Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 26 novembre 2020, n° 19/04632
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CA Versailles, 12e ch., 26 nov. 2020, n° 19/04632 |
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Juridiction : | Cour d'appel de Versailles |
Numéro(s) : | 19/04632 |
Décision précédente : | Tribunal de commerce de Versailles, 6 juin 2019, N° 2019F00097 |
Dispositif : | Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée |
Sur les parties
- Président : François THOMAS, président
- Avocat(s) :
- Cabinet(s) :
- Parties :
Texte intégral
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 30Z
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 26 NOVEMBRE 2020
N° RG 19/04632 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TJH3
AFFAIRE :
C/
[…]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 07 Juin 2019 par le Tribunal de Commerce de Versailles
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 2019F00097
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Cécile FLECHEUX
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SIX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
N° SIRET : 722 01 4 7 84
[…]
92300 LEVALLOIS-PERRET
Représentant : Me Cécile FLECHEUX de la SCP BILLON & BUSSY-RENAULD & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 241 – N° du dossier 190077 – Représentant : Me Philippe POUX JALAGUIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0955
APPELANTE
****************
[…]
N° SIRET : 822 86 4 0 88
[…]
[…]
Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 – N° du dossier 19307
Représentant : Me Nathalie CARRERE de la SCP PONS ET CARRERE, Plaidantt, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A193 -
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 15 Octobre 2020 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Mme Véronique MULLER, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Mme Véronique MULLER, Conseiller,
Monsieur Bruno NUT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,
EXPOSE DU LITIGE
Selon contrat intitulé 'bail civil', daté du 3 mars 2017, la société Immobilière Herran (ci-après société
Herran) a donné en location à la société Horse Eventing une propriété dénommée Chateau de
L’Artoire, comprenant notamment des écuries et un chenil, située aux […]) pour une
durée de 6 mois du 15 mars au 15 septembre 2017, pour un loyer mensuel de 3.500 euros.
Il était précisé que le gérant de la société Horse Eventing désirait acquérir le château de l’Artoire, et
qu’une promesse de vente devait être signée 'dans les prochains jours', l’acquéreur souhaitant
entreprendre au plus vite ses travaux d’aménagement.
La vente ne s’étant pas réalisée, la société Horse Eventing a quitté les lieux le 15 septembre 2017.
Le 9 janvier 2018, la société Herran a établi une facture de loyers d’un montant de 21.000 euros pour
les 6 mois d’occupation des lieux. Elle a sollicité paiement de cette somme par courrier du 13 février
2018, valant mise en demeure. La société Horse Eventing s’est opposée au paiement au motif d’une
franchise de loyers durant les 6 mois d’occupation.
Par acte du 16 avril 2018, la société Herran a fait assigner la société Horse Eventing en référé devant
le président du tribunal de commerce de Versailles. Cette dernière ayant soulevé l’incompétence de
cette juridiction, la société Herran s’est désistée de son instance.
Par acte du 11 juillet 2018, la société Herran a fait assigner la société Horse Eventing devant le
tribunal d’instance de Rambouillet aux fins d’obtenir sa condamnation au paiement de la somme en
principal de 21.000 euros avec intérêts à compter du 9 janvier 2018.
Par jugement du 11 décembre 2018, le tribunal de Rambouillet s’est déclaré incompétent et a
renvoyé l’affaire devant le tribunal de commerce de Versailles.
Par jugement du 7 juin 2019, le tribunal de commerce de Versailles :
— a reçu la société Horse Eventing en son exception d’incompétence, l’y a dit mal fondée, I’en a
déboutée ;
— s’est déclaré compétent ;
— a débouté la société Immobilière Herran de l’ensembIe de ses demandes de paiement
— a ordonné à la société Immobilière Herran de restituer le chèque de 3 500 € qui lui a été remis par
la société Horse Eventing
— a débouté la société Horse Eventing de ses autres demandes ;
— dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’articIe 700 du code de procédure civile ;
— condamné la société Immobilière Herran aux dépens.
Par déclaration du 25 juin 2019, la société Immobilière Herran a interjeté appel du jugement en
toutes ses dispositions, à l’exception de celle relative à la compétence du tribunal de commerce de
Versailles.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 17 décembre 2019, la société Herran demande à la cour de :
— Infirmer en toutes ses dispositions de fond le jugement du tribunal de commerce de Versailles du 7
juin 2019,
— Dire et juger que la société Horse Eventing n’apporte à aucun moment la preuve de ce qu’elle aurait
effectué les travaux dans les locaux objet du bail, travaux qui constituaient la condition de la
franchise de loyer dont elle ne saurait dès lors se prévaloir.
— Rejeter comme dénuée de fondement la demande de la société Horse Eventing de restitution du
chèque de 3.500 euros non honoré en raison de la clôture du compte sur lequel il était tiré.
— Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
— Débouter la société Horse Eventing de son appel incident,
— Condamner la société Horse Eventing à payer à la société Herran une somme en principal de
21.000 euros avec intérêts prévus par l’article L441-6 du code de commerce, à compter du 9 janvier
2018,
— Condamner la société Horse Eventing au paiement de la somme de 7.000 euros sur le
fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 23 décembre 2019, la société Horse Eventing demande à la
cour de :
— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société Herran de sa demande tendant au
paiement des loyers pour la période du 15 mars au 15 septembre 2017 couverte par la franchise de
loyer de six mois prévue dans le contrat de bail ;
— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a ordonné à la société Herran d’avoir à restituer le
chèque de 3.500,00 € tiré sur la Société Générale et remis à titre de dépôt de garantie,
Y ajoutant,
— Dire et juger que la société Herran sera tenue de restituer ledit chèque dans les 8 jours du prononcé
de la décision à intervenir et sous astreinte de 100,00 € par jour de retard;
— Condamner la société Herran au paiement, au profit de la société Horse Eventing, d’une somme de
5.000,00 € en réparation du préjudice résultant de la procédure abusivement engagée à son encontre ;
— Condamner la société Herran au paiement d’une somme de 5.000,00 € en application de l’article
700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens de la présente procédure, dont distraction
conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 11 juin 2020.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement
déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure
civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande en paiement des loyers
Il résulte de l’article 1189 du code civil que toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par
rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier.
Le contrat de bail prévoit, à l’article 'loyer’ que :
'le présent bail est consenti et accepté moyennant un loyer mensuel de 3.500 euros payable d’avance
le 1er jour du mois pour les loyers mensuels. Compte tenu des travaux à prévoir, le bailleur
consentira au preneur une franchise de six mois de loyer (soulignement ajouté par la cour). Si le
preneur ne s’était pas porté acquéreur avant l’expiration dudit bail, le bailleur s’engage à rembourser
sur justificatifs, les travaux entrepris pour un maximum de 100.000 euros TTC et après accord
préalable du preneur (sic) avant la commande desdits travaux.'
La société Herran critique le jugement en ce qu’il a retenu que la franchise de loyer devait être
appliquée durant les 6 mois d’occupation, au motif que les travaux étaient 'à prévoir', ce qui
n’impliquait aucune obligation du preneur de les réaliser. Elle affirme que la franchise avait pour
contrepartie nécessaire la réalisation de travaux, de sorte qu’en l’absence de tout justificatif de
réalisation de ceux-ci, la franchise était inapplicable et les loyers étaient dûs. Elle fait valoir que la
fixation d’un loyer serait dépourvue de sens si le preneur pouvait s’en affranchir sans aucune
contrepartie et sans condition comme le soutient la société Horse Eventing.
La société Horse Eventing soutient que, compte tenu de l’état de délabrement du chateau, impropre à
la location, le bail prévoyait une franchise de loyer pour les 6 premiers mois d’occupation. Elle
affirme que la franchise n’était pas subordonnée à la réalisation de travaux qui n’étaient que
facultatifs, aucune obligation ne lui étant faite à cet égard. Elle ajoute que le loyer n’avait vocation à
être payé qu’au delà de la période de franchise de 6 mois.
*******
Les parties s’opposent quant au motif, ou à la contrepartie, de la franchise de loyer accordée au
preneur, le bailleur soutenant que la contrepartie était la réalisation de travaux par le preneur, tandis
que ce dernier soutient que la franchise était uniquement accordée en raison de l’état dégradé des
lieux, l’expression 'compte tenu des travaux à prévoir’ ne constituant qu’un constat de cet état
dégradé, et non pas une obligation pour le preneur de réaliser les travaux.
Les thèses opposées des parties doivent être appréciées au regard de l’ensemble des clauses du bail.
Il ressort de l’article intitulé 'entretien – travaux – réparations’ que le preneur : 's’oblige de prendre les
lieux et ses équipements dans l’état où ils se trouvent à la signature des présentes, le loyer ayant été
fixé en conséquence, (souligné par la cour) sans pouvoir réclamer pendant toute la durée du bail ou
de sa prorogation, des réparations de quelque nature que ce soit, même rendues nécessaires par la
force majeure, même en ce qui concerne les portes d’entrée, croisées et volets, et même de remplacer
s’il y a lieu ce qui ne pourrait être réparé.'
Il apparaît ainsi que les parties ont fixé le loyer en conséquence de l’état dans lequel les lieux se
trouvaient au moment de la signature du bail.Il s’en suit que la société Horse Eventing a bien accepté
de régler un loyer de 3.500 euros en pleine connaissance de cause de l’état des lieux au moment de la
signature du bail.
