CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 09PA02328

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 26 février 2009
Précédents jurisprudentiels : 31 août 2009, commune de Grégols n° 296458
C.E. 27 février 2007 société PPN SA, n° 2926615

Texte intégral

N° 09PA02328
Ministre de l’écologie (DGAC) C/ compagnie […]
Séance du 30 mai 2011
Lecture du 7 juillet 2011
CONCLUSIONS de Mme Anne SEULIN, Rapporteur public
Cette affaire revient aujourd’hui devant vous après un renvoi motivé par la nécessité de faire traduire en français les pièces rédigées en langue anglaise produites la direction générale de l’aviation civile au soutient de sa requête en appel.
La consultation de ces pièces traduites en français, après que nous les ayons consultées en anglais et vous avoir présenté nos conclusions lors de l’audience du 2 novembre 2010, nous amène à confirmer pleinement nos conclusions tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Paris du 27 février 2009 ayant condamné l’Etat français à verser à la compagnie […] une somme de 1 261 948, 47 euros pour défaut de respect de la procédure contradictoire tout en reconnaissant en incise du jugement que les anomalies constatées justifiaient pleinement la mesure de suspension des autorisations de vol du 13 mai 2005 et à rejeter la demande de 1re instance de la compagnie […] tendant à l’indemnisation du préjudice subi du fait de la décision du 13 mai 2005 de la DGAC suspendant ses autorisations de vols avec la compagnie Marmara.
La directive n°2004/36 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant la sécurité des aéronefs des pays tiers empruntant les aérodromes communautaires, appelée directive SAFA, trouve son origine dans la catastrophe de la compagnie charter turque Birgenair en 1996 et a été adoptée finalement suite à la catastrophe de Charm-el-Cheik survenue le 9 janvier 2004.
Cette directive prévoit le contrôle de la sécurité des aéronefs par les autorités des Etats membres, la participation à un échange d’informations sur les résultats de ces contrôles et la possibilité d’étendre à l’ensemble de la Communauté des mesures d’interdiction ou de restriction du trafic imposées par un Etat membre suite aux résultats des contrôles des aéronefs d’une compagnie aérienne.
Nous rappellerons ensuite que dans un arrêt du 31 août 2009, commune de Grégols n°296458 publié au recueil, qui concernait une mesures de précaution prise par un maire qui avait ordonné la fermeture d’une centrale électrique en raison d’un danger qui lui avait été présenté comme grave et imminent par les services techniques et qui s’était par la suite révélé inexistant, le Conseil d’Etat a indiqué que « Considérant qu’une mesure de police n’est légale que si elle est nécessaire au regard de la situation de fait existant à la date à laquelle elle a été prise, éclairée au besoin par des éléments d’information connus ultérieurement ; que, toutefois, lorsqu’il ressort d’éléments sérieux portés à sa connaissance qu’il existe un danger à la fois grave et imminent exigeant une intervention urgente qui ne peut être différée, l’autorité de police ne commet pas d’illégalité en prenant les mesures qui paraissent nécessaires au vu des informations dont elle dispose à la date de sa décision ; que la circonstance que ces mesures se révèlent ensuite inutiles est sans incidence sur leur légalité mais entraîne l’obligation de les abroger ou de les adapter ».
Contrairement à cet arrêt, qui concernait les pouvoirs de police générale du maire, nous sommes ici dans un cas de pouvoir de police spéciale, où l’autorité dispose des connaissances techniques suffisantes pour évaluer la portée des informations qui lui sont fournies pour apprécier la pertinence d’une mesure de précaution.
Il vous appartient d’apprécier, d’une part, si le ministre chargé de l’aviation a commis une erreur manifeste d’appréciation sur l’existence d’un danger grave et immédiat et, d’autre part, d’apprécier si la mesure de suspension des autorisations de vol du 13 mai 2005 était proportionnée au danger. Cette double appréciation est celle opérée par le juge en matière, par exemple, de santé publique lorsqu’une autorité disposant des connaissances techniques nécessaires prend une mesure de suspension ou d’interdiction (voir par ex : C.E. 27 février 2007 société PPN SA, n°2926615 publié au recueil).
a/ A la lecture des pièces traduites en français, il nous semble possible d’affirmer que le ministre chargé de l’aviation civile n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant qu’il ressortait d’éléments sérieux portés à sa connaissance – dont il était, rappelons le, en mesure d’apprécier la portée compte tenu de sa compétence technique – qu’il existait un danger grave et imminent à maintenir les autorisations de vols de la compagnie […] au regard des informations qui venaient de lui être communiquées par les autorités néerlandaises et allemandes à l’appui de leurs décisions respectives des 12 et 13 mai 2005 de suspension des autorisations de vol de cette compagnie aérienne, ce qui le dispensait de respecter la procédure contradictoire.
