CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 93PA00909

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : CE17janvier 1994 n° 124 438 SARL France-Loisirs, RJF3/94n° 240
CE 3 février 1989 n° 58.260, Dr.fisc. 1989 n° 1226
CE 4 avril 1979 n° 8153, RJF 6/79 n° 339, DF1979 comm.1809
CE Plénière 27 juin 1973 n° 79 688 et 79 629:DF 1974 comm. 281
CE, section, 23 juin 1995 SALilly France, RFDAdm sept.-oct. 1995 1037
CJCE, 19novembre 1991 Francovitch, B 1992 p. 143

Texte intégral

N°93PA00909
Audience du 21 novembre 1995
Lecture du 5 décembre 1995
Société Franco-Suisse de Gestion
Conclusions de Mme X, Commissaire du Gouvernement
L’affaire qui vous est soumise concerne l’amortissement d’un élément du fonds de commerce et pose, en ce domaine, la question plus générale de l’harmonisation de la fiscalité et de la comptabilité.
La société anonyme Franco-Suisse de Gestion qui exerce l’activité d’administrateur de biens s’est portée acquéreur de portefeuilles de mandats de gestion. La société a constaté dans ses écritures comptables de l’exercice clos le 31 décembre 1986, un amortissement de 20 % sur la valeur de ces éléments de son fonds de commerce, en application des articles 34-1-a et 37-2 de la quatrième directive du Conseil des communautés européennes du 25 juillet 1978 et du plan comptable général qui prévoit un compte « amortissement du fonds commercial ». La société a estimé que l’amortissement qu’elle avait pratiqué était déductible de son résultat fiscal.
A l’occasion d’une vérification de comptabilité, le service a réintégré dans les résultats imposables de l’exercice 1986, l’amortissement pratiqué pour un montant de 927.344 F sur la valeur des portefeuilles de mandat de gestion acquis par la société et figurant à l’actif de son bilan ; ce redressement a conduit à la mise en recouvrement le 30 avril 1988 d’un complément d’impôt sur les sociétés que la société Franco-Suisse de Gestion a vainement contesté devant le directeur des services fiscaux d’Ile-de-France Ouest.
Au cours de l’instance devant le tribunal administratif de Paris, saisi du litige, l’administration a prononcé le dégrèvement d’office des pénalités dont était assortie l’imposition litigieuse. Le tribunal a rejeté le surplus des conclusions de la demande. Vous êtes saisis en appel de ce jugement du 3 janvier 1993.
La seule question qui vous est posée est donc de savoir si l’amortissement comptable de cet élément incorporel du fonds de commerce – les portefeuilles de mandats de gestion – peut venir en déduction des résultats imposables.
La loi du 17 mars 1909 constitue toujours avec les modifications qui lui ont été apportées le texte de référence en ce qui concerne le régime juridique du « fonds de commerce » dont elle ne donne aucune définition, mais dont elle énumère les éléments constitutifs : ceux qui sont corporels et ceux qui sont incorporels. L’article 1er de la loi de 1909 cite notamment dans les éléments incorporels : l’enseigne et le nom commercial, le droit au bail, la clientèle et l’achalandage. Il ne fait pas de doute, à notre sens, qu’un portefeuille de mandats de gestion acquis par une société, constitue un élément incorporel de son fonds de commerce non juridiquement protégé et qui fait partie de son actif immobilisé. Si cet élément subit une dépréciation, comment la constater et quelle conséquence fiscale en tirer ?
Sur le plan comptable
La 4e directive du Conseil des communautés européennes du 25 juillet 1978 (78/660/CEE) concerne les comptes annuels de certaines sociétés : en France les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés à responsabilité limitée. Elle a pour objectif d’harmoniser les renseignements financiers à porter à la connaissance du public par des sociétés européennes concurrentes, en donnant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats de la société. L’objectif est donc à la fois comptable et financier.
Cette 4e directive prévoit l’amortissement du fonds de commerce sur une durée maximale de 5 ans, tout en laissant aux Etats membres la possibilité d’allonger cette période d’amortissement. Cette règle résulte de la combinaison de deux articles de la directive :
- l’article 34 : « 1. a) Dans le cas où la législation nationale autorise l’inscription à l’actif des frais d’établissement, ceux-ci doivent être amortis dans un délai maximal de cinq ans » ;
- et l’article 37-2 de la même directive stipule : « 2.L’article 34 paragraphe 1 sous a) est applicable au poste »Fonds de commerce« . Les Etats membres peuvent cependant autoriser des sociétés à amortir systématiquement leur fonds de commerce sur une période limitée supérieure à cinq ans à condition que cette période n’excède pas la durée d’utilisation de cet actif, qu’elle soit mentionnée dans l’annexe et qu’elle soit dûment motivée ».
