Cour d'appel de Rennes, 20 novembre 2013, n° 12/08114

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Sur la décision

Référence :
CA Rennes, 20 nov. 2013, n° 12/08114
Juridiction : Cour d'appel de Rennes
Numéro(s) : 12/08114

Sur les parties

Texte intégral

5e Chambre

ARRÊT N° 404

R.G : 12/08114

Mme Z X

C/

M. D-E Y

Organisme CPAM D’ILLE ET VILAINE

Société RADIANCE MUTUELLE D’ASSURANCES ET DE PREVOYANCE

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 NOVEMBRE 2013

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Marie-Gabrielle LAURENT, Président,

Madame Marie-Françoise D’ARDAILHON MIRAMON, Conseiller,

Madame Aline DELIERE, Conseiller,

GREFFIER :

B C, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 02 Octobre 2013

ARRÊT :

Réputé contradictoire, prononcé par Madame Marie-Gabrielle LAURENT, Président, à l’audience publique du 20 Novembre 2013, date indiquée à l’issue des débats.

****

APPELANTE :

Madame Z X

née le XXX à

XXX

XXX

Représentée par Me Vincent BERTHAULT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉS :

Monsieur D-E Y

né le XXX à XXX

XXX

XXX

Représenté par Me Benoît TREGUIER de la SCP TREGUIER/PERRIGAULT-LEVESQUE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES


Organisme CPAM D’ILLE ET VILAINE

ET APPELANTE INCIDENTE

XXX

XXX

Représentée par Me Monique DUROUX-COUERY de la SCP DUROUX-COUERY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

Société RADIANCE MUTUELLE D’ASSURANCES ET DE PREVOYANCE ayant fait l’objet des signfications prévues par les articles 902 et 911 du code de procédure civile, n’ayant pas constitué avocat

XXX

XXX

******************

EXPOSE DU LITIGE

En 1995, madame X a contracté une hépatite C à la suite d’une transfusion au cours d’une opération du rein droit réalisée au CHU Ponchaillou de Rennes.

En 2005, elle a été opérée d’un cancer du sein.

Par ailleurs, son médecin généraliste, le docteur Y, qui la suivait depuis plusieurs années , a posé un diagnostic d’hémorroïdes lorsque cette dernière a fait état de rectorragies alors qu’ en avril 2006, une coloscopie, réalisée dans le cadre du suivi de son hépatite C, a mis en évidence un cancer du colon au stade 3 avec métastases au poumon gauche.

Le professeur Le Gueut a été désigné en référé et à la suite du dépôt de son rapport, madame X a fait assigner le docteur Y en responsabilité .

Par jugement du 27 novembre 2012, le tribunal de grande instance de Rennes a:

— déclaré le docteur Y responsable du préjudice subi par madame X à proportion de 10 % de ce préjudice,

— débouté madame X de sa demande de provision,

— débouté madame X de sa demande de contre-expertise,

— débouté la CPAM des Côtes d’Armor de toutes ses demandes à l’encontre du docteur Y,

— dit n’y avoir lieu à indemnité de procédure,

— ordonné l’exécution provisoire de la décision.

Il a retenu un erreur de diagnostic qui a fait perdre à madame X une faible perte de chance d’éviter le développement de métastases au poumon au motif que sa pathologie a évolué favorablement.

Madame X a fait appel de cette décision.

Elle soutient que le docteur Y a commis une erreur de diagnostic fautive dont il ne peut s’exonérer en arguant des conditions d’examen de sa patiente et critique la fixation de la perte de chance d’éviter les métastases à 10 % au motif que le diagnostic d’hémorroïdes n’a pas été posé en 2005 mais dès 2000 et estime une contre-expertise nécessaire puisque l’appréciation par le professeur Le Gueut de ses préjudices est contestable, notamment s’agissant de son incontinence.

Elle demande donc à la cour de déclarer le docteur Y responsable, de le condamner à lui payer une indemnité provisionnelle de 15 000 €, d’ordonner une contre-expertise et de lui octroyer une somme de 3 500 €, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le docteur Y , formant appel incident, réclame le rejet de l’ensemble des demandes de madame X et sa condamnation au paiement d’une somme de 3 500 €, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Il rétorque que son erreur de diagnostic n’est pas fautive dans la mesure où le problème proctologique ne lui a été signalé qu’en juillet 2005 et n’a pu être traité qu’à cette date et dans la mesure où aucun des nombreux autres médecins intervenants n’a envisagé de procéder à une coloscopie , madame X ne leur ayant pas fait part de ses problèmes de saignements digestifs. Il ajoute que le lien de causalité entre la faute prétendue et l’apparition de métastases n’est pas établi puisque même si ce cancer du colon avait été diagnostiqué plus tôt, la possibilité d’éviter les métastases pulmonaires était douteuse eu égard , notamment, au terrain oncologique de madame X et à leur possible existence à cette date. Il conteste tout diagnostic d’hémorroïdes dès 2000.

