Cour d'appel de Papeete, Chambre civile, 3 décembre 2020, n° 19/00424

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Papeete, ch. civ., 3 déc. 2020, n° 19/00424
Juridiction : Cour d'appel de Papeete
Numéro(s) : 19/00424
Décision précédente : Tribunal de première instance de Papeete, 16 octobre 2019, N° 393;2019000329
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

417

GR

--------------

Copie exécutoire

délivrée à :

— Me Quinquis,

le 03.12.2020.

Copie authentique

délivrée à :

— Me Maisonnier,

le 03.12.2020.

REPUBLIQUE FRANCAISE

COUR D’APPEL DE PAPEETE

Chambre Civile

Audience du 3 décembre 2020

RG 19/00424 ;

Décision déférée à la Cour : jugement n° 393, rg 2019 000329 du Tribunal Civil de Première Instance de Papeete, juridiction des loyers commerciaux, du 17 octobre 2019 ;

Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d’appel le 5 novembre 2019 ;

Appelante :

La Société Commerciale de Heiri, société à responsabilité limitée, inscrite au Rcs sous le n° Tpi 97177-B, n° Tahiti 407510 ayant son siège social à Da […], […] ;

Ayant pour avocat la Selarl Jurispol, représentée par Me François QUINQUIS, avocat au barreau de Papeete ;

Intimés :

La Sci Brothers, société civile inscrite au Rcs de Papeete sous le n° 2338 B, n° Tahiti 114504 dont le siège social est sis à Punaauia PK 8.200 côté montagne, prise en la personne de son gérant : M. Y Z ;

Représentée par Me Michèle MAISONNIER, avocat au barreau de Papeete ;

Ordonnance de clôture du 11 septembre 2020 ;

Composition de la Cour :

La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 8 octobre 2020, devant M. RIPOLL, conseiller faisant fonction de président, Mme SZKLARZ, conseiller, Mme TEHEIURA, magistrat honoraire de l’ordre judiciaire aux fins d’exercer à la cour d’appel de Papeete en qualité d’assesseur dans une formation collégiale, qui ont délibéré conformément à la loi ;

Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;

Arrêt contradictoire ;

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;

Signé par M. RIPOLL, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A R R E T,

Faits, procédure et demandes des parties :

Par acte du 19 juin 1997, la Sci Brothers a donné à bail à la Société Commerciale de Heiri un terrain situé à Da et les constructions y édifiées avec cette précision que, lesdites constructions, en vertu de la faculté de construire accordée au preneur, ont été démolies pour faire place à de nouvelles, édifiées par le preneur, qui ont vocation à devenir propriété du bailleur, également en vertu du bail.

Par acte du 6 décembre 2017, la Sci Brothers a fait signifier à l’Eurl Société Commerciale de Heiri un congé avec offre de renouvellement prenant effet à compter du 3 juillet 2018. Les parties sont entrées en discussion, en vain. La Sci Brothers a alors notifié à l’Eurl Société Commerciale de Heiri son mémoire, conforme aux prescriptions de la délibération du 14 février 1975 portant réglementation des baux à usage à usage commercial, industriel et artisanal.

En l’absence de réponse de la part de l’Eurl Société Commerciale de Heiri, la Sci Brothers a saisi la juridiction des loyers commerciaux aux fins de voir fixer à compter de la date de prise d’effet du bail renouvelé, soit le 3 juillet 2018, le prix du loyer renouvelé à la somme de 1 600 000 francs CFP par mois, se rapportant à la location du terrain et des constructions devenues par l’effet de la clause d’accession du contrat de bail, la propriété du bailleur le 19 juin 2018.

L’Eurl Société Commerciale de Heiri a soutenu que les constructions qu’elle a réalisées dans le cadre du précédent bail ne peuvent pas être prises en compte pour déterminer la valeur locative dans le cadre du bail renouvelé. Elle a demandé de rejeter la requête du bailleur et d’ordonner une expertise aux frais de celui-ci aux fins de déterminer la valeur locative du terrain objet du bail, en excluant les constructions réalisées par elle durant le bail précédent.

