Cour d'appel de Reims, 1ere chambre sect.civile, 14 novembre 2017, n° 16/01808

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Reims, 1re ch. sect.civ., 14 nov. 2017, n° 16/01808
Juridiction : Cour d'appel de Reims
Numéro(s) : 16/01808
Décision précédente : Tribunal de commerce de Troyes, 2 mai 2016
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

ARRET N°

du 14 novembre 2017

R.G : 16/01808

CAISSE DE CREDIT MUTUEL

c/

SAS PHOENIX ENGINEERING ET CONSULTING

CL

Formule exécutoire le :

à

 :

SCP COUTURIER-PLOTTON-VANGHEESDAELE-FARINE

SCP LEMOULT-ROCHER

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 14 NOVEMBRE 2017

APPELANTE :

d’un jugement rendu le 03 mai 2016 par le tribunal de commerce de TROYES,

CAISSE DE CREDIT MUTUEL

[…]

[…]

COMPARANT, concluant par la SCP COUTURIER-PLOTTON-VANGHEESDAELE-FARINE, avocats au barreau de l’AUBE

INTIMEE :

SAS PHOENIX ENGINEERING ET CONSULTING

[…]

[…]

COMPARANT, concluant par la SCP LEMOULT-ROCHER, avocats au barreau de l’AUBE,

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Monsieur Francis MARTIN, président de chambre

Madame Catherine LEFORT, conseiller

Madame Florence MATHIEU, conseiller

GREFFIER :

Madame NICLOT, greffier lors des débats et Monsieur MUFFAT-GENDET, greffier, lors du prononcé,

DEBATS :

A l’audience publique du 26 septembre 2017, où l’affaire a été mise en délibéré au 14 novembre 2017,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2017 et signé par Monsieur MARTIN, président de chambre, et Monsieur MUFFAT-GENDET, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSE DU LITIGE

Au regard des prestations réalisées par la société Laurentine Platrerie Menuiserie (ci-après société Laurentine) dans le cadre de leurs relations commerciales, la SAS Phoenix Engineering et Consulting (ci-après société Phoenix) a accepté une lettre de change à échéance au 9 février 2015 d’un montant de 4.700 euros, créée le 9 janvier 2015. Le même jour, la société Laurentine a remis à l’escompte à la Caisse de Crédit Mutuel deTroyes cet effet de commerce tiré et accepté par la société Phoenix. A l’échéance, la provision n’était que de 680 euros, de sorte que le Crédit Mutuel a mis en demeure la société Phoenix de régler le solde, soit 4.020 euros, outre les frais de rejet.

Par acte d’huissier en date du 29 mai 2015, la Caisse de Crédit Mutuel de Troyes a fait assigner la société Phoenix devant le tribunal de commerce de Troyes en paiement de la somme principale de 4.032 euros sur le fondement de l’article L.511-19 du Code de commerce.

Par jugement en date du 3 mai 2016, le tribunal de commerce a débouté la Caisse de Crédit Mutuel de Troyes de ses demandes, et l’a condamnée au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que la société Phoenix avait à l’échéance, en application de l’article L.511-27 du Code de commerce, donné instruction de ne régler que le solde entre la facture et les avoirs établis par la société Laurentine entre l’acceptation de la lettre de change et l’échéance. Il a écarté l’argumentation de la Caisse de Crédit Mutuel tirée de l’application de l’article 511-12 du Code de commerce.

Par déclaration du 23 juin 2016, la Caisse de Crédit Mutuel de Troyes (ci-après le Crédit Mutuel) a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions du 12 juillet 2016, le Crédit Mutuel demande à la cour d’appel de':

— infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

En conséquence,

— condamner la société Phoenix à lui payer la somme de 4.032 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 9 février 2015,

— condamner la société Phoenix au paiement d’une somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’à tous les dépens.

