Cour d'appel de Papeete, Chambre commerciale, 17 décembre 2020, n° 19/00261

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Papeete, ch. com., 17 déc. 2020, n° 19/00261
Juridiction : Cour d'appel de Papeete
Numéro(s) : 19/00261
Décision précédente : Tribunal de commerce de Papeete, 7 février 2019, N° 20;201700042
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

438

PG

-------------

Copie exécutoire

délivrée à :

— Me Feuillet,

le 17.12.2020.

Copie authentique délivrée à :

— Me E. Spitz,

le 17.12.2020.

REPUBLIQUE FRANCAISE

COUR D’APPEL DE PAPEETE

Chambre Commerciale

Audience du 17 décembre 2020

RG 19/00261 ;

Décision déférée à la Cour : jugement n° 20, rg 2017 00042 du Tribunal Mixte de Commerce de Papeete du 8 février 2019 ;

Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d’appel le 11 juillet 2019 ;

Appelante :

La Sa Banque de Polynésie, société anonyme au capital de 1 380 000 000 FCP, immatriculée au Rcs de Papeete sous le n° Tpi 72 545 B, […] dont le siège social est sis […], […], agissant poursuites et diligences de son Directeur Général ;

Représentée par Me Guillaume FEUILLET, avocat au barreau de Papeete ;

Intimée :

La Société LIBB 2, sarl au capital e 1 000 000 FCP, inscrite au Rcs de Papeete sous le n° 05 133-B, […] dont le siège social est sis à […], […] ;

Représentée par Me Marie EFTIMIE-SPITZ, avocat au barreau de Papeete ;

Ordonnance de clôture du 18 septembre 2020 ;

Composition de la Cour :

La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 22 octobre 2020, devant M. RIPOLL, conseiller faisant fonction de président, M. X et M. Y, conseillers, qui ont délibéré conformément à la loi ;

Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;

Arrêt contradictoire ;

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;

Signé par M. X, conseiller et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A R R E T,

Rappel des faits et de la procédure :

Par une lettre recommandée avec demande d’avis de réception datée du 9 décembre 2016, reçue le 13 décembre suivant, la société anonyme (Sa) Banque de Polynésie a notifié à la Sarl Société LIBB 2, sa décision de clôturer le compte ouvert à son nom dans ses livres, moyennant le respect d’un préavis venant à échéance le 10 février 2017.

Par requête enregistrée au greffe le 17 janvier 2017, précédée d’une assignation délivrée le 3 janvier 2017, la Sarl Société LIBB 2 a fait citer la Banque de Polynésie devant le tribunal mixte de commerce de Papeete aux fins de voir suspendre les effets de la résiliation de son compte bancaire. Elle a sollicité, à titre subsidiaire, la condamnation de la Banque de Polynésie à lui payer la somme de 500.000 FCP à titre de dommages et intérêts. La Sarl Société LIBB 2 n’a maintenu que cette dernière demande après que la clôture de son compte soit devenue effective le 24 février 2017.

Par jugement du 8 février 2019, le tribunal mixte de commerce a considéré que le délai de préavis d’au moins soixante jours visé à l’article L313-12 du code monétaire et financier n’avait pas été respecté et, par conséquent, a condamné la Banque de Polynésie à payer à la Sarl Société LIBB 2 la somme de 100.000 FCP à titre de dommages et intérêts.

Par requête enregistrée au greffe de la cour le 11 juillet 2019, Ia Sa Banque de Polynésie a interjeté appel de ce jugement.

Prétentions et moyens des parties :

Par conclusions récapitulatives reçues au greffe par voie électronique le 14 mai 2020, la Sa Banque de Polynésie demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et de condamner la Sarl Société LIBB 2 à lui payer la somme de 50.000 FCP au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux dépens.

Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que:

— les parties sont liées par les conditions générales et particulières d’une convention de compte courant dénommée 'Maeva Entreprises’ ;

— les conditions particulières de cette convention stipulent que : «les découverts autorisés font l’objet d’une convention spécifique»';

— la Sarl Société LIBB 2 ne rapporte pas la preuve qu’une autorisation de découvert lui a été accordée

;

— il ne peut se déduire du fonctionnement du compte courant en ce qu’il implique la passation d’écritures au débit et au crédit, l’existence d’un crédit consenti ; il s’agit de notions juridiques distinctes ; un compte courant peut parfaitement fonctionner en l’absence de découvert ;

— le délai de préavis d’au moins soixante jours posé par l’article L313-12 du code monétaire et financier, qui ne s’applique que dans l’hypothèse d’une dénonciation par la banque des concours qu’elle a pu accorder, ne trouve donc pas à s’appliquer en l’espèce ;

— le délai de préavis d’au mois deux mois posé par l’article L312-1-1-III du code monétaire et financier n’est pas non plus applicable, le champ d’application de ce texte étant circonscrit à la clôture des comptes de dépôt des personnes physiques qui n’agissent pas pour des besoins professionnels, ce qui n’est pas le cas de l’intimée, société commerciale par sa forme et par son objet ;

— le délai de préavis contractuel figurant dans les conditions générales de la convention 'Maeva Entreprises’ (article 7) est de 30 jours ;

— le délai de préavis doit être décompté conformément aux stipulations contractuelles, à savoir à compter du jour de l’envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception et non à compter du jour de sa réception ;

— le délai de préavis notifié est donc d’une durée de 63 jours, de sorte qu’elle a bien respecté le délai contractuel ;

— en outre le délai de préavis notifié est un délai raisonnable au sens de la jurisprudence ;

— par ailleurs, elle n’avait aucune obligation de motiver sa décision et la clôture concomitante des conventions de compte courant de 17 autres sociétés appartenant au même dirigeant, M. Z A, ne peut lui être imputée à faute ;

— les décisions de clôture des comptes de ces sociétés n’ont été entourées d’aucune publicité de sa part susceptible de justifier une atteinte à la réputation de ces sociétés ;

— enfin, la société intimée ne justifie pas des préjudices qu’elle allègue ; en particulier, elle ne justifie pas de la désorganisation de son activité.

Par conclusions récapitulatives reçues au greffe par voie électronique le 31 juillet 2020, la Sarl Société LIBB 2 demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a jugé fautive la clôture de son compte bancaire, mais de l’infirmer quant au montant des dommages et intérêts alloués. Elle sollicite la condamnation de la banque à lui payer la somme de 500.000 FCP à titre de dommages-intérêts et celle de 60.000 FCP au titre des frais irrépétibles d’appel, ainsi qu’aux dépens.

Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que :

— le délai de préavis d’au moins deux mois prévu par l’article L312-1-1-III du code monétaire et financier, dont l’application n’est pas limitée aux comptes de dépôt des particuliers, n’a pas été respecté ;

— la circonstance que la Banque de Polynésie a retardé la clôture effective du compte au 24 février 2017, au lieu du 10 février 2017, est sans incidence, la durée du préavis accordé s’analysant au regard du délai tel que notifié au moment de la décision de clôture du compte, et non en considération du délai réellement appliqué, ce d’autant plus que la Banque n’a jamais notifié la prorogation de ce délai décidée unilatéralement ;

— la banque ne communique pas les conditions particulières et générales applicables au litige ;

— elle n’invoque, ni ne justifie d’aucune disposition contractuelle lui permettant de déroger au délai de préavis imposé par l’article L312-1-1 III du code monétaire et financier ;

— le délai de préavis d’au moins 60 jours prévu par l’article L313-12 du code monétaire et financier pour l’interruption des concours à durée indéterminée n’a pas non plus été respecté ;

— elle bénéficiait d’un concours à durée indéterminée qui n’était pas occasionnel;

— le fonctionnement du compte courant induit nécessairement des opérations au débit et au crédit, avec une pratique normale de fonctionnement en débit ;

— la banque ne peut résilier une convention à durée indéterminée sans mise en demeure préalable et moyennant un délai suffisant permettant au client de régulariser sa situation ; or, elle n’a reçu aucune mise en demeure préalable ;

— la banque est donc fautive pour avoir manqué au respect des délais de préavis légaux et à son obligation de mise en demeure préalable ;

— le délai raisonnable dont elle se prévaut ne peut être inférieur à 90 jours au regard de la jurisprudence, compte tenu de l’ancienneté des relations d’affaires entre les parties ;

