Cour d'appel de Paris, 7 février 2007, n° 06/12333

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, 7 févr. 2007, n° 06/12333
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 06/12333
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 30 mai 2006, N° 06/51433

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

14e Chambre – Section A

ARRÊT DU 07 FÉVRIER 2007

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 06/12333

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 31 Mai 2006 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 06/51433

APPELANTE

LA SOCIÉTÉ C

SARL

agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant et tous représentants légaux

ayant son siège social au XXX

XXX

représentée par la SCP ROBLIN – CHAIX DE LAVARENE, avoués à la Cour

assistée de Me DUSAUSOY (SELARL DUSAUSOY, LEFEBVRE & associés), avocat au barreau de PARIS, toque : L311

INTIMÉS

Madame F B née X

XXX

XXX

représentée par la SCP ARNAUDY – BAECHLIN, avoués à la Cour

assistée de Me Yann GASNIER, avocat au barreau de PARIS, Toque : C470

Monsieur le Docteur Y

XXX

XXX

représenté par la SCP GUIZARD, avoués à la Cour

assisté de Me Georges LACOEUILHE, avocat au barreau de PARIS, toque : A 105

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 09 Janvier 2007, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Marcel FOULON, Président

Madame Marie-José PERCHERON, Conseiller

Monsieur Renaud BLANQUART, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Melle G H

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par Monsieur Marcel FOULON, Président

— signé par Monsieur Marcel FOULON, président et par Melle G H, greffier présent lors du prononcé.

*

En 1999, Madame X B, âgée de 35 ans, qui résidait aux Etats Unis, a pris contact avec le Docteur Y, dont le nom était associé à un produit alors récent de comblement des rides, nommé Z, produit par la société C et mis sur le marché depuis le mois d’octobre 1998. Madame X B consultait le Docteur Y, le 6 janvier 2000, avant de faire procéder, le lendemain, à cinq injections de Z : deux dans le front, une à chaque arcade sourcilière et une dans le menton.

En juillet 2000, une première inflammation apparaissait à l’arcade sourcilière droite, qui était traitée par corticoïdes, sur les conseils du Docteur Y. Madame X B consultait, le 9 novembre 2000, ce dernier, qui constatait la présence de plusieurs granulomes inflammatoires sur le visage de sa patiente, qu’il continuait à traiter par corticoïdes.

Madame X B entreprenait de nombreux traitements, subissait une intervention chirurgicale en mars 2002, une masse solide de la paupière supérieure droite étant résorbée. Elle subissait de nouvelles injections et de nouveaux traitements en juin, juillet et novembre 2002.

Par ordonnance du juge des référés du 29 novembre 2002, le Professeur MOREL et le Docteur A étaient désignés aux fins d’expertise et Madame X B était déboutée d’une demande de provision. Elle saisissait ultérieurement le juge des référés pour voir ordonner un complément d’expertise et condamner in solidum le Docteur Y et la société C ou, subsidiairement, le Docteur Y à lui verser la somme de 18.000 € à titre de provision à valoir sur son préjudice personnel et la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du NCPC. La Société C appelait, pour sa part, la société AXA FRANCE IARD, son assureur, en intervention forcée.

Par ordonnance du 31 mai 2006, le juge des référés a :

— ordonné la jonction de ces procédures,

— condamné in solidum, sur le fondement de l’article 1386-1 du Code civil la société C et sur le fondement des articles 1135 et 1147 du même code le Docteur Y à payer à Madame X B la somme de 8.000 € à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice personnel,

— dit que la compagnie AXA FRANCE IARD garantirait la société C du paiement des sommes mises à sa charge,

— mis hors de cause les sociétés CORNEAL et CORNEAL INDUSTRIE et la société IMPAX’S DIFFUSION,

— ordonné un complément d’expertise et désigné le Professeur MOREL pour y procéder avec pour mission, pour l’essentiel,

— de déterminer la durée de l’incapacité temporaire de travail en indiquant si elle est totale ou partielle,

— fixer la date de consolidation,

— dire s’il résulte des soins prodigués une incapacité permanente partielle et dans l’affirmative, décrire les retentissements des séquelles sur la vie professionnelle et personnelle 'du demandeur', s’il doit avoir recours à une tierce personne, en précisant, si tel est le cas, la nature de cette intervention,

