Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 9e chambre a, 9 février 2012, n° 10/03282

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, 9e ch. a, 9 févr. 2012, n° 10/03282
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 10/03282
Importance : Inédit
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Digne, 4 décembre 2008, N° 08/55
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 29 décembre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE

9e Chambre A

ARRÊT AU FOND

DU 09 FEVRIER 2012

N° 2012/139

Rôle N° 10/03282

[Z] [K]

C/

[T] [M]

Grosse délivrée

le :

à :

Me Caroline FONTAINE-BERIOT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Me Pascal ANTIQ, avocat au barreau d’ALPES DE HAUTE PROVENCE

Copie certifiée conforme délivrée le :

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIGNE-LES-BAINS en date du 05 Décembre 2008, enregistré au répertoire général sous le n° 08/55.

APPELANT

Monsieur [Z] [K], demeurant [Adresse 1]

comparant en personne, assisté de Me Caroline FONTAINE-BERIOT, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

Madame [T] [M], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Pascal ANTIQ, avocat au barreau d’ALPES DE HAUTE PROVENCE substitué par Me Dounia AZERINE, avocat au barreau de DIGNE LES BAINS

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 21 Novembre 2011 en audience publique devant la Cour composée de :

Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Laure ROCHE, Conseiller

Madame Martine VERHAEGHE, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Mme Nadège LAVIGNASSE.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Février 2012..

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Février 2012.

Signé par Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller faisant fonction de Président et Mme Nadège LAVIGNASSE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

PROCÉDURE

Par lettre recommandée postée le 30 décembre 2008, M. [K] a relevé appel partiel du jugement rendu le 5 décembre 2008 par le conseil de prud’hommes de Digne-les-Bains condamnant Mme [M], employeur, à lui verser les sommes suivantes :

—  461,04 euros en rappel de salaire,

—  453,53 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

—  1 336,31 euros pour congés payés,

—  1 400 euros pour licenciement irrégulier,

—  1 500 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ce jugement ordonne la délivrance, sous astreinte, de divers documents sociaux.

Le salarié, M. [K], demande à la cour de lui allouer les sommes ci-après :

—  27 658 euros en paiement d’heures supplémentaires,

—  10 655 euros au titre des dimanches travaillés,

—  6 872 euros au titre des repos compensateurs,

—  4 518 euros au titre des congés payés afférents aux heures impayées,

—  17 136 euros pour travail dissimulé,

—  2 294 euros pour congés payés,

—  1 369 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

—  2 856 euros pour licenciement irrégulier,

—  25 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le salarié réclame la délivrance, sous astreinte, d’une attestation destinée à Pôle emploi rectifiée et de bulletins de salaires rectifiés.

Il chiffre à 3 500 euros ses frais irrépétibles.

L’employeur, Mme [M], conclut à la confirmation du jugement déféré.

La longueur de la procédure d’appel s’explique par la radiation de l’affaire prononcée le 15 décembre 2009.

La cour renvoie pour plus ample exposé aux écritures reprises et soutenues par les conseils des parties à l’audience d’appel tenue le 21 novembre 2011.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les heures supplémentaires, le travail dominical, les repos compensateurs et le travail dissimulé :

M. [K] a été au service de Mme [M] du 1er janvier 2005 au 1er avril 2008, date de l’expiration de son préavis.

Le contrat de travail liant les parties affectait le salarié à plusieurs tâches : gardiennage, entretien de la maison, employé de maison et entretien des animaux (chiens, chats, poules).

…/…

Il stipulait, en contrepartie d’un salaire brut mensuel de 1 098,97 euros, un volume d’heures de travail de 151,67 heures par mois, 2 jours de repos hebdomadaire par semaine et 5 semaines de congés payés.

Mais, réinventant le servage, Mme [M] a très vite fait fi de ses obligations, tant contractuelles, que conventionnelles ou légales.

Il importe de noter que la résidence secondaire, propriété de Mme [M], où s’exerçait le contrat de travail, abrite des oeuvres d’art contemporain de grande valeur, certaines étant disséminées dans le parc.

De ce fait le gardiennage dévolu au salarié devait être le plus constant possible, un 'studio’ étant mis gratuitement à sa disposition au sein de la propriété afin de lui permettre d’assurer une surveillance quasi-permanente.

Cette propriété est située sur la commune de [Localité 3], petit village perché dans les Alpes-de-Haute-Provence, lequel est isolé les mois d’hiver, et il faut noter que la propriété de l’employeur est elle-même très isolée et difficilement accessible pendant les périodes d’enneigement.

De ce fait M. [K] était contraint l’hiver d’être à demeure à garder, et durant le reste de la saison, il lui fallait encore s’occuper quotidiennement des animaux, en particulier de deux chiens qu’il lui fallait nourrir matin et soir.

Pour preuve son emploi du temps manuscrit qui l’obligeait tous les jours de la semaine :

'- 7h. : éteindre les lumières devant les portes d’entrée, sortir les chiens.

