CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 94PA00008

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : C.E. 6décembre 1985 Mme C D 86n° 57
CE section 2 mars 1990 Mme A p. 59
CE section 3 mars 1978 Lecoq p. 116

Texte intégral

N° 94PA00008
Audience du 8 septembre 1994
Lecture du 22 septembre 1994
AGENCE NATIONALE POUR LA […]
A L’EFFORT DE CONSTRUCTION (ANPEEC)
Conclusions de M. X, Commissaire du Gouvernement
L’agence nationale pour la participation des employeurs à l’effort de construction – l’ANPEEC est un établissement public à caractère industriel et commercial créé par la loi du 31 décembre 1987, qui est chargé d’une mission générale d’élaboration des règles régissant les conditions d’activité des associations à caractère professionnel ou interprofessionnel agréées aux fins de participer à la collecte du 1 % logement.
A ce titre, elle est notamment chargée du contrôle, sous l’autorité du ministre du logement, de l’utilisation des fonds collectés.
Il est apparu, dès les débuts du fonctionnement de l’agence, que les limites dans lesquelles s’effectuaient ses contrôles ne permettaient pas de s’assurer que les organismes non agréés pour collecter, mais bénéficiaires de subventions ou de prêts du 1%logement, faisaient des fonds concernés un usage conforme à leur destination réglementaire.
A la suite de ce constat, l’article 68 de la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, a complété l’article L.313-7 du code de la construction et de l’habitation, en prévoyant qu'« à la demande du ministre chargé du logement », l’agence « peut contrôler les opérations réalisées à l’aide des fonds provenant de la participation des employeurs à l’effort de construction par les organismes qui n’ont pas le statut d’organismes agréés pour collecter cette participation ».
« A ce titre -ajoute le nouvel article- elle a accès à tous les livres, pièces, documents et justifications nécessaires à l’exercice de son contrôle ».
L’agence mandatée par un courrier du ministre du logement du 26 mars 1993 a entendu faire application de ces nouvelles dispositions auprès d’une association non agréée, mais bénéficiaire de subventions au titre du1% logement, l’agence des foyers et résidences hôtelières privées, l’AFRP qui gère des foyers pour travailleurs immigrés.
Cette association aurait, selon l’ANPEEC, bénéficié de plus de 260 millions de francs au titre du1% logement depuis 1976, dont une partie aurait été utilisée pour résorber les déficits d’autres organismes appartenant au même groupe.
Par une lettre datée du 18 octobre 1993, l’ANPEEC a informé le président de l’association que les opérations réalisées par celle-ci avec les fonds du « 1% » allaient faire l’objet d’un contrôle.
Cette lettre du 18 octobre précisait l’identité des personnels chargés de ce contrôle, en indiquant qu’ils se présenteraient le 22octobre au siège de l’association, et demandait la production d’un ensemble de documents dont la liste était dressée en annexe, à savoir:
- les statuts de l’AFRP ;
- la liste des opérations financées avec des fonds1%;
- les registres des procès-verbaux d’assemblées et des conseils d’administration où sont évoquées les opérations concernées;
- les bilans et comptes de résultats des cinq derniers exercices ;
- les rapports du conseil d’administration pour ces exercices ;
- les rapports généraux et spéciaux des commissaires aux comptes pour ces exercices ;
- l’organigramme juridique éventuel.
Mais l’association a refusé de se prêter à ce contrôle ce qui a conduit l’ANPEEC à lui adresser le 22octobre 1992 une mise en demeure ; celle-ci étant restée sans suite, l’association a saisi le tribunal administratif de Paris d’une requête en référé afin que le président du tribunal ordonne au président de l’AFRP de transmettre les documents dont la liste était dressée en annexe de ses lettres des 18 et 22 octobre1993.
Par une ordonnance du 1er décembre 1993, le magistrat délégué juge des référés a rejeté la requête au motif que le litige trouvant son origine dans une décision de gestion de l’AFRP, organisme de droit privé dépourvu de prérogatives de puissance publique, n’était pas susceptible, par lui-même, de donner lieu à une instance relevant de la compétence des juridictions administratives.