— dire si une indemnisation au titre des souffrances endurées est justifiée,

— dire s’il existe un préjudice esthétique et en qualifier l’importance,

— dire s’il existe un préjudice d’agrément, le décrire,

— dire si l’état de la demanderesse est susceptible de modification, dans l’affirmative, fournir tous éléments sur les soins et traitements qui seront nécessaires, en chiffrer le coût et les délais d’exécution,

— condamné in solidum la société C et le docteur Y à payer à Madame X B la somme de 1.000 € sur le fondement de l’article 700 du NCPC,

— réservé les dépens.

Le 4 juillet 2006, la société C a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions en date du 19 décembre 2006 auxquelles il convient de se référer, la société C fait valoir que la notice d’utilisation du Z, qu’elle commercialise, mentionnait, à la date des injections faites sur Madame X B, que la possibilité théorique de survenance de granulome devait être prise en compte ; que la publicité pour un dispositif médical est libre ; que, pour autant, les brochures publicitaires de Z contiennent des messages de prudence ; que le premier juge s’est fondé également sur des articles de presse qui sont parus postérieurement aux injections litigieuses ou ne sont pas datés ; qu’il n’a pas été fait référence à la notice d’utilisation contenue dans chaque boîte du produit, qui 'mentionnait le risque d’apparition de granulomes inflammatoires'; que le producteur est responsable de plein droit à moins qu’il prouve que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du défaut ; que Madame X B ne pouvait s’attendre à une sécurité absolue du Z ; que le premier juge s’est fondé sur des statistiques connues en 2003, alors que les faits se sont déroulés en 2000 ; qu’il existe, en tout état de cause, un doute sérieux quant à la défectuosité du produit, puisque Madame X B a demandé que soit désigné un expert avec pour mission d''examiner la défectuosité du produit au sens de l’article 1386-4 du Code civil’ ; que rien ne justifie le lien de causalité entre la prétendue défectuosité du produit et les dommages subis par Madame X B, d’autant que le juge des référés a décidé que le Docteur Y avait manqué à son devoir de conseil et d’information ; que la demande de Madame B est irrecevable puisqu’elle requiert un débat sur le fond et se heurte à une contestation sérieuse, alors qu’un rapport d’expertise ne constitue qu’un avis et ne 'juge’ pas de la responsabilité des parties à l’expertise ; que la demande du Docteur Y est irrecevable en ce qu’elle se heurte à une contestation sérieuse, alors qu’il estime que la question de sa responsabilité relève des juges du fond et qu’il demande la confirmation de l’ordonnance entreprise, s’agissant de sa responsabilité à elle. Subsidiairement, la société C fait valoir que les demandes de Madame X B sont mal fondées puisque cette dernière ne démontre pas la défectuosité du produit Z, un lien de causalité entre le dommage dont elle se prévaut et la défectuosité du produit ; que le quantum de la provision qu’elle sollicite n’est pas justifié ; que le Docteur Y n’a pas informé sa patiente des risques mentionnés sur la notice d’utilisation, ni du caractère non résorbable du Z et de ses inconvénients ; qu’il n’a pas établi de devis, un tel devis devant comporter les informations d’ordre médical concernant l’acte proposé ; qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais qu’elle a exposés pour défendre ses intérêts.

Elle demande à la cour :

— d’infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle l’a condamnée,

— de dire irrecevables les demandes de Madame X B et du Docteur Y,

Subsidiairement,

— de dire mal fondées ces demandes,

— de condamner le Docteur Y à lui verser la somme de 1.000 € au titre de l’article 700 du NCPC,

— de le condamner aux dépens, dont distraction au profit de la SCP ROBLIN, Avoué, conformément aux dispositions de l’article 699 du NCPC.