A titre subsidiaire, il conteste les demandes de la CPAM dont le recours ne peut qu’être limité à la perte de chance retenue et ne peut concerner que les dépenses liées au retard de diagnostic, ce qui exclut les frais futurs , au vu du rapport du professeur Le Gueut.

La caisse primaire d’assurance maladie des Côtes d’Armor sollicite la condamnation du docteur Y à lui payer la somme de 50 348,91 € en remboursement de ses débours définitifs avec capitalisation des intérêts, outre la somme de 1 015 € au titre de l’indemnité forfaitaire et celle de 3 000 €, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle s’en rapporte sur la demande de contre-expertise.

La société Radiance mutuelle d’assurance et de prévoyance n’a pas constitué avocat.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières écritures notifiées le 2 avril 2013 pour l’appelante , le 15 mars 2013 pour le docteur Y et le 23 avril 2013 pour la CPAM des Côtes d’Armor , la clôture des débats ayant été prononcée le 12 septembre 2013.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la responsabilité du docteur Y :

L’expertise du professeur Le Gueut a mis en évidence que l’extériorisation d’une hémorragie digestive par voie basse a été diagnostiquée de manière erronée par le docteur Y comme des hémorroïdes alors que la bonne pratique aurait été de procéder à un examen clinique local et de faire pratiquer une colonoscopie plus rapidement qu’elle ne l’a été soit en avril 2006 à la demande du docteur Messner chargé du suivi du traitement de l’hépatite C , laquelle aurait permis de constater la présence de la tumeur et aurait conduit à un geste chirurgical plus rapide.

L’expert judiciaire a estimé que «' les soins et traitements prodigués par le docteur Y n’ont pas été pleinement justifiés par l’état de madame X ni parfaitement adaptés au traitement de cet état, ni totalement conformes aux données acquises de la science et de la pratique médicale au jour des faits, eu égard aux antécédents familiaux carcinologiques et à la structure de personnalité de sa patiente'» ajoutant qu’ «'un saignement digestif par voie basse mal documenté nécessitait au moins un examen clinique et une coloscopie'».

Il importe peu que madame X n’ait pas signalé aux autres médecins qui la suivaient au titre des multiples pathologies dont elle souffrait, l’existence de saignements dans les selles puisqu’elle l’avait fait auprès de son médecin généraliste.

De même , les conditions de l’examen en 2005 à la demande de madame X, soit à son domicile et en présence de son mari, sans examen proctologique pour visualiser d’éventuelles hémorroïdes comme l’a confirmé le docteur Y à l’expert en précisant que madame X n’était pas «'un malade simple'» , ne l’empêchaient pas de prescrire des examens complémentaires.

Les parties s’opposent , en cause d’appel , sur la date à laquelle le docteur Y a posé le diagnostic d’ hémorroïdes, madame X estimant qu’il s’agit de l’année 2000 alors que le docteur Y prétend qu’il s’agit de juillet 2005 et non avril 2005 comme l’a indiqué l’expert judiciaire.

Madame X en veut pour preuve ses ordonnances des 6 janvier 2000 et 6 août 2001 d’où il ressort qu’il a prescrit du Genkor et de l’Escinogel , deux veinotoniques qui sont indiqués en cas d’insuffisance veineuse mais peuvent être prescrits en cas hémorroïdes.

Le docteur Y soutient quant à lui n’avoir associé les deux médicaments Genkor Fort et Proctolog qu’en juillet 2005, signe du diagnostic à cette date.

Toutefois, il ressort du compte-rendu d’expertise que madame X a indiqué elle-même au professeur Le Gueut avoir signalé en avril 2005 au docteur Y la présence de saignements après la selle et que le docteur Y a précisé avoir rendu visite à sa patiente le 1er avril 2005 sans l’examiner et avoir évoqué des hémorroïdes et prescrit du Ginkor Fort auquel il a ajouté , le 29 juillet suivant, une pommade, à savoir le Proctolog, prescription qu’il a renouvelée en septembre 2005.

Il doit être rappelé que l’expert n’a pas manqué de les interroger minutieusement sur la date d’apparition des rectorragies puisque sa mission était notamment de dater l’éventuel retard diagnostique et qu’il a constaté que les deux parties s’étaient mises d’accord sur la date d’avril 2005 comme étant celle du signalement des saignements et du diagnostic hémorroïdes.

Cette date d’avril 2005 doit être retenue sans qu’une contre-expertise inutile sur ce point soit ordonnée.

Dès lors, les conclusions de l’expert doivent être suivies en ce qu’elles retiennent un retard d’une dizaine de mois dans la prise en charge du cancer du colon.

Pour autant et eu égard à l’évolution de ce type de tumeur lié à son envahissement important exprimé par la classification T3 , une chirurgie et une chimiothérapie auraient été nécessaires.

Le professeur Le Gueut retient seulement que madame X aurait vraisemblablement eu moins de risque de souffrir de métastases pulmonaires , « cette hypothèse pouvant être soutenue puisque sur 17 ganglions lymphatiques, seuls deux étaient métastasés , ce qui permet raisonnablement de penser qu’une prise en charge plus rapide aurait évité ces métastases'».'

