Cour d'appel de Rennes, Deuxième chambre comm., 21 septembre 2010, n° 09/01926

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Rennes, deuxième ch. comm., 21 sept. 2010, n° 09/01926
Juridiction : Cour d'appel de Rennes
Numéro(s) : 09/01926
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Nantes, 12 janvier 2009
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

Deuxième Chambre Comm.

ARRÊT N°276

R.G : 09/01926

Société YT RENOVATION SARL

M. E X

C/

Me Y Z

Société TECHNI MURS 44 SARL (ANCIENNEMENT X ISOLATION)

Société G H ORGANISATION DBO SARL

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 21 SEPTEMBRE 2010

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Monsieur Yves LE GUILLANTON, Président,

Madame Françoise COCCHIELLO, conseiller,

Monsieur Joël CHRISTIEN, Conseiller,

GREFFIER :

Madame A B, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 16 Juin 2010

devant Monsieur Joël CHRISTIEN, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Réputé contradictoire, prononcé par Monsieur Yves LE GUILLANTON, Président, à l’audience publique du 21 Septembre 2010, date indiquée à l’issue des débats.

****

APPELANTS :

Société YT RENOVATION SARL

XXX

XXX

représenté par la SCP CASTRES, COLLEU, PEROT & LE COULS-BOUVET, avoués

assisté de Me CALVAR, avocat

Monsieur E X

XXX

XXX

XXX

représenté par la SCP CASTRES, COLLEU, PEROT & LE COULS-BOUVET, avoués

assisté de Me CALVAR, avocat

INTIMÉS :

Maître Y Z, es qualité de mandataire judiciaire de la procédure de sauvegarde de la sté YT RENOVATION

XXX

XXX

XXX

défaillant, régulièrement assigné en intervention forcé

Société TECHNI MURS 44 SARL (ANCIENNEMENT X ISOLATION)

XXX

XXX

représentée par la SCP BAZILLE Jean-Jacques, avoués

assistée de la SCP RINEAU et Associés, avocats

Société G H ORGANISATION DBO SARL

XXX

XXX

représentée par la SCP BAZILLE Jean-Jacques, avoués

assistée de la SCP RINEAU et Associés, avocats

EXPOSÉ DU LITIGE

E X, qui exerçait jusqu’alors en nom personnel une activité d’entrepreneur de travaux de bâtiment, s’est associé en 2002 avec la société G H Organisation (la société H) pour créer la société X Isolation, laquelle a acquis le fonds artisanal de monsieur X tandis que la société H apportait une somme de 149.684 euros en compte courant.

Prétendant que monsieur X, qui a créé en 2005 une société YT Rénovation se livrant à une activité identique, avait commis des abus de biens sociaux et se livrait à des actes de concurrence déloyale par détournement de devis, commandes et de fichiers de clientèle ainsi que par débauchage de salariés, la société X isolation l’a, par acte du 7 décembre 2005, fait assigner avec la société YT Rénovation devant le tribunal de grande instance de Nantes.

Soutenant de son côté que son associée l’avait contraint à démissionner de ses fonctions de gérant et l’avait dépossédé de tous ses biens, monsieur X fit, par acte du 17 juillet 2006, assigner la société H devant la même juridiction, laquelle a joint les deux procédures.

Par jugement du 13 janvier 2009, le tribunal de grande instance de Nantes a statué en ces termes :

'Condamne solidairement E X et la société YT Rénovation à payer à la société X Isolation la somme de 200.000 euros en indemnisation des actes de concurrence déloyale ;

Condamne E X à payer à chacune des sociétés X Isolation et H la somme de 20.000 euros en indemnisation du préjudice causé par son manque de loyauté ;

Condamne E X à payer à la société X Isolation la somme de 113.913,85 euros en indemnisation des abus de biens sociaux ;

Condamne E X à payer à la société X Isolation la somme de celle-ci devra régler à l’URSSAF dans le cadre du dossier Joly ;

Rejette la demande reconventionnelle de E X ;

Condamne solidairement E X et la société YT Rénovation aux dépens ;

Condamne solidairement E X et la société YT Rénovation à payer à chacune des sociétés X Isolation et H la somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Ordonne l’exécution provisoire du jugement à hauteur de la moitié des condamnations prononcées'.

