Tribunal administratif de Versailles, 26 janvier 2017, n° 1502910

  • Harcèlement·
  • L'etat·
  • Enseignement supérieur·
  • Élève·
  • Justice administrative·
  • Enseignement public·
  • Éducation nationale·
  • Classes·
  • État·
  • Service public

Chronologie de l’affaire

Commentaires3

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Village Justice · 6 octobre 2023

En matière de harcèlement scolaire, l'un des premiers cordons de sécurité est l'administration (corps enseignants et affiliés, direction, rectorat, etc.). La réponse doit ensuite être adaptée et personnalisée à chaque situation, à défaut, des responsabilités pourraient être engagées. L'actualité a tristement rappelé l'ampleur du fléau que constitue le harcèlement scolaire et notamment l'absence de réponse efficace et systémique. En effet, si certains dossiers sont heureusement traités avec un réel succès par les établissements scolaires et les différents rectorats, la question du …

 

Une Information Lexbase · Actualités du Droit · 14 février 2017
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
TA Versailles, 26 janv. 2017, n° 1502910
Juridiction : Tribunal administratif de Versailles
Numéro : 1502910

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE VERSAILLES

1502910

M. X et Mme Y

M. G-Michel X Rapporteur

M. Ivan Y Rapporteur public

Audience du 12 janvier 2017 Lecture du 26 janvier 2017 60-02-015-01

sl RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le tribunal administratif de Versailles,

(1 ère chambre)

Vu la procédure suivante : Par une requête et un mémoire enregistrés le 11 mai 2015 et le 21 décembre 2016, M. X et Mme Y, représentés par Me Z, demandent au tribunal :

1°) de condamner l’Etat à leur verser, ainsi qu’à C et E F, leurs enfants, la somme de 410 000 euros à titre d’indemnité en réparation des préjudices matériels et moraux occasionnés par le défaut d’organisation du service public de l’enseignement à l’origine du suicide de leur fille B F le 13 février 2013, alors qu’elle était élève du collège G H de Briis-sous-Forges (Essonne) ;

2°) d’enjoindre à l’Etat de mettre en place le cadre réglementaire de traitement du harcèlement moral à l’école, par voie de décret ou de circulaire dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Par deux mémoires enregistrés le 18 novembre 2016 et le 5 janvier 2017, la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

— les requérants n’établissent pas qu’une situation anormale existait au sein du collège ;

— il n’est pas établi que B F aurait fait état de la réalité de son mal-être dans sa classe et notamment d’actes de harcèlement dont elle aurait fait l’objet ;

— le personnel enseignant et administratif n’avait pas connaissance d’actes de harcèlement dont elle aurait fait l’objet ;

— le collège avait mis en place dès le début de l’année scolaire 2012-2013 une politique active de lutte contre le harcèlement ;

— les actes de violence verbale et écrite des 12 février et 13 février 2013 se sont déroulés hors du collège, par le moyen du téléphone et d’internet ne permettant pas aux enseignants d’agir ;

— le préjudice matériel estimé à 10 000 euros n’est pas justifié ;

— les conclusions à fin d’injonction sont irrecevables.

Une note en délibéré de Me Z a été enregistrée au tribunal le 12 janvier 2017 à 18h24.

Vu la demande préalable datée du 29 avril 2015 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’éducation ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 12 janvier 2017 :

— le rapport de M. X ;

— les conclusions de M. Y, rapporteur public ;

— et les observations de Me Z pour M. X et Mme Y ;

1. Considérant qu’il résulte de l’instruction que B F, élève de 4 ème C au collège G H de Briis-sous-Forges, s’est suicidée, par pendaison, au domicile de ses parents à A, le 13 février 2013 à 13 heures ; qu’elle a laissé une lettre datée de ce jour, adressée à ce collège, dans laquelle elle cite six termes injurieux et menaçants adressés, la veille, à son encontre par des élèves du collège sur son compte « Facebook » ; que ses parents demandent à ce que soit retenue la responsabilité de l’Etat pour défaut d’organisation du service public de l’enseignement et que soit mise à sa charge la somme de 410 000 euros en réparation du préjudice moral et matériel subi par eux et leurs enfants ;