Le Conseil des communautés européennes a cependant écarté de cette possibilité d’amortissement sur cinq ans les éléments du fonds de commerce qui bénéficient dans la législation nationale d’une protection juridique spécifique leur donnant une valeur certaine. (Bull. GN.C n° 36 octobre 1978 p. 15).
Le code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 30 avril 1983 et du décret du 29 novembre 1983, postérieure à la directive précitée, n’a pas transposé dans la législation interne l’amortissement du fonds de commerce, et n’a donc organisé aucune possibilité d’amortissement sur plus de cinq ans. Toutefois, le plan comptable général approuvé par arrêté du 27avril 1982, p. II 28, de l’édition officielle de l’Imprimerie nationale, précise que les éléments du fonds commercial ne bénéficient pas nécessairement d’une protection juridique spécifique leur donnant une valeur certaine, et prévoit le compte 2807« amortissement du fonds commercial ».
La commission des opérations de bourse a indiqué que pouvaient être amortis les fonds commerciaux acquis, les seuls pouvant figurer au bilan, et qui ne bénéficient pas d’une protection juridique particulière. (Bull. n° 168 mars1984 p. 4).
Il en résulte que dans la pratique comptable il est actuellement reconnu une certaine liberté de choix aux sociétés de capitaux en ce qui concerne l’amortissement du fonds de commerce, ou des éléments acquis de ce fonds de commerce.
Ce choix est révélateur en lui-même de l’application directe des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises de la 4e directive européenne, application directe qui, si vous la confirmiez dans un contentieux fiscal dirigé contre une décision individuelle (et non dans un contentieux de restitution ou de responsabilité) constituerait une première reconnaissance par le juge administratif de l’effet vertical des directives non totalement transposées. Une telle décision serait en rupture avec la jurisprudence du Conseil d’Etat qui a toujours considéré que les directives communautaires étaient dépourvues d’effet direct tant à l’égard des administrés [CE 30 avril 1982, Y, rec., tables p. 547 ; 13 décembre 1985 Zatrine, Rec., tables p. 515 ; plus récemment 7 mars 1994, Association pour le tracé ouest du contournement routier de Carling, Rec. p. 114], qu’à l’égard de l’administration [CE, section, 23 juin 1995 SALilly France, RFDAdm sept.-oct. 1995 1037 et suivantes avec les conclusions de Mme C. H], en se fondant sur les stipulations de l’article 189 du Traité de Rome qui prévoit que les directives lient les Etats membres quant aux résultats à atteindre et non quant à la forme et aux moyens. Il est vrai que la Cour de cassation, n’a, pour sa part, pas récusé formellement l’applicabilité directe des directives, dont la Cour de justice des Communautés Européennes a soutenu le principe dans une jurisprudence initiée par les arrêts Société Sace c/Ministère des Finances de la République Italienne du 17septembre 1970 (Rec. p. 1213 concl.M. Roemer) et Van Duyn c/Home Office du 4décembre 1974 (Rec. p. 1337 concl. M. Z).
Mais la Cour de cassation n’en fait que de rares applications. Elle tend le plus souvent à réduire le conflit entre la norme interne et la directive communautaire par une interprétation de la première compatible avec les objectifs de la deuxième telle qu’elle est elle-même interprétée par la Cour de Luxembourg. [cass. com. Plén 16mars 1990. Droit social 1990 p. 399 et suivantes avec conclusions de l’avocat général Dantenwille et notes de MM. A et C].
On peut de même se poser la question de savoir si la jurisprudence française du Conseil d’Etat est aussi isolée que certains le soutiennent parmi les jurisprudences des autres Etats européens [cf I J – Droit institutionnel de l’Union des communautés européennes – LGDJ 1994] p. 745 et suivantes].
Enfin on peut aussi s’interroger sur l’évolution même de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg qui, d’une part, dans ses arrêts récents ne parle plus que d’invocabilité directe des directives – l’atténuation doit être notée – et qui paraît plutôt chercher dans le régime de la responsabilité la sanction de la non transposition par l’Etat-membre d’une directive communautaire. [cf CJCE, 19novembre 1991 Francovitch, B 1992 p. 143 note M. Le Mire ; RSF 1/92 p. 21 note M. C].