L’ANPEEC fait régulièrement appel de cette ordonnance puisque à la suite de l’invitation à régulariser qui lui a été adressée elle a constitué ministère d’avocat le 25 juillet 1994 ;
I – L’agence conteste la régularité de cette ordonnance en faisant valoir qu’elle a été rendue le1er décembre 1993 soit le lendemain du jour où lui a été communiqué par le tribunal administratif le mémoire en défense présenté par l’association AFRP. Mais en statuant sans attendre la réponse de l’ANPEEC le juge des référés n’a pas commis d’irrégularité car la procédure de référé est une procédure d’urgence, adaptée à la nature de la demande et à la nécessité d’assurer une décision rapide. Le juge doit juste se conformer aux dispositions de l’article R.131, et il n’est pas tenu de communiquer au demandeur les observations présentées par le défendeur ; et a fortiori, il n’est pas tenu d’attendre les observations du demandeur (C.E. 6décembre 1985 Mme C D 86n° 57).
II – S’agissant du fond du litige, il faut bien voir que ce que demande l’ANPEEC, c’est la production de documents privés et non de documents administratifs.L’AFRP est une association de droit privé qui, comme l’a noté le tribunal, est dépourvue de toute prérogative de puissance publique. Il n’a par ailleurs jamais été soutenu que cette association était investie d’une mission de service public. Le droit de l’ANPEEC à avoir communication de ces documents sur le fondement du nouvel article L.313-7 du code de la construction et de l’habitation n’est pas sérieusement contesté par l’association. Celle-ci ne conteste pas qu’elle a reçu des subventions au titre du 1%, et parmi la liste des documents que nous avons mentionnée, certains sinon l’intégralité apparaissent nécessaires à l’exercice du contrôle par l’ANPEEC. La difficulté que pose ce dossier est liée à l’absence dans cette nouvelle loi de tout dispositif permettant de sanctionner le refus de communication.
La loi confère en effet à l’établissement public un droit de communication, similaire à celui qui est reconnu par exemple à l’administration fiscale par les articles L.81 et suivants du livre des procédures fiscales, mais sans assortir le refus de communication des pénalités ou d’astreintes analogues à celles qui sont expressément prévues, en matière fiscale, par l’article 1740 du code général des impôts.
La question qui se pose est de savoir si le juge administratif des référés peut, sur le fondement de l’article R.130 enjoindre à l’association de produire, sous astreinte, ces documents (dès lors bien sûr qu’il y a urgence et utilité).
Dans un premier temps nous avions tendance à répondre par la négative pour des raisons qui sont liées à la nature de ce contentieux.
Dans ses conclusions sur la décision du 20 septembre 1991 ministre des affaires sociales c/ ARC -Association pour la recherche contre le cancer (RDP1991 p. 1727) M. Y rappelait que le contrôle administratif sur les associations, et plus généralement sur les organismes de droit privé, doit reposer sur une base législative. En faisant intervenir le juge administratif des référés pour faire appliquer la nouvelle loi du 29 janvier 1993 qui reste assez imprécise sur la nature des documents auxquels a accès l’ANPEEC, on risque de l’entraîner dans un travail de création jurisprudentielle qui paraît peu compatible avec sa mission telle que définie à l’article R.130.
Si vous acceptiez de prononcer des injonctions à l’égard des associations qui se refusent à communiquer les documents qui lui sont réclamés, il faudrait alors définir précisément les documents qui doivent être produits comme nécessaires à l’exercice de ce contrôle par l’ANPEEC. Le juge des référés serait ainsi conduit à compléter ou du moins à préciser les dispositions de la loi dans un domaine « sensible » qui touche au fonctionnement des associations. Mais à la réflexion, cette objection ne nous semble pas déterminante.
D’abord parce que l’on peut transposer la jurisprudence adoptée en matière d’expulsion du domaine public en considérant qu’en l’absence de contestation sérieuse sur le caractère nécessaire (à l’exercice du contrôle par l’ANPEEC) des documents sollicités le juge des référés peut en ordonner la production sans pour autant faire préjudice au principal (cf sur la jurisprudence de l’absence de contestation sérieuse CE 22 juin 1977 veuve Z p. 288 ; CE section 3 mars 1978 Lecoq p. 116 ; CE section 2 mars 1990 Mme A p. 59).
