CAA de BORDEAUX, 5ème chambre, 16 novembre 2021, 19BX02695, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Bordeaux, 5e ch., 16 nov. 2021, n° 19BX02695
Juridiction : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Numéro : 19BX02695
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Rejet
Identifiant Légifrance : CETATEXT000044339556

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 21 juin 2019 et des mémoires enregistrés les 16 novembre 2020 et 30 décembre 2020, la société Centrale Eolienne des Portes de la Brenne, représentée par Me Gandet, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de ne pas admettre l’intervention ;

2°) d’annuler l’arrêté du 23 avril 2019 par lequel le préfet de l’Indre a refusé de lui délivrer l’autorisation unique de construire et d’exploiter un parc éolien composé de sept aérogénérateurs et de deux postes de livraison, sur les territoires des communes d’Argenton-sur Creuse, de Celon et de Vigoux ;

3°) de lui délivrer l’autorisation sollicitée ;

4°) à titre subsidiaire, d’enjoindre au préfet de délivrer cette autorisation ;

5°) à titre infiniment subsidiaire, d’enjoindre au préfet de l’Indre de procéder au réexamen de sa demande dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;

6°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – la requête en intervention est irrecevable en l’absence de conclusions auxquelles s’associer et de notification de la requête en intervention ; l’association Pas de Vent Chez Nous-Avenir Boischaut Sud n’est pas recevable à intervenir dès lors que l’objectif de protection des paysages ne saurait suffire à lui conférer un intérêt à agir et que ses statuts ont été déposés le 3 février 2017, bien après le dépôt de la demande d’autorisation unique en méconnaissance de l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme ; les membres de l’association étant les mêmes personnes que les intervenants personnes physiques, l’association a été créée spécifiquement pour faire obstacle au projet éolien de la société exposante et plus particulièrement pour pallier le défaut d’intérêt à agir de ses membres ; par ailleurs, une association qui n’a pas d’intérêt distinct de son président doit être considérée comme entendant défendre les seuls intérêts personnels de ce dernier, et n’est donc pas recevable à agir ; les personnes physiques ne justifient pas d’un intérêt à intervenir dès lors qu’elles n’établissent ni visibilité, ni aucune atteinte à leurs conditions d’occupation ;

 – l’arrêté contesté est entaché d’un vice de procédure faute pour l’autorité compétente de justifier de ce que le gestionnaire de l’autoroute A20 aurait été consulté sur le projet en application de l’article R. 423-50 et suivants du code de l’urbanisme ;

 – le préfet a commis une erreur d’appréciation sur l’impact paysager du projet dès lors que le site d’implantation du projet ne présente pas d’intérêt particulier au sens de la jurisprudence et que l’impact sur les monuments énumérés dans son arrêté n’est pas significatif ;

 – le préfet a commis une erreur d’appréciation quant au risque pour la sécurité publique dès lors que l’acceptabilité des risques vis-à-vis des usagers de l’autoroute A20 est justifiée par les distances d’éloignement suffisantes ainsi que par la mise en œuvre de mesures de sécurité ;

 – le moyen tiré de l’atteinte aux lieux de vie est inopérant dès lors qu’un intervenant ne peut invoquer de nouveaux motifs ni demander de substitution de motifs au juge ; en tout état de cause, cette atteinte est limitée.

Par des mémoires en intervention, enregistrés les 20 mars 2020, 23 décembre 2020 et 15 janvier 2021, l’association Pas de Vent Chez Nous-Avenir Boischaut Sud, M. A… B…, M. C… D… et M. et Mme E…, représentés Me Cadro, concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que :

 – ils justifient tous d’un intérêt à intervenir en défense ; le président de l’association a reçu mandat de l’assemblée générale pour ester en justice ;

 – l’avis du gestionnaire de l’autoroute A20 n’est pas obligatoire mais laissé à la discrétion du préfet alors en outre que ce n’est qu’à titre surabondant et uniquement pour les éoliennes E6 et E7 que l’atteinte à la sécurité publique a été mise en avant ; en tout état de cause, l’absence de consultation ne constitue pas un vice substantiel susceptible de conduire à l’annulation de l’arrêté litigieux ;

 – le préfet n’a commis aucune erreur d’appréciation sur l’impact paysager du projet ; le projet sera implanté au sein du parc régional de la Brenne, dans l’entité paysagère du Boischaut Méridional qui présente un intérêt majeur ; l’aire d’étude rapprochée comprend de nombreux monuments et sites classés ou protégés ainsi que de nombreux hameaux et lieux de vie ; le projet portera une atteinte démesurée au cadre de vie des riverains, 26 lieux de vie étant situés en enjeux de covisibilité forte à modérée dans l’étude paysagère dont le Terrier Joli, le hameau Les Crasseaux, depuis le belvédère d’Argenton-sur-Creuse, le village Le Menoux, depuis Saint-Marcel ; l’étude du carnet de photomontages, bien que non exhaustive, fait ressortir une atteinte patente à la commodité du voisinage ;