Vous savez qu’un écart de catégorie 2 est un écart significatif au regard des normes internationales de l’aviation civile qui a un effet limité sur la sécurité de l’exploitation tandis qu’un écart de catégorie 3 est un écart majeur qui a un effet direct sur la sécurité de l’exploitation de l’aéronef, les actions correctives avant le vol étant classées en 3 b et, lorsque ces actions correctives ne sont pas acceptées par le commandant de bord, classées en 3 c.
Il ressort des informations communiquées aux autorités françaises par les autorités néerlandaises que les différents contrôles opérés par les Pays Bas avaient révélé en 2005 une augmentation du nombre de constatations techniques opérationnelles graves sur les avions, qui s’étaient répétés quelques jours avant la décision du 12 mai 2005 des autorités néerlandaise de suspendre les autorisations de vols de la compagnie. Ces évènements révélaient des tendances négatives en matière de sécurité des vols qui étaient les suivantes :
- augmentation du nombre d’évènements concernant l’usure des freins hors tolérance et des pneus, les derniers écarts majeurs de catégorie 3 ayant été constatés les 6 et 10 mai 2005. De même, il y avait une augmentation des écarts majeurs de catégorie 3 relatives au bon entretien et au bon fonctionnement des moteurs, comme l’existence, le 6 mai 2005, d’une crique importante sur le panneau 414 BR du moteur gauche d’un appareil avec apparition d’un espace trop important ou, le 10 mai 2005, un numéro de série du moteur n°2 incorrect sur les documents ou encore un écart significatif de catégorie 2 avec une fuite au niveau des amortisseurs des trains avant et arrière gauche constatée le 1er mai 2005.
Les autorités néerlandaises avaient aussi constaté un nombre d’écarts en hausse en ce qui concernait la valeur de masse des passagers, 3 écarts majeurs de catégorie 3 ayant été constatés les 8 et 9 mai 2005 et que les valeurs de masse utilisées sur plusieurs vols étaient incorrectes et non conformes au manuel d’exploitation d’Onur Air.
En dehors des écarts SAFA, un certain nombre d’incidents importants avaient aussi eu lieu quelques jours avant la mesure de suspension néerlandaise.
Il était apparu qu’en raison de la livraison tardive de nouveaux appareils, la compagnie […] avait loué ponctuellement le 30 avril 2005 pour le week end, deux Tristar immatriculés en Sierra Léone, qui n’étaient pas fiables, ne répondaient pas aux critères JAR-OPS(E-GPWS) et étaient en mauvais état technique.
En outre, sur l’Airbus 300 TC-OAH, il y avait eu le 3 mai 2005 un décrochage du moteur après le décollage et, malgré cet incident très grave, l’équipage avait eu l’intention de reprendre le vol après un simple essai au sol et c’est l’autorité hollandaise qui avait du l’interdire.
Le 5 mai 2005, il avait été constaté sur l’Airbus 300 TC-OAG que le pneu était endommagé sur le flanc mais l’équipage était parti avec l’appareil tandis qu’un technicien était allé chercher le matériel et les documents permettant d’enquêter sur les dommages.
Le 11 mai 2005, veille de la mesure de suspension prise par les hollandais, l’airbus A 321 avait presque talonné lors du débarquement car tous les passagers en transit et tous les bagages se trouvaient dans la partie arrière.
Pour les autorités hollandaises, la fréquence et le nombre des écarts relevés impliquaient une forte probabilité d’occurrences futures et, compte tenu de la nature et de la gravité de ces constatations, cette probabilité exigeait une action immédiate qui les avait amenées à renoncer, en raison de l’urgence, à laisser la compagnie […] à prendre les mesures appropriées dans un délai déterminé et à ne pas leur laisser le temps d’exécuter l’injonction de faire sous astreinte qui avait déjà été prononcée à son encontre le 1er juin 2004 et n’avait toujours pas été exécutée un an plus tard.
