Tribunal administratif de Nice, 6ème chambre, 13 décembre 2022, n° 1805160

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Nice, 6e ch., 13 déc. 2022, n° 1805160
Juridiction : Tribunal administratif de Nice
Numéro : 1805160
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 8 septembre 2023

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

I. Par une requête n° 1805160 et des mémoires, enregistrés les 26 novembre 2018, 21 mai 2019, 24 février 2021 et 2 avril 2021, M B A demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler la décision du 12 mars 2018 par laquelle la maire de la commune de la Roquette-sur-Siagne l’a affecté sur les fonctions d’agent chargé de l’urbanisme ;

2°) d’enjoindre à la commune de la Roquette-sur-Siagne de le réintégrer dans ses précédentes fonctions dans un délai de cinq jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard et de procéder à la reconstitution de sa carrière dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Il soutient que :

— la décision attaquée, qui induit une diminution sensible des responsabilités qui lui sont confiées et emporte des conséquences financières notables, notamment par la diminution de l’indemnité de fonction, de sujétions et d’expertise servie et la suppression de la nouvelle bonification indiciaire, est constitutive d’un détournement de pouvoir ou au moins de procédure ;

— cette décision intervient suite à son intervention en tant que conseil et défense auprès d’agents de la collectivité faisant l’objet de procédures disciplinaires et caractérise des faits de harcèlement de la part du maire et de la directrice générale des services, comme en témoignent les incohérences entachant les déclarations de l’administration et les témoignages de l’élue référente ; il n’a bénéficié d’aucune formation dans ses nouvelles fonctions, a été stigmatisé et isolé et n’a pas bénéficié de la protection de l’administration ; le comportement du maire et de sa directrice générale des services ont porté atteinte à ses droits, sa dignité et sa santé.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 26 mars 2019 et le 22 janvier 2021, la commune de la Roquette-sur-Siagne, représentée par Me Barbeau-Bournoville, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. A une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

— les pièces produites sont irrecevables, faute d’être numérotées conformément aux dispositions de l’article R.414-3 du code de justice administrative ;

— les moyens soulevés par M. A ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 29 avril 2021, la clôture de l’instruction a été fixée au 29 avril 2021.

Un mémoire, présenté par M. A, a été enregistré le 10 novembre 2022, mais n’a pas été communiqué.

II. Par une requête n° 2003283 enregistrée le 22 août 2020, M. B A, représenté par Me Caillouet-Ganet, demande au tribunal : d’annuler la décision du 11 mars 2020 par laquelle le maire de la Roquette-sur-Siagne l’a licencié pour insuffisance professionnelle ;

Il soutient que :

— cette décision est entachée d’erreur d’appréciation ;

— il n’a pas été placé en position de démontrer ses capacités professionnelles ;

— si l’administration lui reproche des problèmes relationnels avec sa hiérarchie, il est en réalité victime de harcèlement, l’administration ayant manqué à son obligation de protection à cet égard ;

— la méconnaissance d’obligations professionnelles en matière d’obéissance hiérarchique, de réserve, d’exécution de tâches découlant de l’emploi ne relèvent pas de l’insuffisance professionnelle et devait, si elle était avérée, faire l’objet d’une sanction disciplinaire.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 10 juin 2022, la commune de la Roquette-sur- Siagne, représentée par Me Barbeau-Bournoville, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. A une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

— la loi n°83-634 du 14 juillet 1983 ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme C,

— les conclusions de Mme Belguèche, rapporteure publique,

— et les observations de Me Germe, représentant la commune de la Roquette-sur-Siagne.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n°s 1805160 et 2003283 présentées par M. A donnant à juger la situation d’un même requérant et ayant fait l’objet d’une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul jugement.

2. M. A a été recruté le 1er juin 2016 par la commune de la Roquette-sur-Siagne en qualité de responsable de service population pour exercer les fonctions relatives à la gestion du centre communal d’action sociale, aux élections, au logement social et à l’encadrement des services association, accueil et état civil. Par une décision du 26 février 2018, le maire de la commune de la Roquette-sur-Siagne a décidé de lui retirer les missions élections, logement et centre communal d’action sociale et de lui confier la prise en charge de l’observatoire fiscal. Le 23 juillet 2018, M. A s’est vu pleinement confier la gestion de l’observatoire fiscal au sein du service urbanisme. Il a formé un recours gracieux contre ce changement d’affectation, rejeté par la commune le 16 novembre 2018. Le 25 novembre 2019, la commune a engagé une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle à l’encontre de M. A. Le conseil de discipline s’est prononcé en faveur de ce licenciement le 10 mars 2020. Par un arrêté du 11 mars 2020, le maire de la Roquette-sur-Siagne a prononcé le licenciement pour insuffisance professionnelle de M. A. Par les présentes requêtes, M. A demande au tribunal d’annuler, d’une part, la décision par laquelle le maire de la commune de la Roquette-sur-Siagne l’a affecté à la gestion de l’observatoire fiscal, d’autre part, la décision par laquelle il l’a licencié pour insuffisance professionnelle.