Par jugement du 17 octobre 2019, le juge des loyers commerciaux du tribunal de première instance de Papeete a :

Débouté l’Eurl Société Commerciale de Heiri de ses prétentions ;

Alloué à la Sci Brothers le bénéfice de son mémoire du 8 février 2019 ;

Fixé à compter du 3 juillet 2018, le prix du loyer du bail renouvelé à la somme de 1 600 000 FCP par mois se rapportant à la location du terrain et des constructions devenues par l’effet de la clause

d’accession du contrat de bail, la propriété du bailleur le 19 juin 2018 ;

Condamné l’Eurl Société Commerciale de Heiri à payer à la Sci Brothers la somme de 300 000 FCP par application de l’article 407 du Code de procédure civile ;

Condamné l’Eurl Société Commerciale de Heiri aux dépens.

La Sarl Société Commerciale de Heiri en a relevé appel par requête enregistrée au greffe le 5 novembre 2019.

Il est demandé :

1° par la Sarl Société Commerciale de Heiri, appelante, dans ses conclusions récapitulatives visées le 18 juin 2020, de :

Vu l’article 16 de la délibération du 14 février 1975,

Infirmer le jugement entrepris ;

Dire et juger que les constructions réalisées par le preneur ne peuvent être prises en compte pour déterminer la valeur locative dans le cadre du bail renouvelé liant la Sci Brothers à la Société Heiri ;

En toutes hypothèses, si lesdites constructions étaient prises en compte pour la détermination de la valeur locative,

Dire et juger que le loyer mensuel ne peut excéder la somme d’un million soixante mille francs (soit 1.060.000 FCP) représentant la fourchette haute de l’estimation du propre expert de la Société Brothers ;

À titre subsidiaire sur ce point,

Ordonner une expertise judiciaire aux fins d’évaluation de la valeur locative du sol et des constructions dont s’agit ;

Condamner la Sci Brothers au versement d’une somme de trois cent cinquante francs (soit 350.000 FCP) en remboursement des frais irrépétibles ;

La condamner aux dépens ;

2° par la Sci Brothers, intimé, dans ses conclusions visées le 6 avril 2020, de :

Vu l’article 17 de la délibération n° 75/41 du 14 février 1975, portant réglementation des baux à usage commercial, industriel, et artisanal,

Vu le congé avec offre de renouvellement délivré par les soins de Me ELIE, huissier de justice le 6 décembre 2017,

Vu l’envoi par la Sci Brothers de son mémoire par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 8 février 2019, courrier réceptionné par la société défenderesse le 19 suivant,

Vu les pièces s’y rapportant,

1°/ Sur la demande principale de l’appelante :

Considérant que le statut des baux commerciaux a institué un ordre public de protection ;

Considérant que le contrat de bail des 3 et 19 juin 1997 par lequel la Sci Brothers a donné à bail à titre commercial à l’Eurl Société Commerciale de Heiri par devant Maître A B, notaire, un terrain sis à Da PK 6 côté montagne d’une superficie de 2.639 m2 et les constructions y édifiées en autorisant le preneur à édifier de nouvelles constructions, déroge au contrat type institué par la délibération du 14 février 1975, en ce qu’il porte sur une durée de douze ans et prévoit expressément à l’issue d’une durée de 21 ans que les constructions édifiées par le preneur deviendront la propriété du bailleur et que le montant du loyer s’appliquera à la fois au terrain et aux constructions devenues la propriété du bailleur par accession ;

Considérant que les conventions conclues entre les parties qui font « la loi des parties » ne sont nullement contraires aux dispositions de l’article 16 de la délibération de 1975 car elles s’intègrent dans l’esprit de ce texte qui fait référence au contrat de bail commercial type conclu pour une durée de neuf ans et ne donne faculté au bailleur de percevoir un loyer au titre des agencements effectués par le preneur qu’à l’issue d’un deuxième renouvellement du bail, c’est-à-dire après 18 ans ;

Considérant qu’en l’espèce, le fait que la Sci Brothers n’ait pas donné congé à l’issue de la période de 12 ans, résulte de ce que, lors de la conclusion du bail, les parties ont, entre elles, réglé les questions de l’accession du bailleur à la propriété des constructions et de la prise en compte du loyer s’y rapportant à l’issue d’une durée de 21 (durée supérieure de 3 ans à celle édictée par la délibération de 1975), en se calquant sur l’esprit de l’article 16 de la délibération de 1975 ;

