CAA de NANTES, 2ème chambre, 5 novembre 2021, 20NT01599, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA Nantes, 2e ch., 5 nov. 2021, n° 20NT01599
Juridiction : Cour administrative d'appel de Nantes
Numéro : 20NT01599
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Rennes, 8 avril 2020, N° 1704731
Dispositif : Rejet
Identifiant Légifrance : CETATEXT000044310453

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI du Pont Neuf a demandé au tribunal administratif de Rennes :

1°) d’annuler l’arrêté du 17 août 2017 du préfet des Côtes-d’Armor portant mise en demeure au titre du code de l’environnement de régulariser l’ouvrage de prise d’eau du Moulin du Pont-Neuf, situé sur le territoire des communes du Vieux-Marché et de Trégrom ;

2°) de déclarer qu’elle dispose d’un droit de prise d’eau fondé en titre en raison tant du moulin que du seuil et de la rehausse.

Par un jugement no 1704731 du 9 avril 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 juin 2020 et le 15 février 2021, la SCI du Pont Neuf, représentée par la SELARL Ares, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de déclarer qu’elle dispose d’un droit de prise d’eau fondé en titre ou sur titre en raison tant du moulin que du seuil et de la rehausse.

3°) d’annuler l’arrêté du 17 août 2017 du préfet des Côtes-d’Armor portant mise en demeure au titre du code de l’environnement de régulariser l’ouvrage de prise d’eau du Moulin du Pont-Neuf, situé sur le territoire des communes du Vieux-Marché et de Trégrom ;

4°) de déclarer irrecevables les interventions en défense de l’association Eaux et rivières de Bretagne et de la commune du Vieux-Marché ;

5°) de mettre à la charge de l’État une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – les interventions en défense en cause d’appel de l’association Eaux et rivières de Bretagne et de la commune du Vieux-Marché sont irrecevables dès lors que le défendeur n’a pas produit de mémoire en défense ;

 – le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu’il n’a pas répondu au moyen tiré de ce que le préfet des Côtes-d’Armor ne contestait pas ni ne remettait en cause la consistance légale de l’ouvrage ;

 – c’est à tort que le jugement attaqué a admis la recevabilité des interventions de l’association Eau et Rivières de Bretagne et de la commune du Vieux-Marché ;

 – l’arrêté préfectoral contesté est insuffisamment motivé ;

 – il méconnaît un droit fondé en titre ou sur titre des ouvrages liés au moulin du Pont Neuf ;

 – il méconnaît la consistance légale de l’ouvrage dès lors que, sauf preuve contraire apportée par l’administration, le droit d’eau est conforme à sa consistance actuelle ;

 – le préfet a apprécié de manière erronée l’impact de la rehausse du seuil du Moulin du Pont Neuf sur le seuil du Moulin du Vicomte ;

 – le préfet considère, à tort, que les obligations relatives à la continuité écologique n’auraient pas été respectées ;

 – en application de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement, les moulins à eau équipés par leurs propriétaires pour produire de l’électricité, installés sur les cours d’eau classés en liste 2, ne sont pas soumis aux règles permettant d’assurer la continuité écologique ;

 – l’arrêté contesté est entaché d’erreur de droit dès lors qu’il aurait dû être un arrêté de refus suivi éventuellement d’un arrêté de mise en demeure.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 février 2021, le ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la SCI du Pont Neuf ne sont pas fondés.

Par des mémoires en intervention, enregistrés les 24 juillet 2020, 3 janvier et 21 mars 2021, la commune du Vieux Marché, représentée par la SELASUS Vincent Leclerc, demande à la cour de rejeter la requête de la SCI du Pont Neuf.

Elle soutient que :

 – son intervention de première instance était recevable ;

 – les moyens soulevés par la SCI du Pont Neuf ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 3 novembre 2020, l’association Eau et Rivières de Bretagne, représentée par Me Delalande, demande à la cour de rejeter la requête de la SCI du Pont Neuf.