Dans ses dernières conclusions en date du 7 décembre 2006 auxquelles il convient de se référer, le Docteur Y fait valoir que les experts judiciaires ont conclu au fait que les complications observées chez Madame X B leur paraissaient dues à la nature même d’un produit permanent non résorbable, la méthode d’injection leur étant apparue conforme aux prescriptions des laboratoires C à l’époque ; qu’il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir mentionné le risque subi par Madame X B, risque particulièrement rare, qui ne figurait pas sur la notice d’utilisation fournie par le fabricant ; qu’un éventuel défaut d’information ne saurait ouvrir droit à réparation en l’absence de démonstration d’une perte de chance ; que l’article 'L 1111- 2" du Code de la santé publique circonscrit le champ d’information préopératoire aux risques fréquents ou graves normalement prévisibles ; que le praticien ne saurait être tenu d’informer ses patients des risques dont la réalisation est 'inconnue’ ; qu’à l’époque des faits, la survenue de granulomes définitifs dans les suites d’injection de Z n’était pas répertoriée, ce que confirmait la notice d’utilisation de ce produit ; qu’il ne pouvait, donc, informer valablement sa patiente ; que seule la responsabilité de la société C serait susceptible d’être retenue ; que, s’il reconnait ne pas avoir informé Madame X B du risque particulier de granulomes définitifs, cette affection est une complication rare dont l’étiologie demeure mal connue ; que le préjudice résultant du défaut d’information s’analyse en une perte de chance pour le patient d’avoir pu renoncer à l’intervention, perte dont il incombe à ce dernier de rapporter la preuve ; que l’appréciation de cette perte de chance relève uniquement des juges du fond ; que la demande de Madame X B pour subir l’intervention considérée était réelle, sachant qu’elle avait refusé une lipostructure ; que les actes qu’il a accomplis étaient conformes aux données acquises de la science médicale à l’époque ; que les injections qu’il a réalisées ne sont pas les seules causes du préjudice de Madame X B ; que les multiples interventions réalisées par d’autres médecins ont eu un impact majeur dans l’aggravation de l’état de santé de cette dernière ; que le lien de causalité entre son intervention et les préjudices invoqués est contestable ; que la société C est responsable de plein droit du fait des produits qu’elle commercialise ; que cette société n’apporte pas aux praticiens une information suffisante et claire sur les risques de granulomes définitifs.

Il demande à la cour :

— d’infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle l’a condamné à verser à Madame X B une indemnité provisionnelle,

— de confirmer cette ordonnance en ce qu’elle a condamné la société C,

— de condamner cette société à lui verser la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du NCPC,

— de condamner cette société aux dépens dont distraction au profit de la SCP GUIZARD, Avoué, conformément aux dispositions de l’article 699 du NCPC.

Dans ses dernières conclusions en date du 7 décembre 2006 auxquelles il convient de se référer, Madame X B fait valoir que le Docteur Y lui a injecté le produit Z en lui indiquant qu’il ne suscitait aucune réaction ; qu’il lui a proposé également une lipostructure ; qu’elle a opté pour les injections de Z dans la mesure où ces injections n’avaient, pour elle, aucune caractère définitif ; qu’elle a dû subir de nombreux traitements et une intervention chirurgicale du fait du développement d’une inflammation ; que les experts ont considéré que le Docteur Y n’avait pas rempli son devoir d’information à son égard et que les lésions et séquelles subies par elle étaient la résultante des injections de Z et des multiples traitements destinés à corriger les complications induites par ces injections ; que ces experts ont apprécié la défectuosité en tant que défaut de sécurité légitimement attendue, conformément à l’article 1386-4 du Code civil ; que la contestation de la société C relative à la défectuosité du produit est inopérante dès lors que la décision attaquée a retenu un lien direct entre les dommages subis et les injections du produit litigieux, en l’absence d’information suffisante, spécifique et adaptée sur le risque de complications liées à la présence de matière non résorbables ; qu’il a été relevé que ces complications avaient pu constituer un frein important à la mise en place d’un projet professionnel, alors que la date de consolidation de son état a été arrêtée au 17 octobre 2006 ; qu’elle n’est pas assurée sociale et a du faire de nombreux déplacements en France pour y subir les soins liés aux conséquences de l’intervention du Docteur Y.

