Tribunal administratif de Rouen, 3 ème chambre, 12 octobre 2023, n° 2100911

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Sur la décision

Référence :
TA Rouen, 3 ème ch., 12 oct. 2023, n° 2100911
Juridiction : Tribunal administratif de Rouen
Numéro : 2100911
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Dispositif : Satisfaction totale
Date de dernière mise à jour : 13 octobre 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 10 mars 2021, M. B A, représenté par la SELARL Ekis Avocats, demande au tribunal :

1) de condamner solidairement le département de la Seine-Maritime et la communauté d’agglomération de la région dieppoise à lui verser la somme de 13 048,90 euros à parfaire en réparation du préjudice qu’il estime avoir subi en raison de désordres sur sa propriété qu’il impute à un ouvrage public ;

2) d’enjoindre au département de la Seine-Maritime et à la communauté d’agglomération de la région dieppoise de procéder aux travaux nécessaires à ce qu’il soit mis fin aux désordres constatés, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de cinquante euros par jour de retard à compter de l’expiration de ce délai ;

3) de mettre à la charge solidaire du département de la Seine-Maritime et de la communauté d’agglomération de la région dieppoise la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

— la responsabilité des défendeurs est engagée :

o à titre principal, pour faute, en raison des défaillances du département et de l’établissement public dans la conception et l’entretien de l’ouvrage public que constitue le rond-point à l’origine des inondations de sa propriété ;

o à défaut, sans faute, dès lors qu’il a subi un dommage anormal et spécial lié à la présence de l’ouvrage ;

— il justifie de ses préjudices et de l’existence d’un lien entre ceux-ci et les fondements de responsabilité invoqués.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2022, le département de la Seine-Maritime, représenté par Me Lacan, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. A sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

— le rapport d’expertise ne lui est pas opposable ;

— sa responsabilité n’est pas engagée ;

— les dommages sont imputables à l’état antérieur du mur de façade du requérant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2022, la communauté d’agglomération de la région dieppoise, représentée par la SELAS Fidal, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. A sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

— sa responsabilité n’est pas engagée ;

— les dommages sont imputables à l’état antérieur du mur de façade du requérant ;

— M. A a commis une faute de nature à l’exonérer totalement de sa responsabilité, dans la mesure où il a bétonné sa terrasse et sa cour, empêchant les eaux de s’infiltrer dans le sol ;

— les préjudices ne sont pas justifiés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code général des collectivités territoriales ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de M. Mulot, premier conseiller ;

— les conclusions de Mme Cazcarra, rapporteure publique ;

— les observations de Me Le Velly, avocat de M. A ;

— et les observations de Me Coquerel, avocate de la communauté d’agglomération de la région dieppoise.

Une note en délibéré, enregistrée pour M. A, a été enregistrée le 2 octobre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. M. B A est propriétaire d’une maison à usage d’habitation située sur le territoire de Grèges, commune membre de l’agglomération de la région dieppoise. Ayant constaté, à compter de 2017, des désordres sur sa propriété qu’il a estimé imputables à des travaux réalisés sur la route départementale 100 qui borde sa propriété, M. A a saisi la commune où il réside, qui a transmis sa demande à la communauté d’agglomération. Une expertise a été organisée par les assureurs respectifs des parties et le rapport a été remis le 30 aout 2019. Devant la persistance des désordres et ayant sollicité en vain la réparation de ses préjudices auprès du département de la Seine-Maritime et de la communauté d’agglomération de la région dieppoise, M. A demande à titre principal au tribunal, par la présente requête, de condamner ces personnes publiques à l’indemniser solidairement de ses préjudices.

Sur les conclusions principales de la requête :

En ce qui concerne la responsabilité :

2. Le respect du caractère contradictoire de la procédure d’expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l’expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu’une expertise est entachée d’une méconnaissance de ce principe ou lorsqu’elle a été ordonnée dans le cadre d’un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s’ils sont soumis au débat contradictoire en cours d’instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu’ils ont le caractère d’éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d’éléments d’information dès lors qu’ils sont corroborés par d’autres éléments du dossier.

3. L’expertise mentionnée au point 1 du présent jugement, diligentée entre les assureurs, n’a pas été conduite au contradictoire du département de la Seine-Maritime. Toutefois, ce rapport qui ne contient au demeurant que quelques constats simples et photographies, tous corroborés par d’autres éléments du dossier, a été soumis au contradictoire pendant l’instance, et le département de la Seine-Maritime a pu exposer sa position. Par suite, contrairement à ce que fait valoir le département défendeur, il n’y a pas lieu d’écarter le rapport d’expertise de la procédure.

4. Eu égard à la nature des travaux publics en cause et au caractère routier de l’ouvrage public en litige, M. A a la qualité de tiers par rapport à ces travaux et à cet ouvrage. Le réseau de captage des eaux pluviales constitue l’accessoire de cet ouvrage dont le département de la Seine-Maritime a la garde, sans préjudice des responsabilités incombant, en application des dispositions du code général des collectivités territoriales, à la communauté d’agglomération de la région dieppoise.

5. Le maître de l’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu’ils subissent lorsque le dommage n’est pas inhérent à l’existence même de l’ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.

6. Il résulte de l’instruction que les désordres constatés par M. A se sont déclarés consécutivement aux travaux menés par le département de la Seine-Maritime sur le rond-point litigieux, qui a été réhaussé. Les nombreuses photographies produites au dossier, le constat de l’expert et le bulletin d’information municipales, parmi d’autres éléments, permettent de retenir l’existence d’un lien de causalité direct entre la conception de l’ouvrage et les désordres dont se plaint M. A.

