Cour nationale du droit d'asile, 23 octobre 2023, n° 23009173

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Sur la décision

Référence :
CNDA, 23 oct. 2023, n° 23009173
Numéro(s) : 23009173

Sur les parties

Texte intégral


COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE 23009173
___________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Mme X Y Z
___________
La Cour nationale du droit d’asile M. Houist
Président
___________ (3ème Section, 4ème Chambre)
Audience du 16 octobre 2023 Lecture du 23 octobre 2023 ___________
Vu la procédure suivante :
Par un recours et un mémoire enregistrés le 28 février 2023 et le 12 octobre 2023, Mme X Y Z, représentée par Me AA demande à la Cour :
1°) d’annuler la décision du 28 novembre 2022 par laquelle le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d’asile et de lui reconnaître la qualité de réfugiée ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire ;
2°) de mettre à la charge de l’OFPRA la somme de 1.700 euros à verser à Me AA en application de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Mme Y Z, de nationalité congolaise (RDC), née le […], soutient qu’elle craint d’être exposée à des persécutions ou à une atteinte grave, en cas de retour dans son pays d’origine, par son entourage paternel en raison de son appartenance au groupe social des femmes yansi s’étant soustraites à un mariage imposé, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités.
Vu :
- la décision attaquée ;
- la décision du bureau d’aide juridictionnelle du 14 février 2023 accordant à Mme Y Z le bénéfice de l’aide juridictionnelle ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la décision du président de la Cour portant désignation des présidents de formation de jugement habilités à statuer en application des articles L. […]. 532-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;


