CAA de BORDEAUX, 2ème chambre - formation à 3, 25 avril 2018, 16BX01022, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 2e ch. - formation à 3, 25 avr. 2018, n° 16BX01022
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 16BX01022
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Poitiers, 2 février 2016, N° 1302987
Identifiant Légifrance : CETATEXT000036926705

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B… C… a demandé au tribunal administratif de Poitiers, d’une part, d’annuler la décision du 1er mars 2013 par laquelle le centre hospitalier de Ruffec l’a licencié, d’autre part, de l’indemniser des préjudices qu’il a subis à raison de ce licenciement.

Par un jugement n° 1302987 du 3 février 2016, le tribunal administratif de Poitiers a annulé le licenciement de M. C…, l’a renvoyé devant son employeur concernant la liquidation de ses préjudices financiers et a condamné le centre hospitalier de Ruffec à lui verser une somme de 500 euros au titre de son préjudice moral.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mars 2016 et un mémoire, enregistré le 3 novembre 2016, le centre hospitalier de Ruffec, représenté par Me E…, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 3 février 2016 ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. C… devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de M. C… la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés pour l’instance.

Il soutient que :

 – la sanction prononcée à l’encontre de M. C… n’était pas disproportionnée ;

 – les erreurs purement matérielles dont sont entachées sa convocation à un entretien et la décision prononçant son licenciement, demeurent sans incidence sur la régularité de cette décision;

 – M. C… ne peut prétendre ni à une indemnité de préavis dès lors qu’il a été licencié pour motif disciplinaire, ni à l’indemnisation de son préjudice moral dès lors que la décision litigieuse n’est pas disproportionnée ;

 – son appel incident est irrecevable dès lors qu’il a été enregistré postérieurement à l’expiration des délais d’appel et qu’il est fondé sur une cause juridique distincte de l’appel principal.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 mai 2016, M. C…, représenté par Me A…, conclut au rejet de la requête. Par la voie de l’appel incident, il demande également que le jugement attaqué soit réformé en tant qu’il n’a pas condamné le centre hospitalier de Ruffec à lui verser une somme de 20 000 euros au titre de son préjudice moral, que le centre hospitalier soit condamné à lui payer le montant des traitements auxquels il aurait pu prétendre depuis son éviction illégale et jusqu’à sa réintégration effective, déduction faite de son indemnisation par Pôle emploi et à ce qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du centre hospitalier de Ruffec au titre des frais exposés pour l’instance.

Il soutient que :

 – la décision prononçant son licenciement est disproportionnée au regard des faits qui lui sont reprochés, que certains des griefs qui y sont mentionnés ont déjà fait l’objet d’un avertissement – et non d’un blâme – et que le centre hospitalier ne peut justifier du bien fondé de cette décision par des faits qui ne figurent ni dans le rapport du 1er décembre 2011, ni dans la lettre du 8 décembre 2011, ni dans la lettre de licenciement et qui ne sont ni datés ni précisés ;

 – s’agissant des faits de conduite sans permis, l’établissement n’a pas agi dans un délai raisonnable ;

 – l’annulation de son licenciement implique qu’il doit être réintégré dans ses fonctions ;

 – il a droit à la réparation de ses préjudices moraux et financiers ;

 – il n’a pas été invité à consulter son dossier et n’a pas été informé qu’il pouvait être accompagné de la personne de son choix lors de l’entretien préalable à son licenciement.

M. C… a été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par une décision du 31 mai 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 ;

 – le décret n°91-155 du 6 février 1991 ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. D…,

 – et les conclusions de M. Katz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C… a été recruté sur un poste d’agent d’entretien qualifié par le centre hospitalier de Ruffec en contrat à durée déterminée, puis indéterminée, à compter du 1er octobre 2003. Il a fait l’objet d’un licenciement pour faute le 1er mars 2013. Le centre hospitalier de Ruffec demande à la cour d’annuler le jugement du 3 février 2016 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé le licenciement de M. C…, l’a renvoyé devant le centre hospitalier concernant la liquidation de ses préjudices financiers et a condamné ce dernier à lui verser une somme de 500 euros au titre de son préjudice moral. M. C… a présenté des conclusions incidentes tendant à la réformation du jugement attaqué en tant qu’il n’a pas condamné le centre hospitalier de Ruffec à lui verser une somme de 20 000 euros au titre de son préjudice moral et à ce que cet établissement soit condamné à lui verser une somme correspondant au montant des traitements auxquels il aurait pu prétendre depuis son éviction illégale et jusqu’à sa réintégration effective, déduction faite de son indemnisation par Pôle emploi.

