Cour d'appel de Paris, 19 mai 2016

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, 19 mai 2016
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Décision précédente : Autorité de la concurrence, 17 novembre 2014, N° 14-D-16

Texte intégral

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 5-7

ARRÊT DU 19 MAI 2016

(n° 73, 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 2014/25803

Décision déférée à la Cour : n° 14-D-16 rendue le 18 novembre 2014

par l’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

DEMANDERESSE AU RECOURS :

— La société MOBILITAS, S.A.

Prise en la personne de son représentant légal

XXX

Élisant domicile à la SELARL 2H

XXX

Représentée par :

— La SELARL 2H Avocats,

avocat au barreau de PARIS,

toque : L0056

XXX

— Maître Fabrice VAN CAUWELAERT,

avocat au barreau de PARIS,

toque : D0997

Cabinet DS Avocats

XXX

EN PRÉSENCE DE :

— M. D DE L’ECONOMIE, DE L’INDUSTRIE ET DU NUMÉRIQUE

XXX

XXX

Représenté à l’audience par M. I J, muni d’un pouvoir

— L’AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Représentée par son président

XXX

Représentée à l’audience par M. Guillaume PERRET, muni d’un pouvoir

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 17 mars 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

— Mme E F- AMSELLEM, Présidente de chambre, Présidente

— M. Olivier DOUVRELEUR, Président de chambre

— Mme G H, Conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : M. K L-M

MINISTÈRE PUBLIC :

L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Mme B C, avocate générale, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Mme E F- AMSELLEM, présidente et par M. K L-M, greffier.

* * * * * * * *

Faits et procédure

Par décision du 11 septembre 2013, l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office de pratiques mises en 'uvre dans le secteur des déménagements des personnels militaires en Martinique.

Ce secteur s’organise autour de six entreprises, dont trois sont concernées par la décision de l’Autorité : la société AGS Martinique, détenue à 99,6 % par la société Mobilitas, la société Martinique Déménagements et la Société Martiniquaise de Déménagement, de Transport et d’Emballage (SMDTE).

Le remboursement des opérations de déménagement concernant les personnels militaires est régi par une règlementation particulière, selon laquelle, notamment, l’intéressé, en contrepartie de la prise en charge de ses frais de déménagement par l’autorité militaire, doit présenter plusieurs devis de déménageurs différents.

Le 20 mai 2014, la rapporteure générale de l’Autorité de la concurrence a adressé une notification des griefs pour des pratiques prohibées par l’article L.420-1 du code de commerce. Il était ainsi reproché :

— aux sociétés Martinique Déménagements, AGS Martinique et Mobilitas, en tant que société-mère d’AGS Martinique, du 24 juin 2009 au 30 mai 2012, et aux sociétés SMDTE, AGS Martinique et Mobilitas, en tant que société-mère d’AGS Martinique, du 7 juin 2011 au 4 juin 2012, d’avoir échangé des informations concernant leurs clients respectifs pour mettre en place une pratique de devis de complaisance pour les déménagements de militaires affectés en Martinique.

Par deux procès-verbaux des 21 et 23 juillet 2014, les sociétés Martinique Déménagements et SMDTE ont déclaré ne pas contester les griefs notifiés. La demande de la société Martinique Déménagements s’est accompagnée d’engagements tendant à la mise en 'uvre d’un programme de conformité.

La société AGS Martinique a demandé à bénéficier elle aussi de la procédure de non-contestation des griefs, mais sa société mère, la société Mobilitas, n’ayant pas souhaité se joindre à cette procédure, parce qu’elle contestait que les pratiques de sa filiale puissent lui être imputées, la rapporteure générale n’a pas fait droit à sa demande.

Par décision n°14-D-16 du 18 novembre 2014, l’Autorité de la concurrence a :

— considéré que les sociétés Martinique Déménagements, AGS Martinique et SMDTE avaient enfreint les dispositions de l’article L420-1 du code de commerce,

— pris acte des engagements souscrits par la société Martinique Déménagements,

— infligé les sanctions pécuniaires suivantes : 55 000 euros pour la société Martinique Déménagements, 24 390 euros pour la SMDTE, 142 600 euros pour la société AGS Martinique et, enfin, 158 450 euros à la société Mobilitas, dont 142 600 euros solidairement avec sa filiale AGS Martinique,

— ordonné la publication du texte figurant au paragraphe 169 de la décision dans plusieurs quotidiens.