Elle soutient que :

 – son intervention de première instance était recevable ;

 – les moyens soulevés par la SCI du Pont Neuf ne sont pas fondés ;

 – dans le cas où la cour reconnaîtrait l’existence légale de l’ouvrage, celui-ci devrait être considéré comme perdu.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – le code de l’énergie ;

 – le code de l’environnement ;

 – la loi du 16 octobre 1919 relative à l’énergie hydroélectrique ;

 – l’arrêté du 10 juillet 2012 du préfet de la région Centre, préfet coordonnateur du bassin Loire-Bretagne, portant sur la liste 1 des cours d’eau, tronçons de cours d’eau ou canaux classés au titre de l’article L. 214-17 du code de l’environnement du bassin Loire-Bretagne ;

 – l’arrêté du 10 juillet 2012 du préfet de la région Centre, préfet coordonnateur du bassin Loire-Bretagne, portant sur la liste 2 des cours d’eau, tronçons de cours d’eau ou canaux classés au titre de l’article L. 214-17 du code de l’environnement du bassin Loire-Bretagne ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de M. Bréchot,

 – les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,

 – les observations de Me Le Derf, représentant la SCI du Pont Neuf, les observations de Me Leclercq, représentant la commune du Vieux Marché, et les observations de M. A… H… pour l’association Eau et rivières de Bretagne.

Une note en délibéré présentée par la SCI du Pont Neuf a été enregistrée le 21 octobre 2021.

Une note en délibéré présentée par la commune du Vieux Marché a été enregistrée le 25 octobre 2021.

Une note en délibéré présentée par l’association Eau et Rivières de Bretagne a été enregistrée le 26 octobre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Le moulin du Pont Neuf, propriété de la SCI du Pont Neuf détenue par les consorts G…, est alimenté par un seuil de prise d’eau dans le lit mineur A… la rivière du Léguer, entre les communes de Trégrom et du Vieux Marché (Côtes-d’Armor). Depuis 1986, les services préfectoraux ont alerté à plusieurs reprises les propriétaires successifs du moulin de l’absence de justification de l’existence juridique de celui-ci et de la nécessité de déposer un dossier de régularisation. En particulier, par un arrêté du 18 avril 2014, le préfet des Côtes-d’Armor a mis en demeure les gérants de la SCI du Pont Neuf d’enlever la totalité des planches ainsi que la crémaillère des deux vannages du seuil de prise d’eau du moulin du Pont Neuf et de déposer un dossier de régularisation complet de l’ouvrage alimentant en eau le moulin, au titre des articles L. 214-1 et suivants du code de l’environnement. Un dossier de régularisation a été déposé par la SCI du Pont Neuf le 10 juillet 2014, lequel s’est toutefois révélé incomplet. Après de nombreux échanges techniques et plusieurs demandes de compléments adressés à la SCI du Pont Neuf par les services préfectoraux, une dernière version du dossier de régularisation a été reçue par ces derniers le 2 janvier 2017. Par courrier du 11 mai 2017, le directeur départemental des territoires et de la mer des Côtes-d’Armor a informé les gérants de la SCI du Pont Neuf qu’au regard des compléments d’étude fournis et de la nécessaire préservation des droits des autres riverains, la régularisation de l’ouvrage sur la base de la cote actuelle avec rehausse n’était pas envisageable et les a invités à transmettre, d’ici au 30 juin 2017, un nouveau dossier présentant un projet sans impact sur le moulin amont. Faute de réponse dans les délais impartis de la part de la SCI du Pont Neuf, le préfet des Côtes-d’Armor l’a, par arrêté du 17 août 2017, mise en demeure de déposer un dossier de régularisation de l’ouvrage de prise d’eau du Moulin du Pont Neuf intégrant la suppression de la rehausse. La SCI du Pont Neuf a saisi le tribunal administratif de Rennes, d’une part, d’un recours en annulation de cet arrêté préfectoral du 17 août 2017, et d’autre part, d’un recours en interprétation tendant à ce que soit reconnu son droit de prise d’eau fondé en titre ou sur titre de son ouvrage. La SCI du Pont Neuf relève appel du jugement de rejet de ses demandes.

Sur les interventions :

2. D’une part, l’association Eau et Rivières de Bretagne et la commune du Vieux Marché justifient d’un intérêt suffisant au maintien du jugement attaqué.

3. D’autre part, une intervention ne peut être admise que si son auteur s’associe soit aux conclusions de l’appelant, soit à celles du défendeur.

