Tribunal de grande instance de Paris, 1re chambre 1re section, 27 octobre 2004, n° 03/17336

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 1re ch. 1re sect., 27 oct. 2004, n° 03/17336
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 03/17336

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

1re chambre 1re section

N° RG :

03/17336

N° MINUTE :

Assignation du :

15 juillet 2003

INCOMPÉTENCE AU PROFIT DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE

[…]

Expéditions

exécutoires

délivrées le :

JUGEMENT

rendu le 27 octobre 2004

DEMANDERESSE

S.A. PALMETTO

[…]

L 1118 LUXEMBOURG

représentée par la SCP Charles SIRAT – I-Paul GILLI, avocats au barreau de PARIS, avocats postulants, vestiaire P0176, assistée de Me I-Marc FEDIDA, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire E485

DÉFENDEURS

AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR

[…]

[…]

[…]

représenté par Me I-Marc DELAS, avocat au barreau de PARIS,

vestiaire A 82

Monsieur I-J X

[…]

[…]

représenté par Me G H, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire M 571, assisté de la SCP BOUZEREAU MANDRUZEATO, avocats au barreau de DRAGUIGNAN, avocats plaidants

MINISTERE PUBLIC

Madame Pauline CABY, Substitut

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Jacques GONDRAN DE ROBERT, Premier Vice-Président

Président de la formation

Madame Marie-France LECLERCQ-CARNOY, Vice-Présidente

Madame Martine TAILLANDIER-THOMAS, Vice-Présidente

Assesseurs

assistés de Christelle DANDURAND, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 22 septembre 2004

tenue publiquement

JUGEMENT

Prononcé en audience publique

Contradictoire

En premier ressort

Vu les assignations introductives d’instance des 15 juillet, 18 août 2003 et du 13 juillet 2004, de la SA PALMETTO, société de droit luxembourgeois, tendant à voir condamner in solidum l’Etat Français et à titre personnel M. A X à lui verser en principal la somme de 16 millions d’euros, pour voies de fait, dont 15 millions en raison de la démolition d’une villa ;

Vu le déclinatoire de compétence du Préfet de la région d’Ile-de-France Préfet de Paris, communiqué le 29 décembre 2003 par le Ministère Public, qui est au renvoi de l’affaire et des parties devant la juridiction administrative ;

Vu les dernières conclusions de la société PALMETTO en date du 22 mars 2004, qui sont à la compétence de la juridiction de céans – seule question à trancher aujourd’hui – avec renvoi des parties à conclure au fond ultérieurement ;

Vu les dernières conclusions sur la compétence de l’Agent Judiciaire du Trésor (« A.J.T. ») en date du 1er mars 2004, qui sont à l’incompétence au profit du Tribunal administratif de Nice ;

Vu les dernières conclusions sur la compétence de M. X en date du 17 mars 2004, qui sont à l’incompétence ;

Vu les conclusions sur la compétence du Ministère Public en date du 17 février 2004, qui sont également à l’incompétence ;

Vu notamment l’ordonnance du 1er juin 1828 modifiée relative aux conflits d’attribution et l’article 96 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu l’ordonnance de clôture en date du 5 mai 2004 ;

SUR CE

1 – La SCI « Le Chemin du Cap » (« la SCI ») – dont M. B Y était le gérant et dont M. C Z, promoteur immobilier, était porteur majoritaire des parts – acquérait en 1987 une propriété située au Cap d’Antibes, presqu’île de l’Ilette, […]) constituée d’une villa de 241,37 m² et de deux annexes de 28,29 m² et 52,50 m².

La parcelle se trouvait classée en zone "Nda« , ce qui signifiait que toute construction était interdite sous réserve d’une extension possible des bâtiments existants dans la limite de 30 % de la surface hors oeuvre nette ( »SHON") existant.

Un permis de construire était délivré le 18 janvier 1989 à la SCI afin de réhabiliter et d’étendre la villa existante, puis le 9 juillet 1991 un permis modificatif.

En 1990 et en 1993, la Direction départementale de l’équipement des Alpes-Maritimes dressait des procès-verbaux faisant apparaître que les constructions réalisées ne respectaient ni les permis de construire délivrés, ni les règles du plan d’occupation des sols.

