Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-10, 4 juin 2020, n° 19/00020

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, ch. 1-10, 4 juin 2020, n° 19/00020
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 19/00020
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Bouches-du-Rhône, EXPRO, 5 mars 2019, N° 18/00071
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

CHAMBRE DES EXPROPRIATIONS

ARRÊT AU FOND

DU 04 JUIN 2020

N° 2020/12

N° RG 19/00020

N° Portalis DBVB-V-B7D-BEGWJ

Etablissement Public EUROMEDITERRANEE

C/

SARL LA CASINCAISE

COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT

Copie exécutoire délivrée :

le :

à :

— Etablissement Public EUROMEDITERRANEE

— SARL LA CASINCAISE

Copie certifiée conforme :

le :

à :

— SCP CABINET BERENGER, BLANC, Z-A & ASSOCIES

— Me Paul X

— Monsieur le COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT de Marseille

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Juge de l’expropriation de BOUCHES-DU-RHONE en date du 06 Mars 2019, enregistré au répertoire général sous le n° 18/00071.

APPELANTE

Etablissement Public EUROMEDITERRANEE,

demeurant C/o Me Y Z A – […]

représentée par Me Y Z-A de la SCP CABINET BERENGER, BLANC, Z-A & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

SARL LA CASINCAISE,

demeurant […]

représentée par Me Paul X, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Monsieur le COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT,

demeurant […]

*-*-*-*-*

Les parties ont été avisées de ce que l’affaire serait jugée selon la procédure sans audience prévue par l’article 8 de l’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 et ne s’y sont pas opposées dans le délai de quinze jours.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Juin 2020.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE

Madame Anne DUBOIS, Conseiller

désignée pour présider la Chambre des Expropriations, en qualité de titulaire, par ordonnance du Premier Président de la Cour d’Appel d’Aix en Provence.

Mme Valérie GAILLOT-MERCIER, Conseiller,

Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller,

spécialement désignés comme juges de l’Expropriation.

Puis les mêmes magistrats ont délibéré de l’affaire, conformément à la loi, hors la présence du Commissaire du Gouvernement et du greffier.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé publiquement le 04 Juin 2020 et signé par Madame Anne DUBOIS, Conseiller et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS :

L’établissement public et d’aménagement d’État à caractère industriel et commercial, Euroméditerranée, créé en 1995, est chargé d’intervenir sur le périmètre d’intérêt national de 310 hectares, dans le triangle Saint Charles-Saint Lazare- Arenc la Joliette.

En suite de la première phase de son action dans cinq secteurs, dont la ZAC de la cité Méditerranée, une valeur foncière a été constituée sur divers sites compris dans la ZUS Centre Nord de Marseille en vue d’entreprendre un projet de rénovation urbain.

Une extension de ce projet, situé dans le périmètre dit Euromed II, en vue d’une reconquête vers le Nord, se poursuit sur un nouveau périmètre étendu de l’opération déclarée d’intérêt national par décret du 22 décembre 2017, incluant une surface complémentaire de 169 hectares.

Le projet de la ZAC Littorale qui en constitue une nouvelle étape, et le programme des équipements publics de cette ZAC, ont été approuvés par arrêtés préfectoraux des 13 octobre 2013 et 9 octobre 2015.

L’enquête unique portant sur l’utilité publique et le parcellaire, prescrite par arrêté préfectoral du 4 mai 2016, s’est déroulée du 8 juin au 8 juillet 2016.

Un arrêté préfectoral du 27 février 2017 a déclaré d’utilité publique les travaux d’aménagement nécessaires à la réalisation de la ZAC.

L’ordonnance d’expropriation est intervenue le 30 juin 2017.

En l’espèce, l’expropriation vise l’ensemble immobilier cadastré section 901 K n°23, 24, 33 et 34 situé […] dans le […], dont était propriétaire la SCI I Fieni qui l’a donné à bail commercial à la SARL Casincaise.

Le 20 juillet 2018, cette dernière a saisi le juge de l’expropriation des Bouches du Rhône en fixation de son indemnité de transfert d’activité.

Après avoir visité les lieux le 31 janvier 2019, ce dernier, par jugement du 6 mars 2019, a :

fixé l’indemnité d’éviction revenant à la société Casincaise à la somme de 1.021.282 euros incluant :

valeur du droit au bail de 136.620 euros

indemnité de remploi de 13.662 euros

trouble commercial de 55.000 euros

frais de déménagement et de réinstallation de 560.000 euros

surcoût d’exploitation de 256.000 euros

condamné Euroméditerranée à payer à la SARL Casincaise la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

laissé les dépens à la charge de Euroméditerranée.

