Cour administrative d'appel de Lyon, 3 février 2023, n° 22LY00991

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Lyon, 3 févr. 2023, n° 22LY00991
Juridiction : Cour administrative d'appel de Lyon
Numéro : 22LY00991
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Lyon, 22 mars 2022, N° 2200725
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 8 février 2023

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme H F et M. G B ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon d’ordonner une expertise, sur le fondement des dispositions de l’article R. 532-1 du code de justice administrative, au contradictoire des hospices civils de Lyon, aux fins de déterminer s’ils sont les parents biologiques de l’enfant Laureline B F, de préciser les conditions dans lesquelles la procédure de fécondation in vitro a été réalisée et de dire si une éventuelle incompatibilité génétique a entraîné un risque de transmission de maladie génétique à l’enfant ou a été à l’origine des complications de grossesse subies par Mme F, et de décrire les préjudices subis par Mme F, M. B et leur enfant.

Par une ordonnance n° 2200725 du 23 mars 2022 le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 31 mars 2022, Mme F et M. B, représentés par la SAS Mermet et associés agissant par Me Noetinger-Berlioz, demandent au juge des référés de la cour :

1°) d’annuler l’ordonnance n° 2200725 du 23 mars 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Lyon ;

2°) d’ordonner l’expertise demandée, au contradictoire des hospices civils de Lyon et du professeur C E.

Ils soutiennent que :

— Mme F a subi une ponction ovarienne, le 27 avril 2018, et plusieurs tentatives de fécondation in vitro, en avril, mai et juillet 2018, dans les services des hospices civils de Lyon, à la suite desquelles elle a donné naissance le 18 mars 2019 à Laureline B F, après une grossesse particulièrement difficile ;

— l’enfant a présenté des difficultés dans l’apprentissage de la marche, des troubles de l’oralité et des difficultés d’élocution ;

— l’enfant est de « type métissé », alors que M. B et Mme F sont de « type caucasien » sans origine étrangère, des tests salivaires réalisés par un laboratoire d’analyse génétique britannique indiquant une probabilité de filiation nulle en ce qui concerne Mme F et de 99,99 % en ce qui concerne M. B ;

— une expertise génétique est nécessaire pour confirmer l’existence d’une erreur de traitement des gamètes, déterminer s’il existe une éventuelle incompatibilité génétique entre les géniteurs ou une pathologie génétique potentiellement transmissible à l’origine des troubles de l’enfant et des difficultés rencontrées par Mme F durant sa grossesse et décrire les préjudices de l’enfant et de ses parents ;

— l’objectif de l’expertise réclamée est de démontrer l’existence d’une faute des hospices civils de Lyon et de permettre l’évaluation des préjudices en résultant, les requérants ne contestant pas être les parents de l’enfant puisque la filiation paternelle est reconnue et la filiation maternelle est établie par l’accouchement en vertu de l’article 332 du code civil.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mai 2022, les hospices civils de Lyon, représentés par la SELAS Seban Auvergne, agissant par Me Lantero, concluent :

1°) au prononcé de la mesure d’expertise demandée par les requérants pour déterminer, en premier lieu, si Laureline B F est la fille biologique de M. B et de Mme F et, en deuxième lieu, dans le cas où Mme F ne serait pas la mère biologique de l’enfant, si les problèmes de l’enfant ont une origine génétique, héréditaire ou spontanée, ou si une incompatibilité génétique est susceptible d’expliquer les difficultés auxquelles Mme F a été confrontée durant sa grossesse ou les problèmes de l’enfant et évaluer les préjudices de l’enfant ;

2°) au rejet du surplus des conclusions des requérants.

Ils soutiennent que :

— une erreur d’ovocyte lors de la procédure d’assistance médicale à la procréation n’est pas établie, le test génétique réalisé illégalement à l’étranger ne présentant pas des garanties de fiabilité suffisantes ;

— la mesure d’expertise demandée est utile, une telle expertise ne pouvant avoir lieu sans décision juridictionnelle ;

— le professeur E, médecin exerçant à titre libéral, intervenu à ce titre au stade de la ponction ovocytaire et du transfert d’embryon doit être appelé à l’instance comme le demandent les requérants ;

— l’expert devra être choisi sur une liste d’expert agréés dans les conditions fixées par le décret n° 97-109 du 6 février 1997 et une analyse par prélèvement sanguin devra être privilégiée compte tenu de ses meilleures performances ;

— la mission de l’expert doit être circonscrite au strict nécessaire.

