Cour administrative d'appel de Marseille, 12 mai 2022, n° 21MA00883

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Marseille, 12 mai 2022, n° 21MA00883
Juridiction : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro : 21MA00883
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Cour administrative d'appel de Marseille, 31 août 2021
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 18 mai 2022

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Genecomi a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, sur le fondement des dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de Cabriès à lui verser une provision de 1 382 080,25 euros augmentée des intérêts au taux légal.

Par une ordonnance n° 1810745 du 18 février 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 mars, 23 mars, 12 juillet 2021 et les 28 janvier et 4 avril 2022, la société Genecomi, représentée par Me Woog, demande au juge des référés de la Cour :

1°) d’annuler cette ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de condamner la commune de Cabriès à lui verser une provision de 1 382 080,25 euros hors taxes augmentée des intérêts au taux légal à compter de la notification de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Cabriès la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— ses conclusions sont recevables dès lors que, si les nouvelles fautes qu’elle invoque en appel sont de nature délictuelle, elles ont un lien avec l’exécution du contrat qui la lie à la commune de Cabriès de sorte qu’elles doivent être considérées comme de nature contractuelle et reposant ainsi sur la même cause juridique que le fondement de sa demande de première instance ;

— la créance dont elle se prévaut n’est pas sérieusement contestable, dès lors que :

A titre principal :

— la commune a commis une faute en ne tenant pas sa promesse de signer l’avenant n° 2 au BEA prévoyant la levée de la condition suspensive relative au caractère définitif du permis, alors même que le maire a été autorisé à signer cet avenant par une délibération du conseil municipal du 20 décembre 2007 ; cette promesse a eu une influence déterminante dans son choix de lever cette condition suspensive dans le cadre du contrat de promotion immobilière ;

— la commune a commis une faute en délivrant un permis de construire illégal ; l’illégalité de ce permis a fondé la résiliation du contrat de promotion immobilière au titre de laquelle elle a été condamnée à verser des indemnités de résiliation à la société CFA Méditerranée ; son préjudice est égal au montant de ces indemnités ;

— le permis de construire, ayant été annulé, est réputé n’avoir jamais existé ; il ne peut, dès lors, être considéré comme ayant été délivré dans les douze mois de son dépôt de sorte que, en application des stipulations de l’article 5.2.3 du BEA, ce bail aurait dû être automatiquement résilié ; or, son exécution s’est poursuivie sans que la commune lui verse, en méconnaissance de ses obligations contractuelles, l’indemnité prévue par le (a) de l’article 5.2.1 du BEA ;

— ces manquements, imputables à la commune et à l’origine de sa condamnation par le juge judiciaire à verser à la société Duval méditerranée la somme de 1 382 080,25 euros, lui ont causé un préjudice égal à cette somme ;

A titre subsidiaire :

— elle est fondée à demander, au titre de la responsabilité quasi-contractuelle, une indemnité au titre de l’enrichissement sans cause de la commune de Cabriès ; celle-ci s’est trouvée enrichie à hauteur des prestations réalisées par la société CFA Méditerranée dans le cadre du contrat de promotion immobilière alors que, en ce qui la concerne, elle a seule supporté les coûts engagés par la société CFA Méditerranée et au titre desquels elle a été condamnée à lui verser une indemnité ; il existe un lien entre cet enrichissement et cet appauvrissement, lesquels ne reposent sur aucun fondement légal ;

— le montant de son préjudice correspond au montant de la somme à laquelle elle a été condamnée par le tribunal de grande instance de Nanterre.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 mai 2021, 22 juillet 2021 et le 8 février 2022, la commune de Cabriès, représentée par Adden avocats Méditerranée, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Genecomi la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— les nouvelles fautes dont se prévaut la société en appel, tirées de la promesse non tenue de la commune et de la délivrance d’un permis illégal, de nature délictuelle, sont irrecevables, faute, d’une part, de reposer sur la même cause juridique que la faute invoquée en première instance, et, d’autre part, d’avoir été invoquées avant l’expiration du délai d’appel ;

— la faute tirée de la promesse non tenue de la commune de signer l’avenant n° 2 au BEA n’est pas fondée, en l’absence d’engagement ferme et précis quant à sa signature alors que, en tout état de cause, la société n’a pas fait preuve de prudence en signant l’avenant n° 1 au CPI avant la signature de l’avenant n° 2 au BEA ;

— la faute reposant sur la délivrance d’un permis de construire illégal n’est pas fondée dès lors que la société Genecomi a la qualité de tiers au permis de construire dont seule la société CFA Méditerranée est bénéficiaire et dont la qualité de mandataire est sans incidence ; la qualité de titulaire de droits réels sur le terrain d’assiette de la société Genecomi n’est pas de nature à lui ouvrir les mêmes droits que le bénéficiaire du permis de construire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code général des collectivités territoriales ;

— le code de l’urbanisme ;

— le code de justice administrative.

