Cour d'appel de Rennes, 3ème chambre des appels correctionnels, 10 mai 2011, n° 09/00986

  • Contrôle·
  • Témoignage·
  • Délaissement·
  • Gare routière·
  • Fonctionnaire·
  • Véhicule·
  • Police judiciaire·
  • Parking·
  • Personnes·
  • Otage

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Rennes, 3e ch. des appels correctionnels, 10 mai 2011, n° 09/00986
Juridiction : Cour d'appel de Rennes
Numéro(s) : 09/00986

Sur les parties

Texte intégral

DOSSIER N° 09/00986

Arrêt N° 588/2011

du 10 mai 2011

COUR D’APPEL DE RENNES

3e Chambre,

ARRÊT

Prononcé publiquement le 10 mai 2011 par la 3e Chambre des Appels Correctionnels,

PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR :

C F

Né le XXX à XXX

Fils de C Raymond et de DG DH-DI

De nationalité française, policier

Demeurant 16 DL des Coquelicots – 44190 ST LUMINE DE CLISSON

Prévenu, appelant, libre, comparant et assisté de Maître LIENARD Laurent Franck, avocat au barreau de PARIS et de Maître HUPE Annie, avocate au barreau de NANTES

A AB

Né le XXX à XXX

Fils de A Dominique et de BJ BK

De nationalité française, policier

XXX – XXX

Prévenu, appelant, libre, comparant et assisté de Maître LIENARD Laurent Franck, avocat au barreau de PARIS et de Maître HUPE Annie, avocate au barreau de NANTES

M CV-CY

Né le XXX à CHOLET, MAINE-ET-LOIRE (049)

Fils de M CW et de JOURDAIN Jacqueline

De nationalité française, policier

XXX – XXX

Prévenu, appelant, libre, comparant et assisté de Maître LIENARD Laurent Franck, avocat au barreau de PARIS et de Maître HUPE Annie, avocate au barreau de NANTES

ET :

S T veuve BL D, tant en son nom personnel qu’en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure CD BL D,

XXX

Partie civile, appelante, comparante et assistée de Maître MUDRY Thierry, substituant Maître COLLARD Gilbert, avocats au barreau de MARSEILLE

— BL D CC en sa qualité de père de CP BL D

— R Q épouse BL D, en sa qualité de mère de CP BL D

élisant domicile au cabinet de Maître Gilbert Collard

Parties civiles, intimés, non comparants et représentés par Maître MUDRY Thierry, substituant Maître COLLARD Gilbert, avocats au barreau de MARSEILLE

D BF, en sa qualité de cousin de CP BL D,

XXX – XXX

Partie civile, intimé, non comparant et représenté par Maître MUDRY Thierry, substituant Maître COLLARD Gilbert, avocats au barreau de MARSEILLE

LE MINISTÈRE PUBLIC

Appelant,

COMPOSITION DE LA COUR :

lors des débats et du délibéré :

Président : Monsieur Y

Conseillers : Monsieur L

Madame O

Prononcé à l’audience du 10 mai 2011 par M. Y, conformément aux dispositions de l’article 485 alinéa 3 du Code de Procédure Pénale

MINISTÈRE PUBLIC : représenté aux débats et lors du prononcé de l’arrêt par M. le Procureur Général

GREFFIER : en présence de Madame BRAULT lors des débats et du prononcé de l’arrêt

DÉROULEMENT DES DÉBATS :

A l’audience publique du 28 mars 2011, le Président a constaté l’identité des prévenus comparants en personne, assistés de Maître Hupe et Maître Lienard, la Cour déclarant alors le présent arrêt contradictoire à leur encontre ;

Ont été entendus :

Madame O, en son rapport,

F C sur les motifs de son appel et en son interrogatoire,

AB A sur les motifs de son appel et en son interrogatoire,

CV-CW M sur les motifs de son appel et en son interrogatoire,

S T veuve BL D n’a pas souhaité prendre la parole,

Maître MUDRY en sa plaidoirie pour les parties civiles,

M. l’Avocat Général en ses réquisitions,

Maître LIENARD en sa plaidoirie pour les prévenus,

Maître HUPE en sa plaidoirie pour les prévenus,

Les prévenus ont eu successivement la parole en dernier ;

Puis, la Cour a mis l’affaire en délibéré pour son arrêt être rendu à l’audience publique du 10 mai 2011 ;

Conformément aux prescriptions de l’article 462 alinéa 2 du code de procédure pénale, le Président a avisé les parties présentes de la date de l’audience à laquelle l’arrêt serait rendu ;

RAPPEL DE LA PROCÉDURE :

LE JUGEMENT :

Le tribunal correctionnel de Nantes par jugement contradictoire en date du 26 février 2009, pour :

— DÉLAISSEMENT D’UNE PERSONNE INCAPABLE DE SE PROTÉGER, NATINF 010596

— FAUX TÉMOIGNAGE SOUS SERMENT DEVANT UNE JURIDICTION OU UN OFFICIER DE POLICE JUDICIAIRE, NATINF 020066

Sur l’action publique :

— a condamné F C, AB A et CV-CW M à 4 mois d’ emprisonnement avec sursis ;

Sur l’action civile :

— a déclaré les constitutions de parties civiles irrecevables ;

LES APPELS :

Appel a été interjeté par :

M. CV-CY M, M. AB A et M. F C, le 03 mars 2009 à titre principal des dispositions pénales du jugement,

M. le procureur de la République, le 03 mars 2009 à l’encontre des trois prévenus à titre incident,

Madame S T veuve BL D, le 06 mars 2009 à titre principal des dispositions civiles du jugement ;

