Affaire du Poussin, Tribunal de grande instance de Paris, 13 décembre 1972

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 13 déc. 1972
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris

Texte intégral

Attendu que les époux Saint-Arroman ont assigné le Direc­teur de la Réunion des Musées nationaux, Rheims, ancien commissaire-priseur, Lebel, expert, et Laurin, commissaire-priseur, pour : 1) entendre prononcer la nul­lité de la vente aux enchères publiques, faite au prix de 2 200 F et à la date du 21 février 1968, d’un tableau offert comme une œuvre de l’école des Carrache et dont l’auteur serait en réalité Nicolas Poussin; 2) subsidiairement s’entendre Rheims et Lebel condamner à payer aux demandeurs une indemnité provisionnelle de 150 000 F et entendre ordonner une expertise en vue d’évaluer le préjudice subi par ceux-ci; Attendu que les défendeurs concluent au rejet de ces demandes et sub- sidiairement, Rheims, Laurin et Lebel, à une expertise technique; Attendu que les époux Saint-Arroman exposent que, désirant vendre le tableau litigieux, ils l’ont présenté à Me Rheims; que celui-ci l’a soumis à l’expert Lebel; qu’après avis de ce dernier, la toile a été inscrite au catalogue de l’Hôtel des ventes de Paris comme se rattachant à l’Ecole des Carrache; que Rheims a prévenu les demandeurs qu’elle pourrait « faire en vente environ 1 500 F »; qu’en fait, elle a été adjugée pour 2 200 F et que les Musées nationaux ont exercé leur droit de préemption ; que la Revue du Louvre et des Musées de France, dans son numéro 2, dès 1969, annonce cette acquisition et affirme que l’attribution à Poussin est unanimement acceptée; que le tableau est exposé au Louvre comme œuvre de Poussin; qu’ainsi les époux Saint-Arroman ont, disent-ils, aliéné une toile de Poussin alors qu’ils croyaient vendre un tableau de l’école des Carrache, et par suite commis l’erreur sur la subs­tance qui rend nulle cette vente ; que, dans le cas où la nullité ne serait pas pronon­cée, ils seraient alors fondés à demander au commissaire-priseur et à l’expert la réparation du préjudice qui leur a été causé par les fautes professionnelles de ces derniers; Attendu que la Réunion des Musées nationaux, sans contester que l’identité de l’auteur constitue une qualité substantielle de l’œuvre d’art, soutient d’une part que seul l’acheteur pourrait faire état de l’erreur commise à ce point de vue, d’autre part qu’il résulterait des faits de la cause et notamment des termes de l’assignation que les demandeurs n’ont pas commis cette erreur alors qu’avant la mise en vente ils considéraient leur tableau comme « un Poussin » ; En droit : Attendu, d’une part, qu’il est de principe, et qu’il n’est d’ailleurs pas contesté par la Réunion des Musées Nationaux, que l’erreur sur la substance s’entend, non seule­ment de celle qui porte sur la matière dont la chose est composée; mais aussi de celle qui a trait aux qualités substantielles d’authenticité et d’origine; Attendu, d’autre part, que, contrairement aux prétentions de la défenderesse, l’erreur sur la substance peut être alléguée aussi bien par le vendeur que par l’acheteur, l’article 1110 du Code civil ne faisant aucune distinction entre les contractants; qu’en l’espèce, par l’exercice de son droit de préemption, la défenderesse se trouve substituée à l’acheteur; Attendu que par ailleurs, pour annuler l’acte vicié par l’erreur sur la substance, la jurisprudence relève comme élément déterminant de cette situation la compétence artistique ou technique du contractant bénéficiaire de cette erreur; En fait : Attendu que la Réunion des Musées Nationaux maintient son opinion déjà proclamée sur l’attribution du tableau à Poussin; Attendu que cette opi­nion, exprimée par une administration qui rassemble des experts particulièrement éclairés, doit être considérée comme décisive, tout au moins dans ses rapports avec les demandeurs ; Attendu que par ailleurs cette haute compétence fait apparaître de façon éclatante l’infériorité technique des vendeurs par rapport à leur cocontrac- tant; Attendu certes que, pour tenter de démontrer qu’il n’y avait pas eu erreur de la part des vendeurs, la défenderesse fait état des termes de l’assignation où il est écrit notamment : « Propriétaires d’un tableau attribué à Nicolas Poussin, ils ont décidé, en octobre 1967, de sa mise en vente… », et plus loin : « l’expertise faite par M. Lebel, expert en tableaux anciens, précisait que le tableau n’était pas du peintre Poussin mais de l’école des Carrache »; Mais attendu que pour apprécier si le consentement des vendeurs a été vicié par l’erreur sur la substance, c’est à leur opi­nion au moment de la vente, et à elle seule, qu’il convient de se référer; qu’à ce moment ils s’en sont entièrement rapportés à la décision de l’expert en mettant en vente leur tableau comme étant de l’école des Carrache et au prix correspondant à cette attribution; que s’ils avaient eu un motif sérieux de penser que l’œuvre était un Poussin, ils n’auraient pas ainsi accepté, sans recourir à des recherches complémentaires, l’avis et la mise à prix du commissaire-priseur, et de l’expert que, par son intermédiaire, ils avaient estimé nécessaire de consulter tant ils se sen­taient incapables de déterminer par eux-mêmes l’origine de la toile litigieuse; Attendu que, dans ces conditions, lors de la vente de celle-ci, au prix de 2 200 F, le 21 février 1968, il n’y a pas eu accord des contractants sur la chose vendue, les vendeurs croyant céder un tableau de l’école des Carrache, tandis que la Réunion des musées nationaux estimait acquérir une œuvre de Poussin; que la défenderesse a bénéficié ainsi, grâce à la grande supériorité de sa compétence artistique, de l’erreur sur la substance commise par ses cocontractants, telle qu’elle résultait des mentions portées par eux sur le catalogue de l’Hôtel des ventes; que cette erreur, parfaitement connue de la défenderesse, a vicié le consentement des vendeurs et que, par application de l’article 1110 du Code civil, la vente doit être déclarée nulle; Attendu qu’en conséquence, Rheims, Lebel et Laurin doivent être mis hors de cause; Attendu que, faute d’urgence démontrée, il n’y a pas lieu à exé­cution provisoire ; Par ces motifs : Prononce la nullité de la vente, intervenue le 21 février 1968, du tableau appartenant aux demandeurs et acquis par la Réunion des Musées nationaux; Met hors de cause Rheims, Lebel et Laurin; Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ; Condamne la Réunion des Musées nationaux aux dépens.

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Textes cités dans la décision

  1. Code civil
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Affaire du Poussin, Tribunal de grande instance de Paris, 13 décembre 1972