Elle demande à la cour :

— de confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a retenu la responsabilité in solidum du Docteur Y et de la société C,

— de la réformer sur le montant de la provision alouée,

A titre principal et provisionnel,

— de condamner in solidum le Docteur Y et la société C à lui verser :

—  20.000 € au titre de la perte de chance,

—  15.000 € au titre de l’IPP,

—  8.000 € au titre du pretium doloris,

—  15.000 € au titre du préjudice esthétique,

—  30.000 € au titre du préjudice d’agrément,

—  18.000 € au titre du remboursement de frais engagés,

— de condamner le Docteur Y et la société C à lui verser la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du NCPC et aux dépens comprenant les frais d’expertise,

Subsidiairement et à titre provisionnel,

— de condamner le Docteur Y aux sommes ci-dessus énoncées en réparation de ses préjudices et

— de condamner le Docteur Y et la société C à lui verser la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du NCPC et aux dépens comprenant les frais d’expertise, dont distraction au profit de la SCP ARNAUDY BAECHLIN, Avoués, conformément aux dispositions de l’article 699 du NCPC.

SUR QUOI, LA COUR

Sur la demande de provision à l’égard de C

Considérant que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime ; qu’un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle ont peut légitimement s’attendre ; que, dans l’appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ;

Que la société C ne conteste pas être le producteur ou assimilé du produit Z, au sens des articles 1386-6 et 1386-7 du Code civil, ni que la qualité de produit, au sens de l’article 1386-3 du Code civil, puisse être conférée à la substance Z, ni que Madame X B ait été victime d’une atteinte à sa personne ;

Que la défectuosité d’un produit peut être inhérente à sa nature ou étrangère à cette nature, si elle résulte d’un défaut ponctuel de fabrication ;

Que Madame X B, si elle a précédemment souhaité que soient examinées ces deux hypothèses, ne demande à la Cour que d’envisager celle d’une défectuosité inhérente à la nature du produit considéré ;

Que la demande passée de Madame X B d’une expertise complémentaire destinée à mettre en évidence un éventuel défaut de fabrication du produit considéré ne démontre en rien l’absence d’une défectuosité inhérente à la nature de ce produit ;

Qu’il résulte du rapport d’expertise judiciaire datée du 13 octobre 2003 que le Z a été mis sur le marché en octobre 1998, que Madame X B, si elle a subi des traitements esthétiques divers à partir de 1997, n’en a pas subi sur les zones de son visage ayant donné lieu aux injections litigieuses, qu’elle a demandé en janvier 2000 au Docteur Y de pratiquer sur son visage des injections de Z, que seul un autre traitement proposé par le Docteur Y, la lipostructure, a donné lieu à établissement d’un devis détaillé, aucune notice de consentement éclairé n’étant remise à la patiente avant qu’elle fasse l’objet d’injections de Z, qu’à partir du mois de juillet 2000, il s’est produit chez Madame X B des complications à type de granulomes inflammatoires, avec apparition de nodules multiples fermes, soulevant l’épiderme, rouges ou noirâtres, au niveau du front, du menton, de l’arcade gauche et de l’arcade droite, avec difficulté à l’occlusion complète de la paupière droite, que ces troubles, localisés sur les zones d’injection, ont pour origine initiale les dites injections, que le Z est 'défectueux du fait de sa nature même à raison de particules non résorbables', 'véritables corps étrangers autour desquels s’organisent des granulomes de résorption, alors qu’un même type de complication s’observe avec tous les autres produits de comblement non résorbables';

Que ces experts ont souligné que les complications inflammatoires liées au produit considéré étaient parfaitement connues depuis la fin de l’année 2000 et que les dites complications étaient mentionnées sur les nouvelles notices d’utilisation de ce produit ;

Que les brochures publicitaires dont la société C confirme que la diffusion a accompagné celle du Z, si elles invitaient les clients potentiels à s’adresser à leurs médecins pour savoir si ce produit leur était contre-indiqué, présentaient ce dernier comme ayant 'une efficacité de plusieurs années’ et s’accompagnant d’une 'tolérance maximale';

Que Madame X B verse aux débats divers articles de presse dont elle indique que la lecture préalable l’a amenée à solliciter les injections litigieuses ;