Face à ces irrégularités, le Maire d’Antibes, le 20 décembre 1993, rapportait les arrêtés de permis de construire de 1989 et de 1991.

Le 22 décembre 1993, la SCI qui avait acquis la propriété moyennant une somme de 7.700.000 FF, la vendait à M. Mme D E pour la somme de 40.000.000 F, puis le 17 juillet 1997, par acte notarié toujours, l cédaient à la SA PALMETTO, moyennant le prix de 59.310.000 F.

2 – Le Tribunal correctionnel de Grasse, par jugement du 26 mars 1999, déclarait M. M. Y et Z coupables des délits d’infraction à la législation sur l’urbanisme et de complicité d’obtention indue de documents administratifs. Le Tribunal les condamnait respectivement à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis assortie d’une amende délictuelle de quinze millions de francs et à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis assortie d’une amende délictuelle de trois cent mille francs.

Etait relevé en particulier que, déterminé dès le départ à procéder à la démolition du bâtiment principal et de l’une de ses annexes, pour réaliser – non pas une simple extension de l’existant, mais une construction nouvelle qui ne pouvait être autorisée – M. Z avait fait présenter par M. Y, gérant de la SCI, une demande de permis de construire, inexacte, prévoyant un projet d’extension de l’existant conforme aux prescriptions du plan d’occupation des sols.

Etait retenu qu’à la suite de la rédaction, par un agent de la Direction départementale de l’équipement, d’un premier procès-verbal de constat du dépassement de la surface hors oeuvre nette autorisée, M. Y avait, conformément aux instructions de M. Z, déposé une demande de permis de construire modificatif tendant à augmenter les possibilités d’extension en surface des bâtiments, alors que ceux-ci avaient été démolis, et dissimulé la réalité des travaux conduits en sous-sol.

Cette juridiction devait statuer notamment ainsi : "Ordonne la démolition des constructions déjà réalisées et la remise en état antérieur des terrains, dans un délai de 6 mois à compter de la date à laquelle la décision deviendra définitive" sous astreinte, passé ce délai, de 500 francs par jour de retard à l’encontre de M. Z et de M. Y (cf. page 48).

Ce jugement était définitif en ce qui concerne M. Y qui n’a pas formalisé de recours à son encontre.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence sur appels notamment de M. Z et du Ministère Public, par arrêt du 13 juin 2000, après avoir retenu dans ses motifs "que comme l’a fait le tribunal, il y a lieu de condamner C Z à la démolition totale de la construction litigieuse et la remise en état des lieux« (cf. page 50), énonce dans son dispositif à l’encontre de M. Z qu’elle »le condamne à la démolition totale de la construction et à la remise en état des lieux" (cf. page 51).

Le pourvoi formé contre cet arrêt par M. Z ayant été rejeté par la Cour de cassation le 3 avril 2001 et la requête en révision de ce dernier ayant également été rejetée par la Commission de révision des condamnations pénales le 17 juin 2002, cet arrêt est devenu également définitif en ce qui concerne M. Z.

3 – La société PALMETTO, propriétaire de la villa, s’opposant aux mesures de démolition totale des constructions litigieuses et de remise en état, ainsi que M. Y et M. Z, ont présenté une requête en difficulté d’exécution auprès du Tribunal de grande instance de Grasse. Ce dernier, par jugement du 10 octobre 2001 – décision confirmée par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 14 mai 2002 – a rejeté ces requêtes.

M. M. Z et Y n’ayant procédé ni l’un ni l’autre à la démolition des nouvelles constructions et à la remise en état des lieux dans le délai qui leur avait été imparti, le Préfet des Alpes-Maritimes a engagé une procédure de démolition d’office.

Sur le fondement de l’article L.480-9 du Code de l’Urbanisme, en particulier de son second alinéa, l’Etat Français a assigné la société PALMETTO devant le Tribunal de grande instance de Grasse qui – par un jugement du 17 juillet 2002, signifié notamment le 23 juillet 2002 aux conseils de cette dernière – a ordonné l’expulsion de celle-ci dans un délai de 48 heures à compter de la signification de la décision, et ce avec exécution provisoire.