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-4 du code de l’éducation : « Dans tous les cas où la responsabilité des membres de l’enseignement public se trouve engagée à la suite ou à l’occasion d’un fait dommageable commis, soit par les élèves ou les étudiants qui leur sont confiés à raison de leurs fonctions, soit au détriment de ces élèves ou de ces étudiants dans les mêmes conditions, la responsabilité de l’Etat est substituée à celle desdits membres de l’enseignement qui ne peuvent jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants. / Il en est ainsi toutes les fois que, pendant la scolarité ou en dehors de la scolarité, dans un but d’enseignement ou d’éducation physique, non interdit par les règlements, les élèves et les étudiants confiés ainsi aux membres de l’enseignement public se trouvent sous la surveillance de ces derniers. / L’action récursoire peut être exercée par l’Etat soit contre le membre de l’enseignement public, soit contre les tiers, conformément au droit commun. / Dans l’action principale, les membres de l’enseignement public contre lesquels l’Etat pourrait éventuellement exercer l’action récursoire ne peuvent être entendus comme témoins. / L’action en responsabilité exercée par la victime, ses parents ou ses ayants droit, intentée contre l’Etat, ainsi responsable du dommage, est portée devant le tribunal de l’ordre judiciaire du lieu où le dommage a été causé et dirigée contre le représentant de l’Etat dans le département. / La prescription en ce qui concerne la réparation des dommages prévus par le présent article est acquise par trois années à partir du jour où le fait dommageable a été commis. » ; que ces dispositions trouvent à s’appliquer lorsque la faute recherchée est imputée à un auteur qualifié, la mise en jeu de la responsabilité des maîtres étant alors liée au devoir de surveillance qui leur incombe en contrepartie de l’autorité que leur confèrent leurs fonctions ; que ces dispositions sont en revanche inapplicables lorsque le préjudice trouve son origine dans un dommage afférent à un travail public ou dans un défaut d’organisation du service ; qu’ainsi, si la juridiction administrative n’est pas compétente pour apprécier les négligences ou un défaut de surveillance imputable à tel ou tel membre de l’enseignement nommément désigné, elle l’est si un défaut d’organisation du service public de l’enseignement ressort du dossier, lequel peut être révélé par un ensemble de fautes qui auraient pu relever du texte précité ;

Sur la responsabilité :

3. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que par lettre datée du mercredi 13 février 2013, découverte après le suicide de B F, celle-ci annonce son intention de se donner la mort et écrit : « Vous allez beaucoup trop loin dans cette histoire » et cite six termes injurieux formulés à son encontre sur son compte du réseau social « Facebook » par des collégiens ; que l’un de ces termes injurieux a été relevé sur le compte « Facebook », daté du 16 décembre 2012 ; qu’à compter du mois de janvier 2013, l’intensité de l’échange, entre collégiens, de messages agressifs au détriment de la victime sur le compte « Facebook » s’est accrue ; qu’il résulte du témoignage fait par une amie de B F, le 8 mai 2013, et produit à l’appui de la requête, que le 12 février 2013 cette dernière a été menacée physiquement par un attroupement de collégiens pendant le cours d’éducation physique motivé par la diffusion sur le site « Facebook » d’un terme injurieux à l’encontre d’une collégienne et qui lui était attribué ; que le même jour, lors de la récréation à l’heure du déjeuner, alors que B F avait quitté le collège pour rejoindre le domicile familial, un attroupement s’est formé dans la cour pour lui adresser d’autres messages injurieux et menaçants, par messagerie téléphonique ; qu’il résulte de la lettre du 13 février 2013 que le suicide de B F est en lien avec ce climat d’hostilité ; que si le site « Facebook » a été le principal vecteur matériel de cette hostilité, il n’en a pas été le lieu unique ;

4. Considérant en deuxième lieu, que les parents de B F soutiennent, sans être sérieusement contredits, que, dès le 12 octobre 2012, lors d’une réunion de parents d’élèves, la mère de la victime avait demandé au principal du collège et au professeur principal de la classe de 4 ème C de prendre toutes les mesures nécessaires pour rétablir la discipline dans la classe ; qu’au mois de novembre 2012, la mère de la victime avait demandé à ce que sa fille puisse être affectée dans une autre classe afin d’être soustraite au comportement de certains élèves ; qu’au cours du même mois, en réponse à deux appels lui demandant d’intervenir pour mettre un terme aux humiliations et intimidations subies quotidiennement par sa fille, le principal du collège se serait limité à tenir des propos rassurants et apaisants à la mère ; que Mme Y a tenté de demander à la secrétaire administrative et comptable de l’établissement de soutenir la demande de changement de classe de sa fille ; qu’en décembre 2012, à deux reprises, après que B F ait éclaté en sanglots au domicile familial, après s’être fait brimer et insulter en classe, le principal du collège n’a pas répondu aux appels téléphoniques de sa mère ; que le 7 décembre 2012, la mère de B, après l’avoir alerté sur la gravité du mal-être de sa fille, a demandé au professeur principal de la classe de 4 ème C de la prévenir en cas de changement de comportement de sa fille ; que ces différentes alertes intervenues pendant le premier trimestre de l’année scolaire 2012-2013 n’ont pas été prises en compte par le collège G H ;