 – les atteintes au patrimoine bâti retenues par le préfet sont patentes ; c’est la multiplicité des atteintes qui justifie le rejet du projet ;

 – s’agissant de l’atteinte à la sécurité publique, le préfet ne s’est pas fondé uniquement sur le risque de chute de pale mais sur l’ensemble des dangers potentiels pouvant intervenir du fait d’une éolienne ; le nombre d’accidents d’éoliennes a fortement augmenté depuis 2018 et le risque est plus élevé pour les personnes ou véhicules stationnés et statiques.

Par un mémoire en défense, enregistré 25 novembre 2020, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de l’environnement ;

 – le code de l’urbanisme ;

 – l’ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 ;

 – le décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 ;

 – l’arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent au sein d’une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement modifié par l’arrêté du 22 juin 2020 ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme Birsen Sarac-Deleigne,

 – les conclusions de M. Stéphane Gueguein, rapporteur public,

 – et les observations de Me Deldique, représentant la société Centrale Eolienne des Portes de la Brenne, et de Me Cadro, représentant l’association Pas de Vent Chez Nous-Avenir Boischaut Sud et autres.

Considérant ce qui suit :

1. La société Centrale Eolienne des Portes de la Brenne a déposé, le 4 août 2016, une demande d’autorisation unique, complétée en dernier lieu en juin 2018, en vue de l’implantation et l’exploitation d’un parc éolien composé de sept aérogénérateurs d’une hauteur de 184 mètres en bout de pale et de deux postes de livraison sur le territoire des communes d’Argenton-sur-Creuse, de Celon et de Vigoux. Par un arrêté du 23 avril 2019, le préfet de l’Indre a rejeté cette demande. La société Centrale Eolienne des Portes de la Brenne demande à la cour, sur le fondement des dispositions du 2° de l’article R. 311-5 du code de justice administrative, d’annuler cet arrêté.

Sur l’intervention de l’association Pas de Vent Chez Nous-Avenir Boischaut Sud et autres :

2. En premier lieu, une intervention ne peut être admise que si son auteur s’associe soit aux conclusions de l’appelant, soit à celles du défendeur. Il résulte de l’instruction que la ministre de la transition écologique a présenté un mémoire en défense tendant au rejet de la requête, enregistré le 25 novembre 2020. Ainsi, les intervenants, qui concluent au rejet de la requête, doivent être regardés comme s’associant aux conclusions en défense de la ministre.

3. En deuxième lieu, pour contester la recevabilité de l’intervention de l’association Pas de Vent Chez Nous-Avenir Boischaut Sud, la société requérante fait valoir l’absence de notification de la requête en intervention ainsi que l’absence de dépôt des statuts au moins un an avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire. Toutefois, la société requérante ne peut utilement se prévaloir des moyens tirés de la méconnaissance de l’article 25 du décret du 2 mai 2014 et de l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme qui s’appliquent aux actions et non aux interventions.

4. En troisième lieu, l’association Pas de Vent Chez Nous-Avenir Boischaut Sud, dont l’objet social est de préserver les paysages et l’environnement du Boischaut Sud et de ses alentours, inclus dans le parc naturel régional de la Brenne, justifie, au regard de son champ d’intervention, géographique comme matériel, d’un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des conclusions de la ministre de la transition écologique. La circonstance que certains intervenants personnes physiques sont également membres de l’association, ne saurait suffire pour permettre d’estimer que l’association a été créée dans un but autre que celui qu’elle est censée poursuivre à travers son objet social.

5. En quatrième lieu, dès lors qu’au moins l’un des intervenants est recevable, une intervention collective est recevable. Il suit de là que, sans qu’il soit besoin d’examiner l’intérêt à intervenir des autres intervenants personnes physiques, l’intervention de l’association Pas de Vent Chez Nous-Avenir Boischaut Sud et autres est recevable.

Sur la légalité de l’arrêté du 23 avril 2019 :

6. Aux termes de l’article 3 de l’ordonnance du 20 mars 2014 : « L’autorisation unique ne peut être accordée que si les mesures que spécifie l’arrêté préfectoral permettent de prévenir les dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l’environnement (…) ». Aux termes de l’article L. 511-1 du code de l’environnement : « Sont soumis aux dispositions du présent titre (…), les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (…) ». Aux termes de l’article L. 512-1 dudit code : « Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l’article L. 511-1. L’autorisation ne peut être accordée que si ces dangers ou inconvénients peuvent être prévenus par des mesures que spécifie l’arrêté préfectoral. ».