La cour,

Vu le recours en annulation et en réformation formé le 22 décembre 2014 par la société Mobilitas devant la Cour d’appel de Paris ;

Vu les observations de la société Mobilitas des 20 janvier et 19 octobre 2015 ;

Vu les observations de l’Autorité de la concurrence notifiées le 23 juin 2015 ;

Vu les observations du Ministre de l’Economie et des Finances du 22 juin 2015 ;

Vu les conclusions écrites de Madame l’avocat général du 15 mars 2016 ;

La société Mobilitas demande à la cour de :

A titre principal:

— constater que l’Autorité de la concurrence n’a pas motivé à suffisance de droit sa décision de refuser de considérer que la société Mobilitas avait rapporté suffisamment d’éléments pour renverser la présomption d’exercice effectif d’influence déterminante sur sa filiale AGS Martinique,

— annuler la décision n°14-D-16 du 18 novembre 2014 relative à des pratiques mises en 'uvre dans le secteur du déménagement des militaires affectés en Martinique,

A titre subsidiaire :

— dire que la société Mobilitas a rapporté suffisamment d’éléments pour renverser la présomption d’exercice d’influence déterminante de cette société sur sa filiale AGS Martinique,

— réformer la décision en ce qu’elle a condamné la société Mobilitas à une sanction pécuniaire,

— mettre hors de cause la société Mobilitas,

A titre infiniment subsidiaire :

— dire que la société Mobilitas, en tant que société mère, ne peut être condamnée qu’au paiement solidaire de l’amende infligée à sa filiale AGS Martinique,

— réformer la décision en ce qu’elle a condamnée la société Mobilitas à une sanction de 158 450 euros et réduire le montant de la sanction à laquelle la société Mobilitas est condamnée en paiement solidaire à 142 600 euros,

En tous les cas :

Ordonner le remboursement des sommes versées, assorties du versement des intérêts au taux légal à compter du prononcé.

A titre principal, la société Mobilitas soutient que la décision de l’Autorité de la concurrence n’est pas suffisamment motivée, celle-ci n’ayant répondu qu’à trois moyens sur sept et s’étant retranchée derrière la citation abstraite de la jurisprudence européenne.

A titre subsidiaire, la société Mobilitas soutient que la décision doit être réformée en ce qu’elle n’a pas retenu l’autonomie de la société AGS Martinique. La société Mobilitas fait valoir qu’elle est une holding familiale financière, qui détient des participations dans des sociétés intervenant dans quatre métiers différents et qu’elle n’exerce aucune influence sur les décisions de celles-ci. Elle soutient que :

— le lien l’unissant à la société AGS Martinique est uniquement capitalistique et qu’elle n’a ni le même objet social, ni le même code APE, la même forme sociale ou les mêmes dirigeants que celle-ci ;

— les statuts de la société AGS Martinique ne contiennent aucune limitation des pouvoirs ou de la capacité d’engagement du gérant et ne soumettent aucun acte de gestion à l’approbation de l’assemblée générale des associés ;

— la société AGS Martinique établit ses propres comptes ;

— la configuration de son groupe et la diversité des activités exercées lui interdisent en fait de pouvoir influencer le comportement de chaque filiale sur chaque marché concerné ;

— seul M. X, gérant de la société AGS Martinique, dispose du statut de « gestionnaire de transport » pour exercer l’activité en cause, dans laquelle la société Mobilitas ne peut s’immiscer.

La société Mobilitas conclut de ces éléments que la société AGS Martinique est autonome commercialement et juridiquement. Par ailleurs, elle soutient que l’autonomie de comportement procédural des deux sociétés devant les services d’instruction de l’Autorité (non contestation des griefs pour la société AGS Martinique, contestation des griefs pour la société Mobilitas) doit être prise en compte à l’appui de sa démonstration.

A titre infiniment subsidiaire, la société Mobilitas expose qu’elle ne saurait être condamnée à une sanction plus lourde que sa filiale, sa responsabilité ne pouvant excéder celle de celle-ci. Elle soutient que le seul critère justifiant, selon l’Autorité, l’imposition d’une sanction différente est l’option procédurale choisie par elle et que ce critère est contradictoire, puisqu’il révèle, en l’espèce, une autonomie des deux entités. Elle affirme enfin être pénalisée du seul fait qu’elle a fait usage de ses droits de la défense.