La caisse primaire d’assurance maladie de la Loire, appelée à l’instance en application de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, a indiqué qu’elle ne s’oppose pas à la demande d’expertise sollicitée et qu’elle chiffrera ses débours après le dépôt du rapport d’expertise.

Par décision du 1er septembre 2022, le président de la cour a désigné M. François Pourny, président de chambre, comme juge des référés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

— le code civil ;

— le code de la santé publique ;

— le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme H F et M. G B ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon d’ordonner une expertise, sur le fondement de l’article R. 532-1 du code de justice administrative, aux fins de déterminer s’ils sont les parents biologiques de leur fille I B F, née d’une procédure de fécondation in vitro, de préciser les conditions dans lesquelles cette procédure de fécondation in vitro a été réalisée, de dire si les difficultés rencontrées par Mme F durant sa grossesse et les problèmes auxquels est confrontée l’enfant sont en lien avec une éventuelle erreur au cours de cette procédure de fécondation in vitro, de décrire les préjudices résultant d’une telle erreur et de fournir les éléments nécessaires à l’évaluation de leurs préjudices. Ils contestent l’ordonnance du 23 mars 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.

2. Aux termes de l’article L. 555-1 du code de justice administrative : « Sans préjudice des dispositions du titre II du livre V du présent code, le président de la cour administrative d’appel ou le magistrat qu’il désigne à cet effet est compétent pour statuer sur les appels formés devant les cours administratives d’appel contre les décisions rendues par le juge des référés ». Selon le premier alinéa de l’article R. 532-1 du même code : « Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l’absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d’expertise ou d’instruction ». Il ressort de ces dispositions que l’octroi d’une mesure d’expertise est subordonné à son utilité pour le règlement d’un litige principal apprécié en tenant compte, notamment, de l’existence d’une perspective contentieuse recevable, des possibilités ouvertes au demandeur pour arriver au même résultat par d’autres moyens, de l’intérêt de la mesure pour le contentieux né ou à venir. Il appartient au juge des référés, saisi d’une demande d’expertise, d’apprécier son utilité au vu des pièces du dossier et au regard des motifs de droit et de fait qui justifient, selon la demande, la mesure sollicitée.

3. Aux termes de l’article 16-11 du code civil : " L’identification d’une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée que : 1° Dans le cadre de mesures d’enquête ou d’instruction diligentées lors d’une procédure judiciaire ; () / En matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu’en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides. () ".

4. Pour refuser de diligenter l’expertise sollicitée par Mme F et M. B le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a retenu qu’en application de l’article 16-11 du code civil, il appartient au seul juge saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou à la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou à la suppression de subsides, d’ordonner l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques et que les requérants disposaient déjà des résultats d’un test réalisé en Angleterre. Toutefois, le test réalisé en Angleterre ne saurait être retenu dès lors qu’il a été réalisé illégalement et ne présente aucune garantie de fiabilité et la mesure d’expertise demandée ne tend pas à l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques, l’identité de Mme I B F, fille de Mme F et de M. B, n’étant pas contestée, mais à l’identification d’une éventuelle erreur dans la manipulation d’un ou plusieurs ovocytes au cours d’une procédure de fécondation in vitro, afin d’obtenir la réparation des préjudices liés à cette erreur, si son existence est établie, dans le cadre d’une procédure dirigée contre les hospices civils de Lyon devant la juridiction administrative. Dès lors, les requérants sont fondés à soutenir, comme le font également les hospices civils de Lyon, que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de Mme F et de M. B.

5. En l’espèce, la mesure d’expertise demandée ayant une utilité dans la perspective d’une action en responsabilité à l’encontre des hospices civils de Lyon et les requérants soutenant sans être contredits qu’ils ne disposent pas d’autre possibilité d’établir légalement l’existence d’une éventuelle erreur au cours de la procédure de fécondation in vitro mise en œuvre pour la conception de leur fille, il y a lieu d’ordonner une expertise aux fins de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse émise par les requérants d’une erreur de manipulation d’ovocyte, le fait que M. B soit le père de l’enfant n’étant pas contesté.