— en tout état de cause, la banque a reconnu être astreinte à un délai de préavis de 60 jours qu’elle n’a pas respecté ; le courrier notifiant la clôture du compte ne lui est en effet parvenu que le 13 décembre 2016, le délai de préavis n’a donc été que de 54 jours ;

— la clôture du compte est intervenue dans des circonstances qui caractérisent une rupture abusive, notifiée avec l’intention de nuire (clôture concomitante des comptes de 18 sociétés, délai de préavis trop court au regard de la durée de leurs relations d’affaires – près de 20 ans, et préavis notifié seulement quelques jours avant les fêtes de fin d’année)';

— par conséquent le préjudice subi justifie une révision du montant des dommages et intérêts alloués en première instance.

**********

L’ordonnance de clôture a été rendue le 18 septembre 2020, fixant l’affaire à l’audience commerciale de la cour du 22 octobre 2020.

À l’issue de celle-ci, les parties ont été informées que la décision, mise en délibéré, serait prononcée le 17 décembre 2020, par mise à disposition au greffe.

Motifs de la décision :

Sur le fond :

Concernant l’application de l’article L312-1-1 du code monétaire et financier :

Les dispositions de l’article L312-1-1 du code monétaire et financier, applicable en Polynésie française en vertu de l’article L753-2 du même code, énonçaient dans leur rédaction en vigueur au jour des faits :

«'I – ['] La gestion d’un compte de dépôt des personnes physiques n’agissant pas pour des besoins

professionnels est réglée par une convention écrite passée entre le client et son établissement de crédit […]

III – ['] L’établissement de crédit résilie une convention de compte de dépôt conclue pour une durée indéterminée moyennant un préavis d’au moins deux mois […] ».

Les parties s’opposent sur le champ d’application de ce dernier alinéa, l’appelante soutenant que, par rapprochement avec le premier alinéa, le délai de préavis de deux mois édicté par ces dispositions ne concerne que la clôture des comptes de dépôt des personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels, tandis que l’intimée considère que la portée de cet alinéa III n’est pas limité aux comptes de dépôt des particuliers.

Il s’infère néanmoins de ces moyens que les parties admettent conjointement que cet article L312-1-1 ne s’applique qu’aux comptes de dépôt.

Or, les comptes de dépôt ne se confondent pas avec les comptes courants car, s’ils peuvent fonctionner selon des modalités similaires, leur nature juridique diffère en ce que, notamment, seuls ces derniers exigent une réciprocité générale des remises et induisent un effet de règlement automatique attaché à l’entrée en compte de celles-ci.

Au cas présent, la Banque de Polynésie ne conteste pas que le compte clos était un compte-courant, tandis que les écritures de l’intimée apparaissent plus ambiguës à ce sujet. En effet, tout en revendiquant l’application de l’alinéa III de l’article L312-1-1, elle admet dans ses conclusions que le compte litigieux était bien un compte courant (cf. page 4, alinéas 5 et 6 et page 5, alinéa 5).

Au demeurant, elle verse elle-même aux débats la fiche, signée par ses soins le 2 février 2006, d’ouverture de ce compte, dénommé 'Convention Maeva Entreprises', qui l’identifie clairement sous la rubrique 'Désignation des services bancaires’ comme étant un compte courant.

La Banque produit quant à elle une version type des 'conditions générales de fonctionnement du compte-courant’ définissant : «les principales modalités d’ouverture, de fonctionnement et de clôture du compte courant, ouvert dans l’agence désignée aux conditions particulières, à des entreprises ci-après dénommées 'le client’ dans le cadre de la 'Convention de compte Maeva Entreprises'».