Renonçant à leurs propres demandes mais contestant toujours les abus de biens sociaux et les actes de concurrence déloyale qui leur sont reprochés, monsieur X et la société YT Rénovation ont relevé appel de cette décision en demandant à la Cour de débouter les sociétés H et X Isolation de leurs prétentions et de les condamner au paiement d’une indemnité de 8.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

Les sociétés H et X Isolation, à présent dénommée Techni Murs, concluent quant à elles à la confirmation du jugement attaqué et demandent au surplus à la Cour :

de condamner monsieur X au paiement des sommes supplémentaires de 150.000 euros au titre de la désorganisation commerciale de la société Techni Murs, 1.480,18 euros en remboursement des frais d’un cautionnement bancaire fourni en contrepartie de l’autorisation d’exécuter provisoirement le jugement et de 10.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

de convertir en fixation de créances les condamnations prononcées à l’encontre de la société YT Rénovation, placée sous sauvegarde le 29 juillet 2009, et de dire qu’elle sera tenue solidairement des condamnations prononcées contre monsieur X au titre de la désorganisation commerciale et du remboursement des frais de cautionnement.

Maître Y Z, mandataire judiciaire de la société YT Rénovation, n’a pas constitué avoué.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour monsieur X et la société YT Rénovation le 28 mai 2010, et pour les sociétés H et Techni Murs le 10 mai 2010.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Par d’exacts motifs que la Cour adopte, les premiers juges ont pertinemment condamné monsieur X à rembourser à la société Techni Murs :

la somme de 70.553,85 euros correspondant au solde débiteur de son compte courant d’associé ;

la somme de 43.360 euros correspondant à des coûts de main d’oeuvre et de matériaux qu’il a fait supporter à la société Techni Murs alors qu’ils se rapportaient à l’exécution de marchés dont il a personnellement encaissé le prix ;

le montant des charges sociales, pénalités et intérêts dus à l’URSSAF au titre de diverses sommes dues à une salariée licenciée par monsieur X antérieurement à la cession de son fonds artisanal à la société Techni Murs.

S’agissant du solde du compte courant d’associé, monsieur X conteste en effet la passation de ces créances au débit de ce compte, mais il demeure que celles-ci se rapportent à des prélèvements d’un montant total de 63.500 euros réalisés sans justification ou à des travaux réalisés et facturés par la société Techni Murs mais pour lesquels des acomptes ont été personnellement encaissés par monsieur X sans restitution.

Pour le surplus, il est constant que la cession du fonds artisanal à la société Techni Murs n’emportait pas obligation pour le cessionnaire de supporter le passif antérieur à la cession.

Enfin, monsieur X ne mérite pas de bénéficier d’un délai de grâce pour s’acquitter de cette dette.

Les premiers juges ont par ailleurs à juste titre retenu que la société YT Rénovation s’était livrée, avec la complicité de monsieur X, à des actes de concurrence déloyale.

À cet égard, si, contrairement à ce que soutiennent les sociétés H et Techni Murs, la création d’une société concurrente par le gérant démissionnaire d’une société à responsabilité limitée n’est pas en soi, sauf clause statutaire contraire, un acte de concurrence déloyale, et si, comme le rappellent monsieur X et la société YT Rénovation, les principes de liberté du commerce et du travail autorisent une entreprise à démarcher la clientèle et à embaucher le personnel de son concurrent, fût-ce en tirant partie du savoir faire acquis auprès de celui-ci, il demeure que l’ancien dirigeant social et la société qu’il a fondée doivent, comme tout opérateur économique, s’abstenir de tout comportement fautif de nature à dénigrer ou à désorganiser une entreprise concurrente ou encore à créer une confusion entre les deux entreprises.

En l’occurrence, les moyens de preuve produits par les demandeurs sont impropres à caractériser de façon certaine les actes de dénigrement et de confusion invoqués.

La circonstance que monsieur X ait conseillé à un maître de l’ouvrage se plaignant de malfaçons d’adresser un courrier de réclamation à la société Techni Murs peut en effet n’avoir été dictée que par le soucis d’apporter satisfaction à un client en attirant l’attention de son associé sur des difficultés relationnelles avec un conducteur de chantier, et l’allégation selon laquelle monsieur X avait systématiquement contacté la clientèle pour 'créer des problèmes’ et 'déstabiliser l’entreprise’ n’est basée que sur l’impression d’un témoin.