Considérant en tout état de cause que la Cour de cassation a toujours admis que les parties, après la conclusion du bail, puissent même déroger aux dispositions impératives visées par l’article 35 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 ;

Considérant qu’en l’espèce, l’Eurl Société Commerciale de Heiri, C Da, plus de 20 ans après la conclusion du bail, par courrier du 18 août 2017 adressé à M. Y Z, gérant de la Sci Brothers, a clairement réitéré sa volonté d’exécuter la clause du bail stipulant qu’aux termes de 21 ans à compter de la conclusion du bail, le loyer s’appliquera à la fois au terrain et aux constructions qui seront devenues la propriété du bailleur par accession ;

Considérant que prenant les devants, l’Eurl Société Commerciale de Heiri, C Da, a pressenti le cabinet d’expertise X pour fixer le prix du loyer du bail renouvelé intégrant les constructions ;

Considérant in fine, que la nullité éventuelle qui affecterait ladite clause étant une nullité relative, elle relève de l’article 1304 du code civi1 et que partant, elle est assujettie à la prescription quinquennale ;

Par suite,

Voir dire et juger que la clause par laquelle lors de conclusion du bail, les parties sont convenues qu’au terme de 21 ans à compter de la conclusion du bail, le loyer s’appliquera à la fois au terrain et aux constructions qui seront devenues la propriété du bailleur par accession, n’est pas contraire aux dispositions de l’article 16 de la délibération de 1975 relevant de l’ordre public de protection, car elle s’intègre dans l’esprit de ce texte qui fait référence au contrat de bail commercial type conclu pour une durée de neuf ans et ne donne faculté au bailleur de percevoir un loyer au titre des agencements effectués par le preneur à l’issue d’un deuxième renouvellement du bail, c’est-à-dire après 18 ans ;

En tout état de cause,

Vu la jurisprudence constante de la Cour de cassation aux termes de laquelle l’ordre public de

protection, qui s’attache au statut des baux commerciaux, ne fait pas obstacle à ce que les parties, après la conclusion du bail, puissent même déroger aux dispositions impératives visées par l’article 35 du décret n° 53-96u du 30 septembre 1953 ;

Considérant que l’Eurl Société Commerciale de Heiri, C Da, plus de 20 ans après la conclusion du bail, par courrier du 18 août 2017 adressé à Monsieur Y Z, gérant de la Sci Brothers, a clairement réitéré sa volonté d’exécuter la clause du bail stipulant qu’aux termes de 21 ans à compter de la conclusion du bail, le loyer s’appliquera à la fois au terrain et aux constructions qui seront devenues la propriété du bailleur par accession ;

Par suite, débouter l’Eurl Société Commerciale de Heiri, C Da de sa demande d’infirmation du jugement entrepris de ce chef ;

Partant, confirmer le jugement entrepris de ce chef ;

À titre subsidiaire :

Vu l’article 1304 du code civil,

Voir dire et juger que la demande principale de l’Eurl Société Commerciale de Heiri, C Da au visa de l’article 16 de la délibération du 14 février 1975 relevant d’une nullité relative est prescrite par application de l’article 1304 du code civil ;

2°/ sur la demande subsidiaire de l’appelante :

Vu l’article 12 de la délibération du 14 février 1975,

Vu les éléments de la cause,

Vu le mémoire de la Sci Brothers,

Vu les références produites par la Sci Brothers justifiant de la modification des facteurs locaux de commercialité depuis la conclusion du bail,

Considérant la prise en compte dans l’estimation de la valeur locative des constructions édifiées par la société preneuse dont la société bailleresse est devenue propriétaire ;

Débouter l’Eurl Société Commerciale de Heiri, C Da de ses prétentions, fins et conclusions ;

Confirmer le jugement entrepris qui a fait droit aux demandes de la Sci Brothers telles que présentées dans son mémoire ;

Partant,

Fixer le prix du loyer mensuel du bail renouvelé incluant les constructions dont la Sci Brothers est devenue propriétaire par accession, à la somme de 1.600.000 FCP (un million six cent mille francs par mois) à compter du 3 juillet 2018, date de prise d’effet du congé ;

Confirmer le jugement entrepris du chef des frais irrépétibles et des dépens ;

Y ajoutant,

Condamner l’Eurl «Société Commerciale de Heiri» à payer à la Sci Brothers par application de

l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, la somme de 350.000 FCP ;

La condamner aux entiers dépens dont distraction.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 septembre 2020.

