Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1 10, 4 juin 2020, n° 19/00003

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, ch. 1 10, 4 juin 2020, n° 19/00003
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 19/00003
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Bouches-du-Rhône, EXPRO, 13 décembre 2018, N° 18/00062
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 21 août 2023
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Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

CHAMBRE DES EXPROPRIATIONS

ARRÊT AU FOND

DU 04 JUIN 2020

N° 2020/11

N° RG 19/00003

N° Portalis DBVB-V-B7D-BDYZN

SCI STESSIM

C/

Société COMPAGNIE PETROCHINIQUE DE BERRE

COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

Copie exécutoire délivrée :

le :

à :

— SCI STESSIM

— Société COMPAGNIE PETROCHINIQUE DE BERRE

Copie certifiée conforme :

le :

à :

— Me Julien MARCEAU

— SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE

— COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT de [Localité 16]

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Juge de l’expropriation de BOUCHES-DU-RHONE en date du 14 Décembre 2018, enregistré au répertoire général sous le n° 18/00062.

APPELANTE

SCI STESSIM,

demeurant [Adresse 9]

représentée par Me Julien MARCEAU, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

Société COMPAGNIE PETROCHINIQUE DE BERRE, demeurant [Adresse 14]

représentée par Me Françoise BOULAN de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, et Me Helen COULIBALY-LE GAC de la SELARL H COULIBALY LE GAC, avocat au barreau de MARSEILLE.

Monsieur COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT,

demeurant [Adresse 15]

*-*-*-*-*

Les parties ont été avisées de ce que l’affaire serait jugée selon la procédure sans audience prévue par l’article 8 de l’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 et ne s’y sont pas opposées dans le délai de quinze jours.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Juin 2020.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE

Madame Anne DUBOIS, Conseiller

désignée pour présider la Chambre des Expropriations, en qualité de titulaire, par ordonnance du Premier Président de la Cour d’Appel d’Aix en Provence.

Mme Valérie GAILLOT-MERCIER, Conseiller,

Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller,

spécialement désignés comme juges de l’Expropriation.

Puis les mêmes magistrats ont délibéré de l’affaire, conformément à la loi, hors la présence du Commissaire du Gouvernement et du greffier.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé publiquement le 04 Juin 2020 et signé par Madame Anne DUBOIS, Conseiller et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS :

Un arrêté préfectoral du 4 mars 2010 a institué une servitude d’utilité publique (SUP) pour interdire toute construction à usage autre qu’industriel ou artisanal sur les terrains pollués et situés à proximité de la zone industrielle de la [Localité 17] dans les communes de [Localité 18] et [Localité 11].

Le 17 décembre 2014, la SCI Stessim a acquis auprès de la SCI Pacha « une parcelle de terrain nu destiné à la construction d’un bâtiment à usage commercial » cadastré section BX n° [Cadastre 10], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7] et [Cadastre 8] sise lieu-dit [Localité 13] à [Localité 18], au prix de 390.000 euros HT.

Elle y a fait édifier un entrepôt de 2.248 m² puis en 2015, a donné une partie de cet immeuble à bail commercial à la société Wok d’Asie, cette dernière souhaitant y exploiter une activité de restauration et s’engageant à faire son affaire personnelle des travaux nécessaires au sein du volume mis à sa disposition.

L’autorisation sollicitée à cette fin a été refusée par un arrêté municipal du 7 juillet 2015 au motif que les parcelles concernées se situent dans la zone de la SUP instituée par l’arrêté préfectoral du 4 mars 2010.

Arguant avoir vainement réclamé à la Compagnie pétrochimique de Berre (CPB) une indemnisation au visa de l’article L515-11 du code de l’environnement par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 décembre 2017, la SCI Stessim a saisi le juge de l’expropriation des Bouches du Rhône le 23 mai 2018 d’une demande d’indemnisation du préjudice résultant de l’institution de la servitude de pollution des sols.

Après s’être transporté sur les lieux le 19 septembre 2018, ce juge a, par jugement du 14 décembre 2018 :

déclaré la SCI Stessim irrecevable en son action à l’encontre de la CPB comme étant prescrite,

condamné la SCI à payer à la CPB la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

rejeté toutes autres demandes,

dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

condamné la SCI Stessim aux dépens.

Cette dernière a interjeté appel le 5 février 2019.

Dans ses conclusions reçues le 29 avril 2019, elle demande à la cour de :

prononcer l’annulation du jugement entrepris,

la recevoir en son action sur le fondement de l’article L515-11 du code de l’environnement,

fixer le montant de l’indemnisation à la somme totale de 1.357.041,17 euros se décomposant comme suit :

195.000 euros pour la perte de valeur vénale de son bien,

280.000 euros pour la perte de loyers,

97.500 euros au titre de l’indemnité de remploi,

784.541,17 euros au titre des sommes réclamées par la société Wok d’Asie dans son assignation du 26 août 2016,

condamner la CPB à lui verser la somme de 1.357.041,17 euros majorée des intérêts au taux légal à compter de sa demande d’indemnisation,

ordonner la capitalisation des intérêts à compter de sa demande d’indemnisation,

condamner la CPB aux dépens et à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

ordonner l’exécution provisoire de l’arrêt à intervenir.