4. L’association Eau et Rivières de Bretagne et la commune du Vieux Marché s’associent aux conclusions de l’État défendeur. La production, par le ministre de la transition écologique, d’un mémoire en défense enregistré le 15 février 2021 a eu pour effet de régulariser l’irrecevabilité de ces interventions en ce qu’elles avaient été présentées à une date à laquelle aucun mémoire de l’État tendant au rejet de la requête n’avait été présenté.

5. Dès lors, les interventions de l’association Eau et Rivières de Bretagne et de la commune du Vieux Marché, sont recevables.

Sur la régularité du jugement attaqué :

6. Il résulte des motifs mêmes du jugement que le tribunal administratif de Rennes a expressément répondu aux moyens contenus dans les mémoires produits par la SCI du Pont Neuf. En particulier, le tribunal administratif a implicitement mais nécessairement écarté comme inopérant le moyen tiré de ce que l’arrêté contesté du préfet des Côtes-d’Armor « méconnaissait la consistance légale de l’ouvrage » dès lors que cette consistance légale était subordonnée à l’existence légale de l’ouvrage, dont le tribunal a considéré qu’elle n’était pas établie. Par suite, la SCI du Pont Neuf n’est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d’irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la recevabilité des interventions présentées en première instance :

7. En premier lieu, l’article 14 des statuts de l’association Eau et Rivières de Bretagne stipule que : « Le président (…) représente l’association dans tous les actes de la vie civile. / (…) / Le conseil d’administration a compétence pour décider d’ester tant en demande qu’en défense devant les instances arbitrales et juridictionnelles nationales, communautaires et internationales. (…) En cas de représentation en justice, le président ne peut être remplacé que par un mandataire agissant en vertu d’une procuration spéciale délivrée par le conseil d’administration de l’association. »

8. Il ressort des pièces du dossier de première instance que, par délibération du 10 janvier 2018, le conseil d’administration de l’association Eau et Rivières de Bretagne a décidé d’engager un recours en intervention volontaire à l’appui de la défense de l’arrêté contesté par la SCI du Pont Neuf, en mandatant et donnant pouvoir à M. F… B…, délégué général, ou à M. E… A… Roc’h, chargé de mission juridique, avec le concours éventuel d’un avocat, pour engager cette démarche et représenter l’association. Si le premier mémoire en intervention de l’association, enregistré le 28 février 2018, indiquait que celle-ci agissait « sous la signature de son président en exercice, Monsieur C… D… », tout en ne comportant que la signature du « chargé de mission juridique » dont le nom n’était pas mentionné, son second mémoire en intervention, enregistré le 26 juin 2019, indiquait que l’association était représentée par « M. E… A… Roc’h, chargé de mission juridique » et était signé par ce dernier. Dès lors que ce chargé de mission juridique agissait en vertu d’un mandat confié par le conseil d’administration de l’association, la SCI du Pont Neuf n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a jugé recevable l’intervention de l’association Eau et Rivières de Bretagne.

9. En second lieu, est recevable à former une intervention toute personne qui justifie d’un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l’objet du litige.

10. En l’espèce, le moulin du Pont Neuf est implanté sur le territoire de la commune du Vieux Marché. Celle-ci conteste par ailleurs les prétentions de la SCI du Pont Neuf, fondées notamment sur l’allégation du caractère régulier du moulin, à l’usage privatif et à la propriété privée de la passerelle qui rejoint les deux rives du Léguer et qui est utilisée par les propriétaires du moulin pour régler le vannage situé du côté opposé à celui-ci. Ainsi, la commune du Vieux Marché justifiait d’un intérêt suffisant, eu égard à la nature et à l’objet du litige, pour intervenir à la première instance au soutien des conclusions présentées par le préfet des Côtes-d’Armor. Dès lors, la SCI du Pont Neuf n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a jugé recevable l’intervention de la commune du Vieux Marché.