Euroméditerranée a interjeté appel le 29 avril 2019.

Dans son mémoire du 17 juillet 2019 puis celui du 4 mars 2020, tenus pour intégralement repris, il demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

utilisé la méthode de la valeur du droit au bail au motif que le fonds de commerce ne disparaît pas

évalué le droit au bail sur la base de 136.620 euros en appliquant un coefficient 5,

fixé l’indemnité pour trouble commercial à 55.000 euros

le réformer sur l’indemnité de remploi et dire et juger qu’elle doit être calculée non pas avec un taux plein de 10% mais un taux de 5% jusqu’à 23.000 euros et de 10% au delà, soit 12.512 euros,

réformer le jugement pour le surplus,

dire que les frais de déménagement et de réinstallation ne correspondent pas à 560.000 euros,

dire et juger qu’à défaut de produire les justificatifs des véritables dépenses exposées au titre du déménagement et de réinstallation, le locataire n’aura droit à aucune indemnité, lui-même étant demandeur et ayant participé à son départ, les locaux étant vides lors de la visite des lieux,

dire et juger que le surcoût des prestations n’est pas lié à l’expropriation mais au choix de la locataire de partir définitivement sur le site de Vitrolles qu’elle avait elle-même choisi préalablement et en conséquence, dire n’y avoir lieu à indemnité de ce chef,

condamner la société Casincaise au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

Dans son mémoire du 28 octobre 2019, celui additionnel du 6 janvier 2020 puis son mémoire récapitulatif du 2 mars 2020 tenus pour intégralement repris, la société Casincaise demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a alloué les indemnités suivantes :

frais de déménagement et de réinstallation de 560.000 euros

surcoût d’exploitation de 256.000 euros

article 700 du code de procédure civile : 2.000 euros

le réformer pour le surplus et fixer les indemnités suivantes comme suit :

indemnité principale d’éviction (droit au bail) : 177.240 euros

indemnité de remploi sur l’indemnité principale : 16.390 euros

frais de démontage et de réinstallation du totem : 2.200 euros

frais de stockage des équipements démontés (provision) : 2.500 euros

article 700 cour d’appel : 2.500 euros

total général : 1.121.330 euros

Par conclusions déposées le 30 septembre 2019 et tenues pour intégralement reprises, le commissaire du gouvernement sollicite la confirmation de la décision attaquée sauf en ce qui concerne les indemnités pour frais de déménagement et de surcoût d’exploitation.

Dans ses dernières conclusions du 2 mars 2020, il conclut à un droit au bail de 92.055 euros au lieu de 136.620 euros fixé par le jugement querellé.

Les mémoires des parties, les conclusions du commissaire du gouvernement et toutes les pièces sur lesquelles ils s’appuient, ont été régulièrement notifiés conformément aux dispositions de l’article R 311-26 du code de l’expropriation.

Les parties ont été régulièrement convoquées par le greffe à l’audience du 5 mars 2020 par lettres recommandées avec accusé de réception. L’affaire a été renvoyée contradictoirement à l’audience du 2 avril 2020. Celle-ci n’ayant pu avoir lieu du fait des mesures gouvernementales liées au Covid 19, l’affaire a fait l’objet d’une décision rendue sans audience, en application de l’article 8 de l’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale, en l’absence d’opposition des parties.

***

SUR CE :

Sur la date de référence :

Conformément à l’article L213-6 du code de l’urbanisme relatif aux immeubles soumis au droit de préemption urbain, renvoyant à l’article L213-4 du même code, la date de référence doit être fixée à la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d’occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d’urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien, soit en l’espèce, le 28 juin 2013, correspondant à la dernière révision du PLU, les modifications ultérieures n’ayant pas changé le zonage de la parcelle.

A cette date, le bien exproprié, inscrit en zone UaeE, secteur UaeE2, centre et tissu de type central, urbanisé à vocation de destination mixte habitat/activités, est un immeuble de rapport.

