Cour d'appel d'Amiens, Tarification, 2 février 2024, n° 22/02471

  • Relations du travail et protection sociale·
  • Risques professionnels·
  • Amiante·
  • Maladie professionnelle·
  • Risque·
  • Sociétés·
  • Salarié·
  • Fer·
  • Liste·
  • Établissement

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Amiens, tarification, 2 févr. 2024, n° 22/02471
Juridiction : Cour d'appel d'Amiens
Numéro(s) : 22/02471
Importance : Inédit
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 19 février 2024
Lire la décision sur le site de la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

ARRET

N°38

Société [6]

C/

CARSAT PAYS DE LA LOIRE

COUR D’APPEL D’AMIENS

TARIFICATION

ARRET DU 02 FEVRIER 2024

*************************************************************

N° RG 22/02471 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IOMI

PARTIES EN CAUSE :

DEMANDEUR

S.A. [6]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 2]

Ayant pour avocat Me Hélène Camier de la SELARL Lexavoué Amiens-Douai, avocat au barreau d’Amiens

Représentée par Me Olympe Turpin de la SELARL Lexavoué Amiens-Douai, avocat au barreau d’Amiens, substituant Me Aurélien Guyon de la SCP Guyon & David, avocat au barreau de Saint-Nazaire

ET :

DÉFENDEUR

CARSAT Pays de la Loire

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée et plaidant par Mme [X] [P], munie d’un pouvoir

DÉBATS :

A l’audience publique du 01 décembre 2023, devant M. Philippe Mélin, président assisté de Mme Véronique Outrebon et de M. Alain Mariage, assesseurs, nommés par ordonnances rendues par Madame la première présidente de la cour d’appel d’Amiens les 03 mars 2022, 07 mars 2022, 30 mars 2022 et 27 avril 2022.

M. Philippe Mélin a avisé les parties que l’arrêt sera prononcé le 02 février 2024 par mise à disposition au greffe de la copie dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme Diane Videcoq-Tyran

PRONONCÉ :

Le 02 février 2024, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par M. Philippe Mélin, président et Mme Audrey Vanhuse, greffier.

*

* *

DECISION

Le 1er février 2019 M. [R] [C], salarié de 1961 à 2002 en qualité de charpentier fer au sein d’une société à laquelle a succédé la société [6], a complété une déclaration de maladie professionnelle pour un cancer du poumon (adénocarcinome), pathologie prise en charge par la caisse primaire au titre du tableau n°30 bis des maladies professionnelles.

Les incidences financières de cette affection ont été imputées au compte employeur de la société [6].

Par acte d’huissier de justice délivré le 28 février 2022 et visé par le greffe le 11 mai suivant, la société [6], contestant son taux de cotisation AT/MP 2022, a fait assigner la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail Pays de la Loire (la CARSAT ou la caisse) devant la cour d’appel d’Amiens à l’audience du 4 novembre 2022 afin que soit retiré de son compte employeur le sinistre lié à la maladie professionnelle de M. [C]. L’affaire a fait l’objet d’un renvoi à l’audience du 16 juin 2023 puis à celle du 1er décembre 2023, afin de permettre aux parties d’échanger pièces et conclusions.

Par dernières conclusions communiquées au greffe le 28 novembre 2023, auxquelles elle s’est référée à l’audience, la société [6] demande à la cour de :

— juger qu’elle est recevable et bien fondée en ses demandes,

— annuler, et à défaut dire mal fondée et ne pouvant produire d’effet, la décision de la CARSAT ayant fixé à 4,36% à effet du 1er janvier 2022, le taux des cotisations dues au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles applicable pour la section 01 de son établissement,

— ordonner à la CARSAT de recalculer son taux de cotisation AT/MP applicable à effet du 1er janvier 2022 après avoir retiré de son compte employeur les coûts afférents à la maladie professionnelle de M. [R] [C].

La société [6] fait de prime abord valoir que son recours est recevable.

Elle soutient ensuite qu’il appartient à la CARSAT, qui a inscrit le sinistre litigieux sur son compte employeur, de prouver l’exposition au risque du salarié et qu’elle ne peut se prévaloir de la décision de prise en charge de la caisse primaire, même non contestée, au titre d’une quelconque présomption d’exposition.