L’Autorité de la concurrence demande à la cour de :

— écarter les moyens soulevés par la société Mobilitas,

— rejeter son recours.

L’Autorité de la concurrence soutient qu’elle a suffisamment motivé sa décision. Elle affirme qu’elle a répondu aux huit arguments invoqués par la requérante, qui pouvaient en réalité être regroupés en trois grands items. En premier lieu, elle soutient qu’une unité économique peut être constituée de plusieurs personnes morales, qui n’ont pas le même objet, la même forme sociale ou le même code APE. Elle affirme que le fait qu’une société mère ne se comporte que comme une société holding de participation ne suffit pas à renverser la présomption d’imputabilité qui pèse sur elle. En deuxième lieu, elle expose que l’absence de chevauchement de dirigeants entre la société mère et la filiale ne constitue pas un indice suffisant de l’autonomie de cette dernière. Enfin, elle soutient que la circonstance que la société mère et sa filiale soient actives sur des marchés distincts n’est pas pertinente, car l’autonomie de la filiale ne s’apprécie pas au regard des seuls aspects de la gestion opérationnelle de l’entreprise. Elle rappelle qu’en séance, la société Mobilitas a indiqué que la société AGS Martinique ne détenait pas de service juridique propre et ne pouvait compter que sur celui de la holding.

L’Autorité expose enfin que la société Mobilitas se fonde sur une approche erronée de la notion de solidarité dans le paiement de l’amende. La différence de la sanction pécuniaire infligée à la société-mère par rapport à celle de la filiale résulte en l’espèce d’un choix de défense différent opéré par les deux sociétés, personnel à chacune d’entre elles. Elle allègue que dans certaines circonstances, l’amende dont doit s’acquitter la société mère peut être supérieure à celle infligée à la filiale, pour des raisons tenant à des circonstances qui lui sont propres, telles des éléments d’individualisation (réitération), ou à titre dissuasif (affaire des installations sanitaires).

D de l’Economie et des Finances demande à la cour de :

— rejeter les moyens de la requérante,

— confirmer la décision de l’Autorité de la concurrence.

D soutient que la décision de l’Autorité est suffisamment motivée par le renvoi à la jurisprudence pertinente et constante des juridictions européennes. Le fait que le gérant de la société AGS Martinique, en tant que gestionnaire de transport, disposerait d’une influence déterminante sur la formation des coûts et la détermination des prix des opérations de cette société est insuffisant à soi seul pour démontrer que cette société constituerait une entité économique autonome par rapport à la société Mobilitas.

D expose également que tant que la présomption d’absence d’autonomie de la filiale n’est pas renversée, l’unité économique constituée par les deux sociétés doit être regardée comme l’auteur des pratiques. Ainsi, il expose que c’est à bon droit que la décision a imputé les pratiques de la société AGS Martinique à la société Mobilitas, société mère, en la tenant solidairement responsable du paiement de l’amende infligée à sa filiale. Il soutient que la procédure de non-contestation des griefs est ouverte individuellement à chaque personne morale qui s’est vue notifier un grief, et que c’est en connaissance de cause que la société Mobilitas a contesté l’imputabilité des pratiques commises par sa filiale mais dont elle était solidairement responsable. Il approuve ainsi l’analyse de l’Autorité dans le calcul et l’imputabilité des sanctions.

Madame l’avocat général soutient que la décision est suffisamment motivée, au regard des exigences posées par la jurisprudence. Elle soutient que la société Mobilitas n’a pas renversé la présomption et que le choix procédural effectué par la société Mobilitas de contester sa responsabilité en tant que maison-mère la privait du bénéfice de la réduction de 10 % octroyée à sa filiale pour non contestation des griefs.

SUR CE,

Sur l’action en nullité de la société Mobilitas pour défaut de motivation

La société Mobilitas soutient que la décision de l’Autorité encourt l’annulation pour défaut de motivation. Elle expose que l’Autorité de la concurrence n’a pas répondu aux arguments circonstanciés avancés par elle pour démontrer l’autonomie de sa filiale AGS Martinique. L’Autorité n’a répondu qu’à trois arguments sur les huit invoqués et n’a effectué que des renvois jurisprudentiels, sans se livrer à aucune analyse circonstanciée. Enfin, aucune réponse n’aurait été apportée par l’Autorité à l’argument tiré des règles spécifiques encadrant l’activité de déménagement. La décision de l’ADLC ne lui permet donc pas de comprendre pourquoi la présomption n’a pas été renversée et ne place pas la Cour de céans en mesure d’exercer son contrôle.

