un bureau de vote en 2018, celle-ci ayant fait l’objet d’explications personnalisées. De même, son discours détaillé et précis a permis de démontrer une connaissance approfondie du programme politique de l’UFDG, de son positionnement sur la scène politique guinéenne et de son organisation interne. En outre, il a été en mesure d’apporter des éléments concrets et plausibles sur ses arrestations entre 2017 et 2019 et sur sa volonté de reprendre son engagement politique le plus rapidement possible à chacune de ses libérations, emportant de ce fait la conviction de la Cour. Enfin, ses craintes en cas de retour apparaissent d’autant plus fondées qu’il a expliqué de manière vraisemblable que ses empreintes avaient été relevées durant sa deuxième détention. Partant, son discours constant, cohérent et personnalisé ont permis d’établir son fichage et sa visibilité particulière auprès des autorités de son pays. De surcroît, ses propos sont notamment corroborés par la production de cartes de membres de l’UFDG pour les années 2017-2018 et 2022-2024, appuyées par un ordre de mission du parti daté de février 2018, un acte de témoignage de l’UFDG Conakry d’avril 2022 et une attestation de l’UFDG Paris de septembre 2022, versées au dossier. S’agissant de l’actualité des craintes du requérant en cas de retour en Guinée, il résulte des sources publiques que, si AL Condé a été renversé le 5 septembre 2021 à la suite d’un coup d’Etat mené par le colonel AI Y, l’été 2022 a été marqué par un regain des tensions entre le Front national de défense de la Constitution (FNDC), collectif dont l’UFDG est membre, et les autorités guinéennes. Selon la note publiée par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides du Canada le 25 août 2022, intitulée « Guinée : l’opposition politique sous la transition », ainsi que l’article de RFI publié le 17 août 2022 et intitulé « Guinée : deux morts à Conakry lors d’une manifestation contre la junte au pouvoir », le 17 août 2022, une manifestation a été organisée par le FNDC au cours de laquelle deux manifestants ont été tués par balle. Par ailleurs, le 9 août 2022, AI Y a annoncé la dissolution de la FNDC en l’accusant de recourir à des actions violentes, comme le rapport le journal Le Monde, dans un article publié le 10 août 2022, intitulé « En Guinée, le gouvernement annonce la dissolution du principal mouvement d’opposition ». La transition promise par le gouvernement pourrait ne pas être effective avant plusieurs années, comme le rapporte le journal Jeune Afrique dans un article publié le 30 avril 2022, intitulé « Guinée : la transition pourrait prendre jusqu’à 52 mois ». De plus, il ressort d’un article du média Jeune Afrique, du 6 septembre 2021, intitulé « Guinée : qui est AI Y, le lieutenant-colonel qui a renversé AL
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Condé ? », que AI Y, à la tête de ce coup d’État, est un ancien proche du président destitué et qu’il n’est pas établi qu’un traitement plus favorable serait réservé aux membres de l’opposition au président AL Condé. En outre, un article de RFI du 2 juin 2022 intitulé « Guinée : la junte confirme l’interdiction de manifester malgré les réclamations de l’ONU », a fait état de l’interdiction de manifester proclamée par la junte le 13 mai
2022 « jusqu’aux périodes de campagne électorale ». Le Haut-Commissariat de l’Organisation des Nations Unies aux droits de l’homme a alors exhorté les militaires guinéens à rétablir le droit de manifester mais en vain. Plus récemment encore, un article de RFI du 17 février
2023 « Guinée : une manifestation en banlieue de Conakry dégénère, le FNDC déplore deux morts » a rapporté de violents heurts lors d’un rassemblement contre cette interdiction. Ainsi, il résulte de ce qui précède que M. AF craint avec raison, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d’être persécuté en cas de retour dans son pays en raison de ses opinions politiques. Dès lors, il est fondé à se prévaloir de la qualité de réfugié.
Sur l’application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
4. Aux termes des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’OFPRA la somme correspondant à celle que Me Zoubeidi-AK aurait réclamée à sa cliente si cette dernière n’avait pas eu l’aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du directeur général de l’OFPRA du 14 octobre 2022 est annulée.
Article 2 : La qualité de réfugié est reconnue à M. Z AN AF.
Article 3 : Le surplus des conclusions est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Z AN AF, à Me Zoubeidi- AK et au directeur général de l’OFPRA.
Délibéré après l’audience du 14 avril 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Anton-Bensoussan, présidente ;
- Mme AD, personnalité nommée par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés ;
- Mme AE, personnalité nommée par le vice-président du Conseil d’Etat.
Lu en audience publique le 5 mai 2023.
La présidente : La cheffe de chambre :
B. Anton-Bensoussan M. X
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La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Si vous estimez devoir vous pourvoir en cassation contre cette décision, votre pourvoi devra être présenté par le ministère d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation dans un délai de deux mois, devant le Conseil d’Etat. Le délai ci-dessus mentionné est augmenté d'un mois, pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises et de deux mois pour les personnes qui demeurent à l’étranger.
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Textes cités dans la décision

  1. Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991
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Cour nationale du droit d'asile, 5 mai 2023, n° 22059108