Sur la description du bien :

Lors de la visite de l’immeuble le 31 janvier 2019, les locaux loués à la SARL Casincaise étaient vides. Le premier juge s’est donc référé au procès verbal de transport sur les lieux du 28 mars 2018, relatif à l’expropriation de la propriétaire, la SCI I Fieni, qui mentionne que :

Il s’agit d’un grand ensemble immobilier dédié à l’exercice d’une activité de logistique (transport de produits frais et matériaux).

L’ensemble est entièrement clôturé, 1'entrée dans 1'enceinte de l’entreprise se faisant par un grand portail en fer. La façade peinte est en bon état, la toiture en tôles est également en bon état (partie visible).

A gauche de l’entrée, un très grand parking servant au stationnement des poids lourds avec également une station de lavage des camions et une station essence (équipements appartenant au locataire).

A droite, un grand bâtiment élevé d’un étage composé comme suit :

sur le côté gauche extérieur du bâtiment : un pont pour surélever les camions (appartenant au locataire).

extrémité gauche : un bureau indépendant accessible par un petit escalier avec vitrine donnant sur la cour, banque d’accueil, carrelage au sol, plaques au plafond, crépis au mur et climatisation réversible, le tout en état d’usage.

une entrée principale avec un bureau, banque d’accueil, une paroi vitrée donnant sur une grande

chambre froide, armoires électriques, carrelage au sol, crépis sur les murs, plaques au plafond, le tout en état d’usage.

à l’étage : une grande partie bureaux en ' open space ' avec vitrine sur toute la longueur donnant sur la cour, avec plaques au plafond, carrelage au sol, crépis sur les murs, climatisation réversible, le tout en bon état. Un local WC avec lavabo en bon état.

7 quais de livraison (démontables selon Me X) fermés chacun par un volet roulant automatique (équipements appartenant au locataire).

1 grande chambre froide de 800 m² avec isolation spécifique et système de refroidissement de l’air (équipements appartenant au locataire).

1 pièce équipée de rails pour suspendre la marchandise (équipement appartenant au locataire).

1 chambre négative.

1 local technique en tôles.

Sur l’indemnisation :

=> concernant les indemnités principale et de remploi :

La SARL Casincaise exploitait dans les lieux loués, une activité de transport de marchandises, transport frigorifique et logistique entre le continent et la Corse, en vertu de deux baux commerciaux, le premier du 27 octobre 1994, renouvelé le 1er avril 2010 portant sur les terrains bâtis n° 23 et 33 de 2.400 m², moyennant un loyer annuel actualisé de 77.676 euros HT, le second du 6 avril 2015 pour les parcelles attenantes n°24 et 34, non bâties, de 1.640 m², moyennant un loyer annuel actualisé de 18.876 euros HT.

Elle a trouvé un site pour se réinstaller dans la zone industrielle de Vitrolles.

Le premier juge a relevé l’accord des parties sur le principe de l’indemnisation d’un transfert d’activité sans perte de clientèle, et l’évaluation de la perte du droit au bail, selon la méthode du différentiel, avec une valeur locative métrique de 100 euros et un coefficient de situation 5.

La SARL Casincaise lui fait grief d’avoir retenu seulement la surface du bâti en faisant valoir, d’une part, que le bail du terrain nu n’a pas été résilié préalablement à l’expropriation malgré ce qu’a soutenu le commissaire du gouvernement et, d’autre part, qu’Euroméditerranée a prétendu à tort que la valeur de ce terrain serait incluse dans celle du bâtiment.

Sur ce dernier point, il ressort effectivement de l’arrêt de la présente cour du 16 mai 2019 ayant statué sur les indemnités devant revenir à la société propriétaire expropriée, que les parcelles 24 et 34, d’une superficie totale de 1.640 m², constituent un lot distinct et non résiduel devant faire l’objet d’une indemnisation spécifique.

Par ailleurs, aucune pièce n’est produite aux débats venant démontrer que le bail commercial du 6 avril 2015 relatif au lot 6 comprenant les parcelles 24 et 34, qui s’est tacitement renouvelé le 31 avril 2004 moyennant un loyer annuel de 22.640,68 euros TTC, aurait été résilié.

En outre, contrairement à ce qu’oppose en appel le commissaire du gouvernement, le premier juge ne s’est pas uniquement fondé sur la proposition de bail faite le 25 avril 2018 par la société I Fieni à la SARL Casincaise pour fixer la valeur actuelle du marché à 100 euros/m² puisqu’il a relevé que l’expropriant et l’expropriée lui ont soumis une valeur métrique de 100 euros, et qu’il a noté l’accord

des parties sur cette évaluation en soulignant que ce prix ressort d’ailleurs de l’étude comparative de 6 points de comparaison effectuée par le commissaire du gouvernement.