LA PRÉVENTION :

Considérant qu’il est fait grief à C F, A AB et M CV-CY :

— d’avoir à Nantes (44), dans la nuit du 22 au 23 novembre 2006, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n’emportant pas prescription, délaissé CP BL D, personne hors d’état de se protéger en raison de son état physique ou psychique ;

Faits prévus et réprimés par les articles 223-3, 223-16, 223-17 alinéa 1 du code pénal ;

— d’avoir à Nantes (44), à compter du 07 décembre 2006, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n’emportant pas prescription, fait, sous serment, un témoignage mensonger devant un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire ;

Faits prévus et réprimés par les articles 434-13 alinéa 1, 434-44 alinéas 1 et 4 du code pénal ;

* * *

EN LA FORME :

Les appels sont réguliers et recevables en la forme.

AU FOND :

Rappel des faits :

Le 24 novembre 2006, Madame T S se présentait au commissariat de police d’Alençon (61) afin de signaler la disparition de son mari CP BL D, né le XXX, qui travaillait comme intérimaire dans le bâtiment sur un chantier à Cholet. Elle exposait qu’à sa connaissance, son époux, qui se trouvait en compagnie de deux amis, avait été interpellé par la police de Nantes le 22 novembre précédent vers 22 heures 30 et que, depuis, elle était sans nouvelle de lui.

Les fonctionnaires de police d’Alençon lançaient alors des recherches et procédaient à diverses vérifications, notamment auprès du commissariat central de Nantes, où il apparaissait qu’aucune trace écrite du passage de CP BL D n’était mentionnée dans les différents registres.

Le 28 novembre 2006, Madame T S se présentait à nouveau au commissariat de police d’Alençon et indiquait que son mari n’avait toujours pas donné de signe de vie.

BT BU et AR AR, collègues de travail de CP BL D, étaient entendus le 1er décembre 2006 par les policiers d’Alençon.

BT BU déclarait qu’il connaissait CP BL D depuis environ deux ans et qu’il effectuait avec lui des missions d’intérim dans le bâtiment. Il expliquait que c’était dans ce cadre qu’il se trouvait le 22 novembre 2006 à Cholet en compagnie de CP BL D et de AR AR, que, leur journée de travail ayant été annulée pour cause d’intempérie, ils avaient décidé de passer tous les trois la soirée à Nantes, qu’ils y étaient arrivés vers 20 heures et qu’après avoir acheté une bouteille de Ricard, ils avaient poursuivi la soirée dans un bar, où ils avaient lié connaissance et bu avec un certain Abdellah. Il affirmait qu’en sortant du débit de boissons, CP BL D était ivre, précisant qu’il titubait et avait uriné sur la voie publique. Il ajoutait qu’alors qu’ils déambulaient dans les rues de Nantes, CP BL D avait fait l’objet d’un contrôle par plusieurs policiers, que ceux-ci l’avaient fait monter dans leur véhicule et qu’ensuite, il n’avait plus revu son ami.

AR AR confirmait pour l’essentiel les déclarations de BT BU, mais situait entre 22 et 23 heures l’heure du contrôle de police. Il indiquait qu’ils avaient tenté de joindre CP BL D à plusieurs reprises par téléphone au cours de la nuit et que, sans nouvelle et pensant qu’il était retenu au commissariat, ils étaient repartis sur Cholet au L matin.

Alors que les recherches pour tenter de retrouver la trace du disparu restaient vaines, les investigations effectuées établissaient que le couple formé par T S et CP BL D ne connaissait pas de problème apparent, M. BL D étant décrit comme un époux Z et proche de sa famille. Les personnes entendues écartaient les thèses du suicide et de la fugue.

Une information judiciaire pour disparition inquiétante était ouverte le 6 décembre 2006 et l’enquête était confiée à l’antenne de Nantes de la DIPJ de Rennes.

Les investigations menées ne permettaient pas de retrouver M. BL D. Parallèlement, l’équipage de police ayant effectué le contrôle de CP BL D était identifié et s’avérait être composé de trois fonctionnaires, F C, AB A et CV-CW M, tous en fonction à la Compagnie Départementale d’Intervention du commissariat de Nantes. Ainsi, le 7 décembre 2006, F C, AB A et CV-CW M se manifestaient auprès des enquêteurs de la police judiciaire saisis de l’enquête, auxquels ils indiquaient être les policiers ayant procédé au contrôle de CP BL D.

Entendus, les trois fonctionnaires de police, qui composaient l’équipage « Souci 32 » et circulaient à bord d’un véhicule Citroën Jumpy pour leur vacation du 22 novembre 2006 à 17 heures au 23 novembre à 1 heure, fournissaient des déclarations semblables : faisant suite à un appel du PC radio, qui signalait un homme ayant volé un portefeuille dans un bar du Cours des 50 otages, ils avaient procédé aux environs de minuit, aux abords de la place du cirque, au contrôle d’un individu pouvant correspondre au signalement communiqué ; quelques personnes s’étant rapprochées lors du contrôle, ils avaient décidé de faire monter l’individu dans leur véhicule afin de poursuivre les investigations un peu plus loin dans un endroit moins exposé ; ils avaient roulé quelques centaines de mètres avant d’arrêter leur véhicule DL de Flesselles ; le brigadier C avait relevé l’identité de la personne contrôlée ( « CP BL B ») et constaté que l’intéressé ne correspondait pas au signalement fourni ; ils l’avaient alors remis en liberté DL de Flesselles.