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Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;
- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience à huis-clos :
- le rapport de Mme Aubenas, rapporteure ;
- les explications de Mme Y Z entendue en français et en lingala, assistée de M. Capin, interprète assermenté ;
- et les observations de Me AA.
Considérant ce qui suit :
Sur la demande d’asile :
1. Aux termes des stipulations de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
2. Dans une population au sein de laquelle le mariage forcé est couramment pratiqué au point de constituer une norme sociale, les jeunes filles et les femmes qui entendent se soustraire à un mariage imposé contre leur volonté constituent de ce fait un groupe social. L’appartenance à un tel groupe est un fait social objectif qui ne dépend pas de la manifestation par ses membres de leur appartenance à ce groupe. Il appartient à la personne qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugiée en se prévalant de son appartenance à un groupe social de fournir l’ensemble des éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques et sociologiques, relatifs aux risques de persécution qu’elle encourt personnellement. Par ailleurs, la reconnaissance de la qualité de réfugiée peut légalement être refusée, ainsi que le prévoit l’article L. 513-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, à la personne qui aurait accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d’origine si elle n’a aucune raison de craindre d’y être persécutée ou d’y être exposée à une atteinte grave, si elle peut se rendre vers cette partie du territoire légalement et en toute sécurité et si on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle s’y établisse.
3. Il ressort des sources d’information publiques disponibles que, bien que prohibée par la loi du 20 juillet 2006 modifiant et complétant le décret du 30 janvier 1940 portant code pénal congolais, la pratique du mariage forcé peut encore s’observer dans certains lieux de la capitale considérés comme reculés selon le rapport de mission de l’OFPRA et de la Cour en RDC publié en avril 2014. A cet égard, la note de la commission de l’immigration et du statut du réfugié du Canada intitulée République démocratique du Congo : information sur les mariages précoces ou forcés, y compris chez les femmes adultes et chez les mineures, leur fréquence, les lois qui s’y rapportent et la possibilité de les refuser ; protection offerte par l’État et services de soutien disponibles (2019–mars 2021), datée du 1er avril 2021, relève que la
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pratique du mariage forcé persiste en RDC. De plus, la note de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada intitulée « République démocratique du Congo (RDC) : mise à jour de RDC30240.E du 5 octobre 1998 sur les mariages forcés en République démocratique du Congo (RDC) et plus particulièrement chez les membres du groupe ethnique des AB; le cas échéant, information sur les conséquences, les recours et la protection possibles pour une femme qui refuse un tel mariage (juillet 2003) » publiée le 17 juillet 2003 relève qu’en RDC, il existe au moins trois cent tribus au sein desquelles la plupart des femmes sont victimes des coutumes et traditions qui les poussent à quitter le pays. Parmi ces traditions, la note souligne la coutume du mariage forcé propre à l’ethnie yansi appelée « Kityul ». Les tribus yansi sont matrilinéaires, les filles d’ethnie yansi sont forcées à se marier avec leurs grands-pères, leurs cousins ou neveux. Les parents se doivent de suivre cette pratique ancestrale et la fille est mariée sans versement de la dot aux parents s’agissant d’un don du clan. Les filles et les femmes constituent des richesses pour le clan comme génitrices garantissant la pérennité du clan. Grâce aux filles qui génèrent des « filles », la famille devient riche pour continuer avec le système « Kityul » qui enrichit le clan avec les dots destinées au grand-père de la fille. Un article du Quotidien du Peuple en ligne intitulé « La fatalité du phénomène Kintwidi au Congo- Kinshasa » publié le 8 janvier 2018 ajoute encore que « toute fille née de mère AB, est l’épouse de son oncle maternel ». S’agissant du recours à la justice, il est peu vraisemblable qu’une femme congolaise de RDC se rende d’elle-même dans un commissariat pour déposer une plainte contre les membres de sa famille, ainsi que le rappelle la note de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada intitulée « République démocratique du Congo (RDC) : mariages forcés, notamment chez les AC ; information indiquant si les membres d’une même famille peuvent se marier entre eux ; le cas échant, les conséquences et les recours possibles pour une femme qui refuse ces mariage ainsi que la protection de l’Etat (avril 2014) » publiée le 14 avril 2014, dont il ressort que les mariages coutumiers, au même titre que les mariages civils, sont reconnus légalement en RDC ; par conséquent l’Etat congolais n’intervient dans les affaires qui relèvent des us et coutumes des différents groupes ethniques que lorsqu’il y a plainte. Or, selon la présidente du réseau Programme d’Appui au Actions Féminines (PAAF) « il est impensable qu’une jeune fille s’oppose à la volonté des membres de sa famille et encore moins qu’elle porte plainte contre eux ». Dès lors, il apparaît que les femmes, issues du groupe ethnique yansi qui refusent de se soumettre à un mariage imposé ou tentent de s’y soustraire, constituent un groupe social au sens des stipulations de la Convention de Genève et sont susceptibles d’être exposées de ce fait à des persécutions
4. Mme Y Z, de nationalité congolaise (RDC), née le […] en République démocratique du Congo (RDC), soutient qu’elle craint d’être exposée à des persécutions ou à une atteinte grave, en cas de retour dans son pays d’origine, par son entourage paternel en raison de son appartenance au groupe social des femmes yansi s’étant soustraites à un mariage imposé, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités Elle fait valoir qu’originaire de Kinshasa, elle appartient aux ethnies mumbala de par sa mère et yansi de par son père. A l’issue du décès de ce dernier en septembre 2016, l’un de ses cousins paternels s’est présenté à son domicile en indiquant que les biens de son père devaient être transférés au profit de sa famille paternelle et que Mme Y et sa sœur devaient être mariées conformément à la tradition yansi. Opposés à ce projet de mariage, les deux jeunes filles se sont peu après réfugiées au domicile de l’une de leurs tantes maternelles résidant à Kikwit. Néanmoins, après avoir appris que leur mère était gravement malade, elles sont retournées à leur domicile et ont fini par céder aux projets de mariage forcé, en raison des pressions exercées à leur encontre. Aussi, le mariage de Mme Y a été célébré le 27 janvier 2018 tandis que celui de sa sœur a eu lieu fin 2017. A l’issue de son installation au domicile de son époux, elle a été exposée à de graves sévices et a régulièrement été victime de
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violences. Par ailleurs, elle a donné naissance à sa fille le 6 décembre 2018. Au mois de novembre 2019, elle est parvenue à s’enfuir du domicile conjugal après que son époux soit rentré ivre et ait laissé une somme d’argent sur un meuble tout en oubliant de fermer leur logement à clé. Mme Y s’est par la suite rendue chez sa sœur installée dans la commune de […] où elle est demeurée durant trois mois. Néanmoins, après son départ, son époux a menacé sa mère à plusieurs reprises afin qu’elle livre des informations à son sujet. Craignant pour sa sécurité, l’intéressée a quitté la RDC en avion et munie d’un passeport d’emprunt le 9 mars 2020, avant d’entrer en France le lendemain.
5. En l’espèce, les déclarations spontanées livrées par Mme Y Z, en particulier lors de l’audience qui s’est tenue à huis-clos devant la Cour, ont permis d’établir les faits allégués et les craintes énoncées en cas de retour dans son pays d’origine. Tout d’abord et ainsi que l’Office l’a admis, ses propos ont permis d’établir son appartenance à l’ethnie yansi. Or à cet égard, elle a su expliquer les circonstances dans lesquelles des membres de sa famille paternelle l’ont contrainte à épouser contre son gré un homme d’ethnie yansi, ceux-ci étant parvenus à imposer leurs traditions à sa mère, issue d’une autre ethnie, après le décès de son père en 2016. A cet égard, elle a notamment indiqué de manière convaincante qu’en l’absence d’oncle maternel à la suite du décès de son père, l’autorité exercée à son égard et à celui de sa sœur revenait aux membres de sa famille paternelle. Interrogée sur le profil de son époux, les propos de la requérante se sont en outre avérés étayés et personnalisés. De même, elle a relaté son quotidien à l’issue de son installation au domicile conjugal et en particulier les violences et abus commis par son époux à son encontre, en des termes développés et empreints de vécu. Enfin, les circonstances dans lesquelles elle est parvenue à fuir le domicile de son époux ainsi que les pressions exercées par ce dernier à l’encontre de sa mère, ont fait l’objet d’un récit plausible. Ainsi, il résulte de ce qui précède que Mme Y Z craint donc avec raison, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d’être persécutée en cas de retour dans son pays en raison de son appartenance au groupe social des femmes yansi s’étant soustraites à un mariage imposé. Dès lors, elle est fondée à se prévaloir de la qualité de réfugiée.

Sur l’application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
6. Mme Y Z ayant obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me AA, avocate de Mme Y Z, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État, il y a lieu de mettre à la charge de l’OFPRA la somme de 1 200 (mille) euros.



D E C I D E :
Article 1er : La décision du directeur général de l’OFPRA du 28 novembre 2022 est annulée.
Article 2 : La qualité de réfugiée est reconnue à Mme X Y Z.
Article 3 : L’OFPRA versera à Me AA la somme de 1.200 (mille-deux-cents) euros au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que Me AA renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.
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Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme X Y Z, à Me AA et au directeur général de l’OFPRA.


Lu en audience publique le 23 octobre 2023.
Le président : La cheffe de chambre :
G. Houist M. AD
La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Si vous estimez devoir vous pourvoir en cassation contre cette décision, votre pourvoi devra être présenté par le ministère d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation dans un délai de deux mois, devant le Conseil d’Etat. Le délai ci-dessus mentionné est augmenté d'un mois, pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises et de deux mois pour les personnes qui demeurent à l’étranger.
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