En ce qui concerne le recours en interprétation :

11. Aux termes de l’article L. 214-1 du code de l’environnement : « Sont soumis aux dispositions des articles L. 214-2 à L. 214-6 les installations, les ouvrages, travaux et activités réalisés à des fins non domestiques par toute personne physique ou morale, publique ou privée, et entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, une modification du niveau ou du mode d’écoulement des eaux, la destruction de frayères, de zones de croissance ou d’alimentation de la faune piscicole ou des déversements, écoulements, rejets ou dépôts directs ou indirects, chroniques ou épisodiques, même non polluants. » Selon le II de l’article L. 214-6 du même code : « Les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d’une législation ou réglementation relative à l’eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section. Il en est de même des installations et ouvrages fondés en titre ». Aux termes de l’article L. 214-10 du même code, dans sa version issue de l’ordonnance no 2017-80 du 26 janvier 2017 : « Les décisions prises en application des articles L. 214-1 à L. 214-6 et L. 214-8 peuvent être déférées à la juridiction administrative dans les conditions prévues aux articles L. 181-17 à L. 181-18 ». En vertu de l’article L. 181-17 du même code, ces décisions sont soumises à un contentieux de pleine juridiction.

S’agissant de l’existence du droit d’usage de l’eau fondé en titre :

12. Sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale les prises d’eau sur des cours d’eaux non domaniaux qui, soit ont fait l’objet d’une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d’un acte antérieur à l’abolition des droits féodaux. Une prise d’eau est présumée établie en vertu d’un acte antérieur à l’abolition des droits féodaux dès lors qu’est prouvée son existence matérielle avant cette date. La preuve de cette existence matérielle peut être apportée par tout moyen, notamment par sa localisation sur la carte de Cassini datant du XVIIIème siècle.

13. Pour soutenir que le moulin du Pont Neuf, qui aurait été anciennement dénommé Moulin Neuf, doit être regardé comme fondé en titre en raison de son existence matérielle avant l’abolition des droits féodaux en 1789, la SCI du Pont Neuf fait valoir, d’une part, que celui-ci est matérialisé sur la carte de Cassini. Cependant, il résulte de l’instruction que le moulin identifié par la requérante sur cette carte n’est pas celui du Pont Neuf mais le moulin du Vicomte, qui se trouve à 338 mètres en amont sur le Léguer, et qu’aucun autre moulin n’est matérialisé à l’emplacement de l’actuel moulin du Pont Neuf. Si la société requérante se prévaut, d’autre part, d’un « extrait de registre du contrôle des actes de 1785-1787 », difficilement lisible, qui mentionnerait la vente d’un terrain faisant partie du « moulin neuf ou de la seigneurie du Vieux-Marché », l’État fait valoir qu’il existe un autre moulin dénommé Moulin Neuf (ou Milin Névez) sur le territoire de la commune du Vieux Marché, installé sur le cours d’eau du Saint-Ethurien, affluent du Léguer, et mentionné sur la carte de Cassini. Cette allégation est corroborée par une analyse non sérieusement contestée des documents des archives départementales réalisée par la commune du Vieux-Marché, qui a recensé douze moulins existant en 1789 et appartenant aux seigneurs religieux ou civils sur le territoire de Plouaret – Le Vieux Marché, dont un « moulin Neuf seigneurie de Vieux-Marché » qui aurait appartenu à partir de 1747 au marquis de la Rivière. Ainsi, le « moulin neuf » mentionné dans le registre de contrôle des actes produit doit être regardé comme faisant référence au moulin situé sur le Saint-Ethurien et non sur le Léguer. Par ailleurs, ni l’existence d’une pierre encastrée dans la construction mentionnant « F. Landouar 1791 », ni l’acte d’achat, le 3 novembre 1790, par François Landouar et Marguerite Le Levier de biens immobiliers au lieu de KerVouaziou dans la frairie de Kandouff, paroisse de Plouaret, ne sont de nature à démontrer l’existence d’un moulin à son emplacement actuel en 1789. Il en va de même de la mention de ce moulin sur la carte de l’état-major (1820-1866), sur la carte napoléonienne de 1835 et sur le cadastre napoléonien de 1836. Quant à la présence à proximité immédiate du moulin d’une meule en pierre gravée de la date « 1652 », elle n’est, à elle seule, pas de nature à prouver l’existence matérielle de ce moulin en 1789, compte-tenu de la possibilité d’un réemploi de cette meule en provenance d’un autre moulin. Dès lors, la SCI du Pont Neuf ne rapporte pas la preuve du bénéfice d’un droit fondé en titre sur la prise d’eau attachée au moulin du Pont Neuf.

