Cour d'appel de Bordeaux, 29 octobre 2013, n° 12/06153

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Bordeaux, 29 oct. 2013, n° 12/06153
Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro(s) : 12/06153
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Périgueux, 3 septembre 2012, N° 11/0511

Texte intégral

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

SIXIÈME CHAMBRE CIVILE


ARRÊT DU : 29 OCTOBRE 2013

(Rédacteur : Franck LAFOSSAS, Président)

N° de rôle : 12/06153

B A

c/

T X divorcée Y

Nature de la décision : AU FOND

28Z

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 septembre 2012 par le tribunal de grande instance de Périgueux (RG n° 11/0511) suivant déclaration d’appel du 07 novembre 2012

APPELANT :

B A

né le XXX à XXX

de nationalité Française

Profession : Etudiant,

XXX – XXX

représenté par Me Luc BOYREAU de la SCP Luc BOYREAU, avocat au barreau de BORDEAUX

et assisté de Me AE-Lou LEVI, avocat au barreau de MONTAUBAN

INTIMÉE :

T X divorcée Y

née le XXX à XXX

de nationalité Française

Profession : Retraitée,

XXX

assistée de Me Eliane DE LAPOYADE de la SCP DE LAPOYADE-DEGLANE, avocat au barreau de BERGERAC

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 17 septembre 2013 en audience publique, devant la Cour composée de :

Président : Franck LAFOSSAS

Conseiller : Catherine MASSIEU

Conseiller : F G

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : N O

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 al. 2 du code de procédure civile.

Faits et procédure antérieure :

Après un premier mariage dissous le 28 novembre 1983 et dont n’est issu aucun enfant, P A s’est marié une seconde fois avec Mme V E le 28 avril 1990, le divorce ayant été prononcé le 13 janvier 1995. Un enfant est issu de cette union, B A, né le XXX.

P A a ensuite vécu en concubinage avec Mme T X à compter de l’année 2003. Ils ont contracté un pacte civil de solidarité le 16 février 2009, lequel a été enregistré le 19 janvier 2010.

Suivant testament olographe en date du 19 octobre 2009, déposé en l’étude de M. Z, notaire, au mois de novembre de la même année, P A a institué Mme X légataire de sa maison et de tous les biens dont il était propriétaire sur la commune de Saint-Avit de Vialard, lieu-dit Les Landettes (24).

P A est décédé le XXX.

Par acte du 9 mars 2011, M. B A a fait assigner Mme X devant le tribunal de grande instance de Périgueux.

Par jugement du 4 septembre 2012, le tribunal a :

.dit que M. A ne rapporte pas le preuve de l’insanité d’esprit ou de l’existence d’un trouble mental affectant son père lors de la rédaction du testament le 19 octobre 2009,

.débouté M. A de sa demande de nullité dudit testament,

.dit qu’il ne rapporte pas non plus la preuve de l’existence d’un détournement de sommes par Mme X,

.débouté M. A de sa demande de rapport de certaines sommes à la succession de son père,

.fixé l’étendue du legs accordé par P A à Mme X à la maison d’habitation, aux biens meubles et aux parcelles de terre appartenant au disposant et situées sur le lieu-dit Les Landettes, à l’exclusion de tout autre bien,

.envoyé Mme X en possession de ce legs sous réserve d’une atteinte éventuelle à la réserve héréditaire de M. A,

.dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile,

.condamne M. A aux entiers dépens, dont distraction au profit de M. Deglane, avocat.

Procédure d’appel :

Par déclaration du 7 novembre 2012, M. A a relevé appel non limité de cette décision.

Par ses dernières conclusions déposées le 7 février 2013, il demande de :

.réformer la décision déférée dans toutes ses dispositions,

.prononcer la nullité du testament établi le 19 octobre 2009,

.condamner Mme X à ramener la succession à la somme de 229.656,66 €,

.la débouter de ses demandes reconventionnelles,

.la condamner à payer à M. A la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Par ses dernières conclusions déposées le 5 avril 2013, Mme X demande la confirmation, outre 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et le condamner aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SCP de Lapoyade, Deglane, Jeaunaud.