Les trois policiers prétendaient que, si M. BL D avait bu, il ne se trouvait pas en état d’ivresse manifeste.

Sur ce point, CV-CW M déclarait notamment : « Je sais qu’en partant, il a serré la main à au moins un des collègues. Il a été très correct durant le contrôle. Il tenait bien debout s’exprimant assez correctement malgré que nous avons senti qu’il avait quelque peu bu, mais il n’était pas à ce moment là en danger de se faire renverser et il ne nécessitait pas un transport vers le CHU pour un placement en ivresse publique et manifeste dans nos cellules de dégrisement »

Cependant, les témoignages de trois étudiantes, AP AQ, AV AW et AL AM, qui se présentaient spontanément au commissariat de police de Nantes le XXX, permettaient d’établir que le contrôle de M. BL D ne s’était pas achevé DL de Flesselles, comme l’avaient indiqué les fonctionnaires de police, mais DL DM sur le parking de la gare routière de Nantes, environ 300 mètres plus loin. Les trois étudiantes affirmaient également que l’individu contrôlé se trouvait dans un état d’alcoolisation manifeste.

Entendu, BD K indiquait qu’il avait téléphoné à la police pour signaler qu’il venait d’être victime du vol de son portefeuille dans un bar du Cours des 50 otages, puis qu’il avait effectué une ronde dans le secteur afin de tenter de retrouver son voleur. Il expliquait qu’en remontant le cours des 50 otages, il avait aperçu un véhicule de police, près duquel se tenait un individu maghrébin, qu’il s’était porté à hauteur de ce véhicule de police, à bord duquel se trouvaient trois policiers en tenue, et qu’il s’était alors rendu compte que l’individu contrôlé n’était pas son voleur. Il déclarait qu’il n’avait pas adressé la parole aux policiers et que, s’étant mis à l’écart pour effectuer les oppositions sur ses cartes bancaires, il n’avait pas vu l’individu contrôlé monter à bord du véhicule de police.

Aux enquêteurs qui lui demandaient s’il avait entendu ce que disaient les fonctionnaires de police, il répondait : « J’ai entendu un policier au crâne rasé s’adresser à l’un des amis de M. BL D pour lui dire qu’ils faisaient un contrôle d’identité et qu’ils le ramèneraient par la suite. Ensuite, un deuxième policier a demandé à haute voix à M. BL D s’il avait une pièce d’identité, ce dernier n’a pas répondu. Je tiens à préciser que le policier qui s’est adressé directement à M. BL D a effectivement parlé fort. Cela m’a fait l’impression d’une personne s’adressant à une personne étant dans les vapes. Cela ne m’a pas perturbé, car il était évident que M. BL D était saoul. Bien que tenant debout, il titubait cependant ».

Il affirmait que le contrôle s’était déroulé normalement et qu’il n’y avait eu aucune agressivité de part et d’autre. Il précisait que les amis de M. BL D ne s’étaient montrés ni virulents ni agressifs envers les fonctionnaires de police, que d’autres personnes, des proches de son entourage familial, étaient présentes et qu’aucun des membres de ce groupe n’avait été hostile envers les forces de l’ordre.

AD AE et U V, amis de BD K, confirmaient que le contrôle s’était déroulé calmement et que l’individu contrôlé paraissait ivre. Quant à Mlle P, autre amie de M. K présente sur place, elle répondait par la négative aux enquêteurs qui lui demandaient si elle avait observé que l’individu contrôlé titubait ou vociférait sur la voie publique. Questionnée sur les circonstances du contrôle, elle indiquait que « pour elle et du souvenir qu’elle en gardait, elle avait l’impression qu’il y avait peu de monde autour du véhicule de police lors du contrôle et peu d’agitation ».

Madame AJ BO, gérante du « Silver Pub », bar situé en face du parking de la gare routière où M. BL D avait voulu pénétrer juste après le contrôle de police, expliquait qu’elle ne l’avait pas vu tituber en traversant la rue, mais lui avait refusé l’entrée de son établissement en raison de son état d’ivresse. M. BX BY BZ, client du bar, déclarait que l’individu contrôlé ne marchait pas normalement, qu’il avait du mal à se tenir debout, qu’il zigzaguait et qu’il avait failli tomber sur le trottoir en arrivant devant le pub.

A la suite des révélations des étudiantes, les trois fonctionnaires de police étaient entendus à nouveau par les enquêteurs de la police judiciaire, puis sous le régime de la garde à vue dans le cadre d’une enquête préliminaire pour faux témoignage et non assistance à personne en péril confiée à l’Inspection Générale de la Police Nationale.

Ils reconnaissaient alors avoir menti sur le lieu où ils avaient contrôlé et déposé M. BL D. Ils expliquaient qu’affolés par l’ampleur de l’exploitation médiatique de l’affaire et après avoir réalisé que c’était bien leur équipage qui avait contrôlé M. BL D, ils s’étaient concertés et avaient décidé de travestir la vérité. Ils indiquaient qu’estimant que l’endroit réel du contrôle, le parking de la gare routière, pouvait prêter à certaines spéculations éventuellement développées par les média, ils avaient préféré mentir lors de leurs premières déclarations et avaient choisi le cadre de l’DL de Flesselles, endroit plus passant, plus éclairé et plus rapproché du lieu de l’interpellation initiale.

Toujours le XXX, M. BH BI, demeurant sur une péniche amarrée au XXX à Nantes, signalait avoir retrouvé quelques jours plus tôt le portefeuille de CP BL D flottant à proximité de son bateau. Un dispositif de recherche était alors mis en place par les sapeurs pompiers, qui découvraient le 12 décembre 2006 le corps sans vie de M. CP BL D dans le XXX. Les vérifications opérées ne permettaient pas de déterminer avec certitude l’endroit où CP BL D était tombé à l’eau.