—  7h.10 : donner manger aux chiens + chats

graffit sur le tabouret, tripper devant la poubelle, lappie sur la table dehors,

rooie devant la porte sur le sol [graffit et tripper étant les noms des deux chiens dont M. [K] devait s’occuper si précautionneusement].

— après le repas, laissez les chiens se reposer (une heure), graffit dans le chenil, tripper dans la cuisine (quand il gèle graffit chez toi).

N’oubliez pas l’eau fraiche dans la gamelle de graffit (pour les chats et dehors dans le seau (2 x p/j).

—  9 h. : Petite promenade avec les chiens.

—  15 h. : donnez à manger aux chiens, chats.

—  16 h.30 : promenade avec les chiens.

—  22 h. : dernier sortie pour les chiens.

Donner après les promenades + avant dormir un biscuit pour les chiens.

Enlever les excréments des chiens.

Quand tu pars pour un petit moment, mettez les chiens aux chenil (porte fermée) et fermer les portes à double clés, les poules dans le poulailler (renard!).

Tripper dors dans la cuisine la nuit graffit au chenil (froid = chez toi).

Nettoyage : 1 fois par semaine avec aspirateur tous les pièces sauf chambre d’amis.

Avec l’eau + produit, le sol de la cuisine – les escaliers 1er du mois tout en haut avec aspirateur.

Mauvais temps :

les chats dans la maison

N’oubliez pas de nettoyer la litière des chats.

Poules dans la cabane avec l’eau + nourriture dans gamelle rouge.

Les chiens chez toi.

Regarder bien pour le pipi etc…'.

S’agissant des endroits assignés aux chiens et aux chats -'graffit sur le tabouret, tripper devant la poubelle, lappie sur la table dehors, rooie devant la porte sur le sol'- on est surpris que leur propriétaire, page 11 de ses écritures, fasse plaider que ses indications de travail 'étaient d’une souplesse infinie’ car le rare luxe de détails de cet emploi du temps démontre le contraire.

On est également surpris lorsque, page 5 de ces mêmes écritures, on lit que la propriété ne disposait pas d’une basse-cour alors que les instructions manuscrites de l’employeur mentionnent la présence d’un poulailler.

Plus sérieusement, cette amplitude très anormale de travail est confirmée par l’attestation, qui est régulière en la forme, de Mme [J], laquelle est un témoin précieux car elle a mis en contact les parties au contrat de travail.

Très objectivement ce témoin note que les relations de travail ont débuté correctement, M. [K] ayant peu d’heures de travail effectif et pouvant bénéficier d’un repos hebdomadaire. Mais, très vite, ce témoin note que M. [K] a vu ses tâches de travail s’amplifier: tondre la pelouse 2 à 3 fois par semaine, rafistoler la clôture grillagée régulièrement détruites par le rottweiller, petits travaux de menuiserie, construction d’un bassin etc… le tout étant assorti de la suppression, sans contrepartie, de ses jours de repos.

L’attestation de M. [S] va dans le même sens lorsque ce témoin note que très vite son ami de 20 ans [K] n’était plus disponible les dimanches pour partager un déjeuner en sa compagnie et qu’il a pu constater son extrême isolement sur son lieu de travail.

Suivent les témoignages, concordants, de commerçant du [Localité 3] et de chasseurs qui l’apercevait au travail chaque week-end, constatant que M. [K] limitait au maximum ses temps de déplacement dans le centre du village se bornant à assurer son ravitaillement ou à faire visiter les chiens par le vétérinaire.

En réplique à la demande qui lui est présentée en paiement d’heures de travail supplémentaires, dominicales et repos compensateurs, cette demande étant plus qu’étayée, l’employeur ne fournit à la cour aucun éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

De ces multiples tâches, il convient de retenir que M. [K] passait plus d’heures de travail au gardiennage qu’à ses autres fonctions étant quasiment en permanence à surveiller le domaine.

Son conseil demande à la cour d’appliquer à la relation de travail, non la convention des employés de maison, moins favorable au salarié, mais la convention collective nationale des jardiniers-gardiens de propriétés privées du 30 janvier 1986, étendue par arrêté du 27 mai 1986, laquelle, dans son article 1er définissant ses champs d’application territorial et professionnel, prévoit qu’elle détermine les rapports entre les particuliers employeurs et les salariés occupés en qualité de jardiniers-gardiens de propriétés privées dont l’activité consiste notamment dans :

— l’entretien d’un jardin d’agrément,

— l’entretien d’une basse-cour (ou soins aux animaux domestiques),

— le gardiennage de la propriété privée.

Il est établi par témoignages que M. [K] entretenait un jardin d’agrément en passant la tondeuse à gazon et il résulte du contrat liant les parties qu’il entretenait les poules d’une basse-cour, qu’il soignait les chiens et les chats de la propriétaire, enfin qu’il assurait le gardiennage d’une propriété privée.