7. Il résulte de l’instruction que la zone d’implantation du projet, constituée de grandes parcelles agricoles clôturées ou bordées de haies bocagères, est située dans l’unité paysagère du Boischaut Sud qui s’inscrit dans la continuité de la Basse Marche, délimitée au nord par la Brenne. Cette unité paysagère se caractérise par un relief vallonné, occupé par des terres de labour ou des prairies délimitées par une structure bocagère encore dense. La vallée de la Creuse, et dans une moindre mesure celles de la Sonne et de l’Anglin au sud, strient le plateau selon un axe nord-ouest/sud-est. Ce secteur est marqué par un paysage bocager de qualité, peu modifié, comportant des vallons et vallées traversées par plusieurs cours d’eau. Les nombreux boisements et les effets de filtre et d’écran créés par les structures bocagères donnent une impression de tranquillité et d’isolement, malgré la proximité de l’autoroute et de la voie ferrée. Le secteur se caractérise également par un nombre important de monuments inscrits ou classés dans un rayon de 5 à 10 kilomètres autour du projet.

8. Il résulte de l’instruction, et en particulier des différents photomontages produits par le pétitionnaire, que compte tenu de son implantation en ligne de crête à une altitude relativement élevée comprise entre 200 et 230 mètres, l’implantation de sept éoliennes d’une hauteur en bout de pale de 184 mètres, entrainera des situations de co-visibilité avec plusieurs monuments historiques protégés.

9. Il en va ainsi notamment pour le temple et la fontaine Les Mersans, vestiges archéologiques protégés au titre des monuments historiques et situés à proximité du musée d’Argentomagus, sur le territoire de la commune de Saint-Marcel. Il ressort notamment du photomontage 12a une omniprésence du parc éolien en arrière-plan des vestiges, lesquelles bénéficient d’un cadre naturel et particulièrement préservé. Il résulte de l’instruction qu’en raison des dimensions des éoliennes, et alors que les vues sont lointaines, le parc projeté qui ne s’intègre pas à l’environnement naturel existant, est de nature à entraîner une dénaturation du paysage formant le cadre de ce site.

10. Il en va de même pour le théâtre Les Douces, ancien amphithéâtre romain classé au titre des monuments historiques, situé au sommet du coteau en rive droite de la Creuse sur le territoire de la commune de Saint-Marcel à 5 kilomètres du parc. Il résulte de l’étude d’impact et notamment des photomontages 13a et 13b produits par le pétitionnaire que les éoliennes, compte tenu de leur position dominante en ligne de crête et de leur hauteur, émergent de la végétation au sommet du coteau sur lequel est situé l’amphithéâtre, qu’elles sont toutes les sept bien visibles depuis les vestiges et occupent un très large champ d’horizon. Elles modifient ainsi le cadre naturel du fond de scène du théâtre qui représente un intérêt paysager majeur pour la mise en valeur de ce monument et portent une atteinte significative à l’intérêt patrimonial du site. Si la société pétitionnaire soutient que des éléments déjà anthropisés sont présents à proximité du site, ils ne sont que partiellement visibles du fait de la présence de masques végétaux et n’entrent pas directement en concurrence visuelle avec le théâtre, contrairement aux éoliennes.

11. Il suit de là que, compte tenu des inconvénients que présente le projet sur le paysage et la conservation des sites et monuments avoisinants le parc, en refusant l’autorisation unique sollicitée, le préfet n’a pas fait une inexacte application des dispositions précitées. Il résulte de l’instruction que le préfet de l’Indre aurait pris la même décision en se fondant sur ces seuls motifs qui suffisent à justifier légalement cette décision.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Centrale Eolienne des Portes de la Brenne n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 23 avril 2019. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins de délivrance de l’autorisation sollicitée, d’injonction et celles présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : L’intervention de l’association Pas de Vent Chez Nous-Avenir Boischaut Sud, de M. A… B…, de M. C… D… et M. et Mme E… est admise.

Article 2 : La requête de la société Centrale Eolienne des Portes de la Brenne est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Centrale Eolienne des Portes de la Brenne, à la ministre de la transition écologique et à l’association Pas de Vent Chez Nous-Avenir Boischaut Sud, désignée en application de l’article R.751-3 du code de justice administrative.

Une copie en sera adressée au préfet de l’Indre.

Délibéré après l’audience du 12 octobre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
Mme Laury Michel, première conseillère,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 novembre 2016.

La rapporteure,

Birsen Sarac-DeleigneLa présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.

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N° 19BX02695

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