En ce qui concerne l’existence de causes exonératoires :

7. La circonstance que le pied de mur de M. A soit « très certainement » infiltrant, selon les termes du rapport d’expertise dont se prévaut, cette fois, le département de la Seine-Maritime, si elle a pu participer à l’aggravation du dommage n’est pas de nature à révéler une faute de M. A de nature à exonérer, même partiellement, le département défendeur de sa responsabilité.

8. Il résulte de ce qui précède que le département de la Seine-Maritime doit être condamné à indemniser M. A des préjudices nés des dommages causés par l’ouvrage dont il a la garde. En revanche, compte-tenu de ce qui vient d’être exposé, les conclusions dirigées contre la communauté d’agglomération de la région dieppoise ne peuvent qu’être rejetées.

En ce qui concerne les préjudices :

9. Les dommages dont se plaint M. A étant inhérents à l’existence même de l’ouvrage public en cause, il lui appartient de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu’il subit.

10. En premier lieu, M. A sollicite l’indemnisation de travaux de réfection rendus nécessaires par les inondations du pied de sa propriété. Parmi les travaux sollicités, la réfection des pièces intérieures ne saurait être retenue, M. A se bornant à produire deux photographies de mesure d’hygrométrie d’un mur, sans aucun élément de contexte ni justifier des dommages dont il fait état. Par suite, il n’est pas fondé à demander une indemnisation à ce titre.

11. En deuxième lieu, en revanche, M. A justifie de la nécessité de travaux de reprise du pied de sa façade et de la pose d’un hydrofuge ainsi que de l’application d’un joint d’étanchéité, qui sont nécessaires à la réparation des dommages déjà causés. M. A justifie du caractère spécial du préjudice, qu’il est seul à subir, et ce préjudice excède les sujétions normalement imposées aux riverains des voies publiques, de sorte que le caractère de gravité du préjudice doit être retenu. Le requérant produit à cet égard un devis du 12 novembre 2018 dont le département de la Seine-Maritime se borne à contester le caractère non contradictoire mais sans en remettre en cause les éléments qui y figurent. Le montant des travaux dont s’agit s’élève à la somme de 1 070,30 euros toutes taxes comprises, que le département de la Seine-Maritime sera condamné à verser à M. A.

12. En troisième lieu, compte-tenu notamment des projections d’eau sur sa façade et ses fenêtres, ainsi que de la présence de flaques importantes devant sa propriété, M. A justifie d’un préjudice de jouissance grave et anormal, dont il sera fait une juste appréciation en condamnant le département de la Seine-Maritime à lui verser la somme de 1 500 euros.

13. En dernier lieu, en revanche, l’existence d’un préjudice moral distinct du préjudice de jouissance ne résulte pas suffisamment de l’instruction et la demande présentée à ce titre par M. A ne peut, par suite, qu’être rejetée.

14. Il résulte de ce qui précède que le département de la Seine-Maritime doit être condamné à verser à M. A la somme de 2 570,30 euros.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

15. Lorsque le juge administratif statue sur un recours indemnitaire tendant à la réparation d’un préjudice imputable à un comportement fautif d’une personne publique et qu’il constate que ce comportement et ce préjudice perdurent à la date à laquelle il se prononce, il peut, en vertu de ses pouvoirs de pleine juridiction et lorsqu’il est saisi de conclusions en ce sens, enjoindre à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d’en pallier les effets. Lorsqu’il met à la charge de la personne publique la réparation d’un préjudice grave et spécial imputable à la présence ou au fonctionnement d’un ouvrage public, il ne peut user d’un tel pouvoir d’injonction que si le requérant fait également état, à l’appui de ses conclusions à fin d’injonction, de ce que la poursuite de ce préjudice, ainsi réparé sur le terrain de la responsabilité sans faute du maître de l’ouvrage, trouve sa cause au moins pour partie dans une faute du propriétaire de l’ouvrage. Il peut alors enjoindre à la personne publique, dans cette seule mesure, de mettre fin à ce comportement fautif ou d’en pallier les effets.

16. D’une part, les éléments produits par le requérant datent pour la plupart de 2018 à 2020, il n’a produit aucun élément récent, et rien ne permet de retenir que les dommages dont il se plaint perdurent à la date du présent jugement. D’autre part, le présent jugement ne retient aucune faute à l’encontre du département de la Seine-Maritime dans la conception ou l’exécution des travaux publics, mais seulement sa responsabilité sans faute en qualité de gardien d’un ouvrage public ayant causé des dommages à un tiers. Par suite, les conditions du prononcé d’une injonction à l’encontre du département de la Seine-Maritime, rappelées ci-dessus, ne sont pas réunies. Les conclusions présentées à ce titre par M. A ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les frais de justice :

17. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. A, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande le département de la Seine-Maritime. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du département de la Seine-Maritime une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens.

18. Enfin dans les circonstances de l’espèce, il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la communauté d’agglomération de la région dieppoise les frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er: Le département de la Seine-Maritime est condamné à verser à M. A la somme de 2 570,30 euros.

Article 2 : Le département de la Seine-Maritime versera à M. A une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la requête sont rejetées pour le surplus.

Article 4 : Les conclusions du département de la Seine-Maritime et de la communauté d’agglomération de la région dieppoise présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. B A, au département de la Seine-Maritime et à la communauté d’agglomération de la région dieppoise.

Délibéré après l’audience du 28 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Gaillard, présidente,

MM. Bouvet et Mulot, premiers conseillers,

Assistés de M. Tostivint, greffier.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 octobre 2023.

Le rapporteur,

signé

Robin Mulot

La présidente,

signé

Anne Gaillard

Le greffier,

signé

Henry Tostivint

La République mande et ordonne au préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

signé

S. Combes

N°2100911

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Textes cités dans la décision

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