Il fait valoir que le tribunal a méconnu les règles de droit cambiaire et a dénaturé les dispositions des articles L.511-12 et suivants du Code de commerce en jugeant très exactement l’inverse de ce que l’article L.511-12 prévoit, à savoir l’inopposabilité des exceptions au tiers porteur de bonne foi d’un effet de commerce accepté. Il explique qu’il était tiers porteur de bonne foi, qu’il a pris à l’escompte l’effet de commerce accepté par la société Phoenix, ce qui consiste à créditer le remettant, puis, si l’effet revient impayé, à l’isoler sur un compte impayé sans faire de contre-passation. Il soutient que les arguments développés par la société Phoenix, à savoir le fait qu’en raison de malfaçons la société Laurentine lui a adressé deux avoirs d’un montant respectif de 3.550 euros et 477 euros, soit un total de 4.020 euros, de sorte qu’elle n’a accepté la lettre de change que pour 680 euros, contreviennent aux dispositions de l’article L.511-12 du Code de commerce aux termes desquelles les exceptions entre tireur et tiré d’un effet de commerce accepté ne peuvent être opposés au tiers porteur de bonne foi'; qu’ainsi les exceptions invoquées par la société Phoenix dans le cadre des relations commerciales avec la société Laurentine sont inopposables au crédit Mutuel, tiers porteur de bonne foi de l’effet de commerce litigieux. Il reproche au tribunal de ne pas avoir constaté que la lettre de change a été créée le 9 janvier 2015 et que les avoirs n’ont été établis que quelques jours après, alors que la lettre de change avait déjà été escomptée.

Par conclusions en date du 19 octobre 2016, la société Phoenix demande à la cour d’appel de':

— confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

— condamner le Crédit Mutuel au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction en application de l’article 699 du Code de procédure civile.

Elle expose que le compte courant de la société Laurentine au Crédit Mutuel de Troyes était, avant la création de la lettre de change, débiteur de 84.430 euros'; que le Crédit Mutuel n’a pas procédé à la contre-passation de l’échéance, préférant réclamer le montant de la lettre de change en tant que tiers porteur à la société Phoenix, alors même qu’elle n’était plus débitrice puisque la société Laurentine lui a remis deux avoirs d’un montant respectif de 3.550 euros et 470 euros en raison de la mauvaise réalisation des travaux'; qu’à la suite de ces avoirs consentis, avant l’échéance, par la société Laurentine d’un montant total de 4.020 euros, elle n’a accepté la lettre de change que sous déduction de cette somme, soit pour un montant de 680 euros'; que c’est de façon déloyale et en raison du soutien abusif qu’elle manifeste à la société Laurentine que la banque a estimé ne pas devoir contre-passer la lettre de change escomptée et se retourner contre elle. Elle soutient qu’il convient en l’espèce d’apprécier la mauvaise foi du banquier escompteur de la lettre de change puisque l’article 511-12 du Code du commerce, qui interdit au tiré d’opposer au porteur les exceptions qu’il peut opposer au tireur, précise que le porteur ne doit pas avoir agi sciemment au détriment du débiteur. Elle fait valoir à ce titre que la société Laurentine, dont le débit bancaire était anormalement élevé lors de la création de la lettre de change, a été mise en liquidation judiciaire le 3 février 2015'; qu’en escomptant la lettre de change, le Crédit Mutuel ne pensait qu’à minorer le compte débiteur de sa cliente et ne pouvait ignorer que la société Laurentine, dont le passif augmentait, allait rapidement parvenir à une procédure collective'; qu’en agissant ainsi elle privait le débiteur cambiaire de la possibilité de se prévaloir d’un moyen de défense issu de ses relations avec le tireur'; qu’en ne contre-passant pas volontairement la lettre de change afin de ne pas augmenter le débit bancaire de la société Laurentine, le Crédit Mutuel a créé un préjudice à la société Phoenix'; qu’ainsi, la décision des premiers juges, qui ont estimé que la banque avait agi sciemment au détriment du débiteur, était adaptée au contexte.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande en paiement

Il résulte de l’article 511-17 du Code de commerce que la simple signature du tiré sur le recto de la lettre de change vaut acceptation, que le tiré peut restreindre l’acceptation à une partie de la somme, et qu’il est tenu dans les termes de son acceptation.

L’article 511-19 du même Code dispose :

« Par l’acceptation, le tiré s’oblige à payer la lettre de change à l’échéance.