Il est répondu dans les motifs aux moyens et arguments des parties, aux écritures desquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé.

Motifs de la décision :

L’appel a été interjeté dans les formes et délais légaux. Sa recevabilité n’est pas discutée.

Le jugement entrepris a retenu que :

— Il est constant, notamment au visa de l’article 16 de la délibération n° 75-41 du 14 février 1975 portant réglementation des baux à usage commercial, industriel et artisanal, que les améliorations apportées aux lieux loués par le preneur sans que le bailleur en ait assumé la charge ne sont de nature à justifier une éventuelle augmentation du loyer qu’à l’occasion du second renouvellement. Autrement dit, l’augmentation du loyer intégrant la plus-value des constructions nouvelles réalisées par le preneur, n’est possible qu’après 18 ans de bail, lorsque les parties ont entendu se placer sous l’empire du droit commun qui prévoit une durée de bail de 9 ans.

— En l’espèce, l’Eurl Société Commerciale de Heiri a bénéficié d’un premier bail de 12 ans poursuivi depuis le 19 juin 2019 d’année en année par tacite reconduction jusqu’à la 21e année révolue. La fixation entre parties d’une durée de bail dérogatoire au droit commun (12 ans au lieu de 9) combinée avec la prolongation tacite d’une durée correspondant parfaitement à la durée d’un bail de droit commun (9 ans) oblige à faire du décret du 14 février 1975 susvisé, une application, dans la présente instance, non littérale mais qui en préserve l’esprit et en donne tout son sens.

— L’objet de l’article 16 précité est évidemment d’encourager les améliorations apportées par le locataire, qui bénéficient aussi aux propriétaires par la clause d’accession, sans les voir sanctionnées dès le premier renouvellement par une augmentation du loyer résultant de l’exercice de cette clause. Cette disposition est tout en équilibre entre les intérêts des bailleurs et des preneurs. Il s’agit de ne pas décourager l’initiative des preneurs à qui cette disposition permet d’amortir le coût des constructions réalisées à leurs frais, dont bénéficiera in fine le bailleur. L’intérêt protégé par l’article 16 est donc principalement de nature économique. Ce qui importe n’est donc pas en soi de faire le décompte du nombre de renouvellements du bail mais d’examiner la durée dudit bail.

— En l’espèce, nul ne conteste que l’Eurl Société Commerciale de Heiri a réalisé des améliorations. Nul ne conteste qu’elle a droit, conformément à l’article 16 précité, de ne pas se voir sanctionnée par le calcul d’un nouveau loyer qui intégrerait la valeur ajoutée tirée de ces nouvelles constructions. Et c’est bien ce qui est le cas ici, puisque le nouveau loyer proposé, s’il tient compte de la valeur des constructions réalisées par le preneur, n’intervient que 21 ans après la signature du bail initial, soit dans un délai augmenté de 3 ans par rapport au dispositif de droit commun, lequel aurait permis une telle augmentation au bout de 18 ans.

— Il s’ensuit qu’il convient de débouter l’Eurl Société Commerciale de Heiri de ses prétentions et d’allouer à la Sci Brothers le bénéfice de son mémoire.

La Sci Brothers conclut à la confirmation du jugement pour les moyens exposés ci-avant.

La Société Commerciale de Heiri fait valoir que :

— À l’instar de l’article 23-3 du décret du 30 septembre 1953, l’article 16 de la délibération n° 75-41 AT du 14 février 1975 a pour objet d’éviter que le preneur ayant financé des constructions ne subisse une hausse de loyer suite à l’accession gratuite au profit du bailleur.

— La jurisprudence applique la délibération locale en posant pour principe que les améliorations apportées aux lieux loués par le preneur sans que le bailleur en ait assumé la charge ne sont de nature à justifier un éventuel déplafonnement qu’à l’occasion du second renouvellement.

— Mais, s’agissant en l’espèce d’un premier renouvellement après l’édification des constructions, seule la valeur du terrain doit être intégrée dans la valeur locative servant de base à la fixation du loyer du bail renouvelé.