Il a été constaté lors des réunions qui se sont tenues par la suite les 17 et 19 mai 2005 que l’une des causes profondes de la baisse du niveau de sécurité chez […] pouvait être liée à la méthode de conduite de la supervision opérationnelle par la DGAC turque, dont le personnel n’avait qu’une expérience limitée dans le domaine de l’aviation.
Les autorités allemandes ont justifié pour leur part leur décision du 13 mai 2005 de suspendre les autorisations de vol de la compagnie […] en décrivant de manière détaillée les problèmes de sécurité relatifs aux équipements de cabines, aux opérations de vols, aux défauts non résolus sur la HIL, à la mauvaise gestion de la qualité, aux constatations relatives au chargement du fret, qui n’est pas arrimé, au filet manquant en soutes et autres.
Ces informations néerlandaises et allemandes sont arrivées dans un contexte déjà peu favorable à la compagnie […] en France, car il ressort de l’instruction que pour les 5 premiers mois seulement de l’année 2005, plusieurs écarts significatifs et majeurs avaient été constatés par les autorités françaises sur les appareils de la compagnie […] en ce qui concerne les cartes de radionavigation (le 7 février 2005 : pas de carte du terrain de déroutement pour le vol à l’arrivée) mais aussi les certificats de navigabilité, la préparation du vol avec une absence de gestion du carburant et du temps de vol pour l’un des appareils et une absence de X en route pour le vol à l’arrivée alors que ces X, qui sont des messages aux navigants publiés par les agences gouvernementales de contrôle de navigation aérienne dans le but d’informer les pilotes d’évolutions sur infrastructures au sol, doivent être consultés afin d’assurer une sécurité maximale tout au long de son voyage.
Le 7 février 2005, l’appareil inspecté était tellement sale que cela affectait la capacité de l’inspecter et des écarts significatifs et majeurs avaient aussi été constatés en matière de devis de masse et de centrage et les 19 avril et 6 mai 2005, quelques jours avant la décision française de suspension, les autorités françaises avaient constaté sur l’un des appareils une usure en dehors de toute tolérance du bloc frein n°5.
Enfin, le jour même de la mesure de suspension du 13 mai 2005 et alors que cette mesure venait d’être annoncée à 19 heures 27 avec une prise d’effet à minuit, un contrôle opéré à 21 h 30 sur un appareil se trouvant à l’aéroport de Paris Charles de Gaulle a révélé à lui seul trois écarts majeurs de catégorie 3 : pas de X en route, plusieurs accès aux issues de secours bloqués par des bagages, roue de secours et lot de bord mal arrimés, et plusieurs écarts significatifs de catégorie 2 : délaminage du pare-brise du cockpit proche des limites et léger délaminage du pare-brise 3R non enregistrés, capot principal endommagé sur le moteur 1 et panneau acoustique du capot primaire érodé avec simplement une réparation provisoire, capot principal endommagé et capot d’entrée endommagé sur le moteur 2, sol de la soute arrière en mauvais état et réparé avec du ruban adhésif.
La mesure de suspension ne prenant effet qu’à minuit, l’avion n’a été autorisé à décoller qu’après correction des ces écarts majeurs de catégorie 3.
Ces écarts se passent de commentaire et résument à eux seuls les problèmes rencontrés avec les appareils de la compagnie […].
Nous estimons ainsi, d’une part, qu’au vu des incidents très inquiétants survenus sur les vols néerlandais quelques jours avant la mesure de suspension incriminée et des écarts majeurs et significatifs constatés par les autorités hollandaises, qui ont été portés à la connaissance des autorités françaises le 12 mai 2005 et qui révélaient une augmentation des risques pour les passagers des vols confiés à la compagnie […], d’autre part, qu’au vu des problèmes de sécurité eux aussi détaillés par les autorités allemandes à l’appui de leur mesure de suspension du 13 mai 2005 et au regard des constatations qui avaient été faites par les autorités françaises elles-mêmes, le ministre chargé de l’aviation n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que des éléments sérieux, issus des informations néerlandaises et allemandes, l’amenaient à considérer qu’il existait un danger grave et imminent pour la sécurité aérienne des passagers qui le dispensait de respecter la procédure contradictoire, étant entendu que le ministre disposait ici des compétences techniques nécessaires pour apprécier la portée des informations qui lui étaient soumises.
