Conseil national de l'ordre des médecins, Chambre disciplinaire nationale, 5 juillet 2013, n° 11552

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Résumé de la juridiction

Les dispositions des articles L. 145-2 CSS et L. 4124-6 CSP n’interdisent pas aux chambres disciplinaires de prononcer une sanction à caractère disciplinaire pour des faits déjà sanctionnés au titre de la SAS. Elles interdisent seulement l’addition des sanctions, la plus légère devant être absorbée par la plus sévère. Il en résulte que la chambre disciplinaire peut condamner un praticien à une radiation du tableau de l’ordre bien que la SAS ait prononcé, pour les mêmes faits, une interdiction permanente du droit de donner des soins aux assurés sociaux.

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Sur la décision

Référence :
CNOM, ch. disciplinaire nationale, 5 juill. 2013, n° 11552
Numéro(s) : 11552
Dispositif : Régularité de la sanction

Texte intégral

N° 11552 ________________
Dr Laurent S ________________
Audience du 12 juin 2013
Décision rendue publique par affichage le 5 juillet 2013
LA CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE DE L’ORDRE DES MEDECINS, Vu, enregistrés au greffe de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins le 27 janvier 2012 et les 18 février, 18 mars et 30 mai 2013, la requête et les mémoires présentés pour le Dr Laurent S, qualifié spécialiste en gastro-entérologie et hépatologie, tendant à l’annulation de la décision n° 4572, en date du 6 janvier 2012, par laquelle la chambre disciplinaire de première instance de Provence-Alpes-Côte-d’Azur-Corse, statuant sur la plainte du conseil départemental de l’ordre des médecins des Bouches-du-Rhône, dont le siège est 555 avenue du Prado à Marseille Cedex 08 (13295), a prononcé à son encontre la peine de la radiation du tableau de l’ordre des médecins ;

Le Dr S soutient que la plainte est le résultat de la volonté délibérée du Pr Henry Zattara, président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, d’obtenir sa radiation du tableau de l’ordre et se situe dans le contexte d’une multitude de poursuites à son encontre ; qu’elle est liée à la décision de la formation restreinte du conseil national de l’ordre des médecins d’annuler la suspension d’un an prononcée à son encontre par la formation restreinte du conseil régional de Provence-Alpes-Côte-d’Azur ; que, la section des assurances sociales du conseil national de l’ordre des médecins ayant prononcé à son encontre une interdiction permanente de donner des soins aux assurés sociaux, il ne peut, en application de l’article L. 145-2 du code de la sécurité sociale, faire l’objet de sanction disciplinaire pour les mêmes faits ; que la chambre disciplinaire a omis d’examiner la véracité des assertions du médecin-conseil chef du service médical de Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse, selon lesquelles il serait le premier prescripteur du département des Bouches-du-Rhône de Rohypnol et de Subutex ; que les données chiffrées relatives à ces deux produits ne montrent pas de prescriptions exorbitantes ; qu’il n’y a pas eu dérive d’exercice professionnel si l’on tient compte de sa patientèle, pour une bonne part faite d’anciens détenus qu’il avait suivis dans le cadre du service pénitentiaire aux Baumettes ; qu’il apporte la preuve que bien des prescriptions ont été réalisées dans le cadre de protocoles avalisés par le service du contrôle médical ou avec autorisation donnée par la caisse d’assurance maladie ou des médecins-conseils ; que c’est à tort que la chambre disciplinaire a entériné les déclarations du médecin-conseil chef relatives à Mme Vanessa L… et au décès de Mme Hélène C… ; qu’il n’a rien à se reprocher concernant ce dernier décès ; que le service du contrôle médical ne l’a pas informé de l’état de dépendance de l’intéressée ; que le pharmacien a délivré les produits prescrits à cette patiente le 11 mai 2009, alors que l’ordonnance n’était pas signée ; que, si certaines prescriptions n’ont pu être faites sur ordonnance sécurisée, c’est en raison de la déficience de la caisse primaire d’assurance maladie dans la délivrance de telles ordonnances ; que la copie du courriel qui lui a été fait par l’imprimeur démontre qu’il a passé deux commandes de telles ordonnances à la fin 2008 ; que les prescriptions qui lui sont reprochées font partie de la pratique médicale ;

Vu la décision attaquée ;

Vu, enregistrés comme ci-dessus les 29 avril et 6 juin 2013, les mémoires présentés pour le conseil départemental des Bouches-du-Rhône, tendant au rejet de la requête ;