Ce dernier ne sera donc pas suivi quand il prend en compte les 6.000 m² d’aire extérieure mentionnés dans le bail en état futur d’achèvement signé par l’intimée le 19 décembre 2019, pour conclure à une indemnisation du droit au bail de 92.055 euros dans ses dernières écritures.

Par conséquent, les deux baux commerciaux relatifs aux locaux à usage de bureaux, entrepôt et locaux sociaux […] et aux parcelles non bâties, étant toujours en vigueur au moment de l’éviction, la perte du droit au bail de la SARL Casincaise doit se calculer, avec prise en compte de la pondération appliquée par la société évincée, comme suit :

*loyer du marché actuel : 100 € x 1.321 m² = 132.100 € arrondis à 132.000 €

*prix des 2 loyers en cours à déduire de (77.676 € + 18.876 €) = 96.552 €

*application du coefficient de 5 au différentiel : 35.448 € x 5 = 177.240 €.

L’indemnité principale revenant à l’intimée est donc de 177.240 euros et l’indemnité de remploi correspondante, selon le barème dégressif de 5% jusqu’à 23.000 et de 10% au delà, s’élève à 16.574 euros et non à 16.320 euros, montant qui résulte d’une erreur matérielle de calcul de la société locataire.

=> concernant les indemnités accessoires :

L’indemnité allouée en réparation du trouble commercial n’est pas discutée.

concernant les frais de déménagement et de réinstallation :

Il est constant que les aménagements spécifiques à l’activité de transport frigorifique ont été réalisés dans les lieux expropriés par la locataire. L’arrêt du 16 mai 2019 a, au demeurant, bien spécifié que les équipements appartenaient à la SARL Casincaise de sorte que ceux-ci n’ont pas été pris en compte lors de la fixation des indemnités revenant à la société propriétaire des murs.

Euroméditerranée reproche au premier juge de s’être fondé sur de simples devis alors qu’il est apparu lors du transport sur les lieux que la SARL Casincaise avait déjà déménagé. Il considère en conséquence, avec le commissaire du gouvernement, que l’intimée ne pouvait être indemnisée de ce chef qu’en justifiant des coûts réels de démontage, de déménagement et de réinstallation, par la production des factures qu’elle a nécessairement en sa possession, sauf à admettre un enrichissement sans cause.

Il ajoute qu’il a réglé l’indemnité d’éviction à la locataire le 27 septembre 2019 et qu’il va procéder aux démolitions puisque la locataire a vidé les lieux et a donc dû récupérer les installations sur site. Il en conclut que les devis concernant le démontage d’un ensemble de matériel frigorifique puis son remontage doivent être écartés.

Il souligne enfin que les devis relatifs à la construction d’un ensemble frigorifique neuf correspondant à l’existant doivent être nuancés du fait de la future surface de l’entrepôt à construire, 4 fois supérieure à celle existant rue Allar.

Il est indiscutable que la SARL Casincaise avait déjà transféré une partie de son activité à Vitrolles avant même la mise en 'uvre de son éviction, comme l’établit le courrier du 16 mai 2017 de la société STEF qui a accepté la poursuite de la mise à disposition d’un volume de froid à Vitrolles de 7.540 m², justifiée par le risque d’expropriation, jusqu’à la fin 2018.

Néanmoins, l’attestation de son expert comptable du 23 octobre 2019 ainsi que les bilans annuels d’EDF que l’intimée verse aux débats qui justifient d’une consommation d’électricité jusqu’en décembre 2018 même si elle est réduite de plus de la moitié par rapport à 2016 et 2017, et l’attestation de la société ID Froid du 21 octobre 2019 qui confirme les visites de maintenance préventives et curatives des installations au 10 rue Allar jusqu’au 31 août 2018, démontrent que la locataire n’a cessé définitivement toute activité à Marseille qu’en décembre 2018.

Le commissaire du gouvernement, qui se fonde sur une capture écran du site internet de la SARL Casincaise prise le 22 août 2019, ne peut donc être suivi quand il prétend que l’intimée avait réservé le site de Marseille au seul transit de matériaux du BTP.