Vu la décision du 1er septembre 2021 par laquelle la présidente de la cour administrative d’appel de Marseille a désigné M. Guy Fédou, président de la 6ème chambre, pour juger les appels formés contre les décisions rendues par les juges des référés des tribunaux du ressort.

Considérant ce qui suit :

1. La société Genecomi relève appel de l’ordonnance en date du 18 février 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Cabriès à lui verser la somme de 1 382 080,25 euros hors taxes.

Sur l’existence d’une obligation non sérieusement contestable :

2. Dans le cadre d’un projet portant sur la construction d’un nouveau groupe scolaire avec service de restauration et terrain de sport dans le quartier Saint-Pierre, le conseil municipal de Cabriès a approuvé, par délibération du 5 mars 2007, la conclusion d’un bail emphytéotique administratif assorti d’une convention de mise à disposition du terrain avec la société Genecomi, les conventions en cause ayant été signées le 4 mai 2007. Parallèlement, la société Genecomi a conclu, le 7 mai 2007, un « contrat de promotion immobilière (CPI) sous conditions suspensives » aux termes duquel la société Genecomi, maître d’ouvrage, a confié la construction de l’ensemble immobilier à la société GFA Méditerranée.

3. Il résulte de l’instruction que la délibération du conseil municipal de Cabriès approuvant le BEA a fait l’objet, le 2 mai 2007, d’un recours en excès de pouvoir et a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Marseille du 29 juin 2010, confirmé en appel par un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 6 mai 2013, lequel a été annulé par une décision du Conseil d’Etat du 23 octobre 2015 et, après renvoi, le jugement du tribunal administratif de Marseille du 29 juin 2010 a été annulé par un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 11 juillet 2016. Parallèlement, le permis de construire, accordé le 1er octobre 2007, a fait l’objet, le 27 novembre 2007, d’un recours en excès de pouvoir et a été annulé par un jugement du 26 novembre 2009, de même que le permis de construire délivré postérieurement le 15 janvier 2014, qui a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Marseille du 30 avril 2015.

4. Prenant acte de ce que les travaux ne pouvaient être engagés, la société CFA Méditerranée a, par courrier du 29 octobre 2010, sollicité de la société Genecomi l’indemnité de résiliation prévue dans le CPI et réclamé le paiement de la somme de 1 720 451 euros hors taxes correspondant, selon la requérante, à 15 pour cent des travaux. La société Genecomi a écarté cette demande en faisant valoir que la société CFA Méditerranée ne pouvait prétendre qu’à l’indemnité fixée au point 10.2.2 du contrat et la société CFA Méditerranée l’a assignée le 31 octobre 2013 devant le tribunal de grande instance de Nanterre en sollicitant sa condamnation à lui verser la somme de 1 633 533,49 euros outre les intérêts moratoires contractuels. Par un jugement du 29 mai 2018, devenu définitif par suite du désistement de la société Genecomi devant la cour d’appel de Versailles, le tribunal de grande instance de Nanterre a condamné la société Genecomi à verser à la société Duval développement Méditerranée, venant aux droits de la société CFA Méditerranée, la somme de 1 382 080,25 euros hors taxes, assortie des intérêts moratoires contractuels, à la suite de la résiliation du CPI conclu le 7 mai 2007. La société Genecomi demande en conséquence, dans le cadre de la présente instance, de condamner la commune de Cabriès à lui verser une provision correspondant au montant de l’indemnité qu’elle a été condamnée à verser à la société CFA Méditerranée.

5. D’une part, aux termes de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence d’une obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie. ». Pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s’assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l’existence avec un degré suffisant de certitude. En revanche, l’office du juge des référés lui interdit, pour regarder une créance comme n’étant pas sérieusement contestable, de trancher une question de droit soulevant une difficulté sérieuse.