La règle fiscale : après l’exposé de la pratique comptable s’agissant de l’amortissement du fonds de commerce, venons-en à la règle fiscale telle qu’elle est définie à l’article 39 du code général des impôts.
L’article 39 du code général des impôts, applicable en matière d’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 209 du même code prévoit que : « 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant notamment … 2°) les amortissements réellement effectués par l’entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d’après les usages de chaque nature d’industrie, de commerce ou d’exploitation ».
Vous observerez que cet article, peu contraignant dans ses dispositions puisqu’il renvoie aux usages de la profession, a un objectif affiché, celui de fixer les résultats d’une société en tenant compte des amortissements réellement effectués.
Ainsi l’amortissement déductible des résultats imposables doit correspondre à la dépréciation effectivement subie au cours de chaque année en raison du temps ou de l’usage, par les éléments inscrits à l’actif immobilisé de l’entreprise. Ceci ne pose aucune difficulté pour les éléments corporels ; en revanche, l’interprétation traditionnelle de la doctrine et de la jurisprudence limite singulièrement l’amortissement des éléments incorporels en postulant que ces derniers sont soustraits par leur nature aux causes de dépréciation qui résultent du temps et de l’usure. [cf D. Adm. 4. D.122 ou 4.E.412 ; rep. à M. D d’Estaing – AN 5 février 1972 p. 282 n° 2675]
Ce principe qui détermine, selon la jurisprudence, la possibilité de constater un amortissement d’un élément incorporel de l’actif immobilisé n’a pas varié depuis de longues années, même s’il faut noter une légère évolution :un élément incorporel de l’actif immobilisé ne peut faire l’objet d’une dotation annuelle à un compte d’amortissement que s’il est certain dès sa création ou son acquisition que ses effets bénéfiques sur l’exploitation de l’entreprise prendront fin nécessairement à une date déterminée [CE 4 avril 1979 n° 8153, RJF 6/79 n°339, DF1979 comm.1809 ; CE15 octobre 1982 n° 26 585 : RJF12/82 n°1090, DF1983 comm.754 avec les concl. du Pdt Rivière]. Puis, dans l’arrêt de Plénière du 6 décembre 1985 [n° 53 001 DF 1986 comm. 898] l’amortissement est accepté s’il est normalement prévisible que l’élément incorporel cessera d’être utilisable, à une date déterminée. [cf aussi CE 3 février 1989 n° 58.260, Dr.fisc. 1989 n° 1226]
Mais, même dans le cadre de cette jurisprudence l’indivisibilité des éléments du fonds de commerce n’est plus absolue et le Conseil d’Etat a admis que certains éléments incorporels du fonds de commerce puissent faire l’objet d’une dotation annuelle au compte d’amortissement. Ainsi à propos des droits résultant d’un contrat de concession à durée déterminée (CE Plénière 27 juin 1973 n°79 688 et 79 629 : DF 1974 comm. 281 avec les concl. de M. Mehl) ; ou à propos des « droits de contingents » d’un producteur de rhum : (CE 4 avril 1979 précité); ou à propos de « droits au bail » : (CE 15 octobre 1982 également précité)). La jurisprudence ne s’est pas prononcée à notre connaissance en ce qui concerne l’amortissement de la clientèle d’un fonds de commerce.
Il est vrai que peu d’entreprises pratiquent un tel amortissement sachant que le code général des impôts comporte une règle spéciale relative au fonds de commerce qui traduit la même idée : l’article 38 sexies de l’A III au code général des impôts qui dispose : « la dépréciation des immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, notamment les terrains, fonds de commerce, les titres de participation, donne lieu à la constitution de provisions dans les conditions prévues à l’article 39-1-5°du code général des impôts ». Mais, ces dispositions ne s’appliquent à notre sens, malgré l’énumération, qu’aux immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible. Et nous pensons qu’une lecture attentive de cet article 38 sexies doit vous permettre de considérer que ces dispositions ne concernent pas les immobilisations, alors même qu’elles constituent un élément du fonds de commerce, si cet élément immobilisé dissociable est susceptible de faire l’objet d’une telle dépréciation. Vous noterez dans ce sens la nouvelle rédaction de l’article 38 sexies de l’annexe III au code général des impôts précitée, issue du décret n° 84-184 du 14 mars 1984 et applicable en l’espèce, qui se réfère très directement à la dépréciation des immobilisations dont le traitement fiscal est au centre du dispositif, sous réserve qu’il s’agisse d’immobilisations qui ne se déprécient pas irréversiblement. Vous noterez, également dans ce sens, que dans un arrêt récent [CE17janvier 1994 n° 124 438 SARL France-Loisirs, RJF3/94n°240, DF1994 comm. 604], rendu sur une de vos décisions en matière de provision [CAAP 22 janvier 1991 n° 2007France-Loisirs RJF 5/91 3e ch.] le Conseil d’Etat semble avoir admis que la clientèle globale d’une entreprise constitue un élément dissociable du fonds de commerce donc amortissable ou provisionnable si elle se déprécie. Il est vrai que, d’une part, cette interprétation de l’arrêt, que nous reprenons à notre compte, ne résulte pas clairement de l’arrêt et que, d’autre part, en l’espèce, la Haute Assemblée n’a pas censuré votre arrêt qui avait décidé que l’acquisition d’un fichier de clientèle ne pouvait être regardé comme un élément dissociable de l’ensemble de la clientèle de la société acquéreur, dans laquelle elle s’était fondue et ne pouvait justifier même une provision.