L’autopsie pratiquée par le professeur Rodat et les examens complémentaires établissaient que CP BL D était décédé des suites d’une noyade par hydrocution et qu’il présentait, outre deux hématomes situés sur l’épaule et l’avant bras gauches, un taux d’alcoolémie de 3,74 g pour mille dans le sang. Interrogés sur les causes possibles des deux hématomes, les médecins légistes concluaient s’agissant de l’hématome sur l’épaule à une trace compatible avec un coup reçu ou une chute et concernant l’hématome sur l’avant bras à la trace d’une préhension ferme.

Les trois fonctionnaires de police maintenaient que le placement en dégrisement de M. BL D ne se justifiait pas, l’intéressé n’ayant pas le comportement caractéristique d’un homme en état d’ivresse manifeste, mais seulement quelques signes laissant penser qu’il avait consommé de l’alcool.

La mise en situation réalisée dans les mêmes conditions horaire que le soir des faits permettait d’établir la conformité de la version des fonctionnaires de police avec plusieurs témoignages quant aux horaires, seules les déclarations des collègues de M. BL D restant discordantes sur l’heure exacte du contrôle. 640 mètres étaient mesurés entre l’endroit où M. BL D avait été remis en liberté par les policiers et le XXX, où son corps avait été retrouvé.

Le 14 décembre 2006, Messieurs C, M et A étaient mis en examen pour délaissement d’une personne hors d’état de se protéger et faux témoignage sous serment devant une juridiction ou un officier de police judiciaire.

Lors de l’interrogatoire de première comparution, AB A affirmait que M. BL D avait très bien compris ce qu’ils lui avaient dit au moment du contrôle, qu’il avait également compris qu’ils allaient s’écarter eu égard à l’attroupement qui venait se former et qu’au moment où ils l’avaient quitté, il était capable selon lui de trouver ses amis.

Interrogé sur la raison pour laquelle ils n’avaient pas ramené M. BL D à l’endroit où ils l’avaient embarqué, il répondait : « sur le coup, je ne sais pas ». Questionné sur les raisons pour lesquelles il avait menti sur le lieu du contrôle, il déclarait : « Vu l’ampleur médiatique prise par la disparition de M. BL D, nous avons paniqué. Nous avons pensé que le parking de la gare routière, endroit un peu sombre et un peu écarté, pouvait susciter des suspicions à notre encontre ».

A la question de savoir si c’était M. C qui était à l’initiative du mensonge, il répondait que M. C lui avait téléphoné pour lui proposer et qu’il avait accepté.Il maintenait que, lorsqu’ils avaient laissé M. BL D sur le parking de la gare routière, il n’y avait aucun danger pour lui sur place, qu’il y avait des bancs, des barrières, de la lumière dans la rue et qu’il pouvait se repérer facilement pour repartir.

Lors de l’interrogatoire de première comparution, CV-CW M « reconnaissait les faits concernant le faux témoignage sous serment devant un officier de police judiciaire », ajoutant que « concernant la deuxième chose, il ne la reconnaissait pas ». Il indiquait que le mensonge avait été concerté entre lui et M. C, que, dans un second temps, il y avait eu concertation entre M. C et leur troisième collègue et que cette concertation avait eu lieu très rapidement, juste avant de signaler à leur hiérarchie qu’ils pouvaient être concernés par le contrôle relaté dans la presse.

Interrogé sur les raisons pour lesquelles il avait menti, il répondait : « J’étais paniqué de ce que soupçonnerait ou penserait le service enquêteur, c’est à dire la PJ de Nantes, sachant que cette disparition datait du 22 novembre et que la personne n’était pas réapparue depuis une quinzaine de jours ». Il affirmait qu’ils avaient quitté l’endroit où ils avaient pris en charge M. BL D car, sur place, ils avaient été importunés et qu’ils n’avaient pas voulu rester sur le cours des 50 otages afin d’éviter que le groupe ne les rejoigne.

Questionné sur les raisons pour lesquelles ils avaient laissé M. BL D DL DM, puis sur les motifs pour lesquels ils ne l’avaient pas ramené à l’endroit initial du contrôle, il déclarait : « car c’est un endroit qui après réflexion n’est pas si loin que cela du lieu initial du contrôle 'car lorsque nous recherchons l’individu, nous n’avons pas le droit d’avoir à bord d’autres personnes que les policiers », précisant qu’ils avaient ensuite fait des recherche dans le secteur du cours des 50 otages durant 9 minutes. Il maintenait que, tant au cours de leur prise en charge que de leur contrôle, M. BL D avait toujours été debout et avait répondu sans bafouiller et qu’il ne présentait pas de signe d’ivresse suffisant pour l’emmener au CHU et en cellule de dégrisement.

Lors de l’interrogatoire de première comparution, F C reconnaissait le faux témoignage et contestait les faits de délaissement. Questionné sur les raisons pour lesquelles il avait menti, il répondait : « Sous la pression médiatique, j’ai pensé que’j'ai eu peur que l’on nous accuse d’avoir fait du mal, d’avoir atteint M. BL D ».

