CAA de MARSEILLE, 2ème chambre - formation à 3, 14 avril 2016, 15MA00618, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Marseille, 2e ch. - formation à 3, 14 avr. 2016, n° 15MA00618
Juridiction : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro : 15MA00618
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Sur renvoi de : Conseil d'État, 27 janvier 2015, N° 362865
Identifiant Légifrance : CETATEXT000032462566

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A… et Madeleine B… ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l’établissement public Réseau ferré de France et l’établissement public Société nationale des chemins de fer français à leur payer, solidairement ou à due proportion de leur responsabilité respective, la somme de 253 000 euros en réparation des préjudices subis.

Par un jugement n° 0424255 du 30 avril 2007, le tribunal administratif de Nîmes, auquel avait été transmis le dossier par ordonnance du 23 octobre 2006 du président du tribunal administratif de Marseille, a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 07MA02183 du 30 septembre 2010, la cour administrative d’appel de Marseille a ordonné avant dire droit une expertise. Par un arrêt du 17 juillet 2012, la cour a annulé le jugement du 30 avril 2007 du tribunal administratif de Nîmes et condamné Réseau ferré de France à payer à M. et Mme B… la somme de 80 960 euros en réparation de leurs préjudices.

Par une décision n° 362865 du 28 janvier 2015, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 17 juillet 2012 et a renvoyé l’affaire devant la même cour.

Procédure devant la Cour :

Par des mémoires, enregistrés les 15 juin 2007, 7 février 2008, 22 septembre 2009, 6 janvier 2012, 3 avril 2012, 27 juin 2012, 20 août 2015 et 2 octobre 2015, M. et Mme B…, représentés par Me C…, demandent à la Cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 30 avril 2007 ;

2°) de condamner Réseau Ferré de France et la Société nationale des chemins de fer français à leur payer, solidairement ou à due proportion de leur responsabilité respective, la somme de 180 960 euros en réparation de leurs préjudices, assortie des intérêts de droit à compter du 9 juin 2004 et de la capitalisation des intérêts à compter du 9 juin 2005 ;

3°) de mettre à la charge des défendeurs les dépens et la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le tribunal a insuffisamment motivé son jugement en se bornant à affirmer que la perte de valeur vénale invoquée présentait un caractère purement éventuel ;

- la perte de valeur vénale subie est un préjudice né et actuel ;

- la perte de valeur vénale de leur bien peut être estimée à 80 960 euros ;

- ils subissent des nuisances sonores et visuelles qui présentent un caractère anormal et spécial ;

- l’indemnisation des troubles dans leurs conditions d’existence peut être estimée à 100 000 euros.

Par des mémoires enregistrés les 6 décembre 2007, 21 mars 2008, 13 mai 2008 et 14 mars 2012, la SNCF, devenue SNCF Mobilités, conclut au rejet de la requête et à la condamnation des appelants à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative.

SNCF Mobilités fait valoir que :

 – seule la responsabilité de l’établissement public Réseau Ferré de France peut être recherchée dès lors que les dommages trouvent leur cause dans la seule présence de l’ouvrage public ;

 – les époux B… ne rapportent pas la preuve de l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre la présence de l’ouvrage public et les préjudices allégués ;

 – M. et Mme B… ne justifient pas avoir subi un préjudice anormal et spécial excédant les sujétions normales résultant du voisinage d’un ouvrage public ;

 – les préjudices sonores et visuels ne sont pas justifiés ;

 – la perte de valeur vénale de leur propriété est surestimée.

Par des mémoires en défense enregistrés les 15 juillet 2009, 18 août 2010, 12 mars 2012, 21 août 2015 et 30 septembre 2015, Réseau Ferré de France, devenu SNCF Réseau, conclut au rejet de la requête et à la condamnation des appelants à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative.

SNCF Réseau fait valoir que :

 – le jugement attaqué est suffisamment motivé ;

 – les époux B… ne justifient pas subir un préjudice anormal et spécial ;

 – l’environnement sonore de la propriété des appelants était déjà dégradé avant la construction de la ligne à grande vitesse ;

 – la perte de valeur vénale n’est pas démontrée et constitue un préjudice purement éventuel ;

 – l’évaluation des préjudices n’est assortie d’aucun justificatif ;

 – la perte de valeur vénale ne peut excéder le montant de 35 420 euros.

Vu :

 – les autres pièces du dossier ;

 – l’ordonnance du 10 janvier 2012, par laquelle le président de la cour a taxé les frais de l’expertise réalisée par M. D….

Vu :

 – le code de l’environnement ;

 – le code des transports ;

 – la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 ;

 – le décret n° 95-22 du 9 janvier 1995 ;

 – l’arrêté du 8 novembre 1999 relatif au bruit des infrastructures ferroviaires ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme Duran-Gottschalk, rapporteure ;

 – les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique.