Sur la légalité du licenciement de M. C… :

2. Aux termes de l’article 39 du décret n°91-155 du 6 février 1991 : " Les sanctions disciplinaires susceptibles d’être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : 1 L’avertissement ; 2 Le blâme ; 3 L’exclusion temporaire des fonctions avec retenue de traitement pour une durée maximale de six mois pour les agents recrutés pour une période déterminée et d’un an pour les agents sous contrat à durée indéterminée ; 4 Le licenciement, sans préavis ni indemnité de licenciement. / La décision prononçant une sanction disciplinaire doit être motivée. ". Il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

3. La décision litigieuse du 1er mars 2013, portant licenciement de M. C… pour motif disciplinaire et non à raison de son insuffisance professionnelle ainsi qu’il est indiqué par erreur dans cette décision, est fondée, en premier lieu, sur un « comportement dégradé malgré le recadrement à plusieurs reprises par votre hiérarchie provoquant une déstabilisation de l’équipe » et à un « comportement délétère en dépit de l’aide apportée par l’encadrement ». Toutefois, ces griefs ne sont assortis d’aucune précision et le centre hospitalier se borne à produire, en défense, la fiche d’évaluation de M. C… au titre de l’année 2012, laquelle est partiellement illisible et dont il ressort seulement qu’en dépit d’un travail de qualité, l’intéressé doit « urgemment prendre conscience des efforts à faire pour remonter la pente » et améliorer son comportement à l’égard de ses collègues. Dans ces conditions, les griefs liés au comportement général de M. C… ne peuvent être regardés comme établis.

4. La décision litigieuse est fondée, en second lieu, sur la conduite sans permis d’un véhicule du centre hospitalier de Ruffec le 9 février 2012, dans le cadre d’une opération de sablage se déroulant dans l’enceinte de l’établissement. Ces faits, qui présentent un caractère fautif, ne sont pas contestés par M. C… et étaient susceptibles de justifier une sanction disciplinaire même si le centre hospitalier a attendu plus d’un an avant d’en faire grief à l’intéressé en dépit d’un rapport établi dès le lendemain par le responsable des services techniques.

5. Le licenciement de M. C… est également fondé, en dernier lieu, sur l’altercation qui l’a opposé à un collègue le 12 février 2013 et dont le caractère fautif n’est pas non plus contesté. Toutefois, le rapport établi à cette occasion par son supérieur hiérarchique, qui n’était pas présent lors de cette altercation, se borne à indiquer que M. C… a agressé verbalement puis physiquement un de ses collègues sans faire état des explications de ce dernier ni préciser les motifs et la gravité de cette altercation.

6. Dans ces conditions, il ressort des pièces du dossier que la sanction dont M. C… a fait l’objet est disproportionnée à la gravité des seuls faits fautifs qui sont établis, parmi ceux qui lui étaient reprochés, sans que le centre hospitalier de Ruffec puisse utilement se prévaloir d’autres faits que ceux qui ont motivé cette sanction pour en établir le bien fondé. Par suite, le centre hospitalier de Ruffec n’est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué du 3 février 2016, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 1er mars 2013 par laquelle il a prononcé le licenciement de M. C.sans incidence sur la régularité de cette décision

Sur les conclusions indemnitaires :

7. En premier lieu, il résulte de l’instruction, en particulier de la requête du centre hospitalier, que celui-ci a entendu contester le bien fondé des indemnités que les premiers juges l’ont condamné à verser à M. C.sans incidence sur la régularité de cette décision Dés lors, l’appel incident par lequel celui-ci a demandé la réformation du jugement attaqué en tant qu’il n’avait pas entièrement fait droit à ses demandes indemnitaires et a présenté de nouvelles conclusions tendant à l’indemnisation de son préjudice économique, ne soulève pas un litige distinct des conclusions de l’appel principal. Par suite, le centre hospitalier de Ruffec n’est pas fondé à soutenir que cet appel incident serait irrecevable compte tenu de sa tardiveté.

