Tribunal administratif de Paris, 6 février 2018, n° 1607984

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Conclusions du rapporteur public · 11 décembre 2020

N° 443382 M. J... 2ème et 7ème chambres réunies Séance du 25 novembre 2020 Lecture du 11 décembre 2020 CONCLUSIONS Mme Sophie Roussel, rapporteure publique La demande d'avis dont vous saisit le tribunal administratif de Nantes sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative porte, comme souvent les demandes d'avis, sur une hypothèse non expressément régie par les textes. Quoique ne correspondant pas à un contentieux de masse, les questions posées sont à coup sûr nouvelles et présentent une difficulté sérieuse, sur lesquelles les tribunaux administratifs se sont …

 
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Sur la décision

Référence :
TA Paris, 6 févr. 2018, n° 1607984
Juridiction : Tribunal administratif de Paris
Numéro : 1607984

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS

No 1607984/6-2 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ___________

M. D. ___________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

M. Grondin Rapporteur ___________ Le Tribunal administratif de Paris

Mme Marcus (6e section – 2e chambre) Rapporteur public ___________

Audience du 23 janvier 2018 Lecture du 6 février 2018 ___________ 26-03-10 C

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 mai et 9 décembre 2016, M. D., représenté par Me Seingier, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision par laquelle le Premier ministre a implicitement rejeté sa demande du 23 mai 2016 tendant au paiement d’une somme de 15 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de la réutilisation publique de l’avis de la Commission d’accès aux documents administratifs du 25 septembre 2008 divulguant son identité ;

2°) de condamner l’État à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation des préjudices subis ;

3°) d’enjoindre à l’État de supprimer définitivement tout référencement permettant d’accéder à l’avis litigieux dans un délai d’un mois suivant la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l’État la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. D. soutient que : – la responsabilité de l’État est engagée ; le Premier ministre a commis une faute en publiant sur internet un avis de la Commission d’accès aux documents administratifs divulguant son identité, en méconnaissance de l’article 13 de la loi du 17 juillet 1978 ; le Premier ministre a commis une faute en refusant de déréférencer cet avis sur le moteur de recherche « Google » ; – il en résulte un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d’existence chiffrés à hauteur de 15 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 novembre 2016, le Premier ministre conclut au rejet de la requête.

Le Premier ministre fait valoir que : – la publication sur internet de l’avis de la Commission d’accès aux documents administratifs sans anonymisation préalable et le refus de déréférencer cet avis sur le moteur de recherche « Google » ne sont pas constitutifs de fautes ; – les préjudices dont se prévaut le requérant résultant de la non anonymisation de cet avis ne sont ni directs ni certains.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu : – le code des relations entre le public et l’administration, – la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, – la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, – le décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005, – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de M. Grondin, – les conclusions de Mme Marcus, rapporteur public, et les observations orales de Me Seingier, avocat de M. D.

1. Considérant que M. D., inspecteur divisionnaire du trésor public mis à disposition de l’université Paris XIII Sorbonne-Paris-Cité en qualité d’enseignant en finances publiques, a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), le 30 décembre 2015, d’une demande tendant à ce qu’il soit procédé à l’anonymisation complète de l’avis du 25 septembre 2008 publié sur internet et relatif à la communication d’un rapport rédigé à la suite de l’enquête diligentée par l’inspection générale des finances en vue d’identifier les auteurs de harcèlement moral dont il avait fait l’objet ; que, conformément à l’arrêté du 21 septembre 2015 portant organisation du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, cette demande a été relayée par la CADA à la mission « Etalab » du secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, placé sous l’autorité du Premier ministre en application des dispositions de l’article 1er du décret n° 2015-1165 du 21 septembre 2015 ; que, par un courrier du 22 mars 2016, le requérant a demandé au Premier ministre de lui verser la somme de 15 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de la publication de cet avis sans anonymisation préalable ; que M. D. demande au tribunal d’annuler la décision par laquelle le Premier ministre a implicitement rejeté cette demande et de le condamner à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation des préjudices subis ;

Sur les conclusions d’annulation :

2. Considérant que la décision implicite de rejet du Premier ministre a eu pour seul effet de lier le contentieux à l’égard de la demande indemnitaire de M. D. du 22 mars 2016 qui, en formulant les conclusions susanalysées, a donné à l’ensemble de sa requête le caractère d’un recours indemnitaire de plein contentieux ; qu’au regard de l’objet d’une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l’intéressé à percevoir la somme qu’il réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige ; que, dès lors, les conclusions d’annulation de la décision implicite du Premier ministre doivent être rejetées ;

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité de l’État :

3. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 13 de la loi du 17 juillet 1978 : « Les informations publiques comportant des données à caractère personnel peuvent faire l’objet d’une réutilisation soit lorsque la personne intéressée y a consenti, soit si l’autorité détentrice est en mesure de les rendre anonymes ou, à défaut d’anonymisation, si une disposition législative ou réglementaire le permet. La réutilisation d’informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés » ; qu’aux termes de l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978 : « (…) Constitue une donnée à caractère personnel toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres (…) » ;

4. Considérant que M. D. soutient que le Premier ministre a commis une faute en publiant sur internet un avis de la CADA non anonymisée qui divulgue son identité, en méconnaissance des dispositions de l’article 13 de la loi du 17 juillet 1978 ; qu’il est constant que le contenu des avis de la CADA, lesquels sont des documents administratifs communicables, revêt le caractère d’informations publiques au sens de l’article 10 de la loi du 17 juillet 1978 susvisée ; que, par ailleurs, l’avis litigieux, qui mentionne le nom, le prénom et l’emploi du requérant, ainsi que le fait qu’il a été victime de harcèlement moral, comporte des données personnelles au sens des dispositions précitées de l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978 ; qu’aucune disposition législative ou règlementaire n’autorise l’administration à réutiliser ou publier les données personnelles de M. D. qui n’a pas consenti à leur publication ; qu’ainsi, seule une anonymisation complète de l’avis de la CADA rendait possible sa publication sur internet par l’administration ; que, par suite, en publiant sur internet l’avis de la CADA litigieux sans l’avoir préalablement anonymisé, l’administration a commis une faute de nature a engager sa responsabilité ;

5. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978 : « Toute personne physique a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement. / Elle a le droit de s’opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection, notamment commerciale, par le responsable actuel du traitement ou celui d’un traitement ultérieur. / Les dispositions du premier alinéa ne s’appliquent pas lorsque le traitement répond à une obligation légale ou lorsque l’application de ces dispositions a été écartée par une disposition expresse de l’acte autorisant le traitement » ; qu’aux termes de l’article 40 de cette même loi : « Toute personne physique justifiant de son identité peut exiger du responsable d’un traitement que soient, selon les cas, rectifiées, complétées, mises à jour, verrouillées ou effacées les données à caractère personnel la concernant (…) » ;

6. Considérant que M. D. fait grief au Premier ministre de ne pas avoir procédé au déréférencement de l’avis de la CADA du 25 septembre 2008 sur les moteurs de recherche internet ; que, toutefois, il résulte des dispositions des articles 38 et 40 de la loi du 6 janvier 1978 que le droit au déréférencement impose seulement à l’exploitant d’un moteur de recherche mettant en œuvre son traitement en France, saisi d’une demande en ce sens, de supprimer de la liste de résultats des liens vers des pages web publiées par des tiers et contenant des informations personnelles ; que le Premier ministre n’a pas compétence pour procéder directement à un déréférencement ou pour obliger un exploitant d’un moteur de recherche à y procéder ; que, par suite, le Premier ministre n’a pas commis de faute en refusant de procéder au déréférencement de l’avis de la CADA litigieux ;

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la responsabilité de l’administration est engagée sur le seul fondement de la faute résultant de la publication sur internet d’un avis de la CADA non anonymisé ;

En ce qui concerne les préjudices :

8. Considérant que M. D., qui est enseignant à l’université de Paris XIII, se prévaut d’un préjudice moral ainsi que de troubles dans ses conditions d’existence résultant de la publication de l’avis de la CADA sans anonymisation ; que la situation dans laquelle se trouve M. D. consécutivement à la publication de l’avis de la CADA non anonymisé est de nature à le mettre « dans une position délicate et inconfortable vis-à-vis de son public » ainsi que cela ressort de l’attestation de l’un de ses collègues ; qu’en outre, le doyen de la faculté de droit de Paris XIII a constaté que le requérant, qui avait quitté son administration d’origine pour se reconstruire loin du milieu professionnel au sein duquel il avait été victime de harcèlement moral, semblait très affecté par la révélation publique de ce harcèlement ; que, dans ces conditions, M. D. justifie d’un préjudice moral à la suite de la publication non anonymisée de l’avis de la CADA ; qu’il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui allouant une somme de 3 000 euros ;

Sur les conclusions d’injonction et d’astreinte :

9. Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit au point 6 que le Premier ministre n’a pas compétence pour procéder directement à un déréférencement ; que, par suite, et en tout état de cause, les conclusions de M. D. tendant à enjoindre au Premier ministre de supprimer définitivement tout référencement permettant d’accéder à l’avis litigieux dans un délai d’un mois suivant la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, doivent être rejetées ;

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État, partie perdante dans la présente instance, une somme de 1 500 euros au profit de M. D. au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE:

Article 1er : L’État est condamné à verser la somme de 3 000 euros à M. D..

Article 2 : L’État versera la somme de 1 500 euros à M. D. au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. D. et au Premier ministre.

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