Vous observerez donc à l’issue de l’analyse des règles comptables, des règles fiscales et de la jurisprudence que si les règles comptables et fiscales semblent divergentes en ce qui concerne l’amortissement du fonds de commerce, la jurisprudence a, par le biais des éléments de l’actif immobilisé, dissociables du fonds de commerce, évité les distorsions les plus injustifiées entre pratique comptable et règle fiscale. Ces distorsions doivent être évitées. Chacun en est désormais convaincu.
Le Conseil d’Etat jugeait qu’il était impossible d’invoquer le plan comptable contre les principes posés par la loi pour la détermination du bénéfice net imposable (cf notamment 15 juin 1960 n° 45 504 tables p. 79). Puis il a été admis qu’une entreprise pouvait se prévaloir d’usages comptables non contraires à la loi si le respect de ces usages n’est pas incompatible avec les règles applicables pour l’assiette de l’impôt (cf concl. de Mme E sous l’arrêt de plénière du 6 décembre 1985 n° 53001 DF 1986 comm. 898). M. F, plus récemment, traduisait dans une chronique publiée à la RJF de janvier 1991 (p. 3 et suivantes) à propos de la notion de « charges en stock », la ferme détermination du Conseil d’Etat d’harmoniser fiscalité et comptabilité lorsque ni la loi ni la réglementation fiscale n’impose une divergence. M. F faisait valoir que « toute divergence entre fiscalité et comptabilité en matière de détermination du résultat est un archaïsme déplorable et une injure à la raison ». Mais il constatait que certaines divergences sont inscrites dans le code général des impôts.
Pour en revenir à l’affaire qui vous est soumise, la société Franco-Suisse de Gestion a constaté dans ses écritures comptables un amortissement de 20 % sur la valeur d’acquisition des portefeuilles de mandats de gestion qui bien que constituant un élément de son fonds de commerce figurait comme éléments acquis dans son actif immobilisé. Elle vous explique que ces mandats peuvent lui être retirés à tout moment, sans préavis ni indemnité ; que cette précarité entraîne une déperdition régulière et significative par rapport à la liste des mandats annexés aux actes d’acquisition des portefeuilles de clientèle. Pour établir sur des bases statistiques la nécessité de pratiquer un amortissement et sa durée, la requérante produit une série d’annexes indiquant le taux de pertes de clientèle enregistrées au cours des années suivant l’acquisition de différents portefeuilles de mandats de gestion. L’administration, qui ne conteste pas les écritures comptables, et donc le résultat comptable de la société, soutient qu’elle doit toutefois procéder, dans sa déclaration fiscale de résultats à une rectification extra-comptable, en se fondant sur le caractère irrégulier des taux de pertes annuelles d’une année sur l’autre et d’une clientèle à l’autre, et par ailleurs sur une distinction qu’il conviendrait de faire entre « fonds commercial » visé par les textes communautaires et le plan comptable général et la notion juridique et donc fiscale du fonds de commerce.
Nous noterons simplement que cette distinction n’est pas inscrite dans le texte communautaire.
La quatrième directive parle du « fonds de commerce ».
Plusieurs solutions s’offrent donc à vous pour régler ce litige.
Ou bien vous pourriez considérer, en vous appuyant sur votre jurisprudence France-Loisirs précitée, que le portefeuille de mandat de gestion acquis, est devenu un élément indissociable de la clientèle de la société Franco-Suisse de Gestion ; en acquérant la clientèle de la société cédante, Franco-Suisse de Gestion l’a totalement incorporée à sa propre clientèle. En admettant même que cette solution d’espèce – arrêtée en matière de provision -puisse être transposée en ce qui concerne un amortissement, cette solution, qui vous conduirait à rejeter la requête dès lors que la société ne soutient pas que sa clientèle globale ait subi une dépréciation, présente l’inconvénient de maintenir la distorsion entre la pratique comptable et la règle fiscale, dont nous avons souligné, ci-dessus, le caractère inopportun.