D’autre part, parce qu’il est admis que le juge administratif des référés peut prononcer sous astreinte des injonctions à l’encontre des personnes privées. Le cas le plus connu est relatif à l’évacuation des occupants sans titre du domaine public. Mais il y a d’autres exemples, moins souvent cités, qui nous semblent constituer des précédents intéressants. Par une décision de section du 13 juillet 1956 Office HLM de la Seine, le Conseil d’Etat a admis que le juge des référés peut ordonner sous astreinte au cocontractant de l’administration toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public; notamment il peut ordonner à un entrepreneur de travaux publics de rapporter les matériels retirés du chantier où il travaillait. La solution se justifie par l’impossibilité dans laquelle se trouve l’administration de procéder à une exécution d’office. Dans ses conclusions sur cette affaire M. B, commissaire du Gouvernement exposait – nous le citons: "l’administration ne dispose dans l’hypothèse qui nous occupe actuellement, d’aucun pouvoir de décision, ni d’exécution.
L’administration ne dispose « des pouvoirs nécessaires pour assurer l’exécution du service »que sur le chantier, mais ici, il s’agit d’obliger l’entrepreneur à rapporter du matériel qu’il détient au siège de l’entreprise. L’administration ne pourrait se faire justice sans commettre une voie de fait.
[?]Dans cette situation assez exceptionnelle, il est vrai, l’administration se trouve dans la situation d’un simple particulier, obligé de s’adresser au juge, et s’il y a urgence, au juge des référés. C’est à celui-ci qu’il appartient d’adresser à l’entrepreneur l’injonction de rapporter le matériel, nécessaire à la continuation des travaux, et d’assurer l’exécution de cette injonction, par la menace d’une astreinte." Et M. B terminait par une réflexion qui, 38 ans après, n’est pas dépourvue d’actualité.
" Non seulement, aucune raison sérieuse ne s’y oppose, mais l’intérêt public le commande. Enfin, c’est l’occasion, ou jamais, de démontrer l’efficacité pratique de la procédure du référé administratif, qui n’a été accueillie en général qu’avec beaucoup de scepticisme !"
La jurisprudence récente du Conseil d’Etat confirme cette utilisation de la procédure des référés pour permettre à l’administration d’exécuter certaines de ces décisions lorsqu’elle n’a pas les moyens d’y procéder d’office. Ainsi, par une décision d’Assemblée du 1er mars 1991 Société des bourses françaises (RFDA1991 p. 613 avec les conclusions de Mme de Saint Pulgent) le Conseil d’Etat -statuant en référé- a ordonné à un particulier le versement de sommes dues à raison d’une sanction prise par le Conseil des bourses de Valeurs qui n’était pas revêtue de la force exécutoire. C’est précisément parce que l’administration était dans l’impossibilité d’assurer le recouvrement forcé de cette amende que la Haute Assemblée a adopté cette solution. Il nous semble que nous sommes en l’espèce dans une configuration assez voisine de celle examinée dans ces deux décisions de 1956 et de 1991.
L’ANPEEC a un droit d’accès aux documents qu’elle réclame, ou du moins à certains d’eux, mais elle est dans l’impossibilité d’en avoir communication ; et il est donc normal qu’elle aille devant le juge pour faire respecter ce droit. L’association en défense argumente sur le fait que la demande n’est pas susceptible de se rattacher à un litige relevant de la juridiction administrative, suggérant ainsi qu’elle relèverait plutôt du juge judiciaire.
Mais les contrôles qui sont exercés par l’ANPEEC peuvent conduire à certaines décisions administratives prises par le ministre, dont le contentieux relève indiscutablement de la juridiction administrative. Nous pensons en particulier aux sanctions qui sont prévues par l’article L.313-13 du code de la construction et de l’habitation, « en cas d’irrégularité grave dans l’emploi des fonds, de faute grave dans la gestion, de carence dans la réalisation de l’objet social ou de non respect des conditions d’agrément ». Ces sanctions administratives sont de plusieurs sortes : elles peuvent consister dans le retrait d’agrément mais ce peut être également une suspension du conseil d’administration ou des sanctions pécuniaires. Il est vrai que ces sanctions prévues par le Code de la construction et de l’habitation ne peuvent, semble-t-il, que toucher les organismes collecteurs ; et l’AFRP qui n’est que bénéficiaire des fonds n’est pas susceptible de faire l’objet de ces sanctions.