Au juge d’instruction qui lui demandait en quoi le fait d’avoir changé le lieu où ils avaient relâché M. BL D pouvait avoir une influence, il déclarait : « Parce que la presse laissait sous entendre que nous avions atteint physiquement M. BL D et l’endroit où nous l’avions laissé me semblait, dans mon souvenir, moins bien éclairé et trop lointain par rapport au lieu où nous l’avions interpellé. J’ai pensé que la Justice, que tout le monde allait penser qu’on avait fait du mal à M. BL D dans l’hypothèse où il lui serait arrivé un malheur. Nous avons imaginé le pire des scénarios et c’est pour cela qu’on a décidé d’un autre endroit qui se trouvait sur notre trajet. Le pire des scénarios pour nous, c’est qu’il était mort en espérant que ce n’était pas vrai ». Il affirmait ne pas avoir remarqué que M. BL D était en état d’ivresse, précisant qu’il lui était paru très lucide dans ses réactions et qu’il lui avait même serré la main au moment du départ.

Parallèlement, les constatations médicales permettant de suspecter que la chute dans l’eau de M. BL D avait pu avoir lieu à l’occasion d’une empoignade ou d’un affrontement physique, l’enquête en recherche des causes de la mort s’orientait vers un individu sans domicile fixe nommé AN AO. En effet, l’enquête établissait que, le 23 novembre 2006 au L matin, AN AO s’était présenté trempé dans les locaux de la TAN afin de s’y réchauffer, expliquant alors aux agents de transports, puis aux policiers appelés malgré ses réticences, qu’il avait été agressé par six jeunes, lesquels avaient tenté de lui dérober son portefeuille, puis de le noyer dans le XXX.

AN AO, qui avait disparu dès son arrivée au CHU où il avait été transporté par les sapeurs pompiers, était entendu quelques semaines plus tard. Il modifiait alors ses déclarations concernant le lieu de sa chute dans l’Erdre, en la situant quai de Versailles, et niait avoir été présent près du XXX le soir du 22 novembre 2006. J en garde à vue et confronté au résultat de l’étude de sa téléphonie, qui démontrait qu’il avait déclenché dans la soirée un relais situé à proximité du XXX, il finissait par admettre s’être trouvé sur les rives du canal, être monté sur une péniche amarrée et avoir tenté d’y pénétrer pour y dormir en essayant de briser une vitre à l’aide d’un outil trouvé sur place. Il expliquait qu’il n’était pas parvenu à briser la vitre, qu’il avait donc voulu quitter l’embarcation par une corde d’amarrage située à l’avant et que c’était dans ces conditions que, vers 5 heures 30, il était tombé à l’eau et avait eu les plus grandes difficultés pour remonter sur le quai. Il niait toute implication dans la mort de CP BL D, qu’il affirmait ne pas avoir rencontré.

AN AO était mis en examen le 7 février 2007 pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

La jonction des deux procédures était ordonnée le 1er mars 2007.

Entendu le 1er mars 2007 par le juge d’instruction, CV-DO H, brigadier major de police, chef de la CDI, indiquait que c’était le 6 décembre 2006 au soir, alors qu’il se trouvait à son domicile, que M. C lui avait déclaré que le nom d’ BL D lui disait quelque chose et qu’il lui semblait avoir contrôlé cette personne. Il expliquait que F C avait confirmé cette information lors d’une réunion organisée le soir même au commissariat de police avec M. I, X adjoint et M. de Meritens, commissaire principal chef du service d’ordre public et de sécurité routière. Il précisait que, si F C leur avait déclaré qu’ils avaient relâché M. BL D et étaient revenus par le cours des 50 otages pour regagner le commissariat tout en continuant à regarder s’ils ne voyaient pas l’individu recherché, il ne leur avait pas indiqué où ils avaient relâché CP BL D et qu’aucune question ne lui avait été posée à ce sujet.

Il ajoutait que Messieurs C et M étaient venus au commissariat le XXX pour déclarer qu’ils n’avaient pas dit la vérité sur le lieu de dépôt de M. BL D et qu’ils voulaient être réentendus par la Police Judiciaire. Interrogé sur le point de savoir s’il y avait, selon lui, un rapport entre leur venue au commissariat et le témoignage des étudiantes, également du 11 décembre, il répondait :

« Peut-être que oui, peut-être que non. Je n’en sais rien. Quand les jeunes sont arrivées au commissariat, j’étais à l’accueil. J’ai compris qu’elles avaient vu M. BL D descendre d’un véhicule de police. J’ai dit à l’ADS de service de prendre le nom des témoins de façon à les orienter vers la PJ pour qu’elles fassent leur dépositions. Il devait être 13 heures 30 environ. J’ai avisé le commandant Vincent de ce nouveau fait, qui a lui-même avisé M. N. En suite de quoi, je suis retourné à mon travail et j’avais notamment un rappel à effectuer au niveau du service du groupe 3. J’ai eu F C à cette occasion là et je lui ai dit quelque chose comme : bonne nouvelle, vous avez été vus par des témoins laissant repartir M. BL D à l’issue de son contrôle, puis nous avons parlé des horaires du service. Je pense avoir également avisé CV-CW M du changement de service et donc du témoignage des jeunes filles ». Il reconnaissait avoir appelé AB A le XXX vers 17 heures afin que celui-ci se rende à la Police Judiciaire « pour un problème sur le lieu de dépôt de M. BL D ».

Les trois mis en examen étaient réentendus par le magistrat instructeur, F C le 22 mars 2007, CV-CW M le 14 mai 2007 et AB A le 15 mai 2007.

Questionné sur les raisons qui avaient amené le revirement du XXX, F C expliquait que le major H les avait prévenus qu’il y avait trois témoins qui disaient les avoir vus relâcher M. BL D, mais qu’il pensait que, même sans la découverte de ces trois témoins, ils seraient venus dans la semaine se rétracter car ils avaient commencé à avoir des remords et se disaient qu’ils avaient fait une connerie d’avoir menti.