Au vu de ces éléments, les premiers juges ont justement retenu que le retard de diagnostic du docteur Y était constitutif d’une faute en lien de causalité directe avec la perte de chance de ne pas développer une métastase.

L’expert reconnaît la difficulté d’évaluer précisément la perte de chance de ne pas voir se développer une métastase qu’a fait courir à madame X l’attitude du docteur Y et la qualifie de «certainement très modeste eu égard au terrain oncologique, vraisemblablement génétique de madame X ».

Il conclut enfin qu’ «eu égard à la nature du cancer, à son stade au moment de la découverte et aux données de la littérature , le retard de diagnostic a fait perdre dix chances sur cent de ne pas développer une métastase ».

Au vu de ces éléments, le jugement sera confirmé en ce qu’il a fixé la perte de chance à 10 % du préjudice subi.

Sur la demande de contre-expertise:

L’expert a fixé la date de consolidation au 10 mars 2009 , retenu un déficit fonctionnel temporaire total lors des deux ablathermies des 6 décembre 2007 et 4 mars 2009 ainsi que trois jours à l’occasion de chacune des 12 cures de chimiothérapie et un déficit fonctionnel partiel sans pouvoir le définir plus précisément dans les intervalles et jusqu’au 10 mars 2009 , chiffré les souffrances tant physiques que morales à 4/7, le préjudice esthétique temporaire lié à l’alopécie à 2/7 mais a estimé qu’il n’existait pas de déficit fonctionnel permanent compte tenu de l’évolution favorable de la maladie et de l’absence de «' sur-préjudice'» ni de préjudice d’agrément. Il a ajouté que l’état était susceptible d’aggravation liée directement et exclusivement au génie propre de la maladie tumorale.

Madame X conteste ces conclusions au motif que son incontinence n’aurait pas été prise en compte par l’expert mais elle ne produit aucun élément médical de nature à en justifier et surtout à prouver l’existence d’un lien de causalité entre celle-ci et le retard de diagnostic fautif.

Il en est de même s’agissant d’un lien de causalité éventuel entre une évolution négative de la maladie et la faute retenue à l’encontre du médecin généraliste

Le préjudice esthétique temporaire lié à la perte de cheveux a été retenu par l’expert et pourra être apprécié librement par le tribunal puisqu’il n’est pas tenu par l’évaluation à 2/7 qu’en a fait l’expert.

Enfin, à supposer comme elle le prétend, qu’un refus de greffe puisse lui être opposé du fait du cancer qu’elle a développé, alors qu’elle souffre d’une cirrhose, il ne peut qu’être rappelé que le docteur Y n’est pas responsable dudit cancer mais seulement d’un retard de diagnostic lui ayant fait perdre une chance très modeste de ne pas développer de métastases au poumon.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté madame X de sa demande de contre-expertise en relevant que l’expert a répondu à l’ensemble des observations qui lui ont été faites et a procédé à l’évaluation complète du préjudice de madame X.

Sur la demande de provision:

Au vu des conclusions de l’expert, mais compte-tenu du préjudice retenu correspondant à une perte de chance égale à 10 % du préjudice subi, il sera alloué à madame X une provision de 1 800 €.

Sur le recours de la CPAM des Côtes d’Armor:

Enfin, même si le recours de la CPAM s’exerce poste par poste et que madame X n’a pas chiffré les différents postes de préjudice dont elle entend être indemnisée, il apparaît possible de statuer sur le recours de la CPAM dans la mesure où il ne porte que sur les dépenses de santé et les hospitalisations.

Toutefois , celui-ci sera retenu dans la limite des frais induits par le seul retard de diagnostic à savoir les frais médicaux et les deux hospitalisations pour l’ablation de métastases , à l’exclusion des dépenses de santé futures puisque le professeur Le Gueut a estimé que ceux-ci,« au stade de survie actuel, s’inscriront dans l’évolution naturelle de la maladie antérieure » soit la somme de 12 471,23 €.

Ils ne seront pris en charge que dans la limite de 10 % du préjudice total correspondant à la perte de chance dont le docteur Y a été déclaré responsable soit 1 247,12 €.

Par ailleurs, le docteur Y devra payer à la CPAM des Côtes d’Armor, une somme de 415,71 € au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire

Infirme partiellement le jugement ;

Statuant à nouveau pour le tout ;

Déclare le docteur Y responsable de la perte de chance subie par madame X de ne pas voir se développer des métastases au poumon ;

Fixe cette perte de chance à 10 % du préjudice subi ;

Rejette la demande de contre-expertise;

Condamne monsieur D-E Y à payer à madame X une provision de 1 800 € à valoir sur l’indemnisation de son préjudice;

Condamne monsieur D-E Y à payer à la caisse primaire d’assurance maladie des Côtes d’Armor la somme de 1 247,12 € au titre de ses débours ainsi qu’une somme de 415,71 € au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile condamne monsieur D-E Y à payer à madame X la somme de 1500 € et à la CPAM des Côtes d’Armor la somme de 500 € , à titre d’indemnité de procédure ;

Condamne monsieur D-E Y aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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