— Le jugement déféré n’a pas appliqué les dispositions de l’article 16 de la délibération du 14 février 1975. On est en présence d’un premier renouvellement ne permettant pas au bailleur de prétendre en l’état à un droit à accession. Le bail a été prolongé tacitement depuis le 19 juin 2009.

— Les dispositions de l’article 16 ne sont pas réservées aux baux d’une durée de neuf ans.

— Le bail ne déroge pas expressément aux dispositions en la matière. La stipulation d’une durée supérieure à celle de deux baux de droit commun de neuf ans est insuffisante pour le caractériser.

Les parties sont liées par un bail commercial du 19 juin 1997 qui prévoit notamment :

— durée 12 ans, avec faculté pour le preneur de donner congé à l’expiration de chaque période triennale ;

— poursuite par tacite reconduction à défaut de congé ;

— faculté pour le preneur de construire ;

— les constructions sont acquises sans indemnité au bailleur à l’expiration d’une durée de 21 ans ;

— dans le cadre de cette accession à la propriété des constructions au profit du bailleur, il est expressément convenu que le preneur ou ses dévolutaires bénéficieront du droit à la propriété commerciale telle que celle-ci résulte des textes actuellement en vigueur, sous la seule réserve que le montant du loyer à payer par le preneur ou ses dévolutaires au bailleur qui sera alors fixé d’accord parties ou à défaut à dire d’expert s’appliquera à la fois au terrain et aux constructions qui seront devenues la propriété du bailleur par accession.

Le bail passé en la forme authentique a été conclu pour une durée unique de 21 ans. En application des dispositions de l’article L145-9 du code de commerce applicables en Polynésie française, il s’est poursuivi par tacite reconduction pour une durée indéterminée, en l’absence de congé ou de demande de renouvellement.

Le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d’une indemnité d’éviction, doit, à peine de forclusion, saisir le tribunal avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné (C. com., art. L145-9).

Le bailleur qui, sans être opposé au principe du renouvellement, désire obtenir une modification du prix du bail doit, dans le congé prévu à l’article L. 145-9 ou dans la réponse à la demande de renouvellement prévue à l’article L. 145-10, faire connaître le loyer qu’il propose, faute de quoi le nouveau prix n’est dû qu’à compter de la demande qui en est faite ultérieurement suivant des modalités définies par décret en Conseil d’État (art. L145-11).

La Sci Brothers a donné congé par exploit signifié le 6 décembre 2017 à effet au 3 juillet 2018. Elle a offert un renouvellement pour neuf ans au loyer mensuel de 2 500 000 FCP, soit 1 180 000 FCP au titre de la location du terrain et 1 320 000 FCP au titre des constructions acquises au bailleur depuis le 19 juin 2018 par l’effet de la clause d’accession du bail.

Par lettre du 13 décembre 2018, la Société Commerciale de Heiri a proposé un loyer mensuel de 1 060 000 FCP correspondant à la fourchette haute de l’estimation de l’expert CORTEEL consulté par la Sci Brothers, à défaut de quoi le nouveau loyer serait fixé judiciairement à la diligence de la Sci Brothers.

Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative (C. Com., art. L145-33).

Les loyers des baux d’immeubles ou de locaux régis par le présent chapitre, renouvelés ou non, peuvent être révisés à la demande de l’une ou de l’autre des parties dans des conditions prévues par délibération de l’assemblée de la Polynésie française (art. L145-37).

La valeur locative est, sauf circonstances particulières justifiant la prise en compte d’autres éléments, déterminée d’après :

— La surface affectée à la réception du public ou à l’exploitation, la nature et la conformation des lieux ainsi que leur disposition dans l’immeuble ;

— La destination et les modalités de la jouissance des lieux prévues au bail;

— L’état d’entretien ou de vétusté des locaux et les charges imposées à chacune des parties ;

— L’importance des locaux annexes et dépendances affectés, le cas échéant, à l’exploitation du fonds ou à l’habitation ;

— La nature et l’état des équipements mis à la disposition du locataire ainsi que l’existence de vitrines d’exposition ;

— L’importance de la commune, du quartier, de la rue ;

— L’intérêt de l’emplacement du point de vue de l’activité concernée ;

— La nature de l’exploitation et l’adaptation des locaux à la forme d’activité exercée dans les lieux ainsi que les commodités offertes pour l’entreprendre.

