Cour administrative d'appel de Nancy, 28 juin 2022, n° 20NC01043

  • Commune·
  • Ouvrage·
  • Associé·
  • Justice administrative·
  • Sociétés·
  • Réception·
  • Responsabilité·
  • Provision·
  • Industrie·
  • Construction

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CAA Nancy, 28 juin 2022, n° 20NC01043
Juridiction : Cour administrative d'appel de Nancy
Numéro : 20NC01043
Type de recours : Autres
Décision précédente : Tribunal administratif de Nancy, 21 avril 2020, N° 1903647
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 1 juillet 2022

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Dans le cadre de la réalisation de la salle multi-activités sur le site de l’Arsenal, la commune de Toul a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nancy :

1°) de condamner la société Couvrétanche à lui verser une provision d’un montant de 799,20 euros, majorée des intérêts légaux à compter de la date d’enregistrement de la requête sous astreinte de 100 euros par jour de retard, au titre de la reprise des extracteurs de fumée ;

2°) de condamner in solidum les sociétés Couvrétanche, Malot et associés et le bureau Véritas construction à lui verser une provision d’un montant de 244 136,33 euros, majorée des intérêts légaux à compter de la date d’enregistrement de la requête sous astreinte de 500 euros par jour de retard, au titre des désordres d’infiltration affectant la couverture du bâtiment ;

3°) de condamner in solidum les sociétés GTM-Hallé, Master industrie et Malot et associés à lui verser une provision d’un montant de 28 080 euros, majorée des intérêts légaux à compter de la date d’enregistrement de la requête sous astreinte de 200 euros par jour de retard, au titre des travaux de reprise de sols ;

4°) de condamner in solidum les sociétés Virion serrurerie service, Malot et associés et le bureau Véritas construction à lui verser une provision d’un montant de 8 100 euros, majorée des intérêts légaux à compter de la date d’enregistrement de la requête sous astreinte de 200 euros par jour de retard, au titre des travaux de reprise de l’échelle à crinoline ;

5°) de condamner in solidum les sociétés Virion serrurerie service et Malot et associés à lui verser une provision d’un montant de 2 715,84, majorée des intérêts légaux à compter de la date d’enregistrement de la requête sous astreinte de 200 euros par jour de retard, au titre des travaux de reprise de la porte coupe-feu ;

6°) de condamner in solidum les sociétés Master industrie, Malot et associés et le bureau Véritas construction à lui verser une provision d’un montant de 9 648,72 euros, majorée des intérêts légaux à compter de la date d’enregistrement de la requête sous astreinte de 200 euros par jour de retard, au titre des travaux de reprise du garde-corps de la tribune ;

7°) de mettre à la charge des sociétés Malot et associés, GTM-Hallé, Couvrétanche, Virion serrurerie service, Master industrie et du bureau Véritas construction la somme de 10 000 euros à lui verser au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance n° 1903647 du 22 avril 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a rejeté l’ensemble de ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 6 mai 2020, et des mémoires enregistrés les 24 juillet 2020 et 15 avril 2022, la commune de Toul, représentée par Me Tadic, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de lui donner acte du désistement de ses conclusions dirigées contre la société Couvrétanche ;

2°) de condamner in solidum les sociétés GTM-Hallé, Master industrie et Malot et associés à lui verser une provision d’un montant de 28 080 euros, majorée des intérêts légaux à compter de la date d’enregistrement de la requête, au titre des travaux de reprise du sol ;

3°) de condamner in solidum les sociétés Virion serrurerie service, Malot et associés et le bureau Véritas construction à lui verser une provision d’un montant de 8 100 euros, majorée des intérêts légaux à compter de la date d’enregistrement de la requête, au titre des travaux de reprise de l’échelle à crinoline ;

4°) de condamner in solidum les sociétés Virion serrurerie service et Malot et associés à lui verser une provision d’un montant de 2 715,84, majorée des intérêts légaux à compter de la date d’enregistrement de la requête, au titre des travaux de reprise de la porte coupe-feu ;

