Cour d'appel de Chambéry, 19 juin 2018, n° 18/00875

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Chambéry, 19 juin 2018, n° 18/00875
Juridiction : Cour d'appel de Chambéry
Numéro(s) : 18/00875
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Bonneville, 29 mars 2018, N° 17/00406

Sur les parties

Texte intégral

1

FXM/CT

COUR D’APPEL de CHAMBÉRY

3ème Chambre

Arrêt du Mardi 19 Juin 2018

N° RG 18/00875

Décision attaquée : Jugement du Tribunal de Grande Instance de BONNEVILLE en date du 30 Mars 2018, RG 17/00406

Appelant

M. D E F né le […] à […], demeurant […]

assisté de Me Philippe DIDIER, avocat au barreau de BONNEVILLE

Intimés

Mme X E-F née le […] à […],

M. Y G Z né le […] à […],

[…], Belkoop C-Blok -

[…]

assistés de Me Chloé AUDIGIER, avocat au barreau de THONON-LES-BAINS

DOSSIER communiqué au Ministère Public le 02 mai 2018

-=-=-=-=-=-=-=-=-

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors de l’audience non publique des débats, tenue le 15 mai 2018 avec l’assistance de Madame Catherine TAMBOSSO, Greffier,

Et lors du délibéré, par :

- Monsieur Jean-Michel ALLAIS, Conseiller faisant fonction de Président, à ces fins désigné par ordonnance de Monsieur le Premier Président,

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- M. François Xavier MANTEAUX, Conseiller, qui a procédé au rapport,

- Madame Evelyne THOMASSIN, Conseiller.

-=-=-=-=-=-=-=-=-

FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
Mme X E F née le […] à […] de nationalité française et M. Y G Z né le […] à […], de nationalité turque, ont souhaité se marier par devant l’officier d’état civil de la commune de La Roche sur Foron (74) qui a publié les bans du mariage le 21 octobre 2016.

Par acte d’huissier en date du 10 novembre 2016 M. D E F, père de Mme X E F, a déclaré former opposition à ce mariage sur le fondement de l’article 173 du Code civil.

Par exploit d’huissier en date du 22 mars 2017, Mme X E F et M. Y G Z ont fait assigner M. D E F devant le tribunal de grande instance de Bonneville afin de voir déclarer ce dernier mal fondé en son opposition au mariage, donner mainlevée de l’opposition, dire que l’officier d’état civil sera tenu de mentionner la décision sur le registre des mariages et de procéder à la célébration du mariage.

Par jugement en date du 30 mars 2018, le tribunal de grande instance de Bonneville a :

- écarté des débats les pièces 17 à 22 versées par M. D E F, pour non-respect du principe du contradictoire,

- ordonné la mainlevée de l’opposition formée par M.. D E F au mariage de Mme X E F et M. Y G Z,

- ordonné la transcription du jugement sur le registre des mariages de la commune de La Roche sur Foron, en marge de l’inscription de l’opposition formulée et ce, à la charge de la partie la plus diligente,

- dit que l’officier d’état civil de la commune de La Roche sur Foron sera tenu de procéder à la célébration du mariage si Mme X E F et M. Y G Z y consentent et si les autres conditions légales sont respectées,

- dit que chaque partie conservera à sa charge ses propres dépens.

Par déclaration du 27 avril 2018, M. D E F a relevé appel du jugement, critiquant l’ensemble du dispositif et demandant à la cour de constater l’absence de consentement au mariage et de dire qu’il ne peut être procédé à sa célébration.

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Par conclusions en date du 11 mai 2018, il demande à la cour de :

- déclarer recevable son appel,

- réformer le jugement entrepris,

- constater l’absence de consentement au mariage,

- débouter Mme X E F et M. Y G Z de l’ensemble de leurs demandes,

- dire qu’il ne peut être procédé à la célébration du mariage de Mme X E F et M. Y G Z,

- à titre subsidiaire, et avant dire droit ordonner une expertise psychiatrique de Mme X E F,

- laisser à chaque partie la charge de ses dépens.