8. En second lieu, d’une part, l’annulation contentieuse d’une mesure prononçant l’éviction d’un agent public implique nécessairement, à titre de mesure d’exécution, la réintégration de ce dernier dans ses précédentes fonctions ou dans des fonctions équivalentes. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l’illégalité commise présente, compte tenu de l’importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l’encontre de l’intéressé, un lien direct de causalité. Pour l’évaluation du montant de l’indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l’intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l’exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l’exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l’agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d’éviction.

9. D’autre part, la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d’un fait qu’elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d’appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n’avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur. Cette personne n’est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s’est aggravé ou s’est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu’elle attaque.

10. Il résulte en l’occurrence de l’instruction que le centre hospitalier n’établit ni même ne soutient qu’en exécution du jugement attaqué, il a procédé à la réintégration de M. C… ainsi qu’il y était tenu. Dès lors, ce dernier, qui avait sollicité, devant les premiers juges, des indemnités de licenciement ainsi que des dommages et intérêts pour un montant global de 31 549,15 euros est non seulement recevable à demander devant le juge d’appel, la réparation intégrale des préjudices économique et moral qu’il a effectivement subis du fait du caractère irrégulier de son éviction qui se rattachent au même fait générateur mais, également, à majorer, en appel, ses prétentions dès lors que son préjudice financier s’est nécessairement aggravé depuis le jugement attaqué.

11. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 du présent arrêt que la mesure d’éviction dont M. C… a fait l’objet était disproportionnée à la gravité des faits dont il s’est rendu coupable. Il résulte également de l’instruction que cette éviction est intervenue au terme d’une procédure irrégulière dès lors que M. C… n’a pas été informé de son droit à communication de son dossier individuel en méconnaissance des dispositions de l’article 40 du décret n°91-155 du 6 février 1991 en vertu desquelles « L’agent contractuel à l’encontre duquel une sanction disciplinaire est envisagée a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes. L’intéressé doit être informé par écrit de la procédure engagée et des droits qui lui sont reconnus. ». Par suite, compte tenu de l’importance respective des illégalités susmentionnées et des fautes relevées à l’encontre de l’intéressé, il y a lieu de condamner le centre hospitalier à verser à M. C… la différence entre, d’une part, les traitements nets dont il a été privé entre le 13 mars 2013 et sa réintégration au sein du centre hospitalier de Ruffec, à l’exclusion des indemnités liées à l’exercice effectif des fonctions, et, d’autre part, ses revenus de toute nature afférents à la même période, notamment l’allocation d’aide au retour à l’emploi dont il a bénéficié.

12. En troisième lieu et compte tenu, à nouveau, de l’importance respective des illégalités susmentionnées et des fautes relevées à l’encontre de l’intéressé, il sera fait une juste appréciation de son préjudice moral en l’évaluant à la somme de 500 euros.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Ruffec une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. C… et non compris dans les dépens. En revanche, les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que demande le centre hospitalier de Ruffec soit mise à la charge de M. C…, qui n’est pas la partie perdante, dans la présente instance.

DÉCIDE :


Article 1er : La requête du centre hospitalier de Ruffec est rejetée.

Article 2 : Le centre hospitalier de Ruffec est condamné à verser à M. C… la somme de 500 euros au titre de son préjudice moral ainsi que la différence entre, d’une part, les traitements nets dont il a été privé entre le 13 mars 2013 et sa réintégration au sein du centre hospitalier de Ruffec, à l’exclusion des indemnités liées à l’exercice effectif des fonctions, et, d’autre part, ses revenus de toute nature afférents à la même période.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 3 février 2016 est réformé en tant qu’il est contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le centre hospitalier de Ruffec versera à M. C… une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative


Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B… C… et au centre hospitalier de Ruffec.

Délibéré après l’audience du 20 mars 2018 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 25 avril 2018


Le rapporteur,

Manuel D…

Le président,

Éric Rey-BèthbéderLe greffier,

Vanessa Beuzelin

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

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N°16BX01022

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