5°) de condamner in solidum les sociétés Master industrie, Malot et associés et le bureau Véritas construction à lui verser une provision d’un montant de 9 648,72 euros, majorée des intérêts légaux à compter de la date d’enregistrement de la requête, au titre des travaux de reprise du garde-corps de la tribune ;

6°) de mettre à la charge, in solidum, des sociétés Malot et associés, GTM-Hallé, Virion serrurerie service, Master industrie et du bureau Véritas construction la somme de 10 000 euros à lui verser au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu’une somme de 11 408 euros au titre des frais d’expertise encore à sa charge ;

7°) de réformer en ce sens l’ordonnance du 22 avril 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy ;

Elle soutient que :

— les désordres affectant la salle de l’Arsenal rendent l’ouvrage impropre à sa destination, sont apparus pendant la période de garantie décennale et n’étaient pas apparents lors de la réception de l’ouvrage ; la responsabilité des constructeurs doit donc être engagée au titre de la responsabilité décennale ;

— la responsabilité du cabinet d’architectes Malot et associés est, en tout état de cause, engagée sur le fondement contractuel dans le cadre de sa mission d’assistance et de conseil lors de la réception des travaux ;

— le premier juge a méconnu sa compétence en se retranchant derrière l’absence d’avis de l’expert sur le caractère décennal de certains désordres ;

— le défaut de planéité et les dégradations du sol, qui constituent un désordre de nature évolutive, nuisent au bon fonctionnement de la tribune mobile, ce qui rend l’ouvrage impropre à sa destination ;

— ce désordre n’était pas apparent lors de la réception des travaux ;

— l’échelle à crinoline, fixée à l’extérieur du bâtiment, ne respecte pas la norme NF E 85-016, ce qui constitue un danger pour le personnel et rend l’équipement impropre à sa destination ;

— la porte coupe-feu installée en arrière scène n’est pas adaptée à sa fonctionnalité ;

— le garde-corps situé à l’arrière de la tribune mobile est d’une hauteur insuffisante, ce qui présente un danger de chute pour les usagers ;

— elle sollicite le paiement d’une provision égale aux frais de réparation des désordres affectant l’ouvrage ; les préjudices annexes qu’elle a subis seront exposés dans une requête au fond ;

— les éléments qu’elle soumet aux débats sont de nature à établir l’existence de l’obligation de garantie des constructeurs avec un degré suffisant de certitude.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2020, la société Malot et associés, représentée par Me Zine, demande à la cour :

1°) de confirmer l’ordonnance du 22 avril 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy ;

2°) de rejeter la requête de la commune de Toul ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Toul une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

A titre subsidiaire :

4°) de limiter les indemnités mises à sa charge à la fraction de responsabilité définie par l’expert ;

5°) de rejeter les appels en garantie dirigés à son encontre.

Elle soutient que :

— le premier juge a estimé que la mise en œuvre de la garantie décennale des constructeurs n’est pas évidente ;

— le litige initié par la commune de Toul sort donc de la compétence du juge des référés ;

— il y a lieu de s’en tenir à la ventilation des responsabilités et au montant des travaux retenus par l’expert ;

— les conclusions aux fins d’astreinte présentées par la commune de Toul ne pourront qu’être rejetées.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 juin, 21 juillet et 31 juillet 2020, le bureau Véritas construction, représenté par la Selarl GVB, demande à la cour :

1°) de confirmer l’ordonnance attaquée en ce qu’elle considère que la commune de Toul ne peut se prévaloir d’une obligation incontestable à son égard ;

2°) de débouter tant la commune de Toul qu’a fortiori la société Virion serrurerie service et la société Master industrie ou tout autre demandeur éventuel de toute demande en tant qu’elle serait dirigée à son encontre ;

A titre subsidiaire :

3°) de condamner la société Guy Malot et associés avec, selon les désordres, la société Couvrétanche, la société Virion serrurerie service ou la société Master industrie à le relever et garantir immédiatement de toute condamnation qu’il pourrait encourir ;