A la même question, AB A et CV-CW M répondaient respectivement :

— « C’est le major H qui m’appelle le 11 décembre et me dit qu’il y a des témoins qui sont venus déposer concernant le lieu de dépôt d’ BL D. Il devait être 13 heures. Il me rappelle le même jour vers 17 heures pour me dire qu’il y avait un problème avec le lieu de dépôt d’ BL D, qu’il fallait que j’aille tout de suite à la PJ, que F et CV-CW étaient déjà sur place. J’ai alors compris que le mensonge ne tenait plus »

— « Suite au coup de téléphone du major de la CDI qui nous informait d’un changement de service pour le lendemain, il nous apprenait en même temps que deux jeunes filles s’étaient présentées à Waldeck Rousseau déclarant qu’elles avaient assisté la nuit du contrôle d’BL D à la descente d’un individu du véhicule de police, j’ai reçu un coup de téléphone de F C me demandant si j’étais chez moi, s’il pouvait passer. Il est venu à mon domicile, on a rediscuté de tout cela et convenu qu’il fallait arrêter nos conneries et aller à la PJ pour revenir sur nos déclarations ».

L’instruction n’ayant pas permis d’établir que AN AO et CP BL D s’étaient effectivement rencontrés dans la nuit du 22 au 23 novembre 2006, une ordonnance de non-lieu était rendue le 16 mai 2008 au bénéfice de AN AO, tandis que F C, AB A et CV-CW M étaient renvoyés devant le tribunal correctionnel de Nantes. Suite à des révélations faites par la nommée W G au sujet de confidences reçues de la part de AN AO, une nouvelle information judiciaire était ouverte le 3 juillet 2009. Une seconde ordonnance de non-lieu était rendue le 28 février 2011 par le juge d’instruction, qui considérait que « les nouvelles déclarations de Mme G apparaissaient bien peu crédibles » et que « les nouvelles investigations des enquêteurs n’avaient parallèlement apporté aucun élément nouveau de nature à remettre en cause les conclusions du premier dossier d’instruction relatives aux circonstances du décès de CP BL D ».

SUR CE :

Sur l’action publique :

F C, AB A et CV-CW M sont tout d’abord poursuivis pour « avoir à Nantes, à compter du 7 décembre 2006, fait sous serment un témoignage mensonger devant un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire ».

L’article 434-13 du code pénal dispose :

« Le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d’une commission rogatoire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Toutefois, le faux témoin est exempt de peine s’il a rétracté spontanément son témoignage avant la décision mettant fin à la procédure rendue par la juridiction d’instruction ou par la juridiction de jugement ».

Il résulte des éléments de la procédure :

— qu’entendus le 7 décembre 2006 sous serment par un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire dans le cadre de l’information judiciaire ouverte la veille pour disparition inquiétante, F C, AB A et CV-CW M ont tous les trois affirmé qu’ayant constaté que CP BL D ne correspondait pas au signalement fourni, ils l’avaient remis en liberté DL de Flesselles

— que, le XXX, Mlles AQ, AW et AM se sont présentées au commissariat de police de Nantes pour signaler qu’elles avaient vu dans la nuit du 22 au 23 novembre précédent un individu descendre d’un véhicule de police et qu’elles avaient fait le rapprochement avec les articles de presse parus au sujet d’une personne disparue

— que le brigadier major CV-DO H, chef de la CDI, a alors prévenu par téléphone Messieurs C, A et M, les informant que des personnes, qui s’étaient présentées au commissariat, affirmaient les avoir vus relâcher CP BL D

— qu’interrogés à nouveau, F C, AB A et CV-CW M ont reconnu avoir menti lors de leur première audition sur le lieu où ils avaient déposé M. BL D, expliquant qu’affolés par l’ampleur de l’exploitation médiatique de l’affaire et craignant que l’endroit réel du contrôle, le parking de la gare routière, puisse prêter à certaines spéculations éventuellement développées par les médias, ils avaient décidé de travestir la vérité et avaient choisi le cadre de l’DL de Flesselles, endroit plus passant, plus éclairé et plus proche du lieu de l’interpellation initiale.

Il est ainsi établi que F C, AB A et CV-CW M ont, le 7 décembre 2006, fait, sous la foi du serment, devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d’une commission rogatoire, un témoignage mensonger sur l’endroit où ils avaient déposé CP BL D à l’issue du contrôle. Il est incontestable que le lieu où CP BL D avait été relâché par les fonctionnaires de police constituait un élément important pour l’enquête menée sur la disparition inquiétante de l’intéressé. Le témoignage mensonger de F C, AB A et CV-CW M a donc porté, contrairement à ce que prétend désormais la défense, sur une circonstance présentant un intérêt certain pour l’enquête.

Il apparaît, dans ces conditions, que le tribunal correctionnel de Nantes a tiré des circonstances de la cause les conséquences juridiques qui s’imposaient en retenant la culpabilité de F C, AB A et CV-CW M pour l’infraction de faux témoignage visée à la prévention. C’est encore vainement que la défense tente de soutenir que les prévenus ont rétracté spontanément leur témoignage avant la décision mettant fin à la procédure. En effet, si leur rétraction est bien intervenue avant la décision mettant fin à la procédure, force est néanmoins de constater que F C, AB A et CV-CW M ne se sont en fait rétractés qu’après avoir eu connaissance par leur supérieur hiérarchique de l’existence de témoignages établissant le lieu réel où M. CP BL D avait été relâché. Dès lors, cette rétraction ne peut être considérée comme spontanée au sens de l’alinéa 2 de l’article 434-13 précité, qui prévoit en pareil cas une exemption de peine.