Il fait valoir que pour se marier à La Roche sur Foron, Mme X E F a déclaré de façon mensongère résider à l’adresse de ses parents, qu’elle leur a dissimulé son projet de mariage sous l’emprise de M. Y G Z, qu’elle a arrêté ses études, perdu son travail et s’est isolée de sa famille et de ses amis, que M. Y G Z l’a harcelée afin qu’elle ne retourne pas à Genève pour reprendre son poste à l’université, que le mariage a pour seul but de permettre à celui-ci d’obtenir la nationalité française et est dénué de toute intention matrimoniale, qu’il s’oppose au mariage car sa fille est sous l’emprise de M. Y G Z, que celle-ci réside en Turquie avec M. Y G Z et qu’il est étonnant que le couple veuille à tout prix se marier en France, sauf à vouloir échapper à une prohibition de ce mariage en Turquie pour cause de bigamie, que M. Y G Z doit produire l’original de son acte de naissance et qu’exerçant lui- même la profession de psychiatre, il a constaté une altération des facultés de sa fille justifiant l’instauration d’une expertise.

Par conclusions en date du 14 mai 2018, Mme X E F et M. Y G Z demandent à la cour de :

- confirmer le jugement,

- condamner M. D E F à leur payer la somme de 1500 € à titre de dommages-intérêts,

- débouter M. D E F de l’ensemble de ses demandes,

- condamner M. D E F à leur payer la somme de 1000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Ils soutiennent que le fait que les choix personnels de Mme X E F ne conviennent pas à sa famille, ne prouve en rien l’absence de consentement au

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mariage, que leur relation est ancienne, qu’ils se connaissent depuis l’été 2007 et entretiennent une relation amoureuse depuis l’année 2015, qu’ils vivent ensemble en Turquie depuis le mois de février 2016, qu’ils ont un enfant depuis le 20 décembre 2017, que lorsqu’elle revient en France pour travailler à l’université de Genève, Mme X E F réside au domicile de ses parents, que M. Y G Z travaille et n’a donc pas besoin de Mme X E F pour subvenir à ses besoins, que le fait que Mme X E F se renseigne sur les modalités d’obtention de la nationalité française par son futur époux n’est pas surprenant dans un projet de vie commune, que M. D E F produit des conversations privées échangées par messagerie Facebook qu’il a obtenues de façon déloyale, qu’il s’est rendu en Turquie pour en découdre avec M. Y G Z, que l’acte de naissance de ce dernier démontre qu’il est célibataire, que le projet de mariage repose sur une volonté commune, qu’une expertise psychiatrique ne se justifie pas, qu’ils ont choisi de se marier en France dans la commune où Mme X E F a grandi, qu’ils ont avancé de nombreux frais pour préparer leur mariage ainsi que la venue de la famille de M. Y G Z en France et que l’unique but de la procédure est de retarder leur union.

Monsieur le procureur général rappelle que les empêchements au mariage ne peuvent résulter de considérations d’ordre moral ou familial, ou de convenances personnelles, que les motifs invoqués par M. D E F pour s’opposer au mariage de sa fille sont relatifs aux inquiétudes sur l’abandon par cette dernière de ses études, à son isolement et à son état psychologique qui ne sont pas établis, que l’altération grave des facultés mentales n’est pas démontrée, qu’il ne précise pas en quoi le consentement de sa fille serait inexistant ou vicié et demande à la cour de confirmer purement et simplement le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bonneville.

SUR QUOI, LA COUR

Pour un plus ample exposé des faits, des moyens et des prétentions des parties, la Cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées et régulièrement communiquées.

Sur l’opposition à mariage

En application des dispositions de l’article 173 du Code civil, le père, la mère et, à défaut de père et de mère, les aïeules ou aïeuls peuvent former opposition au mariage de leur enfant et descendant, même majeur ; après mainlevée judiciaire d’une opposition au mariage formée par un ascendant, aucune nouvelle opposition formée par un ascendant, n’est recevable ni ne peut retarder la célébration.

L’article 176 du même code précise que tout acte d’opposition énonce la qualité qui donne à l’opposant le droit de la former ; il contient également les motifs de l’opposition, reproduit le texte de loi sur lequel est fondée l’opposition et contient élection de domicile dans le lieu où le mariage doit être célébré.

Enfin l’article 146 du Code civil énonce qu’il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement.

Il ressort de l’article 176 de ce code, que l’existence d’un empêchement au mariage

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doit être établie de manière certaine et ne peut être fondée sur des motifs d’ordre moral, religieux, familial ou de convenances personnelles.

En l’espèce, M. D E F soutient que M. Y Z n’a pas consenti véritablement au mariage, étant uniquement intéressé par l’acquisition de la nationalité française.