Que la notice du Z dont il n’est pas contesté qu’elle était diffusée en juillet 1999, mentionnait, quant à elle, que ce produit était 'une suspension de fragments souples d’hydrogel d’acrylique non résorbables dans une solution stérile, apyrogène et physiologique d’acide hyaluronique faiblement réticulé d’origine non animale’ ; que cette notice ajoutait, alors, 'bien qu’aucun cas de granulome lié à ( son ) utilisation n’ait été rapporté, la possibilité théorique de survenance de ce type d’effet secondaire doit être prise en compte’ ;

Qu’il résulte de ce qui précède que le dommage subi par Madame X B, la défectuosité du Z du fait de sa nature, étant tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation, comme le lien de causalité existant entre ces dommages et cette défectuosité, sont incontestables ;

Que la présentation du Z à la date des faits considérés permettait, en effet, aux patients, même informés à partir de l’ensemble des éléments mis à leur disposition, d’en attendre un effet d’amélioration esthétique sans risque réels d’effets secondaires ; qu’il est manifeste que ce produit n’offrait, cependant, pas une telle sécurité ;

Que la condamnation du Docteur Y par le premier juge n’est nullement de nature à exonérer le producteur du Z de sa responsabilité découlant de la défectuosité inhérente à la nature de ce produit ;

Que la société C, si elle savait, en sa qualité de professionnelle, que ses clients potentiels ne pouvaient pas s’attendre à une sécurité absolue du Z, ce qu’elle confirme, ne leur a pas fourni une information suffisamment complète, spécifique et adaptée, sur le risque de complications lié à la présence dans ce produit de matières non résorbables ;

Que c’est, donc, à juste titre que le premier juge a considéré son obligation non sérieusement contestable ;

Sur la demande de provision à l’égard du Docteur Y

Considérant qu’il résulte du rapport des experts judiciaires que le Docteur Y avait évalué, avant sa commercialisation, le Z à la demande de la société C en 1997 sur 20 à 25 patientes et avait une connaissance importante de ce produit ; que ce médecin a noté, après que Madame X B lui ait demandé des injections de Z, que cette dernière était allergique au collagène et dysmorphophobe, ne supportant pas ce qu’elle considérait comme disgracieux de son physique ; que le Docteur Y ne conteste pas ne pas avoir établi de devis ou de notice de consentement éclairé s’agissant des injections litigieuses et confirme ne pas avoir mentionné à sa patiente le risque particulier subi par elle, du fait de la rareté de ce risque, avant de procéder aux injections litigieuses, selon une méthode qui n’est pas critiquée ;

Que le Docteur Y, professionnel qui ne conteste pas avoir été étroitement associé au projet de commercialisation du Z et connaissait très bien ce produit, comme d’autres, non résorbables, ne peut sérieusement affirmer qu’il ignorait le risque couru par sa patiente, même s’il ne pouvait alors quantifier ce risque précisément ; que ce médecin savait, par ailleurs, que cette patiente était susceptible d’être particulièrement sensible au moindre échec, ce qui requérait qu’elle soit informée de façon particulièrement complète ; qu’une telle information était d’autant plus nécessaire que celle diffusée au grand public, par voie de publicité ou de presse, sans la moindre analyse critique, laissait espérer un bénéfice remarquable sans risque et que celle contenue dans la notice du produit considéré était difficile à interpréter par un profane, en présentant le risque encouru, grave et normalement prévisible, comme seulement 'théorique';

Que le Docteur Y ne prétend pas avoir lu et commenté cette notice à Madame X B, ni avoir informé cette dernière du fait que le Z n’était pas résorbable et que, de ce seul fait, il pouvait donner lieu à l’apparition de granulomes de résorption ; qu’il ne conteste pas les termes de l’expertise selon lesquels l’indication des injections litigieuses à Madame X B était 'pour le moins limite’ et ne peut s’abriter derrière 'la demande’ de cette dernière, alors qu’il ne l’a pas correctement informée et qu’elle a été en mesure de refuser un autre traitement, après avoir reçu une notice d’information destinée à recueillir son consentement ;

Que le manquement fautif du Docteur Y à son devoir de conseil et d’information a, donc, concouru à la réalisation des préjudices subis par Madame X B, qui ne consistent pas en une simple perte de chance ;