Le conseil départemental soutient qu’un praticien peut être poursuivi tant par la juridiction du contrôle technique que par la juridiction disciplinaire ; que l’analyse des prescriptions faite à partir de 383 ordonnances, nombre ramené à 275 après déduction des ordonnances de la période du 25 octobre au 6 novembre 2009, révèle le caractère massif et systématique de prescriptions de Rihypnol (992 boîtes) et de Subutex (1 802 boîtes) ; que ces prescriptions, le plus souvent systématiquement délivrées pour des durées de 14 jours, sont anormales et dangereuses pour chacun des médicaments et pour l’association des deux ; que, si cette association n’est pas interdite, les précautions particulières d’emploi n’ont pas été respectées ; que le Dr S ne peut valablement prétendre avoir agi dans le cadre de protocoles avalisés ; qu’il a méconnu l’exigence d’ordonnances sécurisées, sans que la caisse primaire d’assurance maladie puisse être mise en cause, la trace d’une seule commande d’ordonnances sécurisées pouvant être établie ; que l’étude du cas de Mme C… montre les nombreuses prescriptions des produits incriminés sur des ordonnances sécurisées ou non ; qu’au surplus, le Dr S n’était pas le médecin traitant de Mme C… ; que la spécialité du Dr S ne lui permettait pas d’orienter son activité vers des pratiques hautement contestables ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu le code de la santé publique, notamment le code de déontologie médicale figurant aux articles R. 4127-1 à R. 4127-112 ;

Vu le code de la sécurité sociale, notamment son article L. 145-2 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 12 juin 2013 :

 – Le rapport du Dr Ducrohet ;

 – Les observations de Me Vidal-Naquet pour le Dr S et celui-ci en ses explications ;

 – Les observations de Me Ganem-Chabenet pour le conseil départemental des Bouches-du-Rhône ;

Le Dr S ayant été invité à reprendre la parole en dernier ;