Par ordonnance du 21 octobre 2002, le Premier président de la Cour d’appel a rejeté la demande de suspension de cette exécution provisoire. L’appel sur le tout devrait être examiné à l’audience du 28 septembre 2004.

La société PALMETTO, par ailleurs, avait saisi le Juge de l’exécution du Tribunal de grande instance de Grasse qui, suivant jugement du 5 novembre 2002, l’a déboutée.

De la même façon, le Président du Tribunal de grande instance de Grasse, également saisi, s’est déclaré incompétent en sa qualité de juge des référés pour faire défense, tant au Maire d’Antibes qu’au Préfet des Alpes-Maritimes, de pénétrer sur la propriété.

En fait, la procédure d’expulsion a été effectivement engagée le 4 octobre 2002. Les meubles présents dans la villa ont été mis en garde-meuble. La démolition de la villa a été entreprise le 22 octobre 2002.

C’est dans ces conditions que la société PALMETTO a initié la présente procédure.

4 – Il y a voie de fait – qui peut être constatée par le juge administratif mais également par le juge judiciaire, au choix du plaignant – lorsque une autorité administrative commet une action ou prend une mesure qui porte atteinte gravement à une liberté fondamentale ou au droit de propriété lorsque soit la décision est manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à ladite administration, soit lorsqu’il a été procédé par celle-ci à une exécution forcée dans des conditions irrégulières.

La société PALMETTO, en substance, soutient que l’Etat et M. X en personne, alors Directeur départemental de l’équipement des Alpes-Maritimes et aujourd’hui Directeur régional de l’équipement de la Région Centre, ont commis deux voies de fait :

— d’une part, en faisant démolir la villa lui appartenant, sans avoir sollicité préalablement du juge judiciaire un véritable titre lui permettant d’y procéder, alors que la mesure de démolition avait été prononcée à titre de sanction pénale complémentaire contre M. M. Y et Z et ne présentait donc pas le caractère d’une mesure réelle.

— d’autre part, en ne lui restituant pas les matériaux de valeur que comportait la villa, et notamment des portes en bronze fondues par le sculpteur César, qui lui appartenaient.

La société PALMETTO soutient que la sanction pénale a été exécutée – non pas à l’encontre des auteurs de l’infraction, qui lui ont vendu la villa, mais à son égard alors qu’elle n’a elle-même commis aucune infraction. Préalablement à toute mesure, il eût été nécessaire que soit ordonnée la démolition de la construction, ce qui n’a pas été décidé – selon elle – ni par les juridictions pénales ni par les juridictions civiles, en particulier par le jugement du 17 juillet 2002 qui n’a prononcé que son expulsion.

La société PALMETTO met en cause la responsabilité de l’Etat et celle personnelle de M. X, pour avoir agi manifestement en dehors de toute voie de droit.

4a - Or, contrairement aux allégations avancées par la société PALMETTO, la mesure de démolition au-delà d’une certaine maladresse dans la lettre, a été ordonnée par les juridictions correctionnelles sur le fondement de l’article L.480-5 du Code de l’urbanisme, ainsi qu’il est précisé expressément par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence dans son arrêt du 13 juin 2000 (cf. 3e attendu, page 49).

De plus les mesures prévues au titre de cet article ne peuvent être ordonnées par le juge pénal qu’à l’occasion d’une condamnation principale prononcée, quant à elle, au titre de l’article L.480-4 du code susvisé. Cette condition, expressément posée par l’article L.480-5, exclut que la mesure ordonnée contre M. M. Z et Y ne s’analyse comme une condamnation à titre principal au sens de l’article 131-3 du Code pénal, laquelle constituerait une violation du principe du non-cumul des peines.

Au surplus, les mesures ordonnées au titre de l’article L.480-5 ne sont ni des condamnations, ni des peines complémentaires au sens de l’article 131-10 du Code pénal. Elles constituent – non des sanctions pénales – mais des mesures à caractère réel destinées à faire cesser une situation illicite.

En définitive, la démolition totale a bien été ordonnée par décision de justice irrévocable et opposable à la société PALMETTO et le fait que M. M. Z et Y auteurs des infractions aient postérieurement à la date des faits litigieux perdu leur qualité de bénéficiaires des travaux au sens de l’article L.480-4 du Code de l’urbanisme, est sans incidence sur la mesure de "restitution" du fait de son caractère réel.