Par conclusions reçues le 23 juillet 2019, le commissaire du gouvernement conclut à la confirmation de la décision attaquée.

Dans ses conclusions en réponse du 7 août 2019, la CPB demande à la cour de :

à titre principal,

confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

à titre subsidiaire,

déclarer l’article L515-11 du code de l’environnement inapplicable en l’espèce, en raison de l’absence de préjudice direct de la SCI Stessim,

juger que la SCI Stessim ne démontre pas l’usage commercial possible des parcelles cadastrées BX [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3] et [Cadastre 4] situées lieu-dit [Localité 12] à [Localité 18], un an avant l’ouverture de l’enquête publique le 26 mai 2008,

juger que la perte de loyers et l’indemnité de remploi ne sont pas indemnisables au titre de l’article L 515-11 précité,

juger que les demandes de la SCI Stessim relatives à la perte de valeur vénale et l’indemnité de remploi ne sont justifiées par aucun document,

en conséquence rejeter l’intégralité des demandes de la SCI Stessim,

à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour retenait la recevabilité de l’action de la SCI Stessim, l’absence de prescription et l’applicabilité de l’article L515-11 du code de l’environnement,

juger que la connaissance par la SCI Stessim de l’existence de la servitude d’utilité publique instituée le 4 mars 2010 lors de l’acquisition des parcelles en cause, constitue une contestation sérieuse relevant de la compétence du juge du fond,

juger que l’évaluation du préjudice de la SCI Stessim fondée principalement sur les sommes qu’elle devrait à sa locataire, la société Wok d’Asie, au titre du bail commercial conclu le 20 février 2015 constitue une contestation sérieuse relevant de la compétence du juge du fond,

en conséquence,

renvoyer les parties à mieux se pourvoir devant le tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence,

en tout état de cause,

condamner la SCI Stessim à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, ceux d’appel distraits au profit de la SELARL Lexavoué Aix-en-Provence.

Les mémoires des parties, les conclusions du commissaire du gouvernement et toutes les pièces sur lesquelles ils s’appuient, ont été régulièrement notifiés conformément aux dispositions de l’article R 311-26 du code de l’expropriation.

Les parties ont été régulièrement convoquées par lettres recommandées avec accusé de réception par le greffe à l’audience du 2 avril 2020. Celle-ci n’ayant pu avoir lieu du fait des mesures gouvernementales liées au Covid 19, l’affaire a fait l’objet d’une décision rendue sans audience, en application de l’article 8 de l’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale, en l’absence d’opposition des parties.

***

SUR CE :

Selon l’article L 515-11 al 1 du code de l’environnement, lorsque l’institution des servitudes prévues à l’article L515-8 entraîne un préjudice direct, matériel et certain, elle ouvre droit à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit. La demande d’indemnisation doit être adressée à l’exploitant de l’installation dans un délai de trois ans à dater de la notification de la décision instituant la servitude. À défaut d’accord amiable, l’indemnité est fixée par le juge de l’expropriation.

L’article R 515-31-7 du code de l’environnement précise que l’acte instituant les servitudes est notifié par le préfet aux maires des communes sur le territoire desquelles s’étend le périmètre mentionné à l’article R 515-31-2, à l’exploitant et à chacun des propriétaires des terrains et des autres titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit lorsqu’ils sont connus.

Cet acte fait l’objet, en vue d’une information aux tiers, d’une publication au recueil des actes administratifs du département et d’une publicité foncière.

Sur la prescription :

La SCI Stessim soutient qu’elle n’a eu connaissance de la SUP du 4 mars 2010 que le 7 juillet 2015 lorsque sa locataire l’a informée du motif du refus par le maire de l’autorisation de travaux qu’elle avait sollicitée. Elle considère en conséquence que sa réclamation d’une indemnité par lettre recommandée avec accusé de réception du 5 décembre 2017 n’est pas prescrite.

Elle expose qu’en vertu des articles L 515-11 et R 515-31-7 du code de l’environnement, le point de départ du délai de prescription triennal est la notification de l’acte instituant la servitude, à chacun des propriétaires des terrains et autres titulaires de droits réels, laquelle ne peut être confondue avec sa publication qui sert seulement à l’information des tiers.

Elle fait ainsi grief au premier juge d’avoir commis une triple erreur de droit en :

faisant courir le délai de prescription de l’action en indemnisation alors qu’aucune notification de la servitude du 4 mars 2010 n’a été faite aux propriétaires,

le faisant courir à compter de la publication de la servitude, faisant ainsi application de la théorie de la connaissance acquise,

considérant qu’il appartenait à la SCI Pacha d’informer son acquéreur de l’existence de la servitude.