S’agissant de l’existence d’une autorisation antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’énergie hydroélectrique :

14. En vertu des dispositions du dernier alinéa de l’article 18 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’énergie hydroélectrique, aujourd’hui codifiées à l’article L. 511-9 du code de l’énergie, les installations hydrauliques autorisées à la date du 18 octobre 1919 et dont la puissance ne dépasse pas 150 kilowatts demeurent autorisées conformément à leur titre et sans autre limitation de durée que celle résultant de la possibilité de leur suppression dans les conditions prévues par les lois en vigueur sur le régime des eaux et désormais fixées au titre Ier du livre II du code de l’environnement. Ces dispositions s’appliquent aux seules installations dûment autorisées.

15. Si la SCI du Pont Neuf produit un inventaire dressé par les Ponts et Chaussées en 1848 et le « tableau B » du bassin du Léguer des « statistiques des cours d’eau, usines et irrigations, département des Côtes du Nord » réalisé en 1886 par l’administration, faisant tous deux état de l’existence d’un « moulin du Pont Neuf » sur le Léguer, aucun de ces inventaires n’avait pour objet d’autoriser les ouvrages de moulin ni ne mentionne l’existence d’un règlement d’eau concernant cet ouvrage. Il en va de même de l’état statistique des usines hydrauliques dressé en 1953, au demeurant postérieur au 18 octobre 1919. Il ressort en outre d’un courrier des archives départementales du 13 août 1986 que celles-ci ne disposent d’aucun document justifiant l’existence juridique du moulin du Pont Neuf. Dès lors, la SCI du Pont Neuf ne justifie pas de l’existence d’une autorisation des ouvrages de ce moulin antérieure au 18 octobre 1919. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la société requérante, ni la loi du 16 octobre 1919 relative à l’énergie hydroélectrique, ni la loi du 8 avril 1898 sur le régime des eaux, pas plus qu’aucun autre texte antérieur ne dispensaient d’autorisation les « seuils fixes » de prise d’eau dont la puissance ne dépassait pas 150 kilowatts. Par conséquent, faute de disposer d’un titre à la date du 18 octobre 1919, les installations de la SCI du Pont Neuf ne peuvent être regardées comme autorisées en application des dispositions du dernier alinéa de l’article 18 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’énergie hydroélectrique.

S’agissant de la consistance légale de l’ouvrage :

16. Dès lors que la SCI du Pont Neuf ne dispose d’aucun droit d’usage de l’eau fondé en titre attaché aux installations du moulin du Pont Neuf et que celles-ci ne peuvent être regardées comme autorisées en application des dispositions du dernier alinéa de l’article 18 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’énergie hydroélectrique, elle ne peut utilement demander que soit fixée la consistance légale de son ouvrage.

En ce qui concerne le recours en annulation de l’arrêté du préfet des Côtes d’Armor du 17 août 2017 :

17. En premier lieu, l’arrêté préfectoral contesté comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Au demeurant, il était accompagné d’un courrier du directeur départemental des territoires et de la mer et vise de nombreux rapports et courriers reçus précédemment par la SCI du Pont Neuf, qui comportaient eux-mêmes des informations complémentaires sur les motifs de fait justifiant l’arrêté contesté. Ce dernier est, par suite, suffisamment motivé.

18. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 12 à 15 que la SCI du Pont Neuf ne dispose d’aucun droit d’usage de l’eau fondé en titre attaché aux installations du moulin du Pont Neuf et que celles-ci ne peuvent être regardées comme autorisées en application des dispositions du dernier alinéa de l’article 18 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’énergie hydroélectrique.