Mme J E F, soeur de Mme X E F, indique dans une attestation en date du 17 juin 2017 : « M. Y Z prétend avoir débuté une relation amoureuse avec ma sœur en été 2007 qui aurait duré sept à huit mois, or X précise bien dans son audition que c’était une relation amoureuse très brève puisqu’elle a débuté en été 2007 et que dès son retour en France en septembre 2007, elle ne répondait plus du tout à ses messages et n’a d’ailleurs plus jamais eu envie de le contacter ou d’avoir à faire à lui, ce qui prouve bien l’inimitié à son égard ; je maintiens qu’on ne peut déduire une quelconque ancienneté de relations entre ma sœur et M. Y Z ».

Elle précise également : « Mathieu le petit ami de X, résidait à notre domicile à la Roche sur Foron jusqu’en avril 2016 ; il est donc surprenant de dire que M. Y Z aurait demandé ma sœur en mariage en novembre 2015 et que cela était un projet pour l’un comme pour l’autre, alors qu’elle était toujours en couple avec son petit ami Mathieu Luret qu’elle contactait toujours ; qu’elle n’a assisté à aucun geste témoignant de l’amour de M. Y Z à l’égard de sa sœur, que celui-ci avait une grande emprise sur cette dernière, lui ayant imposé de ne pas rentrer en Europe pour poursuivre son travail à l’université de Genève et que le but du mariage est douteux».

M. D E F produit également des extraits émanant du compte de Mme X E F sur les réseaux sociaux, documents qu’il n’y a pas lieu d’écarter des débats, dès lors que sa sœur était en partage avec elle et qu’ils ont ainsi été obtenus sans fraude. L’examen de ces documents fait apparaître de multiples insultes de la part de M. Y Z à l’égard de Mme X E F.

Cette dernière a abandonné son poste à l’université de Genève ainsi que les recherches qu’elle menait dans le cadre de son doctorat.

Enfin, M. D E F verse aux débats deux photographies où l’on voit sa fille avec un fusil d’assaut, en position de tir sur l’une des photographies et dans une tenue qui n’est pas sans rappeler, celles de combattantes en Irak ou en Syrie.

Dans ces conditions, les parents peuvent légitimement s’interroger sur la réalité du consentement de leur fille au regard de l’emprise dont elle pourrait être victime et il y a lieu, préalablement à toute décision au fond, de faire droit à l’expertise psychiatrique sollicitée.

Cette expertise s’effectuera aux frais avancés de M. D E F.

Il convient de surseoir à statuer sur la demande principale jusqu’au dépôt du rapport d’expertise.

PAR CES MOTIFS

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La cour, statuant en chambre du conseil, par arrêt contradictoire et avant dire droit,

Ordonne une expertise psychiatrique de Mme X E F,

Commet à cet effet le Docteur B C, UHSA, […], […] avec mission de, après avoir pris connaissance des pièces de la procédure :

- procéder à l’examen de Mme X E F,

- décrire son état psychiatrique,

- indiquer si elle présente une altération grave de ses facultés pouvant remettre en cause sa capacité à consentir au mariage,

- rechercher les éléments permettant d’établir une quelconque emprise de nature à l’empêcher de formuler un consentement libre et éclairé au mariage,

- faire toutes observations utiles,

Dit que l’expert sera avisé de sa nomination par les soins du greffe et fera connaître dans le délai de huit jours s’il accepte sa mission,

Dit que l’expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du Code de Procédure civile, qu’il aura la faculté de s’adjoindre tout spécialiste de son choix et qu’il déposera son rapport au greffe de la cour d’appel de Chambéry en double exemplaire au plus tard 6 mois après l’acceptation de sa mission,

Désigne le président de la chambre pour surveiller les opérations d’expertise et dit qu’il lui en sera référé en cas de difficultés,

Dit que M. D E F devra consigner au greffe de la cour d’appel de Chambéry avant le 10 juillet 2018 une somme de 800 euros à valoir sur la rémunération de l’expert, sous peine de caducité de l’expertise,

Sursoit à statuer jusqu’au dépôt du rapport d’expertise,

Réserve les dépens.

Ainsi prononcé le 19 juin 2018 par Monsieur Jean-Michel ALLAIS, Conseillerfaisant fonction de Président, qui a signé le présent arrêt avec MadamCatherine TAMBOSSO Greffier.

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Cour d'appel de Chambéry, 19 juin 2018, n° 18/00875