Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 12 août 2014, n° 14/02622

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 1re ch. 1re sect., 12 août 2014, n° 14/02622
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 14/02622
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 97C

ARRET N°

DU 12 AOUT 2014

R.G. N° 14/02622

AFFAIRE :

X Y

C/

CONSEIL DE L’ORDRE DES AVOCATS A LA COUR DE VERSAILLES

Notifié le

à

X Y

ORDRE DES AVOCATS

pour information :

au

Ministère public

Maitre LANDON

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE MARDI DOUZE AOUT DEUX MILLE QUATORZE,

Arrêt par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

DANS L’AFFAIRE

ENTRE :

Madame X Y

avocat au barreau de Versailles

XXX

XXX

DEMANDERESSE AU RECOURS COMPARANTE

ET :

ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE VERSAILLES

représenté par son Bâtonnier en exercice, XXX

XXX

XXX

DEFENDEUR AU RECOURS représenté par Maître Frédéric LANDON, Bâtonnier,

EN PRÉSENCE DE

Ministère Public

REPRÉSENTÉ par Monsieur Z A, avocat général

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue publiquement à l’audience solennelle du 18 Juin 2014, la cour étant composée de :

Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président,

Madame Dominique LONNE, conseiller,

Monsieur Dominique PONSOT, Conseiller,

Madame Clotilde MAUGENDRE, Conseiller,

Madame Florence LAGEMI, Conseiller,

Assistés de Madame Sylvie RENOULT, greffier

Vu le procès-verbal des délibérations du conseil de l’ordre du 25 novembre 2013 qui a approuvé la modification de l’article 12 du règlement intérieur du barreau de Versailles intitulé «Les ventes immobilières» ;

Vu la décision du conseil de l’ordre des avocats à la cour de Versailles du 10 février 2014, notifiée le 3 mars 2014, rejetant la réclamation préalable formée par Maître X Y, le 4 février 2014 à l’encontre de la délibération du 25 novembre 2013 portant modification des dispositions de l’article 12 du règlement intérieur ;

Vu le recours formé le 2 avril 2014 par X Y, avocat au barreau de Versailles, à l’encontre de la décision prise par le conseil de l’ordre des avocats au barreau de Versailles le 10 février 2014 et les conclusions déposées le 22 mai 2014, par lesquels elle demande à la cour, infirmant la décision du bâtonnier du 3 mars 2014, d’annuler la décision du conseil de l’ordre du 25 novembre 2013 modifiant l’article 12 du Règlement intérieur du Barreau de Versailles ;

Vu l’ordonnance du 11 avril 2014 fixant les débats à l’audience du 18 juin 2014 ;

Vu les conclusions déposées le 10 juin 2014 par lesquelles l’ordre des avocats du barreau de Versailles représenté par son bâtonnier en exercice, Maître Frédéric LANDON, prie la cour de rejeter le recours ;

Après avoir, lors de l’audience du 18 juin 2014, tenue publiquement à la demande des parties, entendu Maître X Y, qui a repris la parole en dernier, développer les moyens contenus dans ses écritures, à l’admission desquelles Monsieur le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Versailles et le représentant du ministère public se sont opposés ;

SUR QUOI, LA COUR

Considérant que lors de sa séance du 28 octobre 2013, le conseil de l’ordre des avocats du barreau de Versailles a examiné la proposition de modification des dispositions de l’article 12 de son règlement intérieur, présentée par la commission des ventes immobilières, au cours de sa réunion du 20 septembre 2013 et a apporté une modification au projet soumis en prévoyant expressément une interdiction explicite pour deux avocats membres d’une même structure professionnelle de toute nature de porter des enchères sur un même bien y compris leurs collaborateurs, à titre personnel et la possibilité pour le bâtonnier de déroger de manière exceptionnelle à cette interdiction, au nom du principe de délicatesse et de la règle du conflit d’intérêts ;

Que ce projet a été approuvé par le conseil de l’ordre ;

Que l’article 12.2 alinéas 5 à 8 modifié, intitulé «Enchères» est libellé comme suit :

«L’avocat ne peut porter d’enchères pour des personnes qui sont en conflit d’intérêts ;

L’avocat ne peut notamment porter d’enchères pour un même bien pour le compte de plusieurs mandants, ce qui exclut la possibilité pour un avocat de porter simultanément des enchères sur un même bien d’une part, par lui-même et d’autre part, par un collaborateur ou tout autre confrère le substituant le temps de l’audience .