Si l’on devait admettre, pour les besoins du raisonnement, que la clause relative à la franchise doit se
comprendre comme étant la contrepartie de l’état délabré de l’immeuble, cela signifierait que le
preneur a, dans le même temps, accepté de régler un loyer de 3.500 euros en connaissance de l’état
délabré de l’immeuble, mais qu’il s’est également fait consentir une franchise pour le même motif de
délabrement de l’immeuble, ce qui ferait apparaître une contradiction flagrante entre les deux
clauses, les parties ne pouvant accepter, pour le même motif de l’état dégradé de l’immeuble, tout à la
fois le règlement d’un loyer de 3.500 euros, et une franchise du même montant.
Cette interprétation des clauses du bail, en ce qu’elle aboutirait à une contradiction flagrante entre
deux clauses ayant le même objet, à savoir le paiement du loyer, ne peut être retenue.
Il convient en outre de relever que l’interprétation donnée par le preneur aboutirait, soit à ce qu’il
réalise des travaux et obtienne une franchise de loyer, soit à ce qu’il ne réalise aucun travaux mais
obtienne tout de même la franchise de loyer et ce sans aucune contrepartie, ce qui n’est
manifestement pas le sens de la volonté commune des parties telle qu’elle ressort de la convention.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que seule l’interprétation fournie par le bailleur, à savoir que
la franchise accordée a pour contrepartie la réalisation de travaux par le preneur, respecte la
cohérence de l’acte dans son ensemble, de sorte qu’il convient de la faire prévaloir.
Le fait que le bailleur ait attendu la fin de la période de franchise, et même le mois de janvier 2018
pour établir la facture des loyers ne peut être interprété comme une renonciation de ce dernier au
paiement des loyers, une telle renonciation impliquant un acte positif dépourvu de toute équivoque,
et non pas une simple abstention comme en l’espèce.
Il n’est pas contesté que la société Horse Eventing n’a réalisé aucun travaux durant les 6 mois de son
occupation, de sorte qu’elle ne peut se prévaloir de la franchise de loyers.
Il convient donc de la condamner à payer à la société Herran la somme de 21.000 euros
correspondant aux 6 mois de loyer, outre intérêts au taux légal dès lors que les dispositions du code
de commerce sont inapplicables à un contrat de bail civil. Les intérêts commenceront à courir le 13
février 2018, date de la première mise en demeure.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la demande de restitution du chèque de 3.500 euros
Le premier juge a ordonné à la société Herran de restituer le chèque de 3 500 € qui lui a été remis par
le preneur à titre de dépôt de garantie, étant observé que ce chèque n’a pu être encaissé dès lors que
le compte bancaire de la société Horse Eventing avait été clôturé.
La société Horse Eventing sollicite la confirmation du jugement sur ce point, mais demande que
cette restitution se fasse sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
La société Herran soutient que cette demande de restitution du chèque est dénuée de fondement.
Il est établi que le chèque émis par la société Horse Eventing le 21 mars 2017 – porté à
l’encaissement par la société Herran le 16 janvier 2018 – lui a été retourné impayé au motif que le
compte bancaire de la société Horse Eventing était clôturé. Du fait de la clôture de ce compte
bancaire, le chèque – s’il était par impossible à nouveau présenté à l’encaissement – reviendrait à
nouveau impayé, de sorte qu’il n’est d’aucune utilité pour l’une ou l’autre des parties.
Le fait que le chèque émis soit revenu impayé ne justifie pas pour autant la demande de restitution
formée par son émetteur, d’autant qu’il n’existe aucun risque que ce chèque puisse un jour être
encaissé. Il n’y a donc pas lieu d’ordonner sa restitution à la société Horse Eventing. Le jugement
sera infirmé de ce chef.
Sur la demande indemnitaire formée par la société Horse Eventing
La société Horse Eventing soutient que le bailleur a introduit son action de manière abusive dès lors
qu’il est rédacteur du bail et ne pouvait donc ignorer la franchise de loyer.
Dès lors qu’il est fait droit à l’action introduite par le bailleur, celle-ci ne peut être qualifiée d’abusive.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande à ce titre.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
La société Horse Eventing qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et
d’appel.
Il sera alloué à la société Herran une somme de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Versailles du 7 juin 2019 en ce qu’il a rejeté la
demande formée par la société Horse Eventing au titre de la procédure abusive,
L’infirme pour le surplus,
Et statuant à nouveau,
Condamne la société Horse Eventing à payer à la société Immobilière Herran la somme de 21.000
euros au titre des loyers impayés pour la période du 15 mars au 15 septembre 2017, outre intérêts au
taux légal à compter du 13 février 2018,
Dit n’y avoir lieu à restitution du chèque de 3.500 euros émis sur un compte bancaire clôturé,
Condamne la société Horse Eventing à payer à la société Immobilière Herran la somme de 3.000
euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne la société Horse Eventing aux dépens de première instance et d’appel.
prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été
préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de
procédure civile.
signé par Monsieur François THOMAS, Président, et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la
minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,
Textes cités dans la décision