19. En troisième lieu, aux termes de l’article L. 214-3 du code de l’environnement : « I. – Sont soumis à autorisation de l’autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d’accroître notablement le risque d’inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles. / Cette autorisation est l’autorisation environnementale régie par les dispositions du chapitre unique du titre VIII du livre Ier, sans préjudice de l’application des dispositions du présent titre. / II. – Sont soumis à déclaration les installations, ouvrages, travaux et activités qui, n’étant pas susceptibles de présenter de tels dangers, doivent néanmoins respecter les prescriptions édictées en application des articles L. 211-2 et L. 211-3. / (…) » Aux termes de l’article L. 211-1 du code de l’environnement : " I. – Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : / 1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides (…) ; / 2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d’accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu’il s’agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ; / (…) / 5° La valorisation de l’eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d’électricité d’origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ; / (…) / 7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques. / (…) / II. – La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l’alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences : / (…) 1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ; / 2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ; / 3° De l’agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l’industrie, de la production d’énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées. / (…). "

20. Il résulte de l’instruction que les installations du moulin du Pont Neuf sont constituées d’un déversoir en pierres maçonnées, comportant une rehausse de 30 à 40 centimètres réalisée au cours du XXème siècle, ainsi que de deux vannes de décharge permettant le passage des sédiments.

21. La décision de mise en demeure contestée impose à la SCI du Pont Neuf de déposer un dossier de régularisation du moulin du Pont Neuf intégrant la suppression totale de la rehausse du seuil de la prise d’eau, en raison de l’impact de cette rehausse sur le seuil du moulin du Vicomte situé 338 mètres en amont.

22. La société requérante soutient que, selon l’étude hydraulique réalisée en 2016, son projet maintenant la rehausse a des effets favorables au propriétaire du Moulin du Vicomte en ce qu’il permet de réduire la zone de remous et d’abaisser la cote de la ligne d’eau en amont du Moulin du Pont Neuf, et que l’ouvrage projeté aura pour seul effet résiduel un rehaussement d’un centimètre de la ligne d’eau au droit du moulin du Vicomte en janvier et février. Cependant, ainsi que l’a fait valoir le préfet des Côtes-d’Armor en première instance, cet impact résiduel a été évalué en situation de turbinage permanent et de vannes de décharges ouvertes, alors que le fonctionnement de la turbine ne peut être garanti en permanence et que l’ouverture permanente des vannes de décharge entre décembre et avril les priverait de leur rôle régulateur de l’augmentation de la ligne d’eau en amont de l’ouvrage, particulièrement en période de crue. En réalité, il ressort de cette même étude hydraulique que, en l’absence de turbinage, la cote de 47,64 mètres NGF, correspondant à la ligne d’eau à respecter en amont du moulin du Pont-Neuf pour ne pas impacter le moulin du Vicomte, est dépassée neuf mois sur douze, avec une surélévation allant jusqu’à 23 centimètres pour le débit moyen de janvier.

23. Dès lors, en l’état de l’instruction, à supposer même que, ainsi que le soutient la SCI du Pont Neuf, la rehausse en cause n’ait pas pour effet d’aggraver le risque d’inondation du moulin du Vicomte, le préfet des Côtes-d’Armor a pu, conformément aux dispositions du code de l’environnement citées au point 19, estimer que la rehausse du seuil du Moulin du Pont Neuf avait un impact sur le seuil du Moulin du Vicomte et, en conséquence, mettre en demeure la société requérante de déposer un dossier de régularisation du Moulin du Pont Neuf intégrant la suppression totale de cette rehausse.

24. En quatrième lieu, aux termes de l’article L. 214-17 du code de l’environnement : " I. – Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l’Assemblée de Corse, l’autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : / 1° Une liste de cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux parmi ceux qui sont en très bon état écologique ou identifiés par les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l’atteinte du bon état écologique des cours d’eau d’un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s’ils constituent un obstacle à la continuité écologique. / Le renouvellement de la concession ou de l’autorisation des ouvrages existants, régulièrement installés sur ces cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux, est subordonné à des prescriptions permettant de maintenir le très bon état écologique des eaux, de maintenir ou d’atteindre le bon état écologique des cours d’eau d’un bassin versant ou d’assurer la protection des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée ; / 2° Une liste de cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d’assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l’autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l’exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d’énergie. S’agissant plus particulièrement des moulins à eau, l’entretien, la gestion et l’équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l’accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l’exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages. « Il ressort des arrêtés du 10 juillet 2012 du préfet de la région Centre, préfet coordonnateur du bassin Loire-Bretagne, portant sur la liste 1 et sur la liste 2 des cours d’eau, tronçons de cours d’eau ou canaux classés au titre de l’article L. 214-17 du code de l’environnement du bassin Loire-Bretagne, que le Léguer figure sur la liste 1 » de la source jusqu’à l’estuaire « et sur la liste 2 » de la confluence avec le Guic jusqu’au pont de la RD 74 ".