F C, AB A et CV-CW M sont également prévenus « d’avoir à Nantes, dans la nuit du 22 au 23 novembre 2006, délaissé CP BL D, personne hors d’état de se protéger en raison de son état physique ou psychique ».

Selon l’article 223-3 du code pénal, « le délaissement, en un lieu quelconque, d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ».

Le délaissement se compose d’un élément matériel, qui consiste en l’abandon d’une personne particulière, et d’un élément moral, la conscience d’exposer cette personne à un danger. L’élément matériel du délit de délaissement suppose un acte positif d’abandon d’une personne hors d’état de se protéger, qui expose cette personne à une situation de péril. L’auteur doit donc avoir un comportement délibéré de nature à mettre en danger une personne vulnérable. Le délaissement nécessite l’exposition de la victime à une situation de danger. Le délaissement étant une infraction intentionnelle, l’intention consiste pour l’auteur en la volonté délibérée d’abandonner une personne hors d’état de se protéger. L’intention coupable nécessite, d’une part, la volonté d’abandonner définitivement en un lieu quelconque une personne vulnérable et, d’autre part, la conscience du danger encouru par la victime.

Il est constant que F C, AB A et CV-CW M ont pris en charge CP BL D à hauteur de la place du cirque cours des 50 otages et l’ont déposé environ 800 mètres plus loin sur le parking de la gare routière DL DM.

Si l’enquête n’a pas permis d’exclure que CP BL D ait consommé de l’alcool après avoir été relâché par les policiers, de nombreux témoignages recueillis au cours de l’instruction démontrent que l’intéressé se trouvait au moment du contrôle dans un état d’alcoolisation massive, que n’ont pu ignorer les trois fonctionnaires de police, qui se sont trouvés avec lui plusieurs minutes, notamment dans l’espace confiné de leur véhicule de patrouille. Il importe à cet égard de relever :

— que, lors de sa première audition, BT BU a déclaré : « En route vers le véhicule, CP a commencé à uriner sur la voie publique, puis à vomir. Il n’arrivait plus à marcher droit et il titubait sur la chaussée. Je lui ai dit de venir et de ne pas marcher sur la chaussée, il m’a fait un bras d’honneur »

— que AR AR a indiqué : « CP avait du mal à marcher, il était complètement saoul et voulait qu’on le ramène à la voiture pour dormir’Nous sommes arrivés sur un grand boulevard’CP, quant à lui, était en train d’uriner sur le trottoir devant tout le monde. BT lui a dit d’arrêter, il s’est rhabillé pour marcher difficilement »

— qu’interrogé sur le fait de savoir s’il avait entendu ce que disaient les policiers, BD K a relaté : « J’ai entendu un policier au crâne rasé s’adresser à l’un des amis de M. BL D pour lui dire qu’ils faisaient un contrôle d’identité et qu’ils le ramèneraient par la suite. Ensuite, un deuxième policier a demandé à haute voix à M. BL D s’il avait une pièce d’identité, ce dernier n’a pas répondu. Je tiens à préciser que le policier qui s’est adressé directement à M. BL D a effectivement parlé fort. Cela m’a fait l’impression d’une personne s’adressant à une personne étant dans les vapes. Cela ne m’a pas perturbé, car il était évident que M. BL D était saoul. Bien que tenant debout, il titubait cependant »

— qu’entendues le 12 décembre 2006 par les enquêteurs de l’inspection générale de la police nationale, AP AQ, AV AW et AL AM ont respectivement déclaré : « Lorsque cet homme est descendu du véhicule de police, aidé par l’un des deux policiers, j’ai constaté que cet homme m’est apparu effectivement ivre. En effet, cet homme titubait, il avait une démarche lourde et je crois que, si l’un des policiers l’a aidé à descendre du fourgon, c’est qu’il en était apparemment incapable. Après avoir quitté le véhicule de police, l’homme a dû être éloigné du véhicule car j’ai eu le sentiment que cet homme n’avait pas envie de rester seul où les policiers l’avaient fait descendre. Cet homme semblait effectivement fatigué et j’ai cru comprendre qu’il ne savait pas où il était. Il semblait perdu. Lorsque le véhicule de police a quitté les lieux en passant devant les différentes aubettes, j’ai constaté que l’homme s’était figé et il oscillait. Manifestement, il présentait les signes apparents de l’ivresse. J’ai été étonnée de son attitude du fait qu’il est resté figé sur place’Il est évident que cet homme n’était absolument pas stable sur ses pieds et je persiste à dire qu’il était ivre. Cela était évident’Personnellement, j’ai eu le sentiment que cet homme ne voulait pas rester seul lorsque les policiers l’ont fait descendre du fourgon de police et c’est peut-être la raison pour laquelle les policiers ont dû légèrement le repousser du véhicule pour pouvoir quitter les lieux » – « Quand on est passé à côté de cet homme, qui était entre d’autres voitures stationnées sur le parking, j’ai vu qu’il ne bougeait pas et j’ai vu qu’il était ivre. Il tanguait, ne bougeait pas et il était comme dans son monde’Il tanguait, il oscillait en avant. Il avait la tête fixe, comme complètement perdu. On voyait bien qu’il était ivre » – « J’ai vu un policier en uniforme descendre du véhicule. De l’extérieur de la voiture, ce policier a aidé à en sortir un homme. Quasiment simultanément, un ou deux policiers, je ne suis pas sûre du nombre, sont eux aussi sortis du véhicule de police. Ils étaient eux aussi en uniforme. Dès qu’il est sorti de la voiture de police, l’homme qui portait un pantalon de type CV et un manteau ou un blouson de type doudoune, s’est éloigné. Il a fait quelques pas, sur trois ou quatre mètres, en zigzaguant. L’homme s’est ensuite arrêté, il s’est mis je dirais à tanguer un peu dans tous les sens. Il cherchait quelque chose dans ses poches. Ses gestes étaient très lents. Il tenait sur ses jambes, mais il était constamment à la recherche de son équilibre’Quand nous avons quitté les lieux, l’homme n’avait pas bougé de place. Il était toujours planté au milieu du parking. Il avait toujours l’air de chercher dans ses poches. Il était évident que l’homme était dans un état d’ivresse avancée »