4°) de débouter, dans tous les cas, la commune de Toul de ses demandes d’astreinte ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Toul ou de tout succombant les dépens et une somme de 10 000 euros à lui verser au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

— l’appel en garantie, formé par la société Master industrie à son encontre, présenté pour la première fois en appel est irrecevable ;

— la commune de Toul ne justifie, pas plus qu’en première instance, satisfaire aux conditions cumulatives pour qu’il soit fait droit aux demandes de provisions formulées à son encontre ;

— la commune de Toul, d’une part, dénature les faits de la cause en faisant totale abstraction quant à la nature des désordres et des constatations de l’expert et, d’autre part, méconnaît la nature spécifique de l’intervention du contrôleur technique et du régime de responsabilité qui y est associé ;

— le contrôleur technique ne participe pas directement à l’acte de construire et ce, qu’il s’agisse de la phase de conception ou de la phase de conception ;

— la commune n’apporte aucune preuve à l’appui de ses allégations, notamment en ce qui concerne le domaine de sa mission ;

— la nature décennale des désordres litigieux est contestable ;

— la seule évidence qui ressort du rapport d’expertise est que la commune de Toul ne peut se prévaloir d’une obligation incontestable à son encontre.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 juin et 19 août 2020 et 3 mai 2022, la société Couvrétanche, représentée par Me Canonica, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

A titre principal :

1°) de donner acte de ce que la commune de Toul s’est désistée de l’ensemble des conclusions initialement formulées à son encontre ;

2°) de rejeter l’ensemble des conclusions des autres parties dirigées contre elle ;

3°) de laisser à leur charge les sommes demandées par la commune de Toul au titre de l’article L. 761- 1 du code de justice administrative et des frais d’expertise ;

Par trois mémoires enregistrés les 12 juin et 19 août 2020 et 2 mai 2022, la société Couvrétanche, représentée par Me Canonica demande, dans le dernier état de ses écritures, de prendre acte du désistement de la commune de Toul des conclusions formulées à son encontre et de rejeter toute demande des autres parties dirigées contre elle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juin 2020, la société Virion serrurerie service, représentée par Me Lebon, demande à la cour :

A titre principal :

1°) de rejeter la requête d’appel de la commune de Toul ;

A titre subsidiaire :

2°) de condamner la société Malot et associés in solidum avec le bureau Véritas construction, sur le fondement délictuel et quasi-délictuel à la relever et garantir de toute condamnation qui serait éventuellement prononcée à son encontre au titre des travaux de reprise de l’échelle à crinoline ;

3°) de condamner sur le fondement délictuel et quasi-délictuel la société Malot et associés, après déduction de la part de responsabilité du maître d’ouvrage à concurrence d’un tiers, à la relever et garantir au titre des travaux de reprise de la porte coupe-feu ;

En tout état de cause :

4°) de rejeter les conclusions des autres parties contraires aux présentes écritures ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Toul une somme de 3 000 euros à lui verser au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— l’absence de palier intermédiaire était particulièrement visible par un simple constat lors des opérations de réception ;

— les éléments soumis par la commune de Toul ne sont nullement de nature à établir l’existence avec un degré suffisant de certitude de l’obligation non sérieusement contestable dont elle se prévaut ;

— le contrôleur technique a validé sans aucune réserve la mise en place de l’échelle à crinoline ;

— le désordre affectant la porte coupe-feu était apparent lors des opérations de réception et n’a fait l’objet d’aucune réserve ;

— il n’est nullement démontré que la porte coupe-feu mise en place serait rendue impropre à sa destination.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2020, la société GTM Hallé, représentée par Me Vincent, demande à la cour :

1°) de rejeter l’ensemble des demandes de la commune de Toul ;

2°) de rejeter les demandes d’appel en garantie formées par les autres parties ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Toul une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— les conclusions du rapport d’expertise écartent sa responsabilité décennale pour les désordres litigieux ;

— le rapport d’expertise précise que les désordres affectant le dallage étaient apparents au jour de la réception des ouvrages prononcée sans réserve à effet du 23 septembre 2014 ;