Si l’intimée conteste l’applicabilité de ces conditions, il est vrai non signées, aux faits de l’espèce au motif notamment qu’il s’agit seulement de : «la version applicable à compter du 1er juillet 2016», elle ne produit pas davantage les conditions générales et particulières, signées par elle, qui seraient à retenir. En outre, son moyen relatif à la date d’effet des conditions litigieuses est inopérant dès lors que, d’une part, cette précision ne résulte aucunement du document produit aux débats (cf. pièce 3 de la banque) et que, d’autre part, rien ne permet d’exclure qu’il s’agissait bien des conditions applicables lors de la clôture du compte puisque cette dernière est intervenue après le 1er juillet 2016. Enfin, la fiche d’ouverture de compte précitée, non seulement emportait adhésion par l’intimée : 'aux conditions générales, particulières et tarifaires de la présente Convention dont un exemplaire m’a (nous a) été remis et dont je déclare (nous déclarons) avoir pris connaissance', mais surtout précisait que : 'les conditions mentionnées sont celles habituellement pratiquées par la Banque de Polynésie sauf convention particulière. Elles sont susceptibles de variation et sont à votre disposition dans votre agence'.

Au final, l’analyse et le rapprochement de ces justificatifs, parfaitement cohérents entre eux, confirment que le compte litigieux était bien un compte courant.

Il est vrai néanmoins que la qualification donnée par les parties au compte ne lie pas le juge qui doit, en cas de conflit, rechercher la véritable intention de la banque et du client à travers l’allure du compte, c’est-à-dire son mode usuel de fonctionnement. Toutefois, en l’espèce, la S.A.R.L. Société

LIBB 2 ne produit aucune pièce, tel qu’un historique exhaustif des relevés de ce compte, permettant de considérer qu’en fait, nonobstant sa qualification conventionnelle, il s’agissait d’un compte de dépôt.

Il s’en déduit que les dispositions de l’article L312-1-1 du code monétaire et financier n’étaient pas applicables au compte litigieux du fait de sa nature de compte courant, sans qu’il soit alors nécessaire de s’interroger sur la portée des stipulations particulières énoncées en son alinéa III. Par conséquent, le jugement déféré doit être infirmé dès lors qu’il n’a jugé inapplicables au compte litigieux que les seules dispositions de l’alinéa III de cet article.

Concernant l’application de l’article L313-12 du code monétaire et financier :

Selon les dispositions de l’article L313-12 du code monétaire et financier, applicable en Polynésie française en vertu des dispositions de l’article L753-5 du même code :

«'Tout concours à durée indéterminée, autre qu’occasionnel, qu’un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l’expiration d’un délai de préavis fixé lors de l’octroi du concours. Ce délai ne peut, sous peine de nullité de la rupture du concours, être inférieur à soixante jours. Dans le respect des dispositions légales applicables, l’établissement de crédit ou la société de financement fournit, sur demande de l’entreprise concernée, les raisons de cette réduction ou interruption, qui ne peuvent être demandées par un tiers, ni lui être communiquées […]. L’établissement de crédit ou la société de financement n’est pas tenu de respecter un délai de préavis, que l’ouverture de crédit soit à durée indéterminée ou déterminée, en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s’avérerait irrémédiablement compromise. Le non-respect de ces dispositions peut entraîner la responsabilité pécuniaire de l’établissement de crédit ou de la société de financement ».

Les premiers juges ont considéré que la Sarl Société LIBB 2 bénéficiait d’un concours à durée indéterminée autre qu’occasionnel de la part de la Banque de Polynésie aux motifs que le compte en cause était un compte-courant, que : «'par nature, le compte courant fonctionne aussi bien en lignes débitrices que créditrices» et que leur convention de compte n’excluait pas l’existence d’un découvert à durée indéterminée.

Il est constant que, du fait de sa nature juridique associant un principe de généralité et de réciprocité des remises à un mécanisme conventionnel de compensation des articles inscrits à son débit (créances de la banque) et à son crédit (créances du client), le compte-courant peut connaître un solde variant alternativement au profit de l’une ou l’autre des parties.

Pour autant, le seul fait qu’un compte-courant puisse fonctionner, voire fonctionne régulièrement, à découvert ne suffit pas à caractériser l’existence d’un 'concours à durée indéterminée autre qu’occasionnel’ au sens des dispositions précitées. En effet, un compte au titre duquel la banque n’aurait aucune convenance à accorder de découvert peut parfaitement fonctionner sous forme de compte-courant. Ce dernier se distingue donc de l’ouverture de crédit et, si celle-ci peut aussi être tacite, encore faut-il rapporter la preuve d’une quasi-permanence des soldes négatifs du compte, sans réaction de la part du banquier.