Il est par ailleurs établi que l’hébergement de l’activité de l’intimée par la société Stef, prorogé au 30 juin 2020, n’est que provisoire dans l’attente d’un déménagement vers un autre site pérenne.

A cet égard, la bailleresse actuelle de la SARL Casincaise, la société I Fieni, a trouvé un terrain industriel à Vitrolles pour lequel elle a obtenu un permis de construire un bâtiment qu’elle va lui louer à compter du 1er mars 2021 à charge pour elle d’aménager les installations spécifiques à son activité, selon bail en état futur d’achèvement signé le 1er décembre 2019.

L’intimée soutient qu’on ne peut lui reprocher l’absence de factures et la production de seuls devis puisqu’elle n’avait pas les moyens de financer sa réinstallation avant de percevoir son indemnité d’expropriation reçue début octobre 2019.

Elle explique qu’elle a pu, à compter de cette date, engager le processus de déménagement et faire ainsi procéder à l’évacuation des stations de lavage et de distribution de carburant, par :

le nettoyage et le dégazage de la cuve à carburant selon facture de 2.485 € HT de la société Castallano du 18/12/2019,

la location d’une grue de 400 € HT selon facture de la société MLTM du 20/12/2019,

le déménagement de la station carburant par la dépose et repose des tuyauteries de 396,90 € et 522,32 €, la mise à disposition d’une nacelle élévatrice et d’un grutage du plateau de TH de 457,26 € payés sur le devis de la société Tokheim du 2/10/2017,

le démontage du plateau extérieur et le transfert du portique de 1.264,80 € et 960 € payés sur le devis de la société Lavances Services du 8 septembre 2017,

le démontage et le transport en convoi exceptionnel de la station de lavage et de la cuve à carburant, sur Vitrolles, selon facture de 2.750 € de la société TPDM du 23/12/2019.

Cependant, force est de constater qu’elle a entrepris bien plus que le seul enlèvement des stations de lavage et d’essence puisque dès la visite des lieux le 31 janvier 2019, le premier juge a constaté que les locaux étaient vides et qu’il a dû se référer au procès verbal de transport relatif à la société propriétaire des murs dressé le 28 mars 2018 pour rappeler l’état des lieux et les équipements installés par la locataire. Et, au cours de l’audience qui s’est tenue dans la foulée, l’avocat de la SARL Casincaise a précisé, après mention de l’accord pris avec la société STEF à Vitrolles, qu’il « a fallu réinstaller les rails de circulation, les quais etc… ».

Il en résulte, malgré le devis de la société AG Energy relatif au déménagement des entrepôts et du matériel frigorifique du 15/10/2010 et accepté par la locataire le 27 novembre 2019, que l’ensemble des équipements a été démonté. Pour autant, et alors que son montant est nécessairement connu, l’intimée ne fournit aucune des factures afférentes à leur retrait.

En revanche, la réinstallation de l’ensemble du matériel n’a pas encore pu avoir lieu, le nouveau site de la SARL Casincaise n’étant disponible qu’à compter de mars 2021.

Les devis fournis par la locataire pour réclamer la somme totale de 560.000 euros seront donc expurgés de tous les frais de démontage.

Les frais de déménagement et de réinstallation seront par conséquent indemnisés à hauteur de 439.623,69 euros HT au vu des factures précitées de 2.485 euros, 400 euros et 2.750 euros et des devis Tokheim du 2/10/2017 de 55.120,27 euros, de Lavance du 13/09/2017 de 7.012,38 euros, de D&T du 28/09/2017 de 77.460 euros et 16.200 euros, de ID froid du 15/09/2017 de 185.370 euros, des Ateliers de la Queille du 7/09/2017 de 67.101 euros et de Proquai Industrie du 10/10/2017 de 25.725,04 euros.

concernant les frais de stockage du matériel :

La SARL Casincaise sollicite une indemnité forfaitaire de 20.000 euros pour le stockage de son matériel dans l’attente de son installation sur son nouveau site, en faisant valoir qu’elle n’est pas en mesure de justifier des frais y afférents pour l’instant.

Cependant, et dans la mesure où elle a déménagé les locaux depuis plusieurs mois, elle doit connaître le coût du stockage dont elle fait état. Dès lors, faute de production d’une facture acquittée, sa demande sera rejetée.

concernant le coût du déplacement du totem :

La SARL Casincaise fait grief au premier juge d’avoir rejeté sa demande d’indemnisation du déplacement du totem supportant son enseigne au motif non prouvé qu’il était sur la voie publique.