— l’expert a constaté que le déploiement de la tribune n’était pas compromis ;

— les conclusions techniques de l’expert privé de la commune ne lui sont pas opposables ;

— l’expert a relevé un défaut d’entretien du maître d’ouvrage.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juillet 2020, la société Master industrie, représentée par Me Lahalle, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête d’appel de la commune de Toul et la débouter de ses demandes, fins et conclusions en ce qu’elles sont dirigées à son encontre ;

Subsidiairement :

2°) de condamner conjointement et solidairement la société Malot et associés, le bureau Véritas construction et la société GTM Hallé à la garantir, ou l’un à défaut de l’autre, de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Toul la somme de 3 000 euros à lui verser au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— les conditions de mise en œuvre de la garantie décennale font défaut concernant les désordres qui lui sont imputés par la commune de Toul ;

— les désordres litigieux ne lui sont pas imputables, mais à l’entreprise chargée de la réalisation du sol litigieux ;

— l’ouvrage qu’elle a réalisé ne souffre d’aucun désordre de nature décennale ;

— l’expert a relevé que les désordres étaient apparents lors de la réception des travaux, à tout le moins concernant le déplacement de la tribune ;

— l’impropriété du garde-corps n’est pas caractérisée ;

— la cour ne pourra que retenir une répartition des condamnations au prorata des responsabilités telles que fixé par l’expert.

Par une ordonnance du 28 mars 2022, la clôture d’instruction de la présente instance a été fixée au 19 avril 2022 à 12 : 00 heures.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. En 2012, la commune de Toul a entrepris des travaux de construction d’une salle multi-activités sur le site de l’Arsenal. La maîtrise d’œuvre a été confiée à un groupement solidaire de maitrise d’œuvre dont la société Malot et associés était le mandataire. Les lots n° 2 « Gros-œuvre / charpente métallique », n° 3 « Etanchéité / zinguerie », n° 6 « Menuiseries extérieures », n° 21 « Mobilier scénique » ont été respectivement attribués à la société GTM Lorraine aux droits de laquelle vient la société GTM-Hallé, à un groupement solidaire dont la société Couvrétanche est le mandataire, à la société Virion serrurerie service et à la société Master industrie. Le contrôle technique a été confié au bureau Véritas aux droits duquel vient le bureau Véritas construction. La réception des travaux est intervenue le 7 octobre 2013. A la suite de la constatation de différents désordres, le juge des référés du tribunal de Nancy a, à la demande de la commune de Toul, prescrit une expertise, par ordonnance du 2 décembre 2016. L’expert désigné a rendu son rapport le 3 juillet 2019. La commune de Toul a alors saisi le juge des référés d’une demande tendant à la condamnation, à titre principal, de plusieurs constructeurs sur le fondement de la garantie décennale et, à titre subsidiaire, de la société Malot et associés, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, à lui verser une provision correspondant aux sommes nécessaires pour mettre fin aux désordres constatés. Elle fait appel de l’ordonnance du 22 avril 2020 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Sur le désistement de la commune de Toul des conclusions initialement formulées à raison des travaux réalisés par la société Couvrétanche :

2. A la suite d’un accord intervenu entre elle-même, la société Couvrétanche, la société MAAF assurances et la société Malot et associés, dans le cadre d’une médiation proposée par la Cour, la commune de Toul a fait savoir, par un mémoire enregistré le 15 avril 2022, qu’elle entendait se désister de l’ensemble de ses conclusions relatives aux défauts d’étanchéité dont elle demandait réparation. Ce désistement, qui porte sur la totalité des conclusions dirigées contre la société Couvrétanche, et une large partie des conclusions dirigées contre la société Malot et associés, est pur et simple. Rien ne s’oppose à ce qu’il en soit donné acte.

Sur les conclusions tendant à la condamnation des autres entreprises à verser une provision sur le fondement de l’article R. 541-1 :

3. Aux termes de l’article R. 541-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. () ». Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s’assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l’existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n’a d’autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l’obligation dont les parties font état.