5. Considérant en troisième lieu, que la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche soutient, dans son mémoire en défense, que le collège G H de Briis-sous-Forges avait mis en place une politique active de lutte contre le harcèlement reposant sur deux de ses agents ; qu’il résulte d’une note d’enquête rédigée par deux inspecteurs d’académie à la demande du recteur de l’académie de Versailles et produite avec le mémoire en défense que la classe de 4 ème C était considérée comme difficile en raison de la présence de quelques élèves ; que cette note mentionne que des actions de prévention avaient été effectuées l’année précédente, sans plus de précisions ; qu’elle conclut à la nécessité de : « poursuivre et accentuer la prévention du harcèlement et l’éducation au respect (réflexion sur le langage entre jeunes) » ; que toutefois, cette note n’analyse pas la mise en œuvre de cette politique de lutte contre le harcèlement, ni ne tente d’expliquer l’inefficacité de cette politique de prévention, dans le cas de ce collège et des circonstances de l’espèce ; que la ministre ne conteste ni la réalité de l’attroupement hostile et menaçant qui s’est constitué autour de B F, le 12 février 2013, pendant le cours d’éducation physique en présence du professeur principal, ni celle de l’attroupement qui s’est constitué pendant la récréation, le même jour, en présence du personnel de surveillance ; que si la ministre soutient que les responsables du collège n’ont jamais été alertés par la victime elle-même, ou par ses parents, sur la réalité du harcèlement qu’elle subissait, il résulte de ce qui précède que les évènements du 12 février 2013, survenant après les alertes faites par la mère de B F pendant le premier trimestre de l’année scolaire, auraient dû conduire les personnels concernés par les activités d’enseignement et de surveillance à prêter une attention particulière aux relations entre les élèves, à s’intéresser à la cause de phénomènes tels que des attroupements, notamment lorsqu’ils survenaient pendant un cours, à mettre en place les mesures destinées à y mettre un terme et de nature à prévenir le geste de la victime ; que dans ces circonstances, l’absence de réaction appropriée à des évènements et des échanges hostiles entre élèves qui se déroulaient pour partie sur les lieux et pendant les temps scolaires caractérise un défaut d’organisation du service public de l’enseignement de nature à engager la responsabilité de l’administration ;

6. Considérant toutefois, que la responsabilité de l’administration est atténuée par les circonstances que, d’une part, les échanges hostiles et menaçants ont été matérialisés, pour une partie importante d’entre eux, sur des sites électroniques ne relevant pas de la surveillance du service public de l’enseignement et que, d’autre part, ceux de ces échanges qui peuvent être retenus comme déterminants dans le geste de la victime se sont déroulés pendant les quarante-huit heures précédant son suicide, ce qui était de nature à limiter l’efficacité du dispositif de prévention qui aurait dû être mis en place ; que notamment, la preuve n’est pas rapportée de ce que, comme le soutiennent les requérants, des enseignants ou des membres du personnel du collège aient eu accès aux échanges entre collégiens sur le site « Facebook » ; qu’il résulte de ce qui précède qu’il sera fait une juste appréciation de la responsabilité de l’Etat en fixant celle-ci au quart des conséquences dommageables pour la victime et ses ayants droit ;

Sur le préjudice :

7. Considérant que, dans les circonstances de l’affaire, et eu égard à la fraction du dommage précitée imputable à l’Etat, il sera fait une juste appréciation de la réparation due à M. X et à Mme Y au titre de leur préjudice moral en condamnant l’Etat à leur verser d’une part une somme de 10 000 euros, ainsi qu’une somme de 6 000 euros, en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs, C et E F ;

8. Considérant qu’il sera, par ailleurs, fait une juste appréciation du préjudice subi par B F en raison des souffrances morales pendant la période au cours de laquelle les faits se sont déroulés du fait des manquements précités en condamnant l’Etat à verser à ses héritiers la somme de 2 000 euros ;

9. Considérant en revanche, que faute d’élément établissant l’existence du préjudice matériel invoqué, il n’y a pas lieu de condamner l’Etat au versement de la somme de 10 000 euros demandée à ce titre ;

10. Considérant que M. X et Mme Y et leurs enfants ont droit aux intérêts des sommes susvisées à compter du jour de la réception par l’Etat de leur demande ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

11. Considérant que le présent jugement n’implique pas qu’il soit enjoint à la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche de mettre en place le cadre réglementaire de traitement du harcèlement à l’école par voie de décret ou de circulaire dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement ; que les conclusions dont s’agit ne peuvent donc qu’être rejetées ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu’il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1500 euros au titre des frais exposés par M. X et Mme Y et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1 er : L’Etat est condamné à verser à M. X et à Mme Y la somme de 10 000 euros, et, en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs C et E F, la somme de 6 000 euros, lesdites sommes portant intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’Etat de leur demande.

Article 2 : L’Etat est condamné à verser aux héritiers de B F la somme de 2 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la réception de leur demande.

Article 3 : L’Etat versera à M. X et à Mme Y la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. X et à Mme Y et à la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Délibéré après l’audience du 12 janvier 2017, à laquelle siégeaient :

M. Delage, président, M. X, premier conseiller, M. D, premier conseiller,

Lu en audience publique le 26 janvier 2017.

Le rapporteur,

signé

J-M. X Le président,

signé

Ph. Delage

Le greffier,

signé

S. Lacascade

La République mande et ordonne à la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Tribunal administratif de Versailles, 26 janvier 2017, n° 1502910