CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 14PA01350

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : CE, 14 novembre 2012, n° 342327
CE, 17 juillet 2013, n° 350380, 350381, 350397 350403
CE, Sect., 3 avril 1998, Fédération de la plasturgie, p. 127

Texte intégral

N°14PA01350 […]
Audience du 10 novembre 2015
Lecture du 24 novembre 2015
CONCLUSIONS M. Christophe CANTIÉ, rapporteur public
Par une convention signée le 26 mars 1992, la commune de Papeete a concédé à la société Polynésienne de l’eau et de l’assainissement la gestion du service public de distribution de l’eau potable. Différents avenants sont venus ultérieurement modifier les clauses de la convention, dont un avenant n°7 conclu le 24 décembre 2012, qui a pris effet au 1er janvier 2013 et dont la signature a été autorisée par délibération du conseil municipal en date du 13 décembre 2012.
Deux usagers du service ont demandé au tribunal administratif de Polynésie française d’annuler cette délibération. L’association syndicale libre des propriétaires du lotissement Arevareva et l’association syndicale libre des propriétaires du lotissement Fenua Ute relèvent appel du jugement du 26 novembre 2013 par lequel le tribunal administratif a rejeté leur demande et les a condamnées solidairement à verser à la commune de Papeete la somme de 150 000 F CFP au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Contrairement à ce qui est soutenu par la commune, la qualité à agir du président de chacune des associations requérantes est attestée par les pièces produites, tant d’ailleurs pour la demande de première instance que pour la requête d’appel. Observons au préalable sur ce point qu’il suffit, s’agissant d’un recours collectif, que cette qualité soit justifiée pour un seul des deux présidents.
Vous savez qu’en l’absence, dans les statuts d’une association, de stipulations réservant expressément à un autre organe la capacité de décider de former une action devant le juge administratif, celle-ci est régulièrement engagée par l’organe tenant des mêmes statuts le pouvoir de représenter en justice cette association (CE, Sect., 3 avril 1998, Fédération de la plasturgie, p. 127). Au cas présent, il ressort des statuts de l’association syndicale libre des propriétaires du lotissement Fenua Ute que son président la représente en justice tandis qu’aucun autre organe n’est habilité à ester en justice au nom de l’entité. Le président de cette association justifie dès lors de sa qualité pour initier en son nom le présent contentieux. Les règles posées par les statuts de la seconde association ne confèrent pas la même prérogative à son président. Cependant, vous trouverez au dossier une délibération du conseil syndical de l’association en date du 20 mars 2013 qui peut être lue comme tendant à la contestation de la délibération en cause dans la présente affaire, laquelle a une incidence majeure sur les tarifs du service public de la distribution d’eau. La fin de non-recevoir opposée par la commune doit ainsi être écartée dans ses deux branches.
Ajoutons que la délibération querellée porte sur l’organisation et le fonctionnement du service, de sorte que les requérantes justifient de leur intérêt pour agir, en leur qualité d’usagers directs (CE, 21 décembre 1906, Syndicat des propriétaires et contribuables du quartier Croix de Seguey-Tivoli, p. 962).
Sur le fond, il apparaît qu’un seul des moyens invoqués par les appelantes est fondé et de nature à justifier l’annulation de la délibération adoptée le 13 décembre 2012 par le conseil municipal de la commune de Papeete.
Il s’agit d’un moyen de légalité externe, tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Celles-ci imposent, dans les communes de 3 500 habitants et plus, l’envoi aux conseillers municipaux d’une note explicative de synthèse avec la convocation aux réunions du conseil municipal. Ce document, qui doit porter sur les différents points de l’ordre du jour de la séance, doit permettre aux élus de préparer celle-ci en disposant d’une information adéquate : son envoi en temps utile constitue donc une garantie permettant l’exercice normal par les élus de leur mandat. Le Conseil d’Etat a précisé que l’obligation résultant de l’envoi de cette note explicative de synthèse doit être adaptée à la nature et à l’importance des affaires et permettre aux intéressés d’appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions. Elle n’impose pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises (CE, 14 novembre 2012, n°342327, Commune de Mandelieu-la-Napoule, aux tables).
En l’espèce, les conseillers municipaux ont été destinataires d’un rapport n°2012-89 relatif au projet de délibération approuvant l’avenant n°7 à la convention de concession du service public de distribution de l’eau potable. Comme s’en plaignent spécifiquement les associations appelantes, ce document ne fait pas clairement mention de l’incidence de la délibération sur les montants facturés aux usagers. Or, il apparaît que la délibération opère un changement substantiel des modalités de la tarification du service : en effet, elle approuve la mise en œuvre d’une tarification reposant principalement sur le volume d’eau effectivement consommé par chacun des abonnés, alors que c’est un coût forfaitaire qui était jusque là retenu comme base de calcul des redevances. Certes, la lecture du rapport pouvait donner à penser aux élus les plus perspicaces que le montant facturé à certains des usagers allait inévitablement augmenter dans des proportions importantes. Toutefois, aucune estimation, ni aucun élément quant à l’impact concret de la modification du régime du service ne figure dans le document transmis aux élus.