À moins que ne soit rapportée la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l’indice annuel du prix du mètre carré créé par la délibération n° 62-35 du 18 mai 1962 intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer (Dél. n° 75-41 du 14 février 1975, art. 12).

En aucun cas, il ne sera tenu compte, pour le calcul de la valeur locative, des investissements du preneur ni des plus ou moins-values résultant de sa gestion pendant la durée du bail en cours (art. 16).

En l’espèce, le bail commercial du 19 juin 1997, qui avait été tacitement reconduit, et non renouvelé, était en cours au sens de l’article 16 de la délibération précitée au moment du congé. Les dispositions de l’article 16 de la délibération n° 75-41 s’appliquent donc en l’espèce.

Toutes les dispositions de la délibération n° 75-41 du 14 février 1975 sont d’ordre public. Toutes conventions contraires sont nulles de plein droit (art. 30).

Il résulte de l’ensemble de ces dispositions, auxquelles le bail n’a pu déroger, et dont l’application ne dépend ni de la durée du bail fixée initialement, ni de sa tacite reconduction jusqu’à ce qu’il soit donné congé avec offre de renouvellement, que la Société Commerciale de Heiri est bien fondée à demander que les constructions réalisées par le preneur ne peuvent être prises en compte pour déterminer la valeur locative dans le cadre du bail renouvelé.

Le prix judiciairement fixé ne peut, en aucun cas excéder les limites de l’offre et de la demande faite selon le cas en application des articles 7 ou 14, sauf si depuis lors les parties ont varié’ dans leurs prétentions. En ce cas, le prix ne peut prendre effet qu’a' dater de la notification des nouvelles prétentions.

Si les divergences portent sur des points de fait qui ne peuvent être tranchés sans recourir à’ une expertise, le juge désigne un expert, lequel devra s’expliquer, indépendamment de la mission complémentaire qu’il aura reçue du juge, sur tous les éléments mentionnés à l’article 12 (Dél. n° 75-41, art. 19 & 20).

Le mémoire de la Sci Brothers se réfère à une consultation de l’expert CORTEEL qui a évalué la valeur locative du terrain à la somme de 765 310 FCP par mois (rapport du 12 novembre 2018 et complément du 21 novembre 2018) sur la base des critères définis par l’article 12 de la délibération n° 75-41, en tenant notamment compte de la surface des locaux recevant du public et de leur destination (supermarché), de l’importance du quartier et de l’intérêt de l’emplacement. Il y a ajouté une évaluation de la valeur locative du bâtiment (301 666 FCP).

La Société Commerciale de Heiri s’est référée à une consultation de l’expert X qui s’est basée sur une valeur vénale de 148 923 000 FCP (sol, constructions et vétusté). La Société Commerciale de Heiri conclut que ce montant correspond à une valeur locative mensuelle de 620 512 FCP.

Elle critique l’évaluation de l’expert CORTEEL en ce que celui-ci a pris en compte le mécanisme financier d’amortissement du bien loué. Mais, comme il a été dit, le calcul de la valeur locative ne peut tenir compte en l’espèce des investissements du preneur.

Dans son rapport et dans le complément à celui-ci, l’expert CORTEEL a retenu que :

— Le loyer est de 400 000 FCP par mois soit une valeur locative de 400 000 : 2639 m2 = 151,57 F/m2/mois.

— La valeur locative calculée selon la méthode du coût de remplacement net (valeur du terrain + coût de remplacement des constructions) est évaluée à 11 040 000 FCP soit 920 000 FCP par mois. La valeur du foncier est de 185 000 000 FCP et celle de remplacement des constructions (magasin et entrepôt) de 90 500 000 FCP.

— La valeur locative calculée selon la méthode comparative (références de loyers de 6 autres entreprises voisines) se situe entre 408 F/m2/mois et 1785 F/m2/mois, les variations s’expliquant par les différences de marges entre les commerces.

— La valeur locative calculée selon la méthode composite (prise en compte des valeurs locatives respectives du terrain, des constructions et de celle du sol et des murs) est de 1 066 976 FCP par mois.