Par ailleurs, les 'conditions générales’ produites par la Banque, ci-dessus jugées applicables aux faits de l’espèce, ne prévoient aucune ouverture de crédit, avances de fonds ou facilités permanentes de caisse, excédant les tolérances ponctuelles de découverts consubstantielles à la nature du compte-courant ouvert au bénéfice de la société intimée.

De plus, la fiche d’ouverture de compte susvisée précise que : 'les découverts autorisés font l’objet d’une convention fixant les modalités d’arrêté', ce qui confirme qu’en cas d’autorisation permanente

de découvert, un contrat distinct devait être passé entre les parties. Or, l’intimée ne produit aucune convention de la sorte.

Enfin, cette dernière n’allègue, ni a fortiori ne justifie, que ledit compte-courant fonctionnait de manière habituelle à découvert. Au contraire, le seul relevé de compte figurant au dossier a été communiqué par la Banque et retrace le solde de celui-ci au 31 octobre 2016 ainsi que les opérations ultérieures jusqu’à sa clôture effective, le 24 février 2017. Or, ce relevé fait apparaître sur cette période un solde constamment créditeur : + 215.062 FCP au 31 octobre 2016 à + 57.948 FCP au 23 février 2017, montant remboursé à la société intimée par chèque de banque.

Cette dernière n’établit donc pas qu’elle bénéficiait d’un concours à durée indéterminée autre qu’occasionnel, de sorte que les premiers juges ont fait application à tort du délai de préavis de 60 jours prescrit, à peine de nullité de la rupture de ce type de concours, par l’article L313-12 du code monétaire et financier.

Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef.

Concernant les conditions de la clôture du compte :

Aux termes de l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable en Polynésie française: «Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi».

En l’espèce, les 'conditions générales’ susvisées stipulent, en leur article 7.1 intitulé 'La clôture du compte’ que : «'Le compte est convenu pour une durée indéterminée. Il peut être clôturé, soit à tout moment à l’initiative du client, soit moyennant un préavis de 30 jours à initiative de la Banque de Polynésie. Dans ce dernier cas, le délai de préavis court à compter de l’envoi d’une lettre recommandée avec avis de réception adressée au client à sa dernière adresse inscrite dans les livres de la Banque de Polynésie lui notifiant la clôture du compte[…]».

Ces dispositions contractuelles ne peuvent être écartées au motif qu’elles contreviendraient au délai légal de préavis de 60 jours imposé par l’article L313-12 du code monétaire et financier puisque ce dernier a été jugé inapplicable aux faits de l’espèce.

D’autre part, il est établi par les pièces versées aux débats que la Banque de Polynésie a notifié à l’intimée son intention de procéder à la résiliation de son compte à effet du 10 février 2017, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 9 décembre 2016. Le délai contractuel de préavis de 30 jours a donc couru à compter de cette date, de sorte qu’aucune faute ne peut être imputée à la banque pour avoir fixé l’échéance de ce dernier au 10 février 2017, soit 63 jours plus tard.

En outre, le fait que la banque ait, dans sa lettre de résiliation, visé un délai de 60 jours au lieu et place du délai fixé aux conditions générales, demeure sans incidence dès lors qu’aucune novation de son obligation contractuelle ne saurait résulter d’un simple courrier émanant d’une seule des parties au contrat.

La responsabilité d’un établissement teneur du compte peut aussi être engagée à l’égard de son client lorsque les circonstances de la rupture présentent un caractère abusif, résultant notamment de son intention de nuire ou de la brutalité de la résiliation. Mais sur ce point, il convient de relever que :

— conventionnellement la banque n’était nullement tenue de justifier sa décision de clôturer le compte, ce que d’ailleurs l’intimée ne conteste pas (cf. page 10 de ses écritures), de sorte que le grief d’un motif illégitime est inopérant ;

— tant le délai de préavis notifié conformément aux clauses du contrat (soit du 9 décembre 2016 au 10 février 2017), que celui ayant couru à compter de la réception de la lettre de résiliation (soit du 13 décembre 2016 au 10 février 2017) ou encore celui effectivement mis en oeuvre (soit du 13 décembre 2016 au 24 février 2017), étaient d’une durée (a minima 59 jours) excédant largement les obligations contractuelles de la Banque (30 jours) ;