B/ En ce qui concerne ensuite le caractère proportionnée de la mesure française de suspension des autorisations de vol, il ressort de l’instruction que d’autres et nombreux écarts significatifs et majeurs de catégorie 2 et 3 avaient déjà été constatés en 2004 tant par les autorités hollandaises et allemandes que par les autorités françaises et même en 2003 par les hollandais mais que, ni en 2004, ni en 2005, les autorités turques n’avaient répondu à l’information qui leur étaient faites par les autorités françaises à ce sujet, tandis que les réunions organisées avec les autorités allemandes et hollandaises n’avaient pas abouti. Les autorités hollandaises en étaient venues à prononcer une mesure d’injonction de faire au mois de juin 2004, qui n’était toujours pas exécutée un an après.
Il apparaît ainsi que la mesure de suspension prise le 13 mai 2005 par les autorités françaises, qui est intervenue la veille d’un week-end chargé de la Pentecôte, a été décidée alors que la compagnie aérienne Onur Air avait fait l’objet de nombreux rapports d’infractions dont il n’est pas contesté par la compagnie qu’ils avaient été transmis au commandant de bord des appareils incriminés.
Si, lors de chacune des inspections, les avions de la compagnie aérienne avaient pu décoller, le décollage n’était intervenu, lorsque des anomalies majeures avaient été constatées, qu’après adoption par le commandant de bord des mesures correctives demandées.
Par ailleurs, il est constant, notamment au vu du caractère répété des anomalies les plus graves, que la compagnie aérienne Onur Air n’avait pas pris la mesure des anomalies constatées en y remédiant de manière définitive et il ressort de l’instruction que les autorités turques étaient dans l’impossibilité d’y remédier par elles-mêmes sans y être aidées par les autres Etats membres de la conférence européenne de l’aviation civile. Il n’est en outre pas possible de mobiliser en permanence des équipes d’inspection au profit d’une seule compagnie aérienne.
Dès lors, compte tenu de l’impossibilité dans laquelle se trouvait la compagnie […] de remédier par elles mêmes aux nombreux écarts de catégorie 2 et 3 constatés sur ses appareils, dont le caractère répété démontraient, d’une part, l’inefficacité des mesures d’inspection sur le moyen et long terme, ces mesures d’inspection empêchant seulement le pire d’arriver avant le décollage et, d’autre part, une aggravation des conditions de sécurités des passagers dans les jours précédant les mesures incriminées, la mesure de suspension des autorisations de vol prononcée par les autorités françaises le 13 mai 2005 en application du principe de précaution, au vu des informations communiquées par les autorités hollandaises et allemandes, n’apparait pas disproportionnée par rapport à l’importance du danger constaté, ses propres constatations opérées le même jour à 21 h 30 sur un appareil se trouvant à l’aéroport Charles de Gaulle ayant même confirmé a postériori cette appréciation.
Vous constaterez enfin que c’est parce que quatre mesures de suspension des autorisations de vol ont été prises par les autorités hollandaises, allemandes, suisses et françaises que des réunions se sont enfin tenues avec les autorités turques les 17 et 19 mai 2005 et que celles-ci ont, enfin, proposé un plan d’action corrective.
Le plan d’actions correctives mis en place après les 11 jours de suspension des autorisations de vols visait à corriger immédiatement les défauts constatés de l’absence de filet de séparation installés dans les soutes, l’utilisation de valeurs incorrectes de masse passagers, la masse excessive des bagages de cabine et le mauvais arrimage en cabine, la définition incorrecte de la masse de base corrigée sur le devis de masse et de centrage, le manque d’information dans le manuel d’exploitation de l’airbus A300 au sujet de l’état de charge, la mauvaise gestion du manuel d’exploitation, les responsabilités mal définies en matières de fuites et d’autres éléments à vérifier sur le plan technique.
Il s’ensuit que, la mesure de suspension des autorisations de vol du 13 mai 2005 étant légale, elle n’est pas de nature à engager la responsabilité de l’Etat et à ouvrir droit à réparation au profit de la compagnie […].
Vous annulerez donc le jugement du tribunal administratif de Paris du 27 février 2009 et, dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel et au vu des développements qui précèdent, rejetterez la demande de 1re instance de la compagnie […] tendant à l’indemnisation du préjudice subi à la suite de la mesure de suspensions de ses autorisations de vol du 13 mai 2005.
PCMNC :
- à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Paris du 27 février 2009 du TAP.
- au rejet de la demande de première instance de la compagnie […] et de sa demande tendant au paiement des frais irrépétibles.
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