En ce qui concerne la responsabilité décennale des constructeurs :

4. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des dommages apparus postérieurement à la réception sans réserve de l’ouvrage et non apparents à cette date engagent la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale dans le délai d’épreuve de dix ans s’ils sont de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination. Le caractère apparent des désordres à la réception fait obstacle à ce que la responsabilité des constructeurs puisse être engagée sur le fondement de la garantie décennale. Présentent un caractère apparent, même s’ils n’étaient pas visibles ou ne s’étaient pas effectivement manifestés lors des opérations de la réception, des désordres qui étaient aisément décelables ou dont l’apparition constituait une probabilité qui ne pouvait être ignorée à la date de la réception. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d’ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n’apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

— S’agissant des désordres affectant le sol de la salle de spectacle :

5. Il résulte de l’instruction, notamment du rapport d’expertise, que le sol de la salle de spectacle présente des défauts de planéité et des épaufrures entrainant des difficultés de déploiement de la tribune télescopique. L’expert a, toutefois, qualifié ces difficultés de « légères » et noté que, par un courrier du 23 janvier 2013, antérieur à la réception de l’ouvrage du 7 octobre 2013, le maire de la commune de Toul avait fait part au maître d’œuvre de sa préoccupation quant aux blocages et dysfonctionnements de déploiement de la tribune. Aucune pièce du dossier ne permet d’établir que les difficultés constatées se seraient aggravées postérieurement et auraient compromis plus gravement le déploiement de la tribune. Dans ces conditions, les défauts de planéité du sol, qui étaient apparents lors de la réception et n’étaient pas de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination, ne pouvaient donner lieu à la condamnation solidaire des sociétés GTM-Hallé, Master Industrie et Malot et associés au versement de la provision de 28 080 euros sollicitée à ce titre par la commune de Toul sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs.

— S’agissant de l’échelle à crinoline :

6. Il résulte de l’instruction, notamment du rapport d’expertise, que l’échelle à crinoline située à l’extérieur du bâtiment ne présente pas de palier intermédiaire alors que la norme NF E 85-016 prescrit qu’au-delà de 6 mètres de hauteur, les échelles doivent être équipées d’un ou plusieurs paliers qui limitent le risque de chute. Ce défaut, bien qu’il compromette la sécurité des utilisateurs, était nécessairement apparent lors de la réception des travaux, prononcée sans réserve sur ce point. La créance de 8 100 euros dont se prévaut la commune de Toul au titre de la responsabilité décennale des constructeurs ne peut, par suite, être regardée comme non sérieusement contestable.

— S’agissant de la hauteur du garde-corps situé à l’arrière de la tribune :

7. Il résulte du rapport d’expertise que la hauteur du garde-corps situé à l’arrière de la tribune est non conforme aux règles de sécurité et que cette insuffisance a conduit l’expert à proposer que la dernière rangée de sièges soit interdite d’accès. Ce défaut préexistait à la réception et était apparent à cette même date. Il n’est donc pas susceptible d’engager la responsabilité des constructeurs au titre de la garantie décennale. Les conclusions tendant au versement d’une provision de 9 648,72 euros mise à la charge solidaire des sociétés Master Industrie, Malot et associés et du bureau Véritas construction, qui ne portent dès lors pas sur une créance non sérieusement contestable, doivent donc être rejetées.

— S’agissant de la porte coupe-feu de l’arrière-scène :

8. L’expert a constaté que la porte coupe-feu présente des difficultés de manipulation pour une personne seule. Toutefois, ces difficultés, qui, au demeurant, étaient apparentes lors de la réception des travaux et n’avaient pas donné lieu à réserve, ne rendent pas l’ouvrage impropre à sa destination. La créance s’y rapportant est, en conséquence, sérieusement contestable sur le plan de la responsabilité décennale.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Toul n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le premier juge a estimé que la responsabilité décennale des constructeurs ne pouvait être engagée sur les chefs de préjudices invoqués, et que l’existence, sur ce point, d’une obligation leur incombant à ce titre ne pouvait être regardée comme non sérieusement contestable au sens des dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative. L’ensemble des conclusions encore en litige formulées sur ce fondement doit donc être rejeté. Ce rejet rend sans objet les conclusions subsidiaires des sociétés Virion, Véritas construction et GTM-Hallé tendant à être garanties de toute condamnation prononcée à leur encontre.

