Tribunal de grande instance de Paris, 6 juillet 1994, n° 9999

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 6 juill. 1994, n° 9999
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 9999

Texte intégral

Tribunal de grande instance de Paris (1re Ch.) 6 juillet 1994 Présidence de Mme RAMOFF

Y et Z contre agent judiciaire du Trésor public.

Le Tribunal. — Y et Z ont assigné le 1er octobre 1992 devant le Tribunal de grande instance de Nanterre J et la société « Médailles et objets de collections » pour faire juger notamment « que Z a la qualité d’associé de celle-ci à concurrence de 44 parts », et obtenir en conséquence la restitution « des exemplaires originaux de la cession de ces parts sociales consentie à son profit par Y le 30 décembre 1990 ».

Y et Z ayant été déboutés de leurs prétentions par jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre en date du 25 mai 1993, interjetaient appel de cette décision le 4 juillet suivant devant la Cour d’appel de Versailles.

Le conseiller de la mise en état de la 3e Chambre à laquelle l’affaire avait été distribuée donnait à l’automne 1993 injonction aux intimés de répliquer avant le 20 avril 1995 aux écritures déposées par Y et Z et fixait la date des plaidoiries au 31 mai 1996.

Considérant que ce délai « invraisemblable » et « totalement inacceptable » ne répond pas aux prescriptions de l’art. 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, ratifiée par la France, imposant aux juridictions étatiques d’évacuer les affaires dans un délai « raisonnable », et serait constitutif d’un déni de justice ainsi que, « se surajoutant à cette qualification », d’une faute lourde, Y et Z ont le 9 décembre 1993 assigné l’Etat français pris en la personne de l’agent judiciaire du Trésor, pour obtenir, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, le paiement de la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts et de celle de 8 000 francs en application des dispositions de l’art. 700 nous C. pr. civ.

Par conclusions du 3 mai 1994, l’Agent judiciaire du Trésor résiste à ces prétentions en faisant valoir que « le stock des affaires à juger devant la 3° Chambre de la Cour d’appel de Versailles était déjà, au moment de la date de l’audience de plaidoiries, de 2 277 affaires » et que les avoués des parties n’ont à aucun moment saisi le conseiller de la mise en état d’une demande de fixation à bref délai en application des dispositions de l’art. 910 nouv. C. pr. civ.

Bien qu’estimant que pour ces raisons la responsabilité de l’Etat ne devrait pas se trouver engagée, l’agent judiciaire du Trésor « laisse toutefois le soin au Tribunal d’apprécier si la fixation de la date des plaidoiries au 31 mai 1996… constitue une faute lourde de l’Etat au sens des dispositions de l’art. L. 781-1 C. organ. jud. ». Il prétend qu’en tout état de cause les demandeurs ne justifieraient d’aucun préjudice et « à titre subsidiaire s’en remet à la sagesse du Tribunal ».

Par conclusions du 19 mai 1994, Y et Z qui, parce qu’ils sont ainsi contraints de rester dans l’incertitude quant à la composition du capital et au « devenir » de l’entreprise familiale, enjeux du litige soumis à la Cour, se prévalent d’un préjudice « considérable », font essentiellement valoir, en réitérant leurs prétentions initiales, que « le délai qui leur est imposé ne résulte pas de la lenteur des parties à conclure ou la complexité même de l’affaire mais uniquement d’une fixation autoritaire d’un calendrier de procédure qui ne peut en aucun cas être modifié ». Ils ajoutent que les dispositions de l’art. 910 nouv. C. pr. civ., dont au demeurant « il n’est plus fait application depuis longtemps devant la Cour de Versailles », ne peuvent être avec pertinence invoquées par le défendeur dans la mesure où en toute hypothèse l’affaire n’était pas « urgente par essence ».

Attendu qu’il faut entendre par déni de justice non seulement le refus de répondre aux requêtes ou le fait de négliger de juger les affaires en état de l’être, mais aussi, plus largement, tout manquement de l’Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu ;

Attendu que par ailleurs les dispositions de l’art. 6 de la Convention européenne des droits de l’homme imposent aux juridictions étatiques de statuer dans un délai raisonnable ;

Attendu que ne peut être considéré comme tel en l’espèce le renvoi, non justifié par des motifs inhérents à l’affaire elle-même, de la date des plaidoiries près de 3 ans après l’enregistrement de la déclaration d’appel, et alors que rien ne démontre que les dispositions de l’art. 910 nouv. C. pr. civ. invoquées par l’agent judiciaire du Trésor aient pu recevoir application ; que ce délai anormal, imposé dès le début de la procédure par un acte d’administration judiciaire insusceptible de recours et qui est révélateur d’un fonctionnement défectueux du service de la Justice, équivaut à un déni de justice en ce qu’il prive le justiciable de la protection juridictionnelle qu’il revient à l’Etat de lui assurer ;

Attendu que la responsabilité de l’État se trouve dans ces conditions engagée ; que les demandeurs ne justifiant, en cette instance, en raison de ce dysfonctionnement du service de la Justice, que d’un préjudice de principe, celui-ci sera suffisamment compensé par l’allocation à leur profit de la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts ; qu’il convient de faire bénéficier Y et Z des dispositions de l’art. 700 nouv. C. pr. civ. ; qu’enfin, l’exécution provisoire n’est pas nécessaire ;

Par ces motifs, — Le Tribunal condamne l’agent judiciaire du Trésor à payer à Y et à Z la somme de un franc à titre de dommages intérêts et celle de 8 000 francs en application des dispositions de l’art. 700 nouv. C. pr. civ. ; rejette le surplus de la demande ; laisse les dépens à la charge du Trésor.

Mme FEYDEAU, vice-prés. ; M. BREILLAT, vice-prés. ; M. LAUTRU, 1er substitut ; Maîtres de LA VAISSIERE, GALLOT LE LORIER, avoués

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