Les organismes bénéficiaires peuvent toutefois se voir opposer d’autres mesures telles que celles qui visent à les exclure du bénéfice des prêts et subventions financés par le 1 %, dont le contentieux relèvera également de la juridiction administrative. Vous en avez l’illustration au dossier puisque l’ANPEEC a produit la requête présentée devant le tribunal administratif de Paris par l’AFRP, le 5 novembre 1993,tendant à obtenir l’annulation des décisions implicites de rejet opposées par le ministre du logement et l’agence aux demandes de délivrance des autorisations d’investir dans les opérations de réhabilitation immobilière menées par l’AFRP au moyen de prêts financés par le « 1/9e prioritaire ».
Le 1/9e est la partie du 1% qui doit être investi par les organismes collecteurs au profit du logement des travailleurs immigrés et de leurs familles. L’article R.313-36 du code de la construction et de l’habitation soumet à agrément préalable les opérations qui sont financées par le 1/9e prioritaire, et le versement des fonds à l’organisme « dépensier » intervient alors sur autorisation de l’ANPEEC. Et c’est en l’occurrence le refus de verser des fonds à des programmes agréés par les préfets que l’association a attaqué devant le tribunal administratif de Paris.
Il nous semble difficile de considérer que la demande présentée par l’ANPEEC est -selon la formule traditionnelle adoptée en matière de référé « manifestement insusceptible de se rattacher à un litige entrant dans la compétence de la juridiction administrative ». D’autant que la demande de communication des documents par l’ANPEEC, dans la mesure où elle manifeste l’exercice d’une prérogative de puissance publique, constitue une décision administrative susceptible de recours pour excès de pouvoir.
Nous nous garderons bien d’être aussi affirmatifs que l’association lorsqu’elle déclare dans ses écrits que la compétence du juge des référés est subordonnée à la possibilité ou la perspective pour le demandeur au référé d’agir au principal devant la juridiction administrative. Nous pensons que la compétence du juge des référés peut être également admise dans certains cas sur le fondement de l’article R.130 lorsque c’est le défendeur au référé qui est susceptible d’intenter une action devant la juridiction administrative, ainsi que le montrent les deux décisions de l’office public d’habitation à loyer modéré de la HLM et de la société des Bourses de Valeurs.
III – Si vous nous suivez, en retenant la compétence du juge des référés pour ordonner la production par l’association des documents qui entrent dans le champ de ce nouvel L.313-7 du CCM, vous devrez, nous semble t’il, faire droit à la demande de l’ANPEEC car les conditions de l’utilité et de l’urgence nous semblent en l’espèce réunies.
Les documents que réclame l’ANPEEC sont, sans conteste, nécessaires à l’exercice de son contrôle sur les opérations effectuées par l’association à l’aide de la participation des employeurs à l’effort de construction. Certains de ces documents -par exemple les comptes de résultats et les bilans- concernent l’ensemble de l’activité de l’association et non les seules opérations financées à partir des subventions et prêts 1%. Mais il nous semble néanmoins nécessaire que l’établissement en ait connaissance pour exercer de façon efficace son contrôle sur l’utilisation des fonds publics dont a bénéficié l’association. Précisons à toutes fins utiles que les agents de l’ANPEEC habilités à connaître de ces documents sont astreints au secret professionnel.
Enfin l’urgence résulte, selon nous, de ce que l’établissement ait en quelque sorte « paralysé » dans l’exercice des attributions qui lui sont reconnues par la loi depuis plusieurs mois.
Il est donc nécessaire de lui donner au plus vite les moyens d’exercer les missions qui lui sont attribuées par la loi.
Par ces motifs, nous concluons donc :
1°) à l’annulation de l’ordonnance de 1er décembre 1993;
2°) à ce que vous ordonniez à l’Association « Agence des foyers et résidences hospitalières privées » de fournir à l’ANPEEC les documents qui lui ont été réclamés par le président de cet établissement dans son courrier du 18 octobre 1993 sous peine d’une astreinte de 5.000 F par jour de retard.

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