L’obligation de motivation à laquelle est soumise l’ADLC dans le prononcé de ses décisions impose un énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et permettent à la juridiction de recours d’en contrôler la légalité, et non une réponse à l’intégralité des arguments invoqués.

S’agissant plus particulièrement d’une décision qui s’appuie, à l’égard d’une société-mère, sur la présomption d’exercice effectif d’une influence déterminante sur sa filiale, l’Autorité est tenue d’exposer de manière adéquate à cette société les raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués par celle-ci n’ont pas suffi à renverser la présomption. L’Autorité n’est pas pour autant tenue de prendre position sur des éléments manifestement hors de propos ou secondaires.

Ces exigences ont ici été pleinement respectées. En effet, l’Autorité, après un rappel de la jurisprudence européenne sur les règles d’imputabilité, la présomption d’influence déterminante d’une société-mère sur sa filiale et le renversement de cette présomption, explique aux paragraphes 67 à 69 pourquoi elle a estimé que la présomption réfragable de responsabilité pesant sur la société Mobilitas pour le comportement de sa filiale n’a pas été renversée. La circonstance qu’elle ait regroupé ses réponses en trois paragraphes, et ait cité, à l’appui de sa motivation, des extraits d’arrêts des juridictions européennes ne constitue pas, en soi, une insuffisance de motivation, dès lors que la société-mère était placée en position de connaître les raisons pour lesquelles l’Autorité avait décidé de lui imputer la responsabilité de l’infraction. Enfin, la décision répond au paragraphe 69 à l’argument selon lequel la filiale exerçait une activité spécifique, régulée, distincte de celle de la société-mère, en soulignant que la circonstance que les deux sociétés soient actives sur des marchés distincts n’est pas pertinente.

Au travers du défaut de motivation, les requérantes contestent en réalité le raisonnement adopté par l’Autorité. Il y sera donc répondu plus bas avec l’examen du bien fondé de celui-ci.

Le moyen tiré du défaut de motivation de la décision de l’Autorité sera donc rejeté.

Sur l’action en réformation concernant la présomption

La société Mobilitas soutient que la décision doit être réformée car elle a pleinement justifié de l’autonomie économique de sa filiale, en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer qu’elle n’a pas exercé une influence déterminante sur elle, voire qu’elle n’était pas en mesure d’exercer une telle influence.

En vertu d’une jurisprudence constante, 'dans le cas particulier où une société mère détient la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de concurrence de l’Union, il existe une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce effectivement une influence déterminante sur sa filiale », eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (arrêt du 11 juillet 2013, Commission/Stichting Administratiekantoor-Gosselin Group NV, C-440/11 P, point 40).

Cette règle de fond s’impose aux juridictions et autorités de concurrence nationales, lorsqu’elles appliquent le droit européen de la concurrence, l’Autorité de la concurrence appliquant cette présomption, même lorsqu’elle applique exclusivement le droit national de la concurrence, pour des raisons de cohérence juridique, depuis ses décisions 11-D-02 et 11-D-13. Cette application n’est, au demeurant, pas contestée par la société Mobilitas.

Dans ces conditions, il suffit que l’Autorité de la concurrence prouve que la totalité ou la quasi-totalité du capital de la société AGS Martinique est détenue par sa société mère Mobilitas pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de sa filiale, sans avoir à produire d’indices supplémentaires. L’Autorité sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme tenue solidairement au paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser la présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché.

Il appartient donc à la société mère de soumettre à l’appréciation de la cour tout élément relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre sa filiale et elle-même, de nature à démontrer qu’elle ne constitue pas une unité économique avec elle.

Il convient donc d’examiner si l’Autorité a pu légitimement estimer que la présomption n’a pas été renversée par la société Mobilitas, étant précisé que les affirmations générales non corroborées par des éléments de preuve convaincants ne sont pas suffisantes.

La société Mobilitas expose en premier lieu que la société Mobilitas et la société AGS Martinique n’ont pas le même objet social, le même code APE, la même forme sociale, ou les mêmes dirigeants.