4b – L’article L.480-9 du Code de l’urbanisme réglemente l’exécution des décisions de justice relatives aux infractions aux dispositions du Code de l’urbanisme en ces termes : "Si à l’expiration du délai fixé par le Juge, la démolition, la mise en conformité, ou la remise en état ordonnée n’est pas complètement achevée, le Maire, ou le fonctionnaire compétent peut faire procéder d’office à tous travaux nécessaires à l’exécution de la décision de justice aux frais et risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l’utilisation irrégulière du sol.

« Au cas où les travaux porteraient atteinte à des droits acquis par des tiers sur les lieux ou ouvrages visés, le Maire ou le fonctionnaire compétent ne pourra faire procéder aux travaux mentionnés à l’alinéa précédent qu’après décision du Tribunal de grande instance qui ordonnera, le cas échéant, l’expulsion de tous occupants."

Le second alinéa de l’article L.480-9 du Code de l’urbanisme permet d’éviter qu’une simple vente – comme en l’occurrence – rende impossible la démolition d’une construction illégale et, par là, mette en échec l’exécution de la chose jugée. Il importe peu, en conséquence, que la société PALMETTO n’ait pas été appelée en la cause au cours de la procédure pénale diligentée à l’encontre de M. M. Z et Y, ou que la décision judiciaire ordonnant la démolition n’ait pas été signifiée antérieurement à la demande d’expulsion alors que celle-là était rappelée dans l’acte d’assignation signifié « à personne » au Luxembourg le 20 février 2002.

Il faut également souligner que la société PALMETTO était parfaitement informée, avant l’achat, de la situation juridique de l’immeuble et des procédures en cours qui sont décrites de façon détaillée dans l’acte notarié du 17 juillet 1997. Les conditions générales de vente mentionnent explicitement que l’acquéreur, après avoir été informé par le notaire des risques encourus par l’acquisition de l’immeuble dans l’état des procédures actuelles, faisait son "affaire personnelle des conséquences des procédures en cours relatives aux constructions (…) et de tous les risques encourus en qualité de propriétaire de l’immeuble."

Il y a lieu de relever, par ailleurs, que le jugement ordonnant l’expulsion était exécutoire par provision et qu’il a statué sur l’existence éventuelle de scellés en considérant que quand bien même ceux-ci étaient encore apposés, leur existence éventuelle est "inopérante", car il appartiendrait à l’Etat Français – et non à la société PALMETTO – de trouver une solution.

En conséquence, la démolition totale des constructions litigieuses a été effectuée dans des conditions légales régulières, excluant toute voie de fait.

S’agissant des meubles qui n’auraient pas été restitués à la société PALMETTO, il faut noter que cette dernière a disposé du temps nécessaire pour faire procéder à l’enlèvement de l’ensemble des meubles et qu’elle ne justifie pas en outre de la présence de portes de valeur au jour de la démolition.

Enfin, les décisions prises par M. X pour mener à bien l’exécution de la décision de justice définitive l’ont été dans l’exercice de ses fonctions de Directeur départemental de l’équipement des Alpes-Maritimes et avec les moyens du service. Elles ne peuvent en conséquence que relever de la responsabilité éventuelle de l’Etat, sans qu’il soit possible de rechercher sa responsabilité civile personnelle. Aucune voie de fait ne saurait lui être opposée.

En définitive, c’est à tort que la société PALMETTO allègue l’existence des voies de fait. Dès lors, il incombe à la juridiction de céans de décliner sa compétence au profit des juridictions de l’ordre administratif.

Par application des dispositions de l’article 699 du nouveau Code de procédure civile, les dépens doivent être mis à la charge de la société PALMETTO, avec distraction au profit des avocats de l’Agent Judiciaire du Trésor et de M. X qui en ont fait la demande.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL

1) Décline sa compétence au profit de la juridiction administrative ;

2) Condamne la SA PALMETTO aux entiers dépens de la présente instance, avec distraction au profit de Maître G H et de Maître I-Marc DELAS.

Fait et jugé à Paris le 27 octobre 2004

Le Greffier

C. DANDURAND

Le Président

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