De même, il n’est pas démontré que le graphisme et le contenu de la signalétique adoptée par la société YT Rénovation ait été de nature à créer dans l’esprit de la clientèle un risque concret de confusion avec la société Techni Murs dont la dénomination est parfaitement distincte.

En revanche, il est suffisamment établi par un faisceau de preuves et d’indices concordants que monsieur X, qui a créé et démarré l’activité de la société YT Rénovation entre sa lettre de démission du 25 mars 2005 et le 5 avril 2005, date de cessation effective de son mandat social, alors qu’il avait accès à des informations déterminantes sur la clientèle et le personnel de la société Techni Murs, a sciemment désorganisé l’activité de cette dernière en détournant les clients, en ce compris ceux ayant déjà finalisé une commande de travaux, et en débauchant simultanément et massivement les salariés les plus qualifiés de l’entreprise.

Il résulte en effet du constat d’huissier du 30 juin 2005 que monsieur X détenait, au siège de la société YT Rénovation, des listes de clients de la société Techni Murs avec indication de la nature des travaux projetés, des relevés d’appels téléphoniques ainsi que des de nombreux devis établis par la société Techni Murs, comportant parfois l’acceptation du maître de l’ouvrage, étant précisé que divers salariés de l’entreprise ont, sur sommation interpellative de l’huissier, témoigné de ce que monsieur X avait quitté ses fonctions en emportant des classeurs de devis, commandes et de fichiers de clientèle.

Contrairement à ce que prétendent les appelants, ces documents ne se limitent pas à des archives mortes ou à des dossiers vierges, l’huissier Sandevoir ayant à cet égard pris le soin de souligner que chaque dossier d’étude personnalisée incluait un devis ainsi que, le cas échéant, la commande du client et que plusieurs d’entre eux étaient récents, ce dont il résulte que leur détention conférait bien à la société YT Rénovation un avantage concurrentiel certain et qu’à l’inverse leur détournement privait la société Techni Murs de renseignements commerciaux cruciaux.

Il est d’autre part établi que 6 des 12 salariés de la société Techni Murs ont démissionné entre le 20 mai et le 15 juin 2005 pour être aussitôt embauchés par la société YT Rénovation, le caractère massif et simultané de ces transferts ayant indubitablement désorganisé l’activité de la société Techni Murs alors que la société YT Rénovation a au contraire pu bénéficier dès sa création d’un personnel expérimenté.

Comme le rappellent les appelants, il est exact que des salariés n’étant liés par aucun engagement de non concurrence sont libres de rechercher des conditions de travail et de rémunération répondant le mieux à leurs attentes et à leurs intérêts et, partant, de démissionner pour se porter candidat à un emploi dans la société créée par leur ancien patron, mais en l’occurrence le contexte et les circonstances particulières de ce transfert de salariés démontrent que celui-ci s’est inscrit dans un ensemble de pratiques déloyales destinées à désorganiser la société Techni Murs.

Il résulte en effet des sommations interpellatives du 11 mai 2005 que monsieur X a, avant les démissions litigieuses, fait à plusieurs salariés des propositions d’embauche dans l’entreprise qu’il venait de créer, ce qui, dans le contexte de la captation du fichier des clients et des commandes précédemment décrite, corrobore la démonstration d’une volonté délibérée de siphonner la clientèle et le personnel de la société Techni Murs au profit d’une nouvelle entreprise à laquelle il était ainsi permis de reprendre immédiatement une activité identique avec un carnet de commande rempli et des salariés expérimentés.

Il résulte par ailleurs des documents comptables produits que la société Techni Murs a enregistré à la clôture de l’exercice du 31 août 2005 un résultat déficitaire de 250.000 euros que la société H a dû combler en abandonnant une créance en compte courant d’un égal montant.