Il résulte en effet des extraits d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés, versés aux débats, que la société Mobilitas a pour objet exclusif la prise de participation dans toute société, a son siège en région parisienne et est constituée sous forme de société anonyme, tandis que la société AGS Martinique a pour activité le déménagement international et est constituée sous forme de SARL ayant son siège social en Martinique. Il n’est pas contesté que les sociétés Mobilitas et AGS Martinique n’ont pas les mêmes dirigeants, Monsieur X le gérant de la société AGS Martinique disposant des « pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de la société et pour faire et autoriser tous les actes et opérations dans les limites de l’objet social », en vertu de l’article 19 des statuts du 4 avril 2012.

Mais le fait qu’une filiale dispose d’une personnalité juridique distincte ne suffit pas à écarter la possibilité qu’elle constitue une seule entreprise avec sa société mère, la notion d’entreprise devant être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales. La question de savoir si chacune des entités juridiques qui constituent cette entreprise a un objet, une activité économique, une forme jurique et un personnel dirigeant propres et répond dès lors, prise isolément, à la notion d’entreprise, est sans incidence.

La société Mobilitas soutient en deuxième lieu que la société Mobilitas est une holding familiale financière qui détient des participations dans des sociétés intervenant dans quatre métiers différents : l’archivage, la mobilité des entreprises, les transferts de bureau et le déménagement tant national qu’international. Elle prétend que l’Autorité ne pouvait se prévaloir de sa décision 13-D-12 ni de l’arrêt Total du Tribunal de l’Union du 14 juillet 2011, Mobilitas n’ayant qu’une activité capitalistique. La seule intervention de la société Mobilitas consiste à approuver annuellement les comptes de la société AGS Martinique et à préserver ses intérêts patrimoniaux d’actionnaire majoritaire, à l’exclusion de toute immixtion dans les décisions de politique commerciale de la filiale. Elle ne dispose d’aucune compétence ni d’aucun salarié compétent pour diriger une entreprise de transport.

Mais la jurisprudence évoquée plus haut repose sur la prémisse selon laquelle une entité juridique peut se voir imputer la responsabilité du comportement d’une autre entité juridique, dès lors que cette dernière ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché. Par conséquent, le fait que l’entité détenant la totalité ou la quasi-totalité du capital d’une autre entité ou contrôlant la totalité ou la quasi-totalité des parts sociales de cette autre entité soit constituée sous la forme juridique d’une holding purement financière ou d’une fondation plutôt que d’une société n’est pas pertinent, ainsi que l’a rappelé la Cour de l’Union dans un arrêt du 11 juillet 2013 (Commission/ Stichting Administratiekantoor Portielje-Gosselin, C-440/11 P), toutes ces sociétés mères ou entités faîtières ayant le même intérêt économique à l’activité concrètement exercée par leurs filiales respectives sur le marché.

L’Autorité a pu à juste titre citer, parmi d’autres arrêts pertinents, l’arrêt Total et Elf Aquitaine, dans la mesure où même si la société mère était, dans cette affaire, une holding opérationnelle, le Tribunal a adopté le même raisonnement pour des holding non opérationnelles : 'D’autre part, même à supposer qu’Elf Aquitaine ne soit qu’une holding non opérationnelle et une « direction financière », cela ne saurait suffire pour exclure qu’elle ait exercé une influence déterminante sur sa filiale Arkema en coordonnant notamment les investissements financiers au sein du groupe. (…)' (§ 85).

Afin d’établir si l’auteur de l’infraction détermine de façon autonome son comportement sur le marché, il convient de prendre en considération l’ensemble des éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent cet auteur à son entité faîtière et, ainsi, de tenir compte de la réalité économique. La seule absence d’adoption de décisions de gestion de la filiale par cette entité dans le respect des exigences de forme prévues par le droit des sociétés ne saurait dès lors suffire à démontrer l’autonomie de la filiale, ainsi que l’a rappelé la Cour de l’Union dans l’arrêt du 11 juillet 2013 précité. L’adoption de décisions formelles par des organes statutaires n’est pas nécessairement requise pour constater l’existence d’une unité économique constituée de l’auteur de l’infraction et de son entité faîtière et au contraire, cette unité peut également naître de façon informelle, notamment, en raison de l’existence de liens personnels existant entre les entités juridiques qui composent une telle unité économique. L’Autorité souligne à cet égard, sans être démentie, que la requérante a indiqué qu’AGS Martinique ne détenait pas de service juridique en propre et comptait sur celui de la holding, ce qui constitue un lien personnel entre les deux entités, de nature à corroborer la présomption de responsabilité.

