Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 14 février 2022, n° 20/00533

  • Publicité foncière·
  • Exploitation·
  • Finances publiques·
  • Sociétés civiles·
  • Vin·
  • Administration·
  • Immeuble·
  • Département·
  • Production agricole·
  • Bâtiment

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Bordeaux, 4e ch. com., 14 févr. 2022, n° 20/00533
Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro(s) : 20/00533
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL DE BORDEAUX QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE


--------------------------

ARRÊT DU : 14 FEVRIER 2022


N° RG 20/00533 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LN3L

SOCIETE CIVILE DU CHATEAU D’ISSAN

c/

L’ADMINISTRATION DES FINANCES PUBLIQUES


Nature de la décision : AU FOND


Grosse délivrée le :

aux avocats


Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 janvier 2020 (R.G. 18/06925) par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 30 janvier 2020

APPELANTE :

SOCIETE CIVILE DU CHATEAU D’ISSAN, agissant en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, CHATEAU D’ISSAN CANTENAC – 33460 MARGAUX-CANTENAC

représentée par Maître Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Benoit TONIN, de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de BORDEAUS

INTIMÉ :

L’ADMINISTRATION DES FINANCES PUBLIQUES domicilié […], […] et diligences de M o n s i e u r l e D i r e c t e u r R é g i o n a l d e s F i n a n c e s P u b l i q u e s d e PROVENCE-ALPES-COTES D’AZUR ET DU DEPARTEMENT

DES BOUCHES-DU-RHONE, seul compétent pour représenter l’Etat dans la présente instance juridictionnelle en application du décret 2016-1094 du 11 août 2016, de l’arrêté du 22 août 2016 modifié par celui du 4 août 2017, qui élit domicile en ses bureaux sis,[…]

représentée par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :


L’affaire a été débattue le 10 janvier 2022 en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Nathalie PIGNON, Président,

Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :


- contradictoire


- prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE


Par acte du 19 décembre 2012, la Société Civile du Château d’Issan anciennement dénommée Société Fermière Viticole de Cantenac, a acquis auprès de la Société Civile du Château d’Issan Groupement Foncier Agricole un domaine viticole situé sur la commune de Cantenac (33460) et par extension sur la commune d’Arsac (33460) connu sous le nom de 'Château d’Issan’ comprenant :


- un château,


- des chais, cuviers, granges, bâtiments de stockage, hangars,


- des bureaux, salle de dégustation,


- des logements de fonction du personnel.


Le domaine viticole, situé en zones d’appellations d’origines contrôlées 'Margaux, Haut Médoc, Médoc, Bordeaux’ comprend les bâtiments et les équipements susvisés, le parc et les vignes.


La vente a été conclue pour un prix de 74 356 453 euros. Les bâtiments ont été enregistrés en comptabilité pour un montant de 10 325 392 euros dont 4 177 850 euros pour le château.


La cession a été soumise à la taxe de publicité foncière applicable aux cessions d’immeubles ruraux (article 1594F quinquies D du code général des impôts-CGI), soit au taux réduit de 0,70%.


Estimant que le château ne pouvait être considéré comme un bâtiment exclusivement affecté à la production agricole, l’administration fiscale a procédé à une rectification de la taxe de publicité foncière et des frais d’assiette liquidés sur la valeur comptable du château, soit 4 177 850 euros (proposition de rectification du 13 décembre 2016).


Les impositions supplémentaires ont fait l’objet d’une mise en recouvrement le 15 décembre 2017 pour des montants de 132 650 euros en droits et 24 407 euros en intérêts de retard, soit un total de 157 057 euros.


La Société Civile du Château d’Issan a effectué une réclamation le 25 janvier 2018 qui a été rejetée par l’administration fiscale le 21 juin 2018. Cependant un avis de dégrèvement fiscal de 577 euros a été émis le 2 juillet 2018 venant en déduction du montant de l’imposition supplémentaire de 157057 euros.


La société a alors assigné la Direction Générale des Finances Publiques de Provence Alpes Côte d’Azur le 8 août 2018 devant le tribunal de grande instance de Bordeaux afin d’obtenir l’annulation de la décision de rejet du 21 juin 2018.


Par jugement du 13 janvier 2020, le tribunal judiciaire de BORDEAUX a débouté la Société Civile du Château d’Issan de sa demande concernant la suppression du supplément de la taxe de publicité foncière mis en recouvrement par l’administration fiscale (soit la somme de 157 057 euros moins 577 euros ), et l’a condamnée aux dépens.


Par déclaration en date du 30 janvier 2020, la Société Civile du Château d’Issan a interjeté appel de cette décision à l’encontre de l’ensemble des chefs de la décision qu’elle a expressément énumérés.


