CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 96PA03055

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Décision précédente : Tribunal administratif de Versailles, 3 juillet 1996

Texte intégral

C.D.
Audience du 2 juillet 1997
N( 96PA03055 Lecture du 11 juillet 1997
------------ […] c/ Société Transurba
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Conclusions de M. X
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Commissaire du Gouvernement
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En bords de Seine à la Roche-Guyon, dans le département du Val-d(Oise, est édifié un château dont les origines remontent au XIIe siècle, et qui fait partie du patrimoine de la famille de la Rochefoucauld pratiquement sans interruption depuis le XVIIe siècle. Les travaux réalisés par cette famille, notamment au XVIIIe siècle, ont donné au château son aspect actuel.
Le 6 janvier 1943, un arrêté du ministre de l(éducation nationale a classé le château monument historique, en application de l(article 1 de la loi du 31 décembre 1913.
En 1987, la société Transurba, marchand de biens, a acquis pour le compte de M. Y de la Rochefoucauld certains biens faisant partie de la succession du duc de la Rochefoucauld, et, notamment, le château de la Roche-Guyon.
En 1991, la société Transurba a proposé au musée du Louvre d(acquérir deux bas-reliefs en marbre du sculpteur Félix Lecomte, intitulés (Les Arts( et (La Fortune(, signés et datés de 1769, qu(elle avait enlevés du dessus des portes où ils étaient jusqu(alors disposés, dans le grand salon aménagé dans l(aile ouest du château, dite (Pavillon d(Enville(, du nom de B C de la Rochefoucauld, duchesse d(Enville, propriétaire du château de 1762, date de la mort de son père le duc Z de la Rochefoucauld, jusqu(à sa propre mort en 1797. Alerté par le département des sculptures du musée, le ministre de la culture a considéré que ces bas-reliefs étaient des immeubles par nature, concernés, en conséquence, par l(arrêté de classement du 6 janvier 1943 ; il a déposé plainte le 31 juillet 1991 pour dépeçage de biens classés monuments historiques entre les mains du doyen des juges d(instruction du tribunal de grande instance de Paris. La plainte a fait l(objet le 16 février 1994 d(une ordonnance de non-lieu, en raison de la prescription de l(action ; mais, le 10 juillet 1995, le ministre de la culture a ordonné la remise en place des bas-reliefs, placés depuis 1991 dans une réserve dépendant du musée du Louvre, sur le fondement de l(article additionnel ajouté à la loi du 31 décembre 1913 par la loi du 23 juillet 1927, qui dispose que (quand un immeuble ou une partie d(immeuble aura été morcelé ou dépecé en violation de [la loi du 31 décembre 1913], le ministre des beaux-arts pourra faire rechercher, partout où ils se trouvent, l(édifice ou les parties de l(édifice détachées et en ordonner la remise en place, sous la direction et la surveillance de son administration, aux frais des délinquants vendeurs et acheteurs pris solidairement(.
Le mandataire judiciaire à la liquidation de la société Transurba a demandé l(annulation de l(arrêté du 10 juillet 1995 au tribunal administratif de Versailles. Celui-ci, après une visite à la Roche-Guyon et une visite au Louvre, a estimé, conformément aux suggestions du commissaire du Gouvernement, notre collègue F-G H, dont les conclusions sont publiées au Dalloz de 1997 p. 33 du 3e cahier de jurisprudence, que les bas-reliefs constituaient non des immeubles par nature, mais des immeubles par destination, et n(étaient donc pas concernés par le classement de 1943 ; en conséquence, il a annulé l(arrêté du 10 juillet 1995 par un jugement du 4 juillet 1996 dont le ministre de la culture fait régulièrement appel.
Indiquons, pour la parfaite information de la cour, et sans en tirer aucune conséquence juridique, que, par un arrêté du 18 novembre 1991, le ministre de la culture avait, sur le même fondement de l(article additionnel à la loi du 31 décembre 1913, ordonné la remise en place des boiseries de la bibliothèque située dans la même aile du château que la société Transurba avait démontée pour la vendre, et que, par jugement du 25 février 1995, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la requête de la société Transurba contre cet arrêté, estimant que ces boiseries formaient avec le gros oeuvre un (tout indivisible(, et étaient concernées, au même titre que ce gros oeuvre, par le classement de 1943.