Mais elle ne fournit ni devis ni facture établissant que le déménagement du panneau s’élève à 2.200 euros et sera donc déboutée de cette prétention.

concernant le surcoût d’exploitation :

Il est indéniable que l’intimée bénéficiait d’un emplacement privilégié, situé à proximité immédiate du port de Marseille, pour son activité de fret à destination de la Corse.

Euroméditerranée conteste l’indemnité accordée au titre du surcoût de déplacement et de main d''uvre retenu par le premier juge du fait du déménagement de la SARL Casincaise à Vitrolles.

Il estime que ce surcoût n’est pas directement lié à l’expropriation mais à la volonté de la locataire de se positionner à Vitrolles où elle a déjà une partie de son exploitation et ce, d’autant plus qu’elle a quitté les lieux avant même que son expropriation ne soit engagée et avant même d’avoir reçu des offres de locaux de remplacement, ayant seulement conservé l’utilisation du parking jusqu’au 7 janvier 2020.

Il considère que le choix de l’intimée de s’installer sur Vitrolles est marqué par une volonté de développement et d’extension au regard des constructions qui seront réalisées dans la ZAC de l’Anjoly par la société I Fieni qui a le même gérant que la SARL Casincaise, d’une surface bien plus importante que celle des lieux expropriés, et très proches du site qu’elle occupe déjà.

Le commissaire du gouvernement ajoute que la société a fait un choix de cohérence et de rationalisation en regroupant toute son activité à Vitrolles, lieu d’implantation de son établissement secondaire depuis 2013, et plateforme de massification des flux et de formation des remorques à destination de la Corse. Il en déduit que les éventuels surcoûts de transports sont largement

compensés par les économies ainsi réalisées par ailleurs.

La SARL Casincaise, à qui il ne saurait être reproché d’avoir préparé très tôt son éviction programmée, reconnaît que dès 2016, elle a trouvé une mise à disposition de volume de froid de plus de 7.500 m3 à Vitrolles, dans les locaux de la société Stef, situés voie de l’Irlande dans la ZAC de l’Anjoly, comme son propre établissement secondaire, avant même la DUP et l’ordonnance d’expropriation respectivement prises les 27 février 2017 et 30 juin 2017.

Cet hébergement, certes provisoire, est donc intervenu avant que l’expropriée ait été officiellement contactée par Euroméditerranée le 20 novembre 2017.

En outre, la locataire qui a remis à l’expropriant les documents nécessaires à son éviction le 18 janvier 2018 puis les 16 et 25 avril 2018, a parallèlement accepté la proposition d’un nouveau bail formulée le 25 avril 2018 par sa bailleresse sur l’achat d’un terrain à venir ZAC de l’Anjoly à Vitrolles, situé à proximité de son propre site.

Elle a donc choisi volontairement de s’établir à Vitrolles, d’abord provisoirement dans des locaux jouxtant quasiment les siens, puis pour une durée de 12 ans sur le terrain acquis par sa bailleresse actuelle, et ce, avant que l’expropriant ait été mis en mesure de lui formuler des offres de relogement.

Le surcoût généré par l’éloignement de la zone portuaire de Marseille allégué par la SARL Casincaise, qui découle de sa seule décision, ne peut donc être imputé à l’expropriation.

Le jugement qui lui a alloué la somme de 256.000 euros de ce chef doit donc être infirmé.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

L’issue du procès conduit à partager les dépens d’appel par moitié, sans qu’il soit fait application de l’article 700 du code de procédure civile.

***

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement en ce qu’il a fixé l’indemnité d’éviction à la somme de 1.201.282 euros,

Le réformant de ce chef,

FIXE l’indemnité d’éviction revenant à la SARL Casincaise à la somme de 193.814 euros incluant l’indemnité de remploi de 16.574 euros,

FIXE l’indemnité lui revenant au titre du trouble commercial à 55.000 euros,

FIXE l’indemnité lui revenant au titre de ses de déménagement et de réinstallation à 439.623,69 euros HT,

DEBOUTE la SARL Casincaise de ses demandes d’indemnisation de frais de stockage, de déplacement de son totem et de préjudice d’exploitation,

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE le surplus des demandes,

DIT que les dépens d’appel seront supportés par moitié par Euroméditerranée et la SARL Casincaise.

La greffière La présidente

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Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-10, 4 juin 2020, n° 19/00020