Cependant, le résultat net était déjà négatif à hauteur de 100.000 euros à la fin du mois de mars 2005, date de création de la société YT Rénovation, et la situation économique de la société Techni Murs n’a en réalité jamais été florissante puisque le résultat du premier exercice clos le 31 août 2003 n’a pu être équilibré que par l’abandon par la société H d’une créance en compte courant de près de 150.000 euros, l’exercice 2003-2004 n’ayant quant à lui enregistré un résultat légèrement bénéficiaire que grâce au versement d’une subvention de 50.000 euros par la société mère.

Dès lors, si la désorganisation fautive de la société Techni Murs a contribué à l’accroissement d’un déficit qui s’est notablement creusé à compter du mois d’avril, elle n’en constitue pas la cause exclusive, de sorte que les intimés ne sont pas fondés à réclamer à ce titre la condamnation des appelants au paiement d’une somme de 350.000 euros de dommages-intérêts (200.000 euros au titre de la confirmation du jugement attaqué outre 150.000 euros de dommages-intérêts supplémentaires).

Mais il s’infère nécessairement des actes de concurrence déloyale commis par la société YT Rénovation avec la complicité de monsieur X un trouble commercial grave et persistant que les premiers juges ont exactement réparé par l’allocation à la société Techni Murs de dommages-intérêts d’un montant de 200.000 euros.

Il conviendra donc de confirmer la condamnation prononcée de ce chef, sauf à tirer les conséquences de la procédure collective ouverte à l’égard de la société YT Rénovation.

En revanche, les premiers juges ont à tort condamné monsieur X au paiement d’une indemnité complémentaire de 20.000 euros pour manquement à son devoir de loyauté à l’égard de la société Techni Murs, alors qu’il n’est invoqué ou à tout le moins justifié aucun fait et aucun préjudice distincts des actes de concurrence déloyale précédemment réparés.

D’autre part, la société H, associé majoritaire de la société Techni Murs ayant dû combler par, ne justifie d’aucun préjudice distinct de celui causé à la société Techni Murs elle-même, l’abandon d’une créance en compte courant à l’effet de combler le déficit social partiellement imputable à ces actes de concurrence déloyale n’étant en réalité qu’une conséquence indirecte de l’atteinte au capital social, lequel constitue non pas un dommage propre à chaque associé mais un préjudice subi par la société elle-même.

Il en résulte que les premiers juges ont à tort condamné monsieur X à payer à la société H des dommages-intérêts d’un montant de 20.000 euros.

Ces chefs du jugement attaqué seront donc infirmés.

Se plaignant de ce que le premier président de la Cour d’appel avait, par ordonnance du 9 juin 2009, aménagé l’exécution provisoire de la décision attaquée en la subordonnant à la fourniture d’une garantie bancaire qui s’est avérée en définitive inefficace, la société H en réclame la restitution sous astreinte ainsi que le remboursement des frais y afférents.

Le présent arrêt partiellement confirmatif constitue toutefois par lui-même le titre en vertu duquel la garantie bancaire doit être restituée, sans que la Cour ait spécialement à statuer.

Étant par ailleurs rappelé que l’exécution provisoire est toujours mise en oeuvre aux risques et péril de celui qui la requiert, il convient en outre de constater que les frais générés par la garantie bancaire ne sauraient être indemnisés que dans le cadre plus général de l’indemnisation des frais irrépétibles du procès, sur des considérations de pure équité.

À cet égard, il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés Techni Murs et H l’intégralité des frais exposés par elles à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte qu’il leurs sera alloué une somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Infirme partiellement le jugement rendu le 13 janvier 2009 par le tribunal de grande instance de Nantes en ce qu’il a condamné monsieur X à payer à la société X Isolation devenue Techni Murs et à la société H, chacune, une somme de 20.000 euros ;

Déboute la société Techni Murs de ces demandes ;

Confirme le jugement attaqué en toutes ses autres dispositions, sauf à préciser que la condamnation de la société YT Rénovation au paiement de la somme de 200.000 euros s’analyse en une fixation à son passif de la créance de la société Techni Murs pour 200.000 euros ;

Condamne monsieur X à payer aux sociétés Techni Murs et H une somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ;

Condamne in solidum monsieur X et la société YT Rénovation aux dépens d’appel ;

Accorde à la société civile professionnelle d’avoué Bazille le bénéfice des dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile ;

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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