25. Il résulte de l’instruction, notamment d’un rapport de l’office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA) du 20 décembre 2013 relatif à l’évaluation de la franchissabilité piscicole sur le site du Moulin du Pont-Neuf sur le Léguer, que le seuil de ce moulin constitue un obstacle majeur pour la circulation des poissons, en particulier des différentes espèces de poissons migrateurs présentes sur le Léguer. Si la SCI du Pont Neuf soutient qu’elle a, à la fin de l’année 2014 et dans l’attente d’une régularisation de l’ouvrage, pratiqué une échancrure de 4 mètres de longueur dans la rehausse de son déversoir, afin que ce dernier ne constitue plus un obstacle à la migration des différentes espèces de poissons migrateurs présentes sur le Léguer, elle ne justifie pas de cette absence d’impact en se bornant à produire une attestation du président d’une association locale de pêcheurs. Enfin, si la SCI du Pont Neuf soutient qu’elle a accepté d’aménager le seuil de prise d’eau de son moulin conformément aux préconisations figurant dans l’étude précitée, notamment en réalisant une passe à ralentisseurs de fonds suractifs pour permettre le franchissement des saumons, truites de mer, truites fario et lamproies marines, il est constant que ces aménagements, qui n’avaient pas été réalisés à la date de la mise en demeure contestée, ne le sont pas davantage à ce jour, et qu’ils ne prennent pas en compte la suppression totale de la rehausse exigée par le préfet des Cotes-d’Armor, dont il a été dit au point 23 qu’elle n’est pas entachée d’illégalité. Dans ces conditions, les dispositions de l’article L. 214-7 du code de l’environnement n’ont pas été méconnues.

26. En cinquième lieu, aux termes de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement, créé par l’article 15 de la loi du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances no 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et no 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables : « Les moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l’électricité, régulièrement installés sur les cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux mentionnés au 2° du I de l’article L. 214-17, ne sont pas soumis aux règles définies par l’autorité administrative mentionnées au même 2°. Le présent article ne s’applique qu’aux moulins existant à la date de publication de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables ».

27. Comme il a été dit aux points 12 à 15, la SCI du Pont Neuf ne dispose d’aucun droit d’usage de l’eau fondé en titre attaché aux installations du moulin du Pont Neuf et celles-ci ne peuvent être regardées comme autorisées en application des dispositions du dernier alinéa de l’article 18 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’énergie hydroélectrique. Il s’ensuit que le moulin du Pont-Neuf n’est pas régulièrement installé sur le Léguer au sens des dispositions précitées de l’article L. 214-18-1. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement doit, en tout état de cause, être écarté.

28. En dernier lieu, si la SCI du Pont Neuf soutient qu’un arrêté de refus d’autorisation aurait dû être pris sur sa demande, suivi éventuellement d’un arrêté de mise en demeure, un tel moyen est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de l’arrêté contesté de mise en demeure de déposer un dossier de régularisation complet intégrant la suppression totale de la rehausse du seuil de l’ouvrage.

29. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI du Pont Neuf n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

30. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’État, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SCI du Pont Neuf demande au titre des frais exposés par elle à l’occasion du litige soumis au juge.


DÉCIDE :

Article 1er : Les interventions de l’association Eau et Rivières de Bretagne et de la commune du Vieux Marché sont admises.

Article 2 : La requête de la SCI du Pont Neuf est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI du Pont Neuf, à la ministre de la transition écologique, à l’association Eau et Rivières de Bretagne et à la commune du Vieux Marché.

Copie en sera adressée pour information au préfet des Côtes-d’Armor.

Délibéré après l’audience du 19 octobre 2021, à laquelle siégeaient :

— M. Pérez, président de chambre,

 – Mme Douet, présidente-assesseure,

 – M. Bréchot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 novembre 2021.


Le rapporteur,

F.-X. BréchotLe président,

A. Pérez


La greffière,

A. Lemée

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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No 20NT01599

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CAA de NANTES, 2ème chambre, 5 novembre 2021, 20NT01599, Inédit au recueil Lebon