Aux termes de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 24 avril 2020, la Société Civile du Château d’Issan demande à la cour de :


- la recevoir en ses entières demandes, fins et prétentions, et les déclarer bien fondées, et dire et juger que les conditions prévues par les dispositions de l’article 1594 F quinquies D du Code Général des Impôts étaient respectées, en conséquence :


- réformer le jugement en toutes ses dispositions,


- annuler la décision de rejet de sa réclamation,


- Y faisant droit, prononcer la décharge du supplément de taxe de publicité foncière mise à sa charge au titre de la vente intervenue le 19 décembre 2012 et enregistrée auprès du Service de Publicité Foncière de Bordeaux le 27 février 2013, sous la référence 3304P01 2013P02176 soit la somme de 157.057 euros, dont 132.650 euros au titre du principal et 24.407 euros au titre des intérêts de retard ;


- condamner l’Etat à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,


- condamner l’Etat aux entiers dépens de l’instance.


L’appelante fait valoir :


- que le Château d’Issan est exclusivement affecté à la réception des négociants et autres clients professionnels, des courtiers, des prescripteurs et des médias, à la dégustation, l’organisation de diverses manifestations professionnelles, le logement occasionnel des principaux clients et prescripteurs, notamment étrangers, ce qui lui confère une affectation exclusive d’accessoire de l’exploitation du domaine viticole du Château d’Issan ;


- que dès lors que l’exploitation d’un vignoble comprend la commercialisation des vins, les bureaux, les salles de dégustation, les salles de réception de la clientèle et des prescripteurs de conférence, les salons évènementiels sont incontestablement liés à l’exploitation.
Elle soutient que l’exploitation constitue une entité unique, l’exploitation viticole ne pouvant être dissociée de son château,l’appréciation du caractère rural de l’exploitation cédée devant s’effectuer globalement, et la détention du château étant fondamentale puisqu’elle conditionne strictement la faculté de commercialiser les vins du domaine en utilisant le terme 'Château'.


Elle explique que le château, qui n’est en aucun cas affecté à un usage de résidence secondaire, fait partie intégrante de l’exploitation du domaine du Château d’Issan dont il est indissociable, tant au regard de la topographie des lieux, que de son affectation réelle et historique et constitue un élément nécessaire à son exploitation.


Par conclusions transmises par RPVA le 22 juin 2020, la Direction générale des Finances Publiques, en la personne du Directeur Régional de PACA et du département des Bouches du Rhône, demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux rendu le 13 janvier 2020, et condamner la Société Civile du Château d’Issan au paiement d’une somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d’appel en application de l’article 699 du code de procédure civile, enfin de dire et juger que les frais entraînés par la constitution de son avocat resteront à sa charge, et de rejeter la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.


L’intimée soutient que le régime de faveur n’est pas applicable à l’acquisition d’une maison d’habitation qui ne constitue pas l’accessoire d’une exploitation agricole et ne saurait, par suite, être considérée comme un immeuble rural, que le château d’Issan n’était pas principalement affecté à la production agricole au jour du transfert de propriété, la description détaillée contenue dans l’acte de vente du 19 décembre 2012 démontrant que le château présente toutes les caractéristiques d’une maison d’habitation et d’agrément.


Le logement occasionnel de clients, prescripteurs, journalistes ou négociants ne saurait , selon l’administration, lui conférer cette affectation, cette activité s’apparentant à une activité commerciale hôtelière, à l’évidence sans rapport avec l’affectation d’habitation.


Enfin, la production de vin pourrait être poursuivie, même en cas de dissociation du château.


L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 décembre 2020.


Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

MOTIFS


En application de l’article 1594 F quinquies D. I du code général des impôts, sont soumises à la taxe de publicité foncière ou au droit d’enregistrement au taux réduit, les acquisitions d’immeubles ruraux à condition, notamment :


- qu’au jour de l’acquisition les immeubles soient exploités depuis deux ans au moins, soit en vertu d’un bail consenti à l’acquéreur (personne physique ou morale), soit en vertu d’une mise à disposition par le preneur au profit d’une personne morale acquéreur ;


- que l’acquéreur prenne l’engagement, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, de mettre personnellement en valeur les biens acquis pendant un délai minimal de cinq ans à compter de la date du transfert de la propriété.


L’administration considère que l’immeuble inclus dans l’expolitation viticole du château d’Issan ne peut être considéré comme un bâtiment agricole dès lors qu’il n’est pas affecté à un usage agricole.
La société appelante réplique à juste titre que, si un immeuble utilisé comme résidence secondaire par l’exploitant ne peut bénéficier du régime fiscal de faveur, la notion d’immeuble rural affecté à l’exploitation ne peut se réduire à la production agricole stricto sensu, mais s’étend au bâtiment géographiquement situé sur l’exploitation agricole, et constituant l’accessoire indispensable de cette exploitation.