Sur quoi, la cour :

1) sur la nullité pour insanité :

À l’appui de sa demande d’annulation du testament de son père, M. B A fait valoir que ce dernier était alcoolique et dépressif, souffrant de troubles neurologiques et psychologiques graves, pathologie pour laquelle il avait été plusieurs fois hospitalisé en 2009, et avait rencontré des psychiatres, au point d’éprouver des difficultés à établir un chèque. Il soulève son insanité d’esprit.

Il accuse sa concubine, Mme X, d’avoir entretenu la dépendance à l’alcool de son père et de l’avoir maintenu isolé.

Il fait observer qu’en effectuant son testament, P A a oublié qu’il avait souscrit une reconnaissance de dette à l’égard de son fils, toujours équivalente, en vertu d’un acte de donation du 9 novembre 1995, à 12,896 % de la valeur de la construction édifiée à Saint-Avit de Vialard, la somme correspondante ne pouvant être demandée par le donataire qu’au décès de son père ou en cas de vente par son père, cette absence de référence démontrant à ses yeux l’insanité d’esprit.

A l’inverse, Mme X expose que les simples hospitalisations d’P A n’impliquent pas son insanité d’esprit à cette époque, pas plus que sa consultation d’un psychiatre ou un psychologue, ces hospitalisations n’ayant été rendues nécessaires que par des difficultés physiques et liées à une dépression.

Elle affirme que les problèmes d’alcoolisme d’P A étaient récurrents et antérieurs à sa vie commune avec Mme X, ce problème n’impliquant pas son insanité d’esprit.

Elle fait observer qu’à l’occasion des multiples actes d’P A reçus par M. Z, notaire, ce dernier n’a jamais constaté d’insanité d’esprit chez lui.

*

La cour observe que le testament de P A, rédigé à la main, commençant par 'ceci est mon testament…' et se terminant par 'le 19 octobre 2009', instituant pour légataire sa concubine en désignant l’objet du legs, ne comporte aucun élément manifeste d’incohérence, de confusion, ni quelque indice apparent d’insanité d’esprit.

L’appelant communique l’acte du 9 novembre 1995 par lequel sa mère lui fait donation de la reconnaissance de dette acceptée par son père, son ancien mari, dont le montant est fixé par référence à la valeur de la maison devenue l’objet du legs critiqué. La cour ne trouve aucune incompatibilité avec le testament, au demeurant non explicitée par l’appelant dans ses écritures. L’existence de cette reconnaissance de dette ne contredit pas le legs, et cela même si l’acte stipule que la dette sera exigible lors du décès du père ou de sa vente de la maison. P A n’avait pas obligation de faire état de cette reconnaissance dans le testament et la cour n’y découvre aucun indice d’insanité d’esprit.

Les différents documents médicaux communiqués au débat montrent des hospitalisations et soins régulièrement décrits comme causé par un état d’alcoolisation, un état dépressif sévère, le tout sur fond de difficultés familiales mentionnées notamment comme liées au conflit avec son fils. Cette alcoolisation a entraîné des séquelles graves sur son organisme, de nature physiologique, notamment un diabète et une altération du foie. À plusieurs reprises, l’examen initial d’hospitalisation signale que son alcoolisation lors de l’admission préconise de l’entendre à nouveau à jeun. La cour y trouve la preuve qu’il lui arrivait, au moment d’une forte prise d’alcool, de manquer de lucidité.

Mais, nulle part, aucun document médical versé au débat ne signale une modification durable de son état de conscience ni une insanité d’esprit. Au contraire, le rapport médical daté du 26 avril 2010 envoyé par le service hospitalier au médecin traitant fait uniquement allusion aux difficultés physiques du patient et ne cite pas un quelconque amoindrissement de ses facultés intellectuelles.