— Ces valeurs locatives doivent être recadrées en fonction de la destination du commerce. Les marges

habituellement réalisées dans la grande distribu-tion ne sont pas aussi élevées dans l’alimentation que dans les commerces spécialisés (matériaux, bricolage, importation de produits typiquement américains, etc). des loyers excessifs ne peuvent pas être imposés à des commerces dont la structure de marge ne pourrait pas les supporter.

— La valeur locative est proportionnelle à la surface des locaux recevant du public. L’importance du quartier est essentielle. Il s’agit d’un des deux centres de la commune de Da. Elle dépend aussi de la destination, ce qui conduit à tenir compte de la comparaison avec d’autres commerces de même catégorie. L’intérêt de l’emplacement est indéniable, mais la plupart des autres commerces sont aussi situés en bord de route.

— En conséquence, le calcul de la valeur locative de C Heiri par la méthode directe (application du taux de 4% au coût du sol et des murs) donne une valeur locative de 11 040 000 FCP par an (920 000 FCP /mois soit 1184 F/m2 mensuel, loyer déjà très élevé pour un commerce de bouche à Da surtout axé sur les produits de première nécessité à très faible marge), à comparer avec la supérette Da Discount d’une valeur locative de seulement 895 F/m2/mois. Des loyers disparates dans la même branche commerciale risquent de fausser la concurrence.

— Le calcul de la revalorisation du loyer initial de 400 000 F/mois en tenant compte de la variation des facteurs locaux de commercialité , estimée à 1,9 fois au maximum, donne une valeur locative métrique de 290 F/m2 mensuel, soit pour le sol un loyer de 765 310 F/mois (au lieu de 400 000 F précédemment).

— La valeur locative des impenses générées par la construction âgée de 20 ans doit impérativement être évaluée à 4% de son coût de remplacement net, ce qui donne 301 666 F/mois.

— Le loyer renouvelé serait alors égal à la somme des valeurs locatives du terrain et du bâtiment, soit 765 310 + 301 666 = 1 066 976 FCP.

L’expert CORTEEL a fondé son évaluation de la valeur vénale du terrain sur l’emplacement à une intersection importante en centre-ville et sur le prix de vente de 2 parcelles voisines en 2012. L’expert X a retenu une valeur vénale du terrain inférieure (92 365 000 FCP) en appliquant une décote de 30 % en raison de l’encombrement du terrain (constructions), mais sans procéder à des comparaisons. L’estimation de l’expert CORTEEL sera donc retenue.

La cour dispose ainsi d’éléments d’appréciation suffisants pour fixer à la somme de 765 310 FCP le montant du loyer mensuel du bail, d’après l’évaluation de la valeur locative à laquelle a procédé l’expert CORTEEL, et sans inclure dans celle-ci les investissements du preneur ni les plus ou moins-values résultant de sa gestion pendant la durée du bail en cours, et donc les constructions réalisées par la Société Commerciale de Heiri qui sont devenues la propriété de la Sci Brothers.

Les parties ont varié dans leurs prétentions au sens de l’article 19 de la délibération n° 75-41. La Sci Brothers a demandé en justice la fixation d’un loyer d’un montant moindre que celui qu’elle réclamait dans son congé. La Société Commerciale de Heiri n’a pas renouvelé en justice son offre du 13 décembre 2018. Le nouveau loyer sera donc en vigueur à compter de la clôture de l’instruction de l’affaire en premier ressort, laquelle a fixé la notification des nouvelles prétentions, soit au jour de l’audience de plaidoiries du 19 septembre 2019.

Le bail et la réglementation des baux commerciaux ont prévu la fixation judiciaire du loyer à défaut d’accord des parties. L’équité ne commande pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française. La partie qui succombe est condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;

Infirme le jugement rendu le 17 octobre 2019 par le juge des loyers commerciaux du tribunal de première instance de Papeete ;

Statuant à nouveau,

Fixe à compter du 19 septembre 2019 le prix du loyer du bail renouvelé à la somme de 765 310 FCP par mois ;

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française devant le juge des loyers commerciaux ni devant la cour ;

Rejette toute autre demande ;

Met les dépens de première instance et d’appel à la charge de la Sci Brothers.

Prononcé à Papeete, le 3 décembre 2020.

Le Greffier, Le Président,

signé : M. SUHAS-TEVERO signé : G. RIPOLL

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Cour d'appel de Papeete, Chambre civile, 3 décembre 2020, n° 19/00424