C’est donc à bon droit que le conseil du salarié fonde ses demandes pécuniaires sur la base de cette convention collective.

Son dernier bulletin de paie mentionnait un salaire brut mensuel d’un montant de 1 426,36 euros.

Si l’on ajoute à ce salaire les heures supplémentaires impayées, les heures dominicales impayées, ainsi que les congés payés afférents -les bulletins de paie ne portant mention d’aucune prise des congés payés légaux- la prise en considération des repos compensateurs monétisés, y ajoutant l’avantage en nature du logement, le salaire réel s’établit à 2856 euros bruts par mois.

On pourrait imaginer que Mme [M], de nationalité néerlandaise -ce qui explique orthographe- ignorait tout des droits sociaux applicables sur le sol français.

Mais il n’en n’était rien, puisque le contrat de travail stipule au profit du salarié le corpus minimum des droits que la loi lui reconnaît -droit au repos en fin de semaine, congés payés, respect du salaire minimum- droits qu’elle a bafoués en toute connaissance de cause en l’assignant à résidence et en le surchargeant de tâches de travail pour lesquelles elle ne voulait pas le rémunérer.

Ces constatations font que la cour retiendra l’existence d’un travail dissimulé.

Infirmant, la cour condamnera Mme [M] à payer à M. [K] une somme totale, des chefs du présent chapitre, égale à 66 839 euros, quantum, quoique basé exactement sur des majorations progressives des heures supplémentaires de 25 %, passant à 50 % après les 8 premières heures, mais certainement minoré car la demande ne prend en compte 'que’ 54 heures de travail par semaine, à raison de 9 heures par jour, en ce compris les week-ends, sans réclamation au titre des jours fériés et de la privation de tout congés payés quelques semaines après la prise de fonction du salarié.

Sur les demandes liées au licenciement :

En l’absence d’appel incident, il est acquis aux débats que le licenciement de M. [K] est irrégulier et illégitime.

Irrégulier car prononcé sans entretien préalable, en conséquence de quoi le nécessaire préjudice causé au salarié par cette irrégularité sera réparé par l’allocation d’une indemnité de 2 856 euros.

Illégitime car fondé sur deux motifs inopérants : 'Premièrement : nos visites vont être sporadiques, deuxièmement : mes deux chiens vont quitter la propriété, vôtre présence n’aura plus aucune raison d’être'.

La lecture de la lettre de rupture laisse la pénible impression que le devenir des deux chiens de Mme [M] prime sur le devenir privé et professionnel de son employé.

Ce mépris affiché est encore établi par le fait, qu’abusant toujours de ses droits, cet employeur insérait dans le contrat de travail une stipulation selon laquelle le salarié s’interdisait de recevoir dans le 'studio’ mis à sa disposition une visite privée sans son accord préalable.

La cour note que l’appellation de 'studio’ est excessive puisque le témoin [J], déjà cité, décrit une pièce exigue, non meublée, austère et sordide.

On ajoutera, qu’en violation de son intimité, le salarié devait s’accommoder l’hiver dans cette pièce de la présence des deux chiens de son employeur.

Âgé à ce jour de 60 ans, M. [K] est toujours demandeur d’emploi, son aide d’allocation à l’emploi étant égale à 865,50 euros bruts par mois au mois de juin 2011 selon son dernier relevé édité par Pôle emploi.

La cour dispose des éléments d’appréciation suffisants pour arrêter à la somme de 25 000 euros l’indemnisation de ce licenciement irrégulier et illégitime.

Sur la délivrance de documents sociaux :

L’employeur délivrera au salarié une attestation destinée à Pôle emploi mentionnant le salaire réel de 2856 euros bruts par mois, ainsi qu’un bulletin de paie indiquant le versement de la somme de 53 366 euros au titre des rappels de salaire et du complément de l’indemnité de licenciement.

L’employeur délivrera ces deux documents sous une astreinte de 150 euros par jour de retard passé les trois mois de la notification faite à sa personne du présent arrêt, ou de sa signification internationale.

Sur les dépens :

Mme [M] supportera les entiers dépens.

…/…

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l’article 450 du code de procédure civile :

Infirme le jugement déféré ;

Et, statuant à nouveau :

Condamne Mme [M] à verser à M. [K] 94 695 euros, en deniers ou quittances valables ;

La condamne à lui délivrer une attestation destinée à Pôle emploi mentionnant un salaire réel égal à 2856 euros bruts par mois, plus un bulletin de paie indiquant le versement de la somme de 53 366 euros au titre des rappels de salaire et du complément de l’indemnité de licenciement, le tout sous astreinte sous une astreinte de 150 euros par jour de retard passé les trois mois de la notification faite à sa personne du présent arrêt, ou de sa signification internationale ;

Dit que la cour se réserve la liquidation de cette astreinte, la partie demanderesse pouvant la saisir à cette fin par lettre simple ;

Condamne Mme [M] aux entiers dépens et la condamne à verser à M. [K] 2 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

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