6. Si l’ovocyte fécondé reçu par Mme F ne provenait pas d’un prélèvement opéré sur sa personne, il appartiendra à l’expert de décrire la procédure de fécondation in vitro suivie par les intéressés et d’indiquer si les requérants avaient été informés que Mme F était susceptible de recevoir un ovocyte ne lui appartenant pas et s’ils avaient donné leur accord à une telle éventualité. Il lui appartiendra également de décrire les troubles auxquels est confrontée la jeune I B F et de préciser si le fait que l’ovocyte fécondé ne provienne pas d’un prélèvement opéré sur Mme F est susceptible d’être à l’origine de ces troubles ou des difficultés auxquelles Mme F a été confrontée durant sa grossesse.

7. Dans l’attente des résultats de l’expertise ordonnée par la présente ordonnance, d’une part, et de la consolidation de l’état de l’enfant, d’autre part, il n’apparait pas suffisamment utile d’évaluer les préjudices éventuels et de désigner un expert psychiatre avec pour mission d’examiner l’état actuel des intéressés et de dire si cet état est en lien avec une éventuelle faute des hospices civils de Lyon durant la procédure de fécondation in vitro suivie par Mme F et M. B.

8. Eu égard à l’objet de l’expertise demandée, il y a lieu de mettre en cause la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire, agissant pour le compte de la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Savoie, et le professeur E, médecin exerçant à titre libéral, qui est intervenu dans la procédure de fécondation in vitro en question.

ORDONNE :

Article 1er : L’ordonnance n° 2200725 du 23 mars 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Lyon est annulée.

Article 2 : Le Professeur A D est désigné en qualité d’expert avec pour mission, au contradictoire de M. B, Mme F, des hospices civils de Lyon, du professeur E et de la caisse primaire d’assurance maladie de la Loire agissant pour le compte de la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Savoie, de :

— se faire communiquer et prendre connaissance de l’entier dossier médical concernant la procédure de conception de l’enfant Laureline B F en 2018 ;

— après avoir recueilli les consentements de Mme F et M. B, prélever des échantillons sanguins sur Mme F, M. B et Mme I B F et procéder aux analyses nécessaires pour infirmer ou confirmer les allégations des requérants selon lesquelles cette enfant n’aurait pas été conçue de la fécondation in vitro d’un ovocyte de Mme F ;

— dans l’hypothèse où cette enfant n’aurait pas été conçue par la fécondation d’un ovocyte de Mme F, examiner les troubles dont souffre cette enfant et dire dans quelle mesure ces troubles ont une origine génétique, héréditaire ou résultant d’une mutation spontanée, en lien avec l’ovocyte fécondé lors de la procédure de fécondation in vitro effectuée ou avec des complications de grossesse trouvant leur origine dans le fait que l’ovocyte fécondé ne soit pas un ovocyte provenant de Mme F ;

— plus généralement donner tous les éléments techniques permettant d’apprécier les responsabilités éventuellement encourues et recueillir tous autres éléments utiles, sans toutefois rechercher l’identité de la personne sur laquelle l’ovocyte fécondé a été prélevé dans l’hypothèse où cette personne ne serait pas Mme F.

Article 3 : Les opérations d’expertise auront lieu contradictoirement entre, d’une part, M. B, Mme F, les caisses primaires d’assurance maladie de la Haute-Savoie et de la Loire et, d’autre part, les hospices civils de Lyon et le professeur E.

Article 4 : L’expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l’autorisation préalable du président de la cour.

Article 5 : L’expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires dans un délai de trois mois et en notifiera des copies aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification peut s’opérer sous forme électronique.

Article 6 : Les frais et honoraires de l’expertise seront mis à la charge de la partie désignée, ou des parties désignées, dans l’ordonnance par laquelle le président de la cour liquidera et taxera ces frais et honoraires.

Article 7 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme H F, M. G B, aux caisses primaires d’assurance maladie de la Loire et de la Haute-Savoie, aux hospices civils de Lyon et au professeur C E ainsi qu’au professeur A D, expert.

Fait à Lyon, le 3 février 2023.

Le président de la 6ème chambre,

Juge des référés

François Pourny

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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Cour administrative d'appel de Lyon, 3 février 2023, n° 22LY00991