APRES EN AVOIR DELIBERE,
Sur la méconnaissance de l’interdiction du cumul de sanctions :
1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 145-2 du code de la sécurité sociale : « Les sanctions susceptibles d’être prononcées par la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance ou par la section spéciale des assurances sociales du conseil national de l’ordre des médecins (…) sont : / (…) 3°) l’interdiction temporaire ou permanente, avec ou sans sursis, du droit de donner des soins aux assurés sociaux ; / (…) Les sanctions prévues au présent article ne sont pas cumulables avec les peines prévues à l’article L. 4124-6 du code de la santé publique lorsqu’elles ont été prononcées à l’occasion des mêmes faits. Si les juridictions compétentes prononcent des sanctions différentes, la sanction la plus forte peut être seule mise à exécution (…) » ; que ces dispositions n’interdisent pas aux chambres disciplinaires de prononcer une sanction à caractère disciplinaire pour des faits déjà sanctionnés au titre de la législation du contrôle technique de la sécurité sociale ; qu’elles interdisent seulement que les sanctions prononcées se trouvent additionnées, la sanction la plus légère devant être absorbée par la plus sévère ; qu’il en résulte qu’en condamnant le Dr S à la radiation du tableau de l’ordre bien que la section des assurances sociales du conseil national de l’ordre des médecins ait prononcé à son encontre, pour les mêmes faits, l’interdiction permanente du droit de donner des soins aux assurés sociaux, la chambre disciplinaire de première instance n’a pas méconnu les dispositions précitées de l’article L. 145-2 du code de la sécurité sociale ; que le moyen tiré de cette méconnaissance doit être écarté ;
Sur le fond :
2. Considérant qu’aux termes de l’article R. 4127-3 du code de la santé publique : « Le médecin doit, en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine » ; qu’aux termes de l’article R. 4127-31 du même code : « Tout médecin doit s’abstenir, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci » ; et qu’aux termes de l’article R. 4127-32 du même code : «  Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents. » ;
3. Considérant que, dans le dernier état du dossier, le conseil départemental des Bouches-du-Rhône produit, à l’appui de sa plainte à l’encontre du Dr S, un échantillon de 275 ordonnances concernant 39 patients et comportant au total la prescription de 1 802 boîtes de Subutex et 992 boîtes de Rohypnol, faisant du Dr S, pourtant spécialiste en gastro-entérologie et en hépatologie, un très gros prescripteur départemental de ces substances addictives et vénéneuses, inscrites sur la liste I des médicaments, et dont il n’est pas contesté qu’elles présentent des risques élevés pour la santé, notamment en termes de dépendance et de dépression, ou même de défaillance, respiratoire ; que le conseil départemental relève que, dans la majorité des cas, les prescriptions ont été faites selon des posologies très supérieures à l’autorisation de mise sur le marché (AMM), le plus souvent des posologies allant du simple au double pour ce qui est du Rohypnol ; que, pour 23 dossiers, les prescriptions font apparaître un chevauchement, une nouvelle ordonnance étant délivrée pendant une période couverte par une précédente, ce qui permet la constitution de stocks par le patient ; que, dans un grand nombre de cas, les ordonnances utilisées n’étaient pas sécurisées, comme il est de règle pour de tels produits, et, enfin, que, dans un très grand nombre de cas, les prescriptions comportaient une association des produits, alors que pareille association est source d’aggravation des risques ;
4. Considérant qu’à supposer que quelques unes des ordonnances produites aient été des faux, comme le soutient le Dr S, faisant valoir le vol d’ordonnances dont il a été l’objet, signalé à la police, mais non au demeurant à l’ordre des médecins, cette circonstance n’est de nature ni à atténuer le caractère massif et systématique des prescriptions en cause de produits dangereux par le Dr S, ni à modifier le constat qui précède de non-respect des posologies qui s’imposent, de chevauchement et d’association dangereuse de produits ; que, si le Dr S entend justifier ces prescriptions par les caractéristiques d’une large partie de sa patientèle qui serait faite d’anciens détenus qu’il aurait commencé à soigner lorsqu’il exerçait dans le cadre du service médical de la prison des Baumettes à Marseille, ce profil revendiqué de sa patientèle, sur laquelle il n’apporte au demeurant que peu d’éléments précis, non seulement n’est pas de nature à le disculper, mais fait ressortir le fait qu’il a pris en charge une telle patientèle en dehors de sa spécialité et en s’affranchissant des recommandations de traitement global médical, social et psychologique dans le cadre de réseaux organisés ; que, si le Dr S entend expliquer son recours fréquent à des ordonnances non sécurisées par une déficience du service médical de la caisse d’assurance maladie à répondre à ses commandes d’ordonnances sécurisées, les pièces du dossier ne permettent pas d’établir cette déficience, et, au contraire, montrent qu’alors qu’il reconnaît lui-même avoir reçu une livraison de telles ordonnances le 23 mars 2009, il continuait, dans les jours qui suivaient, à utiliser des ordonnances non sécurisées ; qu’au surplus, même lorsqu’il utilisait des ordonnances sécurisées, il omettait fréquemment de remplir la case correspondant au nombre de médicaments prescrits ; que le cas d’une patiente du Dr S, dont il n’est pas contesté qu’elle était fragile et dépendante, Mme C…, décédée le 14 mai 2009, 72 heures après que ce médecin lui ait délivré une ordonnance, faisant suite à plusieurs autres délivrées du 16 décembre 2008 au 11 mai 2009, lui prescrivant des médicaments de type narcotiques et benzodiazépines, Rohypnol, Subutex, Artane, Seresta, tous inscrits sur la liste I, illustre, sans que la chambre disciplinaire nationale entende se livrer à une appréciation sur les causes du décès, la légèreté avec laquelle le Dr S a prodigué ses soins à cette patiente, en dehors de toute prise en charge globale ;
5. Considérant qu’ainsi les manquements lourds du Dr S à ses obligations déontologiques telles que définies aux articles précités du code de la santé publique sont établis ; qu’au regard de ces manquements, et quels que soient les griefs susceptibles d’être reprochés à d’autres professionnels de santé, comme le soutient le Dr S, lesquels griefs sont sans incidence sur la culpabilité personnelle de ce dernier, la peine de la radiation prononcée par la chambre disciplinaire de première instance n’est pas disproportionnée ; que la requête du Dr S doit dès lors être rejetée ;
PAR CES MOTIFS,
DECIDE :

Article 1 : La requête du Dr S est rejetée.

Article 2 : La peine de la radiation du tableau de l’ordre prononcée à l’encontre du Dr S par la chambre disciplinaire de première instance de Provence-Alpes-Côte-d’Azur-Corse, en date du 6 janvier 2012, prendra effet le lendemain de la réception par le Dr Serraf de la présente décision.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Dr Laurent S, au conseil départemental de l’ordre des médecins des Bouches-du-Rhône, à la chambre disciplinaire de première instance de Provence-Alpes-Côte-d’Azur-Corse, au préfet des Bouches-du-Rhône, au directeur général de l’agence régionale de santé de Provence-Alpes-Côte-d’Azur, au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille, au conseil national de l’ordre des médecins, au ministre chargé de la santé et à tous les conseils départementaux.

Ainsi fait et délibéré par M. Pochard, conseiller d’Etat honoraire, président ; MM. les Drs Blanc, Cressard, Ducrohet, Faroudja, Kennel, membres.

Le conseiller d’Etat honoraire, président de la chambre disciplinaire nationale

Marcel Pochard
Le greffier en chef
Isabelle Levard
La République mande et ordonne au ministre chargé de la santé en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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Conseil national de l'ordre des médecins, Chambre disciplinaire nationale, 5 juillet 2013, n° 11552