Le ministre de la culture met tout d(abord en cause la régularité du jugement, qui, en indiquant qu((il n(est établi par aucune pièce versée au dossier que les bas-reliefs (…) ont été conçus pour être, dès l(origine, incorporés au sein du grand salon de la Roche-Guyon(, aurait illégalement renversé la charge de la preuve, qui incombait, en l(occurrence, à la société Transurba.
Vous ne pourrez suivre le ministre dans cette voie. Vous savez qu(en excès de pouvoir, il n(y a pas, à proprement parler, une charge de la preuve, comme dans le contentieux fiscal. Le juge forge sa conviction au vu des pièces du dossier, c(est ce qu(il a fait ici, sans qu(aucun reproche puisse lui être adressé, relativement à la procédure suivie.
Sur le fond, la question centrale de cette affaire, vous l(aurez compris, est de savoir si les bas-reliefs sont des immeubles par nature, ou bien des immeubles par destination, assimilés à des objets mobiliers par l(article 14 de la loi du 31 décembre 1913, et donc non concernés par le classement de 1943, qui ne portait que sur les immeubles – par nature – formant le château.
Le point d(ancrage jurisprudentiel de la controverse est un arrêt du 19 mars 1963 de la 1re chambre civile de la Cour de cassation, société Carlhian c/ société Eudoxia et autres, publié au bull. civ. I n( 171 p. 150 et au JCP 1963 II n( 13190 avec une note de D E, dans lequel la Cour de cassation a estimé qu(avait fait une exacte application de la loi une cour d(appel qui avait attribué à des boiseries décorant un salon de l(hôtel particulier de Bauffremont, à Paris, le caractère d(immeuble par nature, en relevant que ces boiseries formaient, avec l(ensemble meuble des constructions auxquelles elles ont été dès l(origine intimement et spécialement incorporées, (un tout indivisible et ne sauraient être séparées du bâtiment dont s(agit sans porter atteinte à l(intégrité de celui-ci(.
De cette unique jurisprudence, il résulte que les bas-reliefs ici en débat peuvent être qualifiés d(immeubles par nature sous deux conditions cumulatives : d(une part avoir été mis en place au moment de la réalisation de l(ensemble immobilier dont ils constituent une partie du décor, d(autre part s(intégrer dans cet ensemble au point de faire corps avec lui.
Contrairement à votre collègue H, il nous semble que ces deux conditions sont ici remplies.
En premier lieu, l(hypothèse selon laquelle les bas-reliefs ont été exécutés et mis en place à l(occasion de la réalisation du décor du grand salon du pavillon d(Enville du château de la Roche-Guyon nous paraît la plus probable. Il est vrai que l(aile dans laquelle se trouve ce salon a été réalisée dans les années 1740 par le père de la duchesse d(Enville ; mais il n(est pas sérieusement contesté par la société Transurba et ressort de travaux érudits concernant le château de la Roche-Guyon, que le grand salon lui-même a été réalisé à l(initiative de la duchesse dans la deuxième moitié de la décennie 1760 ; par ailleurs, la date mentionnée sur les bas-reliefs – 1769 – est celle de l(achèvement du salon, et il nous paraît très significatif d(une part que les thèmes des bas-reliefs soient des thèmes de prédilection de la duchesse d(Enville, d(autre part que les plans présentés au génie des Arts par les angelots, sur l(un des bas-reliefs, soient ceux de l(aile du château où se trouve le grand salon. L(hypothèse concurrente, selon laquelle les bas-reliefs auraient été réalisés pour être intégrés dans un autre décor, avant d(être déplacés pour combler des vides du décor du grand salon d(Enville, ne peut, elle, s(appuyer sur aucun indice probant ; notamment, la différence d(aspect des tranches des blocs de marbre, supports des reliefs, peut parfaitement s(expliquer par les méthodes d(extraction du marbre des carrières ; et le cadrage des bas-reliefs, qui, dans le cas du génie des Arts, ampute le génie d(une partie de son aile, et, dans le cas de la Charité, ne permet d(apercevoir qu(une partie du vase et des pièces, ne constitue nullement une entorse aux principes stylistiques de la sculpture des XVIIe et XVIIIe siècles, dont pourrait être déduite une modification, par amputation d(une partie, de l(état d(origine des bas-reliefs.