Vous pourriez aussi faire prévaloir la jurisprudence traditionnelle et rejeter la requête en considérant que la société n’apporte pas la preuve du caractère certain de la dépréciation des portefeuilles et de la date à laquelle prendront fin les effets bénéfiques, même s’ils sont des éléments dissociables du fonds de commerce ; qu’ainsi la société ne justifie pas du principe même de l’amortissement. Mais, la société Franco-Suisse de Gestion établit, en tout état de cause, une dépréciation réelle et économique qui ne trouverait aucune traduction fiscale, alors qu’elle s’inscrit régulièrement en comptabilité.
Nous pensons que cette affaire doit vous permettre d’harmoniser pratique comptable et règle fiscale au prix d’une nouvelle évolution de la jurisprudence relative à l’article39-1-2° du code général des impôts.
En effet nous avons vu précédemment que l’article38 sexies de l’annexe III au code général des impôts ne vise pas les éléments dissociables du fonds de commerce, qui se déprécient irréversiblement. Nous pensons que vous pourrez regarder les portefeuilles de mandats de gestion comme des éléments dissociables du fonds de commerce, dès lors qu’ils sont acquis et individualisables, et ceci malgré votre jurisprudence d’espèce France-Loisirs, relative aux provisions. Ces éléments ne sont pas juridiquement protégés.
Vous pourrez alors considérer, et nous vous proposons de le faire, que la dépréciation mise en évidence par la société à travers ses statistiques de cet élément de son actif immobilisé, doit conduire à terme, normalement, à la perte totale des éléments constitutifs du portefeuille de mandats de gestion, même si la date ne peut être qu’évaluée. Dans ces conditions, l’amortissement constaté régulièrement par la société Franco-Suisse de Gestion dans ses écritures comptables, seraient fiscalement déductibles sur le fondement de l’article 39-1-2° qui prévoit de tenir compte des amortissements réellement effectués, dans la limite de ceux qui sont admis par les usages. En l’espèce aucun usage ne peut être avancé ; le taux d’amortissement pourra être calculé selon la durée attendue des effets bénéfiques de cet élément du fonds de commerce sur l’exploitation, qui doit être justifiée par l’entreprise.
Cet amortissement a été comptabilisé sur cinq ans comme le prévoit la 4Šme directive. Mais sur la durée non plus, rien au dossier n’établit que cette durée ne corresponde pas à la durée attendue des effets bénéfiques sur l’exploitation des portefeuilles de mandats, comme soutient la société.
Rien en définitive ne s’oppose, sur le plan des textes fiscaux, à ce que vous admettiez le caractère déductible de l’amortissement comptabilisé par la société Franco-Suisse de Gestion.
C’est cette solution qui conduit à la décharge de l’impôt que nous vous proposons de retenir. Vous ferez ainsi se rejoindre pratique comptable et règle fiscale.
Vous pouvez le faire simplement – et c’est dans ce sens que nous vous proposons de juger – en motivant votre décision sur le droit interne, sur la lecture de l’article 38 sexies de l’annexe III au code général des impôts que nous vous avons proposée, et en amendant la jurisprudence fort ancienne et contraire aux réalités économiques européennes en ce qui concerne l’amortissement sur l’article 39-1-2° du code général des impôts. Vous respecterez, ce faisant, l’objectif de sincérité financière des résultats des entreprises, objectif poursuivi par la 4emedirective. Votre rôle n’est-il pas d’inscrire également dans la jurisprudence les objectifs des directives ?
Vous pourriez enfin – dernière solution – affirmer clairement la primauté de la directive comptable et financière dans ce contentieux fiscal dirigé contre une décision individuelle mais vous n’avez aucun précédent et, compte tenu de l’évolution actuelle de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg dans le sens évoqué ci-dessus, vous courrez le risque de relancer inutilement la polémique sur l’effet vertical des directives, qui ferait encore couler beaucoup d’encre.
Par ces motifs, nous concluons :
- à l’annulation du jugement attaqué du tribunal administratif de Paris ;
- à la décharge du complément d’impôt sur les sociétés mis en recouvrement en 1986 au nom de la société Franco-Suisse de Gestion.

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