Elle argue que la CARSAT doit être soumise aux mêmes exigences que l’employeur s’agissant de la preuve de l’exposition au risque et que de simples références à l’arrêté du 7 juillet 2000 ou aux déclarations du salarié sont insuffisantes.

Elle relate l’historique de la société et de ses prédécesseurs et rappelle que le contrat de cession de fonds de commerce entre elle et la société [5] excluait notamment les passifs relatifs à une exposition à l’amiante des salariés antérieure à la cession.

S’agissant de M. [C], elle indique qu’il n’a jamais été son salarié mais celui de la société [5] et que la CARSAT, qui ne produit que des éléments insuffisants, soit le questionnaire rempli par l’assuré et la liste ACAATA figurant dans l’arrêté du 7 juillet 2000, ne prouve pas l’exposition au risque.

Elle ajoute enfin que ni l’existence d’une clause d’exclusion du passif lié à l’amiante dans le traité de rachat du fonds de commerce de la société [5], ni la circonstance que la faute inexcusable de cette dernière ait pu être reconnue à l’égard d’autres salariés ne constitue une preuve de l’exposition au risque amiante de M. [C].

Par conclusions communiquées au greffe le 29 novembre 2023, soutenues oralement à l’audience, la CARSAT demande à la cour de :

— débouter la société [7] de sa demande de retrait de la maladie professionnelle de M. [C] de sa tarification 2022 et de toutes ses prétentions,

— rejeter en tout état de cause le recours de la société [6] contre sa décision.

La CARSAT rappelle que l’objet du litige est borné à la contestation du taux AT/MP 2022, en ce qu’il est impacté par la maladie professionnelle de M. [C].

Elle indique que la société doit s’expliquer sur sa position de contestation de toute exposition au risque amiante du salarié par elle ou ses prédécesseurs qui n’ont d’ailleurs jamais contesté cette exposition et dont elle a parfaitement conscience car elle a fait insérer dans le contrat de cession de fonds de commerce une clause d’exclusion du passif lié à l’amiante.

Elle argue que la demanderesse a déjà vu reconnaître sa faute inexcusable plusieurs fois à l’égard de salariés atteints de maladies professionnelles liées à l’amiante, amiante dont l’utilisation a été reconnue entre 1945 et 1993 par l’arrêté du 7 juillet 2000.

S’agissant du salarié, la CARSAT soutient démontrer son exposition au risque par le questionnaire qu’il a complété ainsi qu’une attestation d’un ancien collègue.

Elle conclut en arguant que la société se contente simplement de dénier les éléments qu’elle apporte.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux écritures des parties s’agissant de la présentation plus complète de leurs demandes et des moyens qui les fondent.

MOTIFS

Il résulte de l’article 1353 du code civil que celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et, réciproquement, que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de l’obligation.

Selon l’article D. 242-6-1 du code de la sécurité sociale, le taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles est déterminé par établissement et, selon l’article D. 242-6-4 du même code, l’ensemble des dépenses constituant la valeur du risque est pris en compte par les CARSAT dès que ces dépenses leur ont été communiquées par les caisses primaires, sans préjudice de l’application de décisions de justice ultérieures. Seules sont prises en compte dans la valeur du risque les dépenses liées aux accidents ou aux maladies dont le caractère professionnel a été reconnu.

L’employeur peut solliciter le retrait de son compte des dépenses afférentes à une maladie professionnelle lorsque la victime n’a pas été exposée au risque à son service. En cas de contestation devant la juridiction de la tarification, il appartient à la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail qui a inscrit les dépenses au compte de cet employeur, de rapporter la preuve que la victime a été exposée au risque chez celui-ci ou, dans le cas présent, chez son prédécesseur.

M. [C] a été salarié en qualité de charpentier fer, entre 1961 et 2002, de la société [6], reprise par la société [4] devenue [5] et reprise par la société demanderesse (anciennement [9]).