Sur les conclusions dirigées contre l’affectation de M. A sur les fonctions de chargé d’urbanisme :

3. A l’occasion de l’entretien professionnel réalisé le 25 novembre 2016 au titre de l’année 2016, M. A, récemment arrivé dans ses fonctions de responsable du service accueil population a été évalué comme présentant, sous réserve de confirmation, des connaissances professionnelles, une efficacité satisfaisante et un bon rythme de travail. Toutefois, sa hiérarchie a également relevé dans cet entretien, des difficultés de positionnement managérial, des difficultés à rendre compte, à respecter la hiérarchie administrative, et une tendance trop développée à prendre des initiatives. De même, son entretien au titre de l’année 2017 confirme qu’en dépit de compétences techniques et d’une appétence particulière pour les aspects juridiques de ses fonctions, M. A ne respecte pas les processus d’information et de validation hiérarchique préalables à toute prise de décision. Il ressort en effet des pièces du dossier que M. A, qui peine à rendre compte de son activité, en dépit des multiples sollicitations de sa hiérarchie et y compris dans le cadre des rendez-vous institutionnalisés par cette dernière pour l’accompagner dans cette démarche, ne perçoit pas la nécessité de faire valider les décisions engageant la collectivité et ne relevant pas de son cadre d’emploi. Il a ainsi, par exemple, pris l’initiative de solliciter sans validation la création d’une régie auprès des services de la direction des finances, ou encore, a défini unilatéralement et sans en référer ses propres critères de sélection des prestataires intervenant auprès du centre communal d’action sociale. Les pièces du dossier révèlent également une difficulté de M. A à adopter le bon positionnement et le bon ton, vis-à-vis de ses interlocuteurs, tant internes qu’extérieurs, le conduisant à s’adresser en des termes comminatoires aux partenaires de la collectivité ou à en convoquer sans le moindre égard les élus. Guidé par sa perception parfois incomplète des enjeux de la collectivité, il a été considéré qu’il s’autorisait à répondre aux sollicitations de sa hiérarchie par des réponses lacunaires et péremptoires, s’appropriant des arbitrages qui relèvent d’un niveau supérieur. Si ces carences ont conduit l’administration à prendre à l’encontre de M. A une sanction d’exclusion temporaire de trois jours, elles sont également de nature à témoigner, alors même qu’elles ont persisté par la suite, une insuffisance professionnelle pour l’exercice de ses missions, justifiant un changement d’affectation dans l’intérêt du service.

4. Si M. A fait valoir qu’il serait victime de harcèlement moral à raison de son implication auprès d’agents faisant l’objet de procédures disciplinaires, il ne fait état d’aucun élément laissant présumer un tel harcèlement. La diminution des indemnités et le retrait de la nouvelle bonification indiciaire qui lui étaient précédemment servis découlent de la simple application des textes en vigueur dans le cadre de ses nouvelles fonctions.

5. Dans les circonstances précédemment décrites, le requérant n’est pas fondé à soutenir que la décision en litige constituerait une sanction déguisée, aurait été prise au terme d’un détournement de pouvoir ou même de procédure, ou encore révèlerait des faits de harcèlement à son encontre.

Sur les conclusions dirigées contre la décision de licenciement pour insuffisance professionnelle :

6. Le licenciement pour inaptitude professionnelle d’un agent public ne peut être fondé que sur des éléments révélant l’inaptitude de l’agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé, s’agissant d’un agent contractuel, ou correspondant à son grade, s’agissant d’un fonctionnaire, et non sur une carence ponctuelle dans l’exercice de ces fonctions. Lorsque la manière de servir d’un fonctionnaire exerçant des fonctions qui ne correspondent pas à son grade le justifie, il appartient à l’administration de mettre fin à ses fonctions. Une évaluation portant sur la manière dont l’agent a exercé de nouvelles fonctions correspondant à son grade durant une période suffisante et révélant son inaptitude à un exercice normal de ces fonctions peut, alors, être de nature à justifier légalement son licenciement.