Le témoin V E, ancienne épouse et mère de l’appelant, atteste dans deux attestations datées des 7 juillet 2010 et 3 juillet 2011 avoir vu son ancien mari au printemps 2008 et l’avoir trouvé très affaibli intellectuellement et confus, au point qu’elle était passée voir son médecin traitant (le destinataire du rapport établi deux ans plus tard et plus haut cité). Elle affirme que la concubine lui avait déclaré que le problème d’alcool du mari n’était pas son affaire mais la responsabilité de l’ancienne épouse.

Le témoin AE-AF A, frère du défunt, a rédigé cinq attestations, une datée du 26 juin 2010, une datée du 26 juillet 2010, et trois datées du 27 juin 2011. Il y met en cause la concubine intimée, l’accusant d’autoritarisme, de ne pas avoir contraint son ami à se soigner et d’avoir entretenu son alcoolisme. Il affirme qu’elle est intéressée par l’héritage de son ami et a parlé de sa succession alors qu’il n’était pas encore enterré. Il confirme l’alcoolisme chronique du défunt.

XXX, compagne du précédent témoin, affirme dans deux attestations datées des 26 juin 2010 et 26 juin 2011que le frère de son ami est décédé faute de soins rapides par l’intimée. Elle accuse cette dernière de cupidité et indique avoir un jour constaté la confusion d’esprit du défunt, alors que sa concubine l’avait quitté temporairement.

Le témoin D E, tante de l’appelant, signale que sa soeur, mère de l’appelant, lui a dit avoir trouvé au printemps 2008 son ancien mari dans un état délirant suite au départ de sa concubine. Son neveu lui avait fait part de ce qu’il avait trouvé son père ivre, allongé sur le sol. Elle émet des considérations personnelles sur l’intimée.

Le témoin Elie Poumaer affirme que M. B A lui avait fait part de son intention d’aller saisir le juge des tutelles au sujet de son père, sa compagne lui paraissant intéressée par l’argent.

Le témoin H I affirme avoir entendu, en 2009, la conversation entre la mère de M. B A et son ancien mari, lequel se montrait aimable envers elle. Il lui disait que son actuelle concubine 'voulait tout', s’inquiétait de la durée de la pension alimentaire qu’il lui payait et tentait de rompre ses relations avec son fils. Mais le témoin signale que cette audition de communication n’avait été possible que parce que l’ancienne épouse l’avait laissée écouter en posant le combiné avec le haut-parleur. Rien n’indique que le père avait été informé de ce que ses dires étaient observés par un tiers. Une manipulation du contenu de cette conversation ne peut être exclue.

Le témoin Huguette Jourdain confirme cet entretien et son contenu.

L’appelant communique au débat deux affichettes auto-collantes 'post it', non datées. Sur ces affichettes, le père écrit à son fils qu’il a besoin d’une femme à ses côtés, qu’il est en grande difficulté morale, que 'chez moi quelque chose ne va plus'. L’absence de date interdit de connaître le contexte de ces écrits. En toute hypothèse, le fait qu’un père divorcé écrive à son fils en s’excusant de reprendre une amie à la maison, en lui expliquant qu’il a besoin de vivre avec une femme, et en lui faisant part des difficultés morales rencontrées par lui, n’est pas l’indice d’une insanité d’esprit.

Enfin, M. B A communique divers écrits de son père démontrant que ce dernier était resté en bons termes avec lui malgré sa nouvelle compagne.

À l’opposé, Mme T X, qui conteste avoir tenté de séparer le père du fils, communique le courrier envoyé le 17 août 2009 par P A à son fils lui exprimant son regret 'que tu ne souhaites pas venir chez nous ne serait-ce que 2 ou 3 jours'.