La société Mobilitas verse aux débats deux attestations, dont l’une émane de Madame Z A, adjointe du DRH de la société Mobilitas, selon laquelle « aucun membre de la direction de Mobilitas ni un de ses actionnaires ne s’est déplacé en Martinique au cours des deux dernières années ».

Mais comme il a été rappelé plus haut, l’adoption de décisions formelles par des organes statutaires n’est pas nécessairement requise pour constater l’existence d’une unité économique constituée de l’auteur de l’infraction et de son entité faîtière et donc, inversement, l’absence de ces décisions formelles ne suffit pas à renverser la présomption.

La société Mobilitas produit une autre attestation émanant de M. Y, directeur des ressources humaines de la société Mobilitas, qui certifie qu'« aucun salarié ou cadre de Mobilitas ne dispose de l’attestation de capacité, seul diplôme d’État permettant la direction effective d’une entreprise de transport ou de déménagement » et que « la société Mobilitas ne dispose d’aucune ressource lui donnant compétence et lui permettant d’interférer d’une façon ou d’une autre dans le fonctionnement d’une entreprise de transport de déménagement ». Enfin, d’après ce salarié, « la société Mobilitas ne dispose d’aucun salarié en charge ou responsable d’une activité commerciale en France et a fortiori dans les départements d’outre-mer ».

Mais la non immixtion de la holding dans les activités de la filiale ne saurait renverser une présomption qui n’est pas fondée sur des relations d’instigation, mais sur l’existence d’une entreprise unique. Dès lors, la requérante ne saurait soutenir, pour renverser la présomption, la diversité des activités exercées, la configuration du groupe et l’éloignement géographique qui lui interdirait en fait de pouvoir déterminer ou influencer le comportement ou la politique commerciale de ses filiales. La présomption étant applicable en vertu des seules relations capitalistiques, l’Autorité n’avait pas à démontrer qu’elle exerçait une influence déterminante sur sa filiale, ni qu’elle connaissait les pratiques reprochées à celle-ci.

Enfin, le recrutement autonome du personnel de la filiale et sa non intervention sur le marché du transport ne sauraient davantage renverser la présomption. L’Autorité expose, à cet égard, à juste titre dans ses observations que le fait qu’une filiale dispose de sa propre direction locale et de ses propres moyens ne prouve pas, en soi, qu’elle définit son comportement sur le marché de manière autonome par rapport à sa société mère, ainsi que l’a rappelé l’arrêt Transcatab du Tribunal (TUE, 5 octobre 2011, T-39/06).

Si la filiale exerce seule une activité réglementée, conditionnée à l’obtention d’une autorisation préfectorale et si son gérant détient exclusivement la qualité de 'gestionnaire de transport', seul habilité à exercer les missions de gestion de l’entretien des véhicules, la vérification des contrats et des documents transport, la comptabilité de base, l’affectation des chargements et la vérification des procédures en matière de sécurité, il ne peut être déduit de cet élément, non étayé par des pièces du dossier, l’autonomie de la filiale sur le marché, l’Autorité soutenant à juste titre que la circonstance que la société mère et la filiale soient actives sur des marchés distincts n’est pas pertinente (point 69 de la décision).

En définitive, la société Mobilitas n’apporte aucune preuve tirée de la vie quotidienne de l’entreprise, y compris concernant des événements qui se sont produits en dehors des organes des personnes morales, de cette autonomie revendiquée. Aucune correspondance ou document interne, note ou témoignage, en dehors des deux attestations non pertinentes visées plus haut, ne viennent étayer ses allégations.

Il convient enfin de souligner que le fait, pour la société Mobilitas, d’avoir contesté les griefs, contrairement à sa filiale, qui a choisi la voie procédurale de la non contestation des griefs ne saurait davantage démontrer l’autonomie de la filiale. En effet, pour une entreprise composée comme en l’espèce de deux sociétés, ne pas se présenter comme un seul interlocuteur, tant au cours de la procédure administrative qu’au stade contentieux, ne permet pas de conclure que la filiale concernée est autonome par rapport à sa ou ses sociétés mères, les choix procéduraux relevant de chaque personne morale.