Pour justifier de ce qu’il aurait été exposé au risque amiante au sein des prédécesseurs de la société [6], la caisse produit la déclaration de maladie professionnelle, le certificat médical initial, la décision de prise en charge de la caisse primaire, le questionnaire assuré, un questionnaire témoin amiante, des arrêts de la cour d’appel de Rennes ainsi que la liste des établissements et des métiers visés par le dispositif ACAATA.

Il convient de rappeler que la déclaration de maladie professionnelle et le questionnaire assuré sont des documents purement déclaratifs qui s’inscrivent dans une démarche d’obtention de la reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie initiée par le salarié et qu’ils ne constituent ni la preuve des conditions de travail réelles qu’il a pu rencontrer, ni celle de l’exposition au risque de sa pathologie.

Pareillement, la reconnaissance de la faute inexcusable de la société [5], reprise par la demanderesse, dans la survenance d’autres maladies professionnelles liées à l’amiante est sans incidence sur le présent litige et ne saurait constituer la preuve attendue.

S’agissant de M. [C], il n’est pas contesté par la société [6] qu’il ait exercé chez ses prédécesseurs le poste de charpentier fer de 1961 à 2002.

Il sera ensuite rappelé que, s’il est vrai que l’inscription d’un établissement sur la liste ACAATA ne crée pas une présomption d’exposition à l’amiante d’une victime, cette inscription permet toutefois d’établir que l’entreprise concernée a, à une période donnée, utilisé de l’amiante dans son processus de production.

En effet, l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 dispose qu’une allocation de cessation anticipée d’activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l’amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l’amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu’ils cessent toute activité professionnelle, et qu’ils répondent à diverses conditions, dont celle du 1° du texte : « travailler ou avoir travaillé dans des établissement mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante ».

La liste des établissements pour la région Pays de la Loire pouvant ouvrir droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante contient parmi les entreprises de construction et de réparation navales la société [6], pour la période de 1945 à 1996.

Il n’est pas contesté que M. [C] a travaillé au sein des [6] de 1961 à 2002 et par conséquent, pendant une partie de la période de temps ayant justifié son inscription sur la liste ACAATA (35 ans).

L’arrêté du 7 juillet 2000 fixant la liste des établissements et des métiers de la construction et de la réparation navales susceptibles d’ouvrir droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante a établi en son article 1 et son annexe 1 la liste des métiers concernés, au rang desquels figure celui de charpentier, dont il n’est pas contesté par la demanderesse qu’il ait été exercé par M. [C] chez ses prédécesseurs.

Ces éléments sont corroborés par le questionnaire « témoin amiante » renseigné par M. [E], collègue de M. [C], qui a également exercé aux [6] le métier de charpentier fer de 1975 à 1996, pour lequel il explique qu’ils découpaient, soudaient, assemblaient des éléments de coques métalliques et qu’ils utilisaient des matelas recouverts de toile d’amiante, des gants en amiante et des toiles de protection en amiante.

Ces éléments constituent un faisceau de présomptions graves, sérieuses et concordantes permettant d’établir l’exposition au risque amiante de M. [C] lorsqu’il était charpentier fer au sein d’une société à laquelle a succédé la société [6] en qualité de repreneur.

A titre surabondant, il sera relevé que, bien qu’elle ne puisse constituer une preuve de l’exposition au risque du salarié dans la présente instance, la clause d’exclusion du passif lié aux maladies de l’amiante, insérée dans le contrat de cession par la société [6], laisse toutefois présumer que cette dernière avait pleinement conscience de l’utilisation de l’amiante par ses prédécesseurs et, a fortiori, du risque d’inhalation de poussières d’amiante auxquels ont été soumis leurs salariés.

La preuve attendue étant rapportée par la caisse, il convient en conséquence de débouter la société [6] de la demande de retrait de son compte employeur de la maladie professionnelle de M. [C].

Le recours est rejeté et la société [6] sera condamnée aux entiers dépens de l’instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe, en premier et dernier ressort,

Déboute la société [6] de sa demande de retrait de son compte employeur des incidences financières de la maladie professionnelle de M. [C],

Condamne la société [6] aux dépens de l’instance.

Le greffier, Le président,

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel d'Amiens, Tarification, 2 février 2024, n° 22/02471