— dès lors, le respect du délai de préavis contractuel dispense de s’interroger sur le caractère raisonnable de ce délai ; il est par conséquent sans effet d’invoquer la période des fêtes de fin d’année ou l’ancienneté des relations d’affaires entre les parties pour soutenir que seul un délai de 90 jours aurait été raisonnable, alors qu’il est démontré qu’un délai de préavis de clôture avait été fixé contractuellement et que celui-ci a été largement respecté ;

— il convient également de souligner que l’intimée ne réclame pas la nullité de la décision de clôture, ni ne justifie de son impossibilité d’ouvrir un nouveau compte courant dans une autre banque dans les délais qui lui étaient impartis ;

— le fait que toutes les sociétés du même groupe aient vu leur compte clôturé de façon concomitante n’est pas davantage de nature à caractériser de la part de la banque un abus de son droit ou une intention de nuire, celle-ci pouvant légitimement choisir de ne plus poursuivre ses relations d’affaire avec ce groupe, considéré comme un seul et unique client ;

— la Banque de Polynésie n’était pas non plus tenue, contrairement à ce que prétend la société intimée, de lui adresser une mise en demeure préalable ; en effet, non seulement elle ne lui reprochait aucune méconnaissance de ses obligations contractuelles, mais de surcroît une telle exigence serait manifestement contraire au droit reconnu à la banque de ne pas avoir à motiver sa décision ;

— enfin, contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, la preuve d’une désorganisation de la gestion de la Sarl Société LIBB 2 n’est pas rapportée et ne s’évince aucunement de la décision unilatérale de la banque de résilier concomitamment les comptes courants de l’ensemble des sociétés du groupe, moyennant le respect d’un préavis représentant près du double de celui qui lui était contractuellement imposé ; en outre, l’intimée ne prétend pas, ni a fortiori ne démontre, que la banque aurait volontairement entouré sa décision de résiliation d’une publicité intempestive, ayant nui gravement à sa réputation commerciale.

Pour l’ensemble de ces motifs, il ne peut être considéré que la Banque de Polynésie a commis une faute lors de la clôture du compte courant ouvert au profit de la Sarl Société LIBB 2. En conséquence, le jugement déféré sera également infirmé en ce qu’il a retenu la responsabilité de la banque et l’a condamnée au paiement de dommages-intérêts.

Sur l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française :

Il paraît inéquitable de laisser à la charge de la Banque de Polynésie les frais exposés par elle et non compris dans les dépens de première instance et d’appel. Il lui sera donc alloué une indemnité au titre de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, cependant limitée à la somme de 30.000 FCP eu égard au nombre de dossiers concernés.

Sur les dépens :

Aux termes de l’article 406 du code de procédure civile de la Polynésie française : «Toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, sauf circonstance particulière résultant de l’intérêt ou de la faute d’une autre partie».

En conséquence, en l’absence au cas présent d’une telle circonstance particulière, la S.A.R.L. Société LIBB 2 sera également condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

Dit que la convention de compte 'Maeva Entreprises’ conclue entre la société anonyme (Sa) Banque de Polynésie et la Sarl Société LIBB 2, était constitutive d’un compte-courant ;

Juge par conséquent inapplicables aux conditions de clôture de ce compte les dispositions de l’article L312-1-1 du code monétaire et financier ;

Dit que la Sa Banque de Polynésie n’a pas consenti à la Sarl Société LIBB 2 un concours à durée indéterminée autre qu’occasionnel ;

Juge par suite également inapplicables aux faits de l’espèce les dispositions de l’article L313-12 du code monétaire et financier ;

Dit que la Sa Banque de Polynésie n’a commis aucune faute au titre de sa décision de clôturer le compte-courant ouvert au bénéfice de la Sarl Société LIBB 2 ;

Déboute en conséquence la Sarl Société LIBB 2 de sa demande de dommages-intérêts ;

Condamne la Sarl Société LIBB 2 à payer à la SA Banque de Polynésie la somme de 30.000 FCP au titre de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;

Condamne la Sarl Société LIBB 2 aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Prononcé à Papeete, le 17 décembre 2020.

Le Greffier, P/Le Président,

signé : M. SUHAS-TEVERO signé : P. X

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