Il y a donc lieu de confirmer la décision de l’Autorité en ce qu’elle a estimé que la société Mobilitas n’avait pas renversé la présomption qui pesait sur elle.

Sur la demande de réformation de la sanction

Selon la requérante, « prononcer une sanction plus élevée pour la société mère, en raison de l’option procédurale choisie, revient à retenir l’exercice des droits de la défense comme circonstance aggravante ». Enfin, elle soutient que retenir l’option procédurale comme facteur de différenciation au stade de la sanction est contradictoire : soit ce choix révèle l’autonomie des entités et il faut en tirer les conséquences sur la présomption, soit il n’a pas permis de renverser la présomption et alors les deux entités forment une entité économique unique.

La société Mobilitas et sa filiale, composant une entreprise au sens du droit de la concurrence, sont solidairement responsables du paiement de l’amende. Le principe de cette solidarité n’est d’ailleurs pas contesté.

Cette amende a été calculée en retenant 12 % de la valeur des ventes de services de déménagement réalisées par AGS Martinique en 2001, pour refléter la gravité de la pratique d’entente et le dommage à l’économie en résultant. Le montant de base a ensuite été adapté pour refléter la durée de la pratique, 3 ans et 11 mois, aboutissant à un montant de base de 158 458 euros. Ce montant a ensuite été modifié en fonction du principe d’individualisation des sanctions, dont l’application s’est limitée, s’agissant des deux sociétés, à la prise en compte du choix procédural personnel de la société AGS Martinique de ne pas contester les griefs, qui l’a faite bénéficier d’une réduction de 10 %, réduisant sa sanction à 142 600 euros. Selon la décision, les deux sociétés sont donc tenues solidairement au paiement de cette somme de 142 600 euros, la société Mobilitas étant seule redevable de la différence entre cette somme et 158 458 euros, soit de la somme de 15 858 euros.

Il résulte du dossier que contrairement à la rapporteure générale qui n’a pas souhaité faire bénéficier les sociétés AGS Martinique et Mobilitas de la procédure de non contestation des griefs, la société mère contestant l’imputabilité, le collège de l’Autorité a, quant à lui, estimé que la société AGS Martinique, qui ne contestait pas les griefs, pouvait bénéficier de la réduction de sanction de 10 % prévue en ce cas, malgré la contestation de sa société mère, Mobilitas.

La requérante ne conteste pas le mode de calcul retenu par l’Autorité, ni le principe d’octroi de ces 10 % de réduction à sa filiale, mais demande à en bénéficier elle-même.

La société Mobilitas soutient d’abord que la Cour de l’Union a dit pour droit, dans un arrêt 17 septembre 2015 (C-597/13 P) que « dans la situation où la responsabilité de la société mère est purement dérivée de celle de la filiale et dans laquelle aucun autre facteur ne caractérise individuellement le comportement reproché à la société mère, la responsabilité de cette société mère ne saurait excéder celle de sa filiale ». Elle prétend que le choix de contester l’imputabilité des griefs et de tenter ainsi de renverser la présomption ne saurait constituer ce 'facteur’ individuel, de nature à permettre de lui infliger une sanction supérieure à celle de sa filiale. Par ailleurs, il en résulterait une atteinte aux droits de la défense.

Mais dans le cadre d’une relation capitalistique verticale de ce type, la société mère est censée avoir commis elle-même l’infraction aux règles de concurrence et sa responsabilité est entièrement dérivée de celle de sa filiale. Il en découle, en ce qui concerne le paiement de l’amende, que le rapport de solidarité qui existe entre les deux sociétés constituant l’entreprise au sens du droit de la concurrence ne saurait se réduire à une forme de caution fournie par la société mère pour garantir le paiement de l’amende infligée à la filiale. Tenues responsables de la même infraction, toute modification du périmètre et de l’intensité de celle-ci ayant un impact sur le montant des sanctions, telle la durée et la gravité de la pratique, a nécessairement un impact sur les deux sociétés, comme il en irait de deux entreprises, co-auteurs des mêmes faits. Il s’en déduit logiquement que sur ces bases relatives aux pratiques sanctionnées elles-mêmes, la sanction de la société-mère ne peut excéder celle de la filiale pour les mêmes faits.

Cependant, 'des circonstances propres à la situation de la société mère ou de la filiale pourraient mener à des montants différenciés, comme dans le cas de la prise en compte de la circonstance aggravante de récidive retenue à l’encontre d’une société mère et non de sa filiale', ainsi que l’a souligné le Tribunal de l’Union dans un arrêt Uti Worldwide, du 29 février 2016 (T-264/12).