Il n’est pas discuté qu’aucune notification de la SUP n’a été faite aux propriétaires lors de son instauration en 2010.

Contrairement à ce que soutient la CPB, la notification de la servitude aux maires des communes concernées et sa publication ultérieure, ne se substituent pas à la notification que l’article R515-31-7 impose également de faire à chacun des propriétaires lesquels, à la différence de leurs ayants droit, sont nécessairement connus par le préfet.

Dès lors, l’intimé invoque à tort la théorie de la connaissance acquise.

Par conséquent, faute de notification à la SCI Pacha, le délai de trois ans n’a pas commencé à courir.

La fin de non recevoir tirée de la prescription doit ainsi être écartée et le jugement infirmé de ce chef.

Sur le fond :

C’est lorsque leur institution entraîne un préjudice direct, matériel et certain, que les servitudes prévues à l’article L515-8 ouvrent droit à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit, par application de l’article L 515-11 al 1 du code de l’environnement.

Or, en l’espèce, la servitude environnementale a été créée le 4 mars 2010.

Elle préexistait donc à l’acquisition par l’appelante du bien immobilier de la SCI Pacha.

En outre, la CPB démontre qu’après les mesures de publicité et d’affichage de l’avis d’institution de la SUP, l’arrêté préfectoral du 4 mars 2010 a bien été affiché dans la commune de [Localité 18] et que le plan d’occupation des sols du 19 février 1979 a été modifié compte tenu notamment de la mise à jour de la [Adresse 19], par délibération du conseil municipal du 17 février 2011, publiée et affichée pendant un mois à compter du 1er mars 2011.

La SUP annexée au POS modifié est ainsi devenue opposable à tous à compter de cette date.

De surcroît, la SCI Stessim en a eu connaissance avant même l’achat de sa parcelle puisque que le 18 septembre 2014, elle a obtenu le transfert du permis de construire « un entrepôt vide de tout aménagement intérieur d’une surface de plancher de 2.248 m² » accordé à la SARL AES, ayant le même gérant qu’elle, accordé par arrêté municipal du 13 mai 2014, et modifié le 2 septembre 2014 pour préciser la nature et la destination de la construction, à savoir « un entrepôt d’artisanat ».

En effet, l’arrêté municipal du 13 mai 2014 vise expressément que la société Lyondellbasell, maison mère de la CPB, a émis « un avis favorable en date du 2 avril 2014, reçu le 9 avril 2014 » sur la demande de permis de construire, caractérisant ainsi la présence du risque environnemental. Surtout, le permis de construire initial, le permis modificatif du 2 septembre 2014 et le transfert du permis de construire du 17 septembre 2014 se réfèrent tous trois au « plan d’occupation des sols de la commune de [Localité 18] approuvé le 19 février 1979 (…) modifié le 17 février 2011(…) ».

De plus, son acte notarié d’acquisition du 17 décembre 2014 stipule, dans le paragraphe « renseignements d’urbanisme », que « l’acquéreur reconnaît avoir connaissance d’une note de renseignements d’urbanisme délivrée par le cabinet Urbanet en date du 4 mars 2014 et qu’il s’oblige à faire son affaire personnelle de l’exécution des charges et prescriptions, du respect des servitudes publiques et autres limitations administratives au droit de propriété mentionnées sur les documents sus visés, sans recours contre le vendeur » comme le souligne à bon droit le commissaire du gouvernement.

Elle a donc acquis le terrain en toute connaissance de cause des contraintes environnementales l’affectant.

En conséquence, les préjudices qu’elle allègue ne découlent pas de l’instauration de la SUP mais de sa décision de changer la destination de l’entrepôt d’artisanat qu’elle y a fait édifier en le donnant à bail commercial pour une activité de restauration en dépit des règles imposées par la servitude interdisant toute construction à usage autre qu’industriel ou artisanal.

Elle ne peut non plus arguer d’une perte de la valeur vénale de son fonds dès lors que la SUP préexistait à son achat.

Elle sera par conséquent déboutée de l’ensemble de ses demandes sans qu’il soit besoin de suivre plus avant les parties dans le détail de leur argumentation.

Comme elle succombe, la SCI Stessim sera condamnée aux dépens d’appel sans qu’il soit fait application de l’article 699 du code de procédure civile, la constitution d’avocat n’étant devenue obligatoire devant la juridiction de l’expropriation que pour les instances introduites après le 1er janvier 2020.

Elle sera également condamnée à payer à la CPB la somme de 6.000 euros du chef de l’article 700 du code de procédure civile.

***

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition,

INFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré l’action prescrite,

Le réformant de ce chef,

ECARTE la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action,

DEBOUTE la SCI Stessim de l’ensemble de ses demandes indemnitaires,

Y ajoutant,

CONDAMNE la SCI Stessim à payer à la Compagnie pétrochimique de Berre la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE le surplus des demandes,

CONDAMNE la SCI Stessim aux dépens d’appel.

la greffière la présidente

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