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle de la société Malot et associés :

10. La responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception de réserves. Il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d’œuvre en avait eu connaissance en cours de chantier. Toutefois, et d’une part, cette responsabilité peut être atténuée lorsque le maître d’ouvrage avait lui-même une connaissance suffisante des défectuosités affectant l’ouvrage et a accepté d’en prononcer la réception. En outre, et d’autre part, la réception de l’ouvrage mettant fin aux rapports contractuels entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre en ce qui concerne les prestations indissociables de la réalisation de l’ouvrage, au nombre desquelles figurent, notamment, les missions de conception de cet ouvrage, la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre ne peut plus être engagée qu’à raison des manquements qu’il aurait commis dans son devoir d’assistance à la réception, et non de fautes qu’il aurait commises dans la conception de l’ouvrage.

— S’agissant des désordres affectant le sol de la salle de spectacle :

11. Il résulte de l’instruction, notamment du rapport d’expertise, et ainsi qu’il l’a été dit au point 5, que les défauts de planéité et épaufrures du sol de la salle de spectacle étaient connus de la commune de Toul, qui avait constaté avant même la réception qu’ils entrainaient des dysfonctionnements dans le déploiement de la tribune téléscopique. En prononçant sans réserve la réception des travaux litigieux que lui proposait le maître d’œuvre, lequel a, de ce fait, manqué à son devoir de conseil, elle a elle-même commis une imprudence, dont les pièces versées au dossier et écritures des parties ne permettent pas de mesurer la part dans les responsabilités encourues. La créance s’y rapportant ne peut, par suite, être regardée comme non sérieusement contestable dans son principe comme dans son montant.

— S’agissant de l’échelle à crinoline :

12. La non-conformité d’ordre technique affectant l’échelle à crinoline, notée au point 6 de la présente ordonnance, consistant en une méconnaissance de la norme de sécurité NF E 85-016, qui était apparente à la date de réception, n’était décelable, compte tenu de la spécificité de l’ouvrage, que par un professionnel. Toutefois, l’expert désigné par le tribunal administratif, auquel il a été demandé de donner un avis sur l’imputabilité des désordres, propose sans que les parties y opposent une contestation, une imputabilité au maître d’œuvre en lien avec la conception architecturale de l’ouvrage (cf. page 112 du rapport d’expertise). Ainsi que cela apparaît au point 10, les missions de conception de l’ouvrage n’engagent pas la responsabilité contractuelle des maîtres d’œuvre après réception des travaux. Dans ces conditions, la créance de 8 100 euros dont se prévaut la commune de Toul à ce titre ne répond pas aux conditions posées par l’article R. 541-1 du code de justice administrative.

— S’agissant de la hauteur du garde-corps situé à l’arrière de la tribune :

13. Il résulte du rapport d’expertise que le garde-corps à l’arrière de la tribune télescopique est d’une hauteur de 67 cm, insuffisante par rapport à la norme NF EN 13200-5 qui prévoit qu’à l’arrière, la hauteur des garde-corps, mesurée à partir du niveau de l’assise du siège, doit être de 110 cm. L’expert impute ce désordre principalement au fabricant. Bien que la commune de Toul soit dotée de services techniques, et que le désordre ait été apparent, il appartenait au maître d’œuvre, en tant que professionnel, de lui conseiller de ne pas réceptionner en l’état l’ouvrage, qui présentait un risque pour les usagers, et de formuler des réserves permettant à la collectivité de ne pas supporter à elle seule la charge de la réfection. Ainsi, la créance de 9 648,72 euros correspondant aux travaux de reprise du garde-corps telle qu’admise par l’expert et correspondant à la provision sollicitée à ce titre par la commune, apparaît comme non sérieusement contestable dans son montant, et ce, alors même que l’expert a proposé un partage de responsabilités avec d’autres constructeurs en analysant leurs rôles respectifs dans la réalisation et le contrôle des travaux, sans se placer sur le terrain de la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre dans sa mission d’assistance aux opérations de réception. La société Malot et associés doit, en conséquence, être condamnée à verser à la commune de Toul une provision de 9 648,72 euros.