Cette interdiction s’étend, d’une part, à tous les avocats membres d’une même structure professionnelle, y compris les sociétés civiles de moyens, et, d’autre part, aux collaborateurs d’un avocat ou d’une structure professionnelle déjà chargés de porter des enchères sur un bien .

Toutefois, le bâtonnier pourra autoriser à titre exceptionnel deux membres d’une même structure professionnelle à porter des enchères sur un même bien s’il apparaît que les interdictions qui précèdent seraient de nature à porter atteinte à la liberté des enchères » ;

Que pour rejeter la réclamation préalable à la saisine éventuelle de la cour, formée par Maître X Y, au visa de l’article 15 du décret du 27 novembre 1991, le conseil de l’ordre des avocats au barreau de Versailles relève que cette disposition du règlement intérieur ne porte pas atteinte aux dispositions de l’article R.322-40 du code des procédures civiles d’exécution qui prévoit que les enchères sont portées par le ministère d’un avocat inscrit au barreau du tribunal de grande instance devant lequel la vente est poursuivie et que celui-ci ne peut être porteur que d’un seul mandat ; qu’il considère que ce texte doit être mis en oeuvre dans le respect des articles 3 et 7 alinéa 4 du décret du 12 juillet 2005 sur les principes essentiels de la profession d’avocat et qu’il y a conflit d’intérêts entre deux adjudicataires potentiels ;

**************************

Considérant qu’au soutien de son recours, Maître X Y, qui s’estime lésée dans ses intérêts professionnels, fait valoir que la modification de l’article 12 du RIBV constitue, en premier lieu, une violation du règlement intérieur national et de l’article R.322-40 du code des procédures civiles d’exécution, en deuxième lieu, porte atteinte à la liberté d’exercice, à l’égalité entre avocats et à la formation des avocats collaborateurs et se heurte à l’accès au droit ;

Que sur le premier moyen, elle avance que tant l’article R.322-40 du CPCE que l’article 12.2 du règlement intérieur national, élaboré au regard des règles générales de déontologie gouvernant la profession d’avocat, ne prévoient pas qu’une structure composée de plusieurs avocats ne pourrait être porteuse de plusieurs mandats, ces deux textes mentionnant précisément le terme «avocat » et non « Cabinet d’avocats », que les adjudicataires potentiels n’ont qu’un seul interlocuteur au sein du cabinet, distinct pour chaque client et les enchérisseurs potentiels comme les avocats respectifs qui les représentent n’ont pas connaissance du montant des enchères qui évolue à l’audience ;

Que sur le deuxième moyen, elle soutient qu’empêcher un collaborateur de porter des enchères à titre personnel au motif que l’un des membres du cabinet avec lequel il collabore porte déjà des enchères au profit d’un adjudicataire potentiel constitue une rupture d’égalité entre avocats, les avocats exerçant à titre individuel étant privilégiés par rapport à ceux qui exercent en structure et les associés étant privilégiés par rapport à leurs collaborateurs ;

Que l’ordre des avocats, après avoir relevé que la réclamation ne porte que sur les alinéas 5 à 8 de l’article 12.2 du règlement intérieur, répond que le nouveau texte décline les conséquences déontologiques pratiques de l’article R.322-40 du CPCE au regard des articles 3 et 7 du décret du 12 juillet 2005 et n’entre pas en conflit avec l’article 12 du règlement national, qu’il y a conflit d’intérêts entre deux adjudicataires potentiels, le principe de délicatesse devant s’apprécier selon le regard et le ressenti du client qui ne pourra que s’interroger en voyant un autre avocat d’un même cabinet soutenir des enchères sur un même bien ;

Que sur l’atteinte invoquée à la liberté d’exercice, à l’égalité entre avocats, il avance que les collaborateurs auront toujours la possibilité de porter des enchères en substituant l’avocat dont ils sont le collaborateur, en ayant leur client personnel si l’avocat dont ils sont le collaborateur n’a pas d’amateur sur le même bien, en utilisant la possibilité issue des articles 7 alinéa 1 et 2 du décret du 12 juillet 2005 et 4.1 du règlement intérieur national (avertissement préalable du client);

Qu’il fait valoir que l’atteinte à la liberté des enchères, aux intérêts des clients et le risque d’aggraver les sinistres ne sont pas établis alors que l’avocat qui porte des enchères ne peut accomplir son devoir de conseil que s’il s’enquiert auprès de son client du montant de son enchère maximale, que n’ayant qu’un seul client, il ne pourra opérer une sélection ; que l’acquisition de la mention de spécialisation en droit des sûretés et des mesures d’exécution est la meilleure garantie de la sauvegarde des intérêts du client ;

Que sur l’atteinte alléguée aux regroupements d’avocats, il soutient que la pratique des pouvoirs écrits pour enchérir est de nature à éviter une perte de clientèle pour les groupements qui chercheraient à occuper pour des clients en contradiction d’intérêts ;

Considérant que selon l’article R322-40 du code des procédures civiles d’exécution , les enchères sont portées par le ministère d’un avocat inscrit au barreau du tribunal de grande instance devant lequel la vente est poursuivie .