A défaut de paiement, le porteur, même s’il est tireur, a contre l’accepteur une action directe résultant de la lettre de change pour tout ce qui peut être exigé en vertu des articles L.511-45 et L.511-46. »

Aux termes de l’article L511-12 du Code de commerce, « les personnes actionnées en vertu de la lettre de change ne peuvent pas opposer au porteur les exceptions fondées sur leurs rapports personnels avec le tireur ou avec les porteurs antérieurs, à moins que le porteur, en acquérant la lettre, n’ait agi sciemment au détriment du débiteur. »

En l’espèce, la société Phoenix, initialement débitrice de la société Laurentine, a apposé sa signature sur la lettre de change émise par cette dernière le 9 janvier 2015, sans mention particulière. Elle l’a donc acceptée pour la totalité de la somme, soit 4.700 euros correspondant au montant total des deux factures de travaux de la société Laurentine en date des 10 décembre 2014 (3.550 euros) et 8 janvier 2015 (1.150 euros). La société Phoenix était dès lors tenue de lui payer cette somme à l’échéance, soit le 9 février 2015. Il résulte du bordereau de remise d’effets produit par le Crédit Mutuel que la société Laurentine a, dès le 9 janvier 2015, remis cette lettre de change à l’escompte à sa banque, le Crédit Mutuel, lequel s’est dès lors retrouvé bénéficiaire de la lettre de change, donc créancier cambiaire de la société Phoenix, à la place de la société Laurentine qui a été payée de sa créance grâce à l’escompte. Il n’est pas contesté que l’effet de commerce avait été accepté par le tiré (la société Phoenix) dès le 9 janvier 2015.

Le 19 janvier 2015, soit entre cette date du 9 janvier 2015 et la date d’échéance, la société Laurentine a accordé à la société Phoenix deux avoirs d’un montant respectif de 3.550 euros et 470 euros, soit un total de 4.020 euros pour inexécution de travaux. Lorsque, à l’échéance, le Crédit Mutuel a présenté la lettre de change à la banque du tiré (Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne) pour recevoir paiement, la provision n’était plus que de 680 euros, puisqu’il s’est vu opposer un refus pour 4.020 euros.

Pourtant, l’acceptation du 9 janvier 2015 engageait la société Phoenix pour la totalité du montant de la lettre de change en application des articles L.511-17 et L.511-19 précités du Code de commerce. Le principe d’inopposabilité des exceptions résultant de l’article L.511-12 précité empêchait le tiré de se prévaloir des avoirs que lui avaient finalement consentis la société Laurentine.

En outre, la société Phoenix ne peut prétendre, pour faire échec à ce principe, que le Crédit Mutuel aurait agi sciemment à son détriment en acquérant la lettre.

En effet, le seul fait pour le Crédit Mutuel d’escompter la lettre de change pour réduire l’important solde débiteur du compte de sa cliente, tout en ignorant qu’il existait un litige avec le tiré sur la réalisation des travaux, ne saurait caractériser la conscience de l’établissement bancaire d’agir au détriment de la société Phoenix, car il ne pouvait prévoir que la société Laurentine diminuerait avant l’échéance la créance initiale de la société Phoenix reconnaissant un défaut de réalisation de travaux. En outre, le fait de connaître l’importance du solde débiteur du compte de la société Laurentine ne saurait faire présumer que le Crédit Mutuel savait que celle-ci ferait rapidement l’objet d’une procédure collective, puisqu’elle était toujours en activité et avait néanmoins des rentrées de fond en lien avec son activité.

Ainsi, la mauvaise foi du Crédit Mutuel n’est pas caractérisée, de sorte qu’il est bien fondé à invoquer le principe d’inopposabilité des exceptions.

Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions.

L’article L.511-45 du Code de commerce visé à l’article L.511-19 précité, permet au porteur de réclamer à celui contre lequel il exerce son recours le montant de la lettre de change non payée, les intérêts au taux légal à partir de l’échéance, et les frais.

C’est donc à juste titre que le Crédit Mutuel réclame la somme de 4.032 euros correspond au montant impayé (4.020 euros) et aux frais (12 euros), selon relevé de compte du 13 mai 2015. Par conséquent, la société Phoenix sera condamnée à lui payer la somme de 4.032 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 9 février 2015.

Sur les demandes accessoires

Partie perdante, la société Phoenix sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

L’équité commande cependant de laisser au Crédit Mutuel la charge de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel. Sa demande fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile sera donc rejetée.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 3 mai 2016 par le tribunal de commerce de Troyes,

Statuant à nouveau,

CONDAMNE la SAS Phoenix Engineering et Consulting à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de Troyes la somme de 4.032 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 9 février 2015,

REJETTE la demande de la Caisse de Crédit Mutuel de Troyes au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNE la SAS Phoenix Engineering et Consulting aux dépens de première instance et d’appel.

Le greffier Le président

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Textes cités dans la décision

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Cour d'appel de Reims, 1ere chambre sect.civile, 14 novembre 2017, n° 16/01808