— S’agissant de la porte coupe-feu de l’arrière-scène :

14. Ainsi que cela résulte du point 8, les difficultés de manipulation de la porte par une personne seule, telles que relevées par l’expert, étaient apparentes lors de la réception et pouvaient être aisément constatées par la commune de Toul, qui était dès lors à même de le faire valoir lors de la réception des travaux, sans que cela nécessite un conseil particulier de la part du maître d’oeuvre. En outre, les mentions de l’expert (page 100) selon lesquelles ce désordre est en partie imputable à la conception architecturale de l’ouvrage ne sont nullement contredites par les parties au litige. La créance n’apparaît ainsi pas comme étant non sérieusement contestable.

15. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la commune de Toul est seulement fondée à demander la réformation de l’ordonnance attaquée en tant qu’elle a rejeté ses conclusions dirigées à l’encontre de la société Malot et associés en raison de son manquement à son devoir de conseil lors de la réception de la tribune téléscopique. Il y a lieu, en conséquence, de fixer le montant non sérieusement contestable de la provision destinée à réparer les dommages subis par la commune de Toul à ce titre à la somme de 9 648,72 euros TTC, majorée des intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2019, date d’enregistrement de la demande de la commune au greffe du tribunal administratif.

Sur les frais d’expertise :

16. Aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative : « Les dépens comprennent les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties. () ».

17. La commune de Toul demande de condamner les autres parties au titre du solde des frais d’expertise non compris dans le cadre de la médiation, soit la somme de 11 408 euros. Toutefois, seule la société Malot et associés est, dans le cadre de la présente instance, partie perdante, et pour une faible part des provisions demandées en première instance comme en appel. Cette société a, par ailleurs, signé l’accord de médiation, qui a porté sur la majeure partie des désordres dont la commune demandait initialement réparation. Enfin, aucune circonstance ne justifie la solidarité de la condamnation sollicitée par la commune de Toul, qui ne propose aucune répartition de la charge de l’expertise entre les différents constructeurs. Ses conclusions doivent, par suite, être rejetées.

Sur les frais liés à l’instance :

18. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Toul la somme que la société Malot et associés demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Elles font également obstacle à ce que les autres constructeurs que la société Malot et associés, qui ne sont pas parties perdantes, soient condamnés à verser à la commune de Toul la somme qu’elle demande pour leur application.

19. Il ne convient pas, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions des sociétés Virion serrurerie service, GTM-Hallé, Véritas construction et Master industrie formulées à l’encontre de la commune de Toul ou tout autre succombant sur le même fondement.

ORDONNE :

Article 1er : Il est donné acte du désistement de la commune de Toul de ses conclusions concernant les désordres d’étanchéité.

Article 2 : La société Guy Malot et associés est condamnée à verser à la commune de Toul la somme provisionnelle 9 648,72 euros TTC, majorée des intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2019.

Article 3 : Le surplus des conclusions de l’ensemble des parties est rejeté.

Article 4 : L’ordonnance du 22 avril 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Nancy est réformée en ce qu’elle a de contraire à la présente décision.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Toul, et aux sociétés Guy Malot et associés, GTM Halllé, Couvrétanche, Virion serrurerie service, Master industrie et au bureau Véritas construction.

La présidente de la cour

Signé : Sylvie Favier

La République mande et ordonne au préfet de Meurthe-et-Moselle, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente ordonnance.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. Code de justice administrative
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour administrative d'appel de Nancy, 28 juin 2022, n° 20NC01043