— que Mme AJ AK, gérante du bar « le Silver Pub », situé face au parking de la gare routière, où CP BL D avait voulu pénétrer juste après le contrôle de police, a indiqué qu’elle lui avait refusé l’entrée de son établissement en raison de son état d’ivresse

— que M. BX BY BZ, client de l’établissement, a, pour sa part, affirmé : « L’individu contrôlé est venu directement vers le pub. Il ne marchait pas normalement, il avait du mal à tenir debout, il zigzaguait. Il a failli tomber sur le trottoir en arrivant devant le Silver Pub ».

Il est exact, comme l’a en définitive retenu le tribunal correctionnel, que le comportement de F C, AB A et CV-CW M, qui, après avoir pris en charge CP BL D, lequel se trouvait très fortement alcoolisé, l’ont, le séparant ainsi de ses amis et le laissant livré à lui-même, déposé 800 mètres plus loin sur le parking de la gare routière DL DM en le repoussant légèrement pour pouvoir s’éloigner, constitue un acte positif d’abandon d’une personne hors d’état de se protéger au sens de l’article 223-3 précité.

Cependant, il n’en demeure pas moins que n’est pas établi, alors même que CP BL D, qui était ivre mais conscient, a été laissé dans un endroit situé dans le centre ville de Nantes à proximité d’un commerce encore ouvert et à une distance significative des rives du plus proche cours d’eau, que les trois fonctionnaires de police aient eu conscience du danger encouru par l’intéressé.

L’élément intentionnel de l’infraction n’est donc pas caractérisé. C’est, dès lors, à tort que les premiers juges ont retenu la culpabilité de F C, AB A et CV-CW M pour l’infraction de délaissement d’une personne incapable de se protéger.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a déclaré F C, AB A et CV-CW M coupables du délit de faux témoignage, mais infirmé en ce qu’il a retenu leur culpabilité du chef de délaissement d’une personne hors d’état de se protéger.

Le casier judiciaire des prévenus ne mentionne aucune condamnation. Même si les affirmations des prévenus, selon lesquelles leur mensonge a été provoqué par l’affolement dû au retentissement médiatique de l’affaire et à la crainte d’être suspectés d’avoir maltraité CP BL D, peuvent sans doute être tenues pour exactes, il n’en reste pas moins que les faits commis, s’agissant d’un faux témoignage émanant de fonctionnaires de police expérimentés, sont d’une réelle gravité et justifient le prononcé d’une peine d’emprisonnement assorti du sursis. F C, AB A et CV-CW M seront donc condamnés à la peine de deux mois d’emprisonnement avec sursis.

Sur l’action civile :

Il importe tout d’abord de relever que M. BF D, M. CC BL D et Mme Q R épouse BL D, dont les constitutions de partie civile ont été déclarées irrecevables par les premiers juges, n’ont pas relevé appel du jugement entrepris.

« L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction » (article 2 alinéa 1er du Code de procédure pénale)

Il est constant que les prévenus ont été renvoyés des fins de la poursuite du chef de délaissement d’une personne hors d’état de se protéger et que Mme T BL D et sa fille n’ont pas, en raison de la nature même de ce délit caractérisant une entrave à l’action de la Justice, personnellement souffert d’un dommage directement causé par l’infraction de faux témoignage. Il convient dès lors de déclarer irrecevable la constitution de partie civile de Mme T BL D, agissant tant en son nom personnel qu’en qualité de représentante légale de sa fille mineure CD BL D.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l’égard de C F, A AB, M CV-CY, D BF, BL D CC, R Q épouse BL D et S T veuve BL D,

EN LA FORME

REÇOIT les appels,

AU FOND

Sur l’action publique :

CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a déclaré F C, AB A et CV-CW M coupables du délit de faux témoignage,

Le RÉFORMANT pour le surplus,

RENVOIE F C, AB A et CV-CW M des fins de la poursuite du chef de délaissement d’une personne incapable de se protéger,

CONDAMNE F C, AB A et CV-CW M à la peine de deux mois d’emprisonnement assortis du sursis,

Sur l’action civile :

DÉCLARE irrecevable la constitution de partie civile de Madame T S veuve BL D agissant tant en son nom personnel qu’en qualité de représentante légale de sa fille mineure CD BL D.

En vertu de l’article 800-1 du Code de Procédure Pénale et de l’article 1018 A du Code Général des Impôts, la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure dont est redevable chaque condamné d’un montant de 120 euros, réduit de 20 % (soit 96 euros) en cas de règlement dans un délai d’un mois.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

F. BRAULT T. Y

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Rennes, 3ème chambre des appels correctionnels, 10 mai 2011, n° 09/00986