Que les soins entrepris par Madame X B pour tenter de corriger les complications susvisées, s’ils ont pu lui occasionner un préjudice, ont trouvé leur origine dans ces complications ;

Que le dommage subi par Madame X B, la faute du Docteur Y et le lien de causalité existant entre eux, sont incontestables ;

Que l’obligation qu’ont la société C, à raison de la défectuosité du Z, et le Docteur Y, à raison de sa faute, de réparer le préjudice subi par Madame X B est, également, incontestable ;

Qu’il y a lieu, en conséquence, de confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a condamné, in solidum, la société C et le Docteur Y à verser à Madame X B une provision à valoir sur l’entière réparation de son préjudice ;

Sur le montant de la provision

Considérant que la Cour doit se prononcer au vu des éléments qui lui sont soumis au moment où elle statue ;

Que l’expert désigné a déposé un pré-rapport le 28 novembre 2006, dont il résulte :

— qu’il n’y a pas d’incapacité totale de travail, la demanderesse ne travaillant pas à l’époque des faits, qui ont, cependant, constitué un frein important à la mise en place d’un projet professionnel notamment dans le domaine de la communication et la beauté,

— que la date de consolidation peut être fixée au 17 octobre 2006,

— qu’il résulte des soins prodigués une incapacité permanente partielle de 10%, tenant compte de la gêne à la fermeture complète de l’oeil droit et des répercussions psychologiques chroniques,

— que l’indemnisation au titre des souffrances endurées peut être évaluée à 4/7,

— que le préjudice esthétique peut être évalué à 4,5/7,

— que le préjudice d’agrément tient au préjudice esthétique, rendant plus difficile toute activité sociale, les baignades, les fortes expositions aux rayonnement solaire, les activités sportives en plein air, et nécessaire le port de lunettes de soleil par temps ensoleillé,

— que l’état de Madame X B devrait continuer à s’améliorer, mais très progressivement, avec des soins en période de poussée, un éventuel drainage des nodules suppuratifs, un avis médical pouvant être demandé deux ans après les dernières poussées pour voir ce qu’il est possible de faire sur les cicatrices, moyennant un intervention dont le coût serait de 1.000 à 2.000 € ;

Que la demande de Madame X, qui, vivant aux Etats Unis, n’est pas assurée sociale en France, où elle a entrepris la majeure partie de ses soins, s’élève à la somme de 106.000 € ; que C conteste sa réclamation au titre de visites chez le Docteur D et au titre d’une perte de chance d’exercer un emploi ; que le Docteur Y ne conclut pas, fut-ce subsidiairement, sur le montant de la provision réclamée ; qu’à l’examen des pièces versées aux débats par l’intimée, cette dernière apparaît fondée à réclamer le paiement d’une provision, incontestable, de 70.000 € ; qu’il y a lieu d’infirmer l’ordonnance entreprise s’agissant du montant de la provision allouée ;

Sur les autres demandes

Considérant qu’il y a lieu de rejeter les demandes de C et du Docteur Y ;

Considérant qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame X B les frais irrépétibles qu’elle a exposés pour la présente instance ;

Que C et le Docteur Y, qui succombent, devront supporter ensemble la charge des dépens d’appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l’article 699 du NCPC ;

PAR CES MOTIFS

Infirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a fixé à 8.000 € le montant de la provision allouée à Madame X, épouse B,

Statuant à nouveau sur ce point,

Condamne in solidum la SARL C et Monsieur Y à verser à Madame X, épouse B la somme provisionnelle de 70.000 €,

Confirme l’ordonnance entreprise pour le surplus,

Y ajoutant,

Rejette les demandes de la SARL C et de Monsieur Y,

Condamne in solidum la SARL C et Monsieur Y à verser à Madame X, épouse E, la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du NCPC,

Condamne in solidum la SARL C et Monsieur Y aux dépens d’appel, comprenant les frais d’expertise, dont distraction au profit de la SCP ARNAUDY BAECHLIN, Avoués, conformément aux dispositions de l’article 699 du NCPC.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Textes cités dans la décision

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