1. Considérant que M. et Mme B…, propriétaires d’un ensemble immobilier comportant une maison d’habitation et des dépendances, situé sur le territoire de la commune de Lamotte sur Rhône, interjettent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande tendant à la condamnation solidaire de la Société nationale des chemins de fer et de Réseau ferré de France à réparer les préjudices visuels, sonores et de perte de valeur vénale qu’ils estiment avoir subis du fait de l’implantation et de l’exploitation de la ligne à grande vitesse Méditerranée à proximité de leur propriété ; que, par arrêt du 30 septembre 2010, la Cour a ordonné une expertise avant dire droit ; que l’expert a déposé son rapport le 5 décembre 2011 ; que la Cour a annulé, le 17 juillet 2012, le jugement du 30 avril 2007 du tribunal administratif de Nîmes et a condamné Réseau ferré de France à payer aux époux B… la somme de 80 960 euros en réparation de la perte de valeur vénale subie ; que par une décision n° 362865 du 28 janvier 2015, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 17 juillet 2012 et a renvoyé l’affaire devant la même cour ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure suivie devant le tribunal administratif ;

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la détermination de la personne publique responsable :

2. Considérant qu’aux termes de l’article 25 de la loi du 4 août 2014 : « II. – L’établissement public dénommé » Réseau ferré de France « prend la dénomination : » SNCF Réseau « et l’établissement public dénommé » Société nationale des chemins de fer français « prend la dénomination : » SNCF Mobilités « . / III. – Les changements de dénomination mentionnés au II sont réalisés du seul fait de la loi » ; qu’aux termes de l’article L. 2111-1 du code des transports : « SNCF Réseau est le propriétaire unique de l’ensemble des lignes du réseau ferré national » ; qu’aux termes de l’article L. 2111-9 du même code : « (…) SNCF Réseau est le gestionnaire du réseau ferré national (…) » ;

3. Considérant que la responsabilité des dommages permanents engendrés par la présence et le fonctionnement d’un ouvrage public ne peut être recherchée qu’auprès du maître de l’ouvrage ; qu’ainsi, seule la responsabilité de SNCF Réseau est susceptible d’être engagée, en sa qualité de gestionnaire du réseau, pour les dommages visuels, sonores et de perte de valeur vénale que M. et Mme B… estiment avoir subis du fait de la présence et du fonctionnement de l’ouvrage constitué par la voie ferroviaire située à proximité de leur propriété ;

En ce qui concerne la responsabilité :

4. Considérant que les époux B… ont la qualité de tiers par rapport à l’ouvrage public ferroviaire ; que la responsabilité du maître de l’ouvrage public est susceptible d’être engagée, même sans faute, à l’égard des demandeurs tiers par rapport à cet ouvrage ; qu’il appartient toutefois aux appelants d’apporter la preuve de la réalité des préjudices qu’ils allèguent avoir subis et de l’existence d’un lien de causalité entre l’ouvrage public et leurs préjudices, qui doivent en outre présenter un caractère anormal et spécial ;

En ce qui concerne les préjudices :

S’agissant des troubles dans les conditions d’existence :

5. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction et notamment des photographies jointes au rapport de l’expert judiciaire, que M. et Mme B… subissent un préjudice visuel depuis la réalisation, au cours de l’année 2001 et à une distance d’environ 170 mètres de leur maison, d’un remblai, d’une hauteur de 9 mètres, destiné à protéger la ligne ferroviaire des crues du Rhône, surmonté d’un mur antibruit de 4 mètres de hauteur, et des mâts supportant les lignes caténaires d’environ 8 mètres de hauteur, qui a eu pour effet d’obstruer la vue qu’ils avaient depuis l’intérieur de leur maison, sur la plaine et sur une distance de plusieurs kilomètres, jusqu’aux collines de Mondragon, du côté est de la propriété ;

6. Considérant, en second lieu, qu’il résulte de l’instruction, notamment du rapport de l’expertise ordonnée avant dire droit par l’arrêt du 30 septembre 2010 de la Cour, que la voie ferroviaire est empruntée chaque jour par 137 trains à grande vitesse dont 133 entre 6 heures et 22 heures ; que l’expert acousticien a relevé, après avoir effectué des mesures tenant compte de l’environnement sonore préexistant lié à la présence de la route nationale n° 86, qu’à l’extérieur de l’habitation, le bruit résiduel était de 55 dB(A) et de 66,4 dB(A) avec le passage des trains en journée, et que cette émergence de plus de 11 dB(A) représentait une gêne pour toute activité se déroulant sur ces lieux ; qu’il a également mesuré qu’à l’intérieur de la maison fenêtres ouvertes, le bruit résiduel était de 42,1 dB(A) et de 61,6 dB(A) avec le passage des trains en journée, soit une émergence de 19 dB(A) défavorable au repos ou à la détente ; qu’il a enfin constaté que, fenêtres ouvertes, la gêne sonore était certaine de jour comme de nuit et qu’elle n’était acceptable que lorsque les fenêtres étaient fermées ; que SNCF Réseau ne peut, en tout état de cause, se prévaloir utilement de ce que les mesures ainsi relevées n’excéderaient pas les niveaux sonores maximaux des lignes nouvelles parcourues par des trains à grande vitesse dans des zones d’ambiance sonore préexistante modérée fixés par l’article 2 de l’arrêté du 8 novembre 1999 dès lors que cet arrêté, qui concerne les seules infrastructures de transport terrestre nouvelles dont l’acte décidant l’ouverture d’une enquête publique est postérieur de plus de six mois à la date de sa publication en vertu de l’article 10 du décret du 9 janvier 1995, n’est pas applicable au prolongement de la ligne à grande vitesse sud-est de Valence jusqu’à Marseille et Montpellier, dont les travaux ont été déclarés d’utilité publique par décret du 31 mai 1994 ;

7. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’implantation de la ligne à grande vitesse Méditerranée à proximité de la maison de M. et Mme B…, dont les conditions d’habitation ont été modifiées de manière importante par des nuisances sonores et visuelles excédant celles que peuvent normalement être appelés à subir dans l’intérêt général les riverains d’un tel ouvrage, est à l’origine de troubles dans leurs conditions d’existence qui présentent le caractère d’un dommage anormal et spécial, alors même que plusieurs riverains de la ligne seraient dans la même situation ; que c’est par suite à tort que le tribunal a estimé que la responsabilité du maître de l’ouvrage n’était pas engagée à ce titre ; qu’il y a lieu de condamner SNCF Réseau à verser à M. et Mme B… la somme de 37 500 euros à titre d’indemnité en réparation de ce dommage ;

S’agissant de la perte de valeur vénale de la propriété :

8. Considérant que la perte de valeur vénale de la propriété de M. et Mme B…, qui leur ouvre droit à réparation même en l’absence d’intention de mettre leur bien en vente, doit être évaluée en 2001, date de mise en service de l’ouvrage public ; que si l’expert désigné par le président de la Cour évalue leur propriété à 253 000 euros et fixe au taux de 32 % la perte due à la présence et au fonctionnement de l’ouvrage, cette estimation a été faite au vu notamment de nombreuses transactions réalisées de 2002 à 2011 ou de ventes portant sur des biens peu comparables ; qu’en outre, pour estimer de 70 à 80 % le taux de dépréciation en 2001, l’expert s’est fondé sur les ventes en 1996 puis 2001 d’un unique bien immobilier ; que dans ces conditions et eu égard aux autres éléments d’appréciation versés au dossier, il convient de fixer à 250 000 euros la valeur vénale de la propriété avant l’implantation de la ligne ferroviaire à grande vitesse et à 25 % le taux de dépréciation résultant de la présence et du fonctionnement de cet ouvrage public ; que SNCF Réseau ne peut utilement se prévaloir de la mise en oeuvre d’éventuels aménagements ou mesures compensatoires susceptibles de réduire les nuisances sonores, pour contester le caractère certain du préjudice résultant de cette perte de valeur vénale ; qu’ainsi, dans les circonstances de l’affaire, il sera fait une juste appréciation de la réparation due à M. et Mme B… de la perte de valeur vénale de leur ensemble immobilier, qui présente un caractère anormal et spécial, en condamnant SNCF Réseau à leur payer la somme de 62 500 euros ;

9. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les époux B… sont fondés à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

10. Considérant que les époux B… ont droit aux intérêts au taux légal de la somme de 100 000 euros à compter du 9 juin 2004, date d’enregistrement de leur demande au greffe du tribunal administratif de Nîmes ; que la capitalisation des intérêts a été demandée par les époux B… pour la première fois le 15 juin 2007 ; qu’à cette date, les intérêts étaient dus au moins pour une année entière ; qu’il y a lieu, conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil, de faire droit à cette demande à compter du 15 juin 2007 ainsi qu’à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article R. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant qu’il y a lieu de mettre à la charge de SNCF Réseau les frais de l’expertise ordonnée par la Cour, liquidés et taxés à la somme de 5 608,16 euros par une ordonnance du président de la Cour du 10 janvier 2012 ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de SNCF Réseau le versement aux époux B… de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; que les dispositions de cet article font obstacle à ce qu’il soit mis à la charge des épouxB…, qui ne sont pas la partie condamnée aux dépens, la somme que SNCF Réseau et SNCF Mobilités réclament sur le même fondement ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 30 avril 2007 du tribunal administratif de Nîmes est annulé.

Article 2 : SNCF Réseau est condamné à payer à M. et Mme B… la somme de 100 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 juin 2004. Les intérêts échus à la date du 15 juin 2007 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Les frais d’expertise sont mis à la charge de SNCF Réseau.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : SNCF Réseau versera la somme de 1 500 euros à M. et Mme B… en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Les conclusions de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités présentées en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié aux épouxB…, à SNCF Réseau et à SNCF Mobilités.

Copie en sera adressée au préfet de Vaucluse.

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N° 15MA00618

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