En l’espèce, l’immeuble objet du présent litige est géographiquement situé sur les terres exploitées et fait partie intégrante de l’exploitation agricole, à proximité des vignes et des bâtiments servant à la production viticole.


Par ailleurs, il est démontré par la société appelante que le château n’est pas l’habitation principale des propriétaires, ni de leurs salariés, mais est exclusivement affecté à la réception des négociants et autres clients professionnels, des courtiers, des prescripteurs et des médias, à la dégustation, à l’organisation de diverses manifestations professionnelles, et au logement occasionnel des principaux clients et prescripteurs, notamment étrangers, toutes activités en lien avec la production viticole du Château d’Issan, et nécessaires à sa commercialisation.


L’activité de commercialisation se situant dans le prolongement de l’activité de production, et en constituant le soutien nécessaire, l’immeuble doit être considéré comme un accessoire de l’exploitation agricole.


En outre, contrairement à ce que soutient l’administration, la production viticole du Château d’Issan est indéfectiblement liée à l’immeuble éponyme, lequel seul permet une production de vin sous le vocable 'Château'.


Ainsi la société appelante affirme, sans être utilement contredite par l’administration, que le domaine viticole du 'Château d’Issan’ n’est ainsi dénommé qu’en considération de l’existence du château proprement dit, la détention du château conditionnant strictement la faculté de commercialiser les vins du domaine en utilisant le terme 'Château', de sorte que le grand cru classé de Médoc 'Château d’Issan’ produit par la société appelante pourrait ne plus être produit sous cette appellation si le château était dissocié de l’exploitation.


Même si la production de vin pourrait continuer à être assurée, ainsi que le souligne l’administration, qui reconnaît que 'sa commercialisation sous le vocable actuel serait peut-être compliquée', il est incontestable que la vinification et la commercialisation des vins du domaine sans la mention 'château’ risqueraient de faire perdre au domaine sa spécificité de 'château viticole', grand crû classé du Médoc.


Comme le souligne la Société Civile du Château d’Issan, même si la règlementation communautaire n’exige pas la présence d’un château sur les terres où le raisin a été récolté, la reproduction intégrale de l’image du château sur les étiquettes des bouteilles, l’utilisation de cette image sur les documents de l’exploitation pourrait être considérée pour l’exploitant comme une pratique commerciale trompeuse, si le château n’était pas intégré au domaine.


Ainsi, l’ensemble des éléments qui composent le domaine concourent à une seule et même exploitation viticole, dont le château fait partie, de sorte qu’il convient, en infirmation de la décision entreprise, d’annuler la décision de rejet de la réclamation de la Société Civile du Château d’Issan, et de prononcer la décharge du supplément de taxe de publicité foncière mise à sa charge au titre de la vente intervenue le 19 décembre 2012 et enregistrée auprès du Service de Publicité Foncière de Bordeaux le 27 février 2013, sous la référence 3304P01 2013P02176 soit la somme de 157.057 euros, dont 132.650 euros au titre du principal et 24.407 euros au titre des intérêts de retard.


Enfin il convient, en équité, de condamner la Direction générale des Finances Publiques, en la personne du Directeur Régional de PACA et du département des Bouches du Rhône à payer à la Société Civile du Château d’Issan la somme de 3.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile. La demande présentée sur le même fondement par la Direction générale des Finances Publiques, en la personne du Directeur Régional de PACA et du département des Bouches du Rhône, qui succombe, sera en revanche rejetée, et elle supportera seule les dépens.

PAR CES MOTIFS


La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,


Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;


Statuant à nouveau,


Annule la décision de rejet de la réclamation présentée dans l’intérêt de la Société Civile du Château d’Issan ;


Prononce la décharge du supplément de taxe de publicité foncière mise à sa charge au titre de la vente intervenue le 19 décembre 2012 et enregistrée auprès du Service de Publicité Foncière de Bordeaux le 27 février 2013, sous la référence 3304P01 2013P02176 soit la somme de 157.057 euros, dont 132.650 euros au titre du principal et 24.407 euros au titre des intérêts de retard ;


Condamne la Direction générale des Finances Publiques, en la personne du Directeur Régional de PACA et du département des Bouches du Rhône à payer à la Société Civile du Château d’Issan la somme de 3.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;


Déboute la Direction générale des Finances Publiques, en la personne du Directeur Régional de PACA et du département des Bouches du Rhône de sa demande sur le même fondement ;


Condamne la Direction générale des Finances Publiques, en la personne du Directeur Régional de PACA et du département des Bouches du Rhône aux dépens de première instance et d’appel, ces derniers étant recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Mme Pignon, présidente, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 14 février 2022, n° 20/00533