6. D’autre part, aux termes de l’article 1.4.1 du bail emphytéotique administratif (BEA) conclu entre la commune de Cabriès et la société Genecomi, le bail était conclu « sous les conditions suspensives suivantes : / – signature de la convention de mise à disposition, / -obtention de l’avis consultatif des domaines (), / – mise à disposition du terrain (), / – obtention de toutes les autorisations administratives et d’exploitation du terrain nécessaires, dans leur forme définitive,/ – délivrance de l’arrêté de permis de construire, devenu définitif et purgé de tout recours, nécessaire à la réalisation des ouvrages. ». Aux termes de l’article 5.2.1 du BEA : « Si la résiliation intervient avant la levée des conditions suspensives, l’indemnité sera égale à la somme : / – de l’ensemble des frais et honoraires extérieurs supportés par l’emphytéote en vue de l’obtention des autorisations administratives, / -de la mise au point du dossier de réalisation, sur la base de justificatifs. / Si la résiliation intervient avant la mise à disposition des ouvrages, l’indemnité sera égale à la somme : / – (a) des montants décaissés ou dus par l’emphytéote au titre du contrat de promotion immobilière pour la réalisation des ouvrages qui auront été édifiés jusqu’à la date de résiliation, sur la base de justificatif, / () / des pénalités de résiliation applicables aux contrats nécessaires pour assurer l’exécution du bail (frais de rupture du contrat de promotion immobilière conclu entre l’emphytéote et la société CFA Méditerranée, soit 15 % du montant de l’investissement hors taxe non encore facture), / (). ». Et, aux termes de son article préliminaire, le « contrat de promotion immobilière sous conditions suspensives » était également conclu entre la société Genecomi et la société CFA Méditerranée « sous conditions suspensives : 1/ de la régularisation par le maître d’ouvrage et la ville, au plus tard le 31 août 2007, d’un bail emphytéotique administratif portant sur le terrain et d’une convention de mise à disposition portant sur l’ensemble immobilier et 2/ de l’obtention par le promoteur d’un permis de construire à caractère définitif portant sur la réalisation de l’ensemble immobilier. ».

7. Par ailleurs, en dehors du cas où elle est prononcée par le juge, la résiliation d’un contrat administratif résulte, en principe, d’une décision expresse de la personne publique cocontractante. Cependant, en l’absence de décision formelle de résiliation du contrat prise par la personne publique cocontractante, un contrat doit être regardé comme tacitement résilié lorsque, par son comportement, la personne publique doit être regardée comme ayant mis fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles. Les juges du fond apprécient souverainement, sous le seul contrôle d’une erreur de droit et d’une dénaturation des pièces du dossier par le juge de cassation, l’existence d’une résiliation tacite du contrat au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

8. Enfin, lorsque l’auteur d’un dommage, condamné, comme en l’espèce, par le juge judiciaire à en indemniser la victime, saisit la juridiction administrative d’un recours en vue de faire supporter la charge de la réparation par la collectivité publique co-auteur de ce dommage, sa demande, quel que soit le fondement de sa responsabilité retenu par le juge judiciaire, n’a pas le caractère d’une action récursoire par laquelle il ferait valoir des droits propres à l’encontre de cette collectivité mais celui d’une action subrogatoire fondée sur les droits de la victime à l’égard de cette collectivité. Ainsi subrogé, il peut utilement se prévaloir des fautes que la collectivité publique aurait commises à son encontre ou à l’égard de la victime et qui ont concouru à la réalisation du dommage, sans toutefois avoir plus de droits que cette victime. En outre, eu égard à l’objet d’une telle action, qui vise à assurer la répartition de la charge de la réparation du dommage entre ses co-auteurs, sa propre faute lui est également opposable.

9. La société Genecomi demande que la commune de Cabriès soit condamnée à lui verser la somme de 1 382 080,25 euros en se fondant, d’une part, sur les stipulations des articles 5.2.1 et des articles 5.2.3 du BEA, et, d’autre part, en se prévalant des fautes que la commune aurait commises en ne respectant pas sa promesse de conclure l’avenant n° 2 au BEA et en délivrant un permis de construire illégal et, enfin, en se prévalant de l’enrichissement sans cause qui aurait résulté pour la commune de Cabriès des prestations réalisées par la société CFA Méditerranée au titre du contrat de promotion immobilière susmentionné.

10. Toutefois, une telle demande soulève, notamment, d’une part, la question de savoir, en l’absence de stipulations expresses en ce sens au BEA ainsi que de décision formelle de résiliation, quelle est la date à laquelle le BEA doit être regardé comme ayant été résilié, et, d’autre part, la question du fondement de l’action en responsabilité de la société Genecomi, dont il ressort des écritures qu’elle ne demande pas la réparation de son préjudice propre, mais celui né de sa condamnation par le juge judiciaire à réparer les préjudices subis par la société CFA Méditerranée. Ces questions de droit, qui posent une difficulté sérieuse tant au regard de la recevabilité de la requête qu’au regard du bien-fondé de la demande de provision, et qu’il n’appartient pas au juge des référés saisi sur le fondement de l’article R. 541-1 du code de justice d’apprécier, font obstacle à ce que la créance dont se prévaut la société Genecomi puisse être regardée comme présentant le caractère d’une obligation non sérieusement contestable au sens des dispositions précitées du code de justice administrative.

11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions aux fins de provision présentées par la société Genecomi doivent être rejetées.

Sur les frais d’instance :

12. La commune de Cabriès n’étant pas la partie perdante dans la présente instance, il ne saurait être mis à sa charge une quelconque somme en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la commune de Cabriès présentées sur le même fondement.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Genecomi est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Cabriès au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société anonyme Genecomi et à la commune de Cabriès.

Fait à Marseille, le 12 mai 2022. ia

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  1. Code de justice administrative
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