En deuxième lieu, il résulte d(un compte-rendu d(une visite effectuée au château le 15 octobre 1996 par M. A, ébéniste, à la demande de l(inspection des monuments historiques, et au cours de laquelle les deux moulures latérales d(encadrement du bas-relief le (génie des Arts( ont été déposées, que les bas-reliefs n(ont pas été simplement fixés sur le mur, comme une glace ou une tapisserie, mais ont été encastrés dans celui-ci, grâce à une entaille d(environ dix centimètres de profondeur pratiquée dans la maçonnerie et sur une partie de la poutre de bois qui fait office de linteau des portes ; l(entaille dans la maçonnerie a une superficie un peu supérieure à celle du bas-relief, pour permettre sa mise en place. M. A indique que les bas-reliefs étaient maintenus, en partie basse, par la poutre en bois, à l(arrière, par des plots en plâtre, et en partie haute par deux pattes en fer forgé ; il ajoute que, pour assurer un parfait scellement, le vide entre les bas-reliefs et le mur était comblé au plâtre.
Ces constatations n(avaient pu être faites par le tribunal lors de sa visite au château, au cours de laquelle il n(a pas poussé ses investigations aussi loin, faute de pouvoir faire déposer les moulures.
Le syndic de la société Transurba conteste les conclusions auxquelles est parvenu l(ébéniste ; mais le compte-rendu de la visite effectuée par celui-ci est accompagné de photos précises qui confirment ses dires. Et le défendeur, qui aurait pu, de son côté, procédé aux mêmes investigations, pour tenter de contredire M. A, ne l(a pas fait ; il se borne à faire valoir que, lors de la dépose des bas-reliefs d(origine, l(entrepreneur a pu passer des élingues entre les bas-reliefs et le mur ; mais ceci n(est nullement contradictoire avec les constatations faites par l(ébéniste, qui mentionne un point de plâtre entre la tranche des bas-reliefs et le mur, mais, seulement, à l(arrière, entre l(envers du bas-relief et le fond de l(entaille de la maçonnerie, des plots de plâtre, dont l(objet n(était pas de fixer le bloc de marbre, mais d(en empêcher le basculement ; entre ces plots subsistait un espace vide dans lequel des élingues ont pu passer.
Compte tenu de ces entailles pratiquées à la fois dans les poutres formant linteaux des portes, et dans la maçonnerie, et quels que soient les autres modes de fixation des bas-reliefs, vous ne pouvez à notre sens qu(admettre que ceux-ci font corps avec le mur, dès lors que, séparés de celui-ci, ils laissent apparaître l(entaille qui, pour reprendre l(expression utilisée dans l(arrêt précité du 19 mars 1963, porte atteinte à l(intégrité de celui-ci.
Vous considérerez donc, au contraire du tribunal – mais celui-ci ne disposait pas, malgré la visite sur les lieux, des mêmes éléments d(informations, que les bas-reliefs avaient bien le caractère d(immeuble par nature, et que leur dépose a bien constitué un dépeçage au sens de l(article additionnel ajouté à la loi du 31 décembre 1913 par la loi du 23 juillet 1927.
L(effet dévolutif de l(appel vous amènera à examiner l(unique autre moyen soulevé par la société Transurba, tiré de ce que l(arrêté du 10 juillet 1995 a été incompétemment signé par le sous-directeur des monuments historiques, I J-K. Ce moyen sera écarté, puisque l(article 7 d(un décret du 29 juin 1995 publié au Journal officiel du 1er juillet 1995, qui vise un arrêté du 30 mai 1995 par lequel le ministre de la culture a donné délégation au directeur du patrimoine, Maryvonne de Saint-Pulgent, a prévu qu(en cas d(absence ou d(empêchement de celle-ci, délégation était donnée, dans les mêmes conditions, à I J-K, sous-directeur.
Partie perdante si vous nous suivez, la société Transurba ne peut obtenir la condamnation de l(Etat au versement d(une somme représentative des frais non compris dans les dépens et nous ne pensons pas qu(il y ait lieu, dans les circonstances de l(espèce, de condamner la société Transurba à verser à l(Etat la somme qu(il réclame sur le fondement de l(article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d(appel.
Par ces motifs, nous concluons :
- à l(annulation du jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 4 juillet 1996 ;
- au rejet de la demande présentée par la société Transurba au tribunal administratif de Versailles et tendant à l(annulation de l(arrêté en date du 10 juillet 1995 par lequel le ministre de la culture a ordonné la remise en place des bas-reliefs en marbre du grand salon du château de la Roche-Guyon ;
- au rejet du surplus des conclusions du recours du ministre de la culture ;
- au rejet des conclusions de la société Transurba tendant à ce que l(Etat soit condamné à lui verser une somme au titre des frais non compris dans les dépens.

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