Celui-ci ne peut être porteur que d’un seul mandat ;

Que l’article 12.2 alinéa 3 du règlement intérieur national de la profession d’avocat, dans sa version en vigueur au 1er juin 2014, prévoit que l’avocat ne peut notamment porter d’enchères pour un même bien pour le compte de plusieurs mandants ;

Que ces deux textes font interdiction à un avocat de porter simultanément des enchères au nom de mandants différents sur le même bien, sans l’étendre aux autres avocats membres du même cabinet ;

Considérant que l’article 12.2 alinéas 6 à 8 modifié du règlement intérieur du barreau de Versailles ajoute à ces deux textes en restreignant la faculté pour les avocats membres d’une même structure professionnelle ou les collaborateurs d’un avocat ou d’une structure professionnelle de porter simultanément des enchères sur un même bien ; que cette modification a été apportée en application du principe de délicatesse et de la règle du conflit d’intérêts ainsi que mentionné dans le procès-verbal des délibérations du conseil de l’Ordre ;

Qu’il convient donc de rechercher si cette restriction, qui rompt le principe d’égalité entre avocats en distinguant les avocats exerçant à titre individuel de ceux regroupés sous la forme d’une structure professionnelle et, partant, au libre exercice par l’avocat de sa profession, est justifiée pour assurer le respect du principe de délicatesse et éviter tout risque de conflits d’intérêts ;

Considérant que le bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Versailles fait valoir avec pertinence que le principe de délicatesse doit s’apprécier selon le regard et le ressenti du client ; que si les acquéreurs potentiels du bien, dont la vente forcée a été ordonnée, ne sont pas parties à la procédure de saisie immobilière, leurs intérêts sont opposés dès lors que chacun d’eux entend devenir adjudicataire du même bien ;

Mais considérant que l’objectif poursuivi, à juste titre, par le conseil de l’Ordre de donner plein effet au principe de délicatesse et de prévenir tout conflit d’intérêt aurait pu être suffisamment atteint en faisant obligation à l’avocat auquel est confié le mandat de porter des enchères, d’informer préalablement son mandant que des membres du même cabinet sont susceptibles de porter des enchères sur le même bien, au nom d’autres clients ;

Qu’en outre, le risque d’un tel conflit est réglementé par l’article 7 alinéas 1 et 2 du décret du 12 juillet 2005 qui autorise l’avocat muni de l’accord écrit de son client à assurer son rôle de conseil, représentant ou défenseur de plus d’un client dans une même affaire en sorte que les limitations prévues à l’article 12 du RIBV au nom de ce principe ne sont pas justifiées ;

Qu’il s’ensuit que la restriction apportée par l’article 12.2 alinéas 5, 6, 7 et 8 du RIBV modifié, qui ne répond ni à la mise en 'uvre des dispositions de l’article R322-40 du CPCE qui réglemente le déroulement des enchères, ni à l’impératif de respect des principes essentiels de la profession d’avocat qui s’appliquent à l’ensemble des actes qu’ils accomplissent, apparaît constituer une atteinte excessive à la liberté d’exercice de la profession d’avocat ;

Qu’il convient, infirmant la décision du bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Versailles, d’annuler la délibération du conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Versailles en ce qu’elle a approuvé la modification de l’article 12 alinéas 5 à 8 du Règlement Intérieur du Barreau de Versailles ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant en audience solennelle, publiquement et contradictoirement,

Infirme la décision de rejet de la réclamation préalable à la saisine de la cour formée par Maître X Y,

Annule la délibération du conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Versailles du 25 novembre 2013 approuvant la modification de l’article 12 alinéas 5 à 8 du Règlement Intérieur du Barreau de Versailles .

Arrêt signé par Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président et Madame Sylvie RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER , LE PRÉSIDENT,

Sylvie RENOULT Marie-Gabrielle MAGUEUR

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