Ces circonstances propres à chacune, de nature à justifier des sanctions différentes, sont par exemple la situation de réitération de chacune d’entre elles ou encore, comme en l’espèce, les choix procéduraux de chacune d’elles, telle la décision de ne pas contester les griefs, qui incombe à chaque personne morale composant l’entreprise. En cas de pluralité de sociétés ayant participé à une même infraction, cette décision relève de chacune d’entre elles et ne saurait bénéficier aux autres 'co-auteurs’ des mêmes pratiques.

C’est en toute connaissance de cause que la société Mobilitas a contesté l’imputabilité à la société-mère des pratiques réalisées par sa filiale. Elle ne pouvait ignorer que cette contestation équivalait à contester le grief, caractérisé par les pratiques, leur qualification et leur imputabilité et, par voie de conséquence, à lui faire perdre le bénéfice de cette procédure. La circonstance que le choix de contester ait conduit à lui octroyer une amende plus lourde que celle de sa filiale ne saurait en soi constituer une atteinte à ses droits de la défense, puisqu’elle encourt, en définitive, le montant qu’elle pouvait raisonnablement prévoir, selon les modalités de calcul résultant des lignes directrices de l’Autorité et compte tenu du refus de la rapporteure générale. Si la filiale a bénéficié d’une réduction que la maison mère ne pouvait anticiper avant la séance, le seul grief qui en résulte pour elle est qu’elle est tenue seule au paiement du différentiel de 15 858 euros, cette charge étant la conséquence logique de la procédure de non contestation des griefs, dont le bénéfice a été consenti par le collège à la filiale et que Mobilitas ne conteste pas en l’espèce.

La société Mobilitas se prévaut à tort de la jurisprudence FLS Plast du 19 juin 2014, citée par l’Autorité dans ses conclusions, pour soutenir qu’elle devait bénéficier de la même réduction que sa filiale. Cet arrêt dit pour droit que la société mère peut bénéficier de la clémence demandée par sa filiale, si, au moment de cette demande, les deux sociétés constituent une entreprise unique. La Cour de l’Union a en effet énoncé que la réduction d’amende « ne saurait être étendue à une société qui pendant une partie de la période infractionnelle, avait fait partie de l’entité économique constituée par cette première entreprise (l’entreprise ayant coopéré), mais qui n’en faisait plus partie au moment où cette dernière a coopéré avec la Commission ». Cette motivation signifie clairement que lorsque la société, qui était la société mère pendant la commission de l’infraction par sa filiale, ne l’est plus au moment de la demande de clémence effectuée par la filiale, elle ne bénéficie pas de la réduction de sanctions que confère cette procédure. A contrario, elle en bénéficie, si elle est toujours la société mère au moment de la demande de clémence de sa filiale, bénéficiant ainsi du choix procédural de sa filiale.

Mais il convient de souligner que, dans cette affaire, la clémence avait été expressément demandée par la filiale, la maison-mère ne s’étant pas manifestée et étant réputée acquiescer à ce choix procédural. Formant une seule entreprise, elles ont toutes deux bénéficié de la clémence.

En revanche, dans la présente procédure de non contestation des griefs, les deux sociétés ont pris des positions différentes, AGS Martinique ne contestant pas le grief qui lui était notifié et Mobilitas contestant celui qui lui était opposé, qui engageait sa responsabilité personnelle en tant que maison-mère. Chacune des deux sociétés a joué de son autonomie procédurale, sans faire valoir leur unicité au sens du droit de la concurrence, qui aurait impliqué qu’elles adoptassent le même comportement.

Il leur était loisible de faire ces choix procéduraux différents, sans pour autant remettre en cause la présomption d’influence déterminante de la société mère sur sa filiale.

Il convient donc de rejeter la demande de la société Mobilitas et de confirmer la décision de l’Autorité de la concurrence.

PAR CES MOTIFS

Rejette le recours de la société Mobilitas

La condamne aux dépens de l’instance.

LE GREFFIER,

K L-M

LA PRÉSIDENTE,

E F- AMSELLEM

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Textes cités dans la décision

  1. Code de commerce
  2. Code de procédure civile
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Cour d'appel de Paris, 19 mai 2016