Elle communique également le certificat médical du médecin traitant, daté du 14 mai 2011, attestant que son patient 'ne présentait pas d’altération majeure pouvant entraîner une diminution significative de sa gestion de ses biens personnels et des décisions qu’il pouvait prendre'.

Le maire de la commune du défunt, XXX, son adjoint, AE-AI AJ, la secrétaire de mairie, J K, confirment cette absence manifeste d’altération de ses facultés mentales.

Il en est de même des témoins Denise Naslin, amie de la famille, L M, qui le rencontrait professionnellement, AC AD qui atteste l’avoir vu régulièrement et qu’il 'avait gardé toutes ses facultés jusqu’au bout de sa maladie et cela malgré sa proximité à l’alcool'.

XXX et R Y affirment que Mme X s’est occupée de son ami et ne mérite pas les critiques adverses.

Et la cour observe que la fiche d’admission du 26 janvier 2009 signale, contredisant en cela l’accusation de refus de soins émise par l’appelant, que P A a été 'adressé à l’hôpital sur insistance de sa compagne'.

La cour, comme le premier juge, ne découvre pas dans cette analyse des pièces communiquées la preuve que P A n’était pas sain d’esprit lors de la rédaction du testament litigieux.

La décision déférée sera en conséquence confirmée avec adoption de ses autres motifs.

2) sur le rapport :

M. B A soutient que Mme T X a profité soit de donation, soit de l’encaissement des fonds appartenant au défunt, de par l’ouverture d’un compte sur livret et par la souscription d’une assurance-vie. Il en demande le rapport.

Elle s’oppose en faisant valoir qu’il ne justifie, ni en droit ni en fait, sa demande de restitution de sommes et que ses allégations concernant des détournements n’ont pas de fondement.

La cour rappelle, comme le premier juge, qu’un légataire n’est pas tenu au rapport. La demande de rapport présentée par l’appelant n’a pas de fondement légal.

Mais cette demande peut être analysée comme demande de créance de la succession contre la concubine qui aurait perçu indûment des fonds du défunt appartenant à sa succession.

Cependant, il ne prouve pas de tels détournements. Au contraire, le conseiller clientèle de Mme X a rédigé une attestation selon laquelle le fonctionnement des comptes lui a paru normal. Et l’intimée décrit, sans être contredite, de façon précise les placements effectués par le défunt et qui expliquent les sommes restant sur ses différents comptes bancaires. Cette description des placements démontre que l’argent obtenu par lui, à l’occasion de la vente d’une maison et d’un terrain en décembre 2009 et février 2010, se retrouve porté au crédit de la succession ouverte au XXX, sauf 12.992,18 €.

Cette somme de 12.992,18 € correspond à un montant de dépenses réparties entre décembre 2009 et juin 2010, soit sur 6 mois, d’un peu plus de 2.000 € par mois. En l’absence d’autre élément, la cour ne peut considérer qu’une telle dépense du défunt soit l’indice d’un détournement de ses avoirs par sa concubine.

Par confirmation M. B A sera débouté de sa demande à ce sujet.

3) sur l’envoi en possession :

Mme X fait valoir que sa demande d’envoi en possession du legs est justifiée par le refus du fils. Il ne répond pas, demandant à la cour de rejeter en raison de l’invalidité du testament.

Mais la cour vient de confirmer sa validité et il convient, sur la demande de la légataire, de l’envoyer en possession.

4) sur les frais et dépens :

M. B A supportera les dépens générés par son appel. Par ailleurs, cet appel a causé à l’intimée des frais non compris aux dépens qu’une somme de 2.000 € viendra indemniser en vertu de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs :

Confirme entièrement la décision déférée,

Condamne M. B A à payer à Mme T X la somme de 2.000 € (deux mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Lui laisse la charge des dépens d’appel.

L’arrêt a été signé par le président Franck Lafossas et par le greffier N O à qui il a remis la minute signée de la décision.

le greffier le président

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