Mais tel n’est pas l’aspect le plus gênant. En effet, il apparaît que les élus n’ont pas été suffisamment informés des motifs justifiant l’instauration d’une facturation en fonction des consommations réelles d’eau, alors qu’il s’agit d’un aspect déterminant du projet de délibération. Le rapport se borne à faire mention que l’avenant n°7 a pour objectif d’ « apporter des aménagements rendus nécessaires par les nouvelles dispositions réglementaires et législatives maintenant en vigueur en Polynésie française (CGCT, lois de pays, …) portant principalement sur la refonte de la tarification ». Mais quelles sont au juste ces « nouvelles dispositions législatives et réglementaires » ? Le rapport est parfaitement muet sur ce point. Même si le Conseil d’Etat, nous l’avons dit, a jugé que la note explicative de synthèse n’a pas à comporter de justification détaillée du bien-fondé des propositions soumises aux élus, force est de constater en l’espèce que ce qui est présenté dans le rapport comme une « contrainte juridique » ne peut être comprise par les élus, qui se voient donc privés de la possibilité de se renseigner, en vue de préparer le débat en séance, au sujet de la nécessité de mettre fin à la tarification forfaitaire du service de distribution de l’eau.
Ceci nous paraît fort regrettable car, comme l’ont relevé les premiers juges, il résulte clairement de l’article L. 2573-28 du CGCT que les dispositions de l’article L. 2224-12-4 de ce code ne sont pas applicables aux communes de Polynésie française. Ce sont ces dispositions issues de la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau qui imposent, tout au moins en métropole, une tarification du service en fonction du volume réellement consommé par l’abonné à un service de distribution de l’eau. La circonstance que le rapport transmis aux élus n’expose pas avec plus de précision la nature exacte de la « contrainte juridique » imposant la mise en place d’une telle tarification, à supposer qu’une telle contrainte existait alors, a ainsi une incidence directe sur l’information préalable des élus, condition de l’exercice normal de leur mandat.
Le rapport tenant lieu en l’espèce de note explicative de synthèse au sens de l’article L. 2121-12 du CGCT est donc insuffisant, ce qui caractérise un vice de procédure. Ce vice apparaît en l’espèce substantiel : en effet, vous ne pourrez à notre sens faire application de la jurisprudence Danthony et autres, en l’absence d’éléments permettant de considérer que l’irrégularité n’a pas été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la délibération et n’a pas privé les conseillers municipaux d’une garantie (voyez pour une application positive de cette jurisprudence, s’agissant justement de l’information insuffisante d’élus : CE, 17 juillet 2013, n°350380, 350381, 350397 350403, Sté SFR et autres). Certes, le dossier permet-il de relever que des séminaires portant sur le sujet ont été organisés en juin et décembre 2012 à destination des élus et que la commission des délégations de service public a été réunie en mai et décembre de la même année. Mais, d’une part, il n’est pas certain que tous les élus aient participé à ces différentes réunions, d’autre part et en tout état de cause, il n’est pas établi par la commune que des informations plus précises aient été alors communiquées aux élus présents, s’agissant tant des conséquences pour les usagers du nouveau régime de tarification que des motifs devant conduire à son adoption. Sur ce dernier point, le dossier comporte la copie d’un diaporama diffusé au cours du séminaire du 5 décembre 2012, une semaine avant l’adoption de la délibération attaquée, faisant état de ce que « le forfait de 600 m3 … est interdit par le CGCT » et que la nouvelle tarification est le moyen de « respecter le cadre du CGCT ». Ces indications semblent volontairement vagues ; quoi qu’il en soit, elles n’ont pu éclairer les élus sur les raisons imposant la modification de l’organisation du service.
Ceux-ci ont été privés d’une garantie attachée à leur mandat, circonstance faisant à elle seule obstacle à la « neutralisation » du vice de procédure résultant de l’insuffisance de la note explicative de synthèse.
C’est pourquoi, si vous nous suivez, vous annulerez les articles 3 et 4 du jugement attaqué, de même que la délibération contestée, et mettrez à la charge de la commune de Papeete le versement aux associations appelantes, prises ensemble, de la somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Tel est le sens de nos conclusions.

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