7. Si M. A soutient qu’il a parfaitement rempli ses fonctions en qualité de responsable du service population, ses manquements et insuffisances sur ce poste ont au contraire, ainsi qu’il a été dit aux points qui précèdent, justifié son affectation sur de nouvelles fonctions dans l’intérêt du service. Placé en congé de maladie du 23 juillet 2018 au 4 janvier 2019, il ressort des pièces du dossier qu’à sa reprise d’activité sur ses nouvelles fonctions, de nouvelles insuffisances dans la réalisation de ses missions ont été constatées, l’examen de son temps de travail révélant par exemple la réalisation approximative de moins d’une fiche par heure, là où un agent sans formation spécifique en réalisait douze. Il ressort également des pièces du dossier qu’il a réalisé son travail de manière négligente et désordonnée, transmettant notamment à plusieurs reprises à sa hiérarchie, sans en faire état, les mêmes documents. Les carences persistantes de M. A dans l’exercice de ses fonction successives sont de nature à caractériser son insuffisance professionnelle. M. A n’est ainsi pas fondé à soutenir que l’administration aurait commis une erreur d’appréciation en procédant à son licenciement pour insuffisance professionnelle.

8. Il ressort de la fiche de poste correspondant aux fonctions d’agent en charge de la gestion de l’observatoire fiscal communal que les fonctions nouvellement dévolues à M. A impliquaient la vérification des données fiscales de la commune, leur réactualisation, leur optimisation, la proposition et la réalisation d’outils d’aide à la décision, la mise en place d’échanges avec la direction des finances, la tenue d’une veille juridique, la participation à la mise en place de la taxe sur la publicité par diagnostic, identification et constitution de dossiers, ainsi que le traitement des demandes de renseignements d’urbanisme pour les notaires. Compte-tenu de la nature de ces misions, qui relèvent du champ de compétence d’un rédacteur territorial, M. A n’est pas fondé à soutenir que son insuffisance professionnelle ne pouvait être mise en évidence dans l’exercice de missions ne correspondant pas à son cadre d’emploi.

9. Par ailleurs, M. A, bénéficiant d’une formation juridique, et formé à l’utilisation de l’application Finindev, s’est vu préciser à diverses reprises les attendus de son nouveau poste, notamment le 19 mars 2018, le 22 mai 2018, le 29 mai 2018, le 20 juillet 2018, le 8 janvier 2019, le 17 janvier 2019 et le 21 janvier 2019, et proposer plusieurs autres formations, auxquelles il a refusé de participer, faisant valoir son état de santé. Au vu de cet état de santé, il a bénéficié d’un congé de maladie, puis d’un mi-temps thérapeutique. Il ne saurait dès lors soutenir qu’il n’a pas été mis en mesure de démontrer ses capacités professionnelles.

10. Enfin, aux termes de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu’il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu’il ait exercé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu’il ait témoigné de tels agissements ou qu’il les ait relatés. / Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. () ". Ces dispositions ont procédé à la transposition pour la fonction publique des dispositions relatives à la lutte contre le harcèlement de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

11. D’une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement. Il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile.

12. D’autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui.

13. Si M. A soutient être victime de harcèlement de la part du maire de la commune ou de sa directrice générale des services, il ressort des documents produits qu’en dépit des manquements et insuffisances professionnels de l’intéressé, tant le maire que la directrice générale des services ont maintenu dans leurs échanges avec M. A un cadre et un ton professionnels, identifiant sans excéder l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, lesdits manquements, l’encourageant à progresser et l’accompagnant dans les difficultés relevées dans l’exercice de ses fonctions successives. Il n’est ainsi pas fondé à soutenir qu’il aurait été victime de harcèlement.

14. Compte-tenu de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense par la commune de la Roquette-sur-Siagne, les conclusions de M. A ne peuvent qu’être rejetées, y compris celles aux fins d’injonction et au titre des frais liés à l’instance.

15. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune de la Roquette-sur-Siagne au titre des frais liés à l’instance.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes de M. A sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de la Roquette-sur-Siagne au titre des frais liés à l’instance sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et à la commune de la Roquette- sur-Siagne.

Délibéré après l’audience du 22 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Chevalier-Aubert, présidente,

Mme Gazeau, première conseillère,

Mme Guilbert, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 décembre 2022.

La rapporteure,

signé

L. C

La présidente,

signé

V. Chevalier-AubertLa greffière,

signé

S. Génovèse

La République mande et ordonne au préfet des Alpes-Maritimes en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Ou par délégation la greffière,

2, 2003283

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