Cour de Cassation, Chambre sociale, du 28 février 2002, 00-11.794, Inédit

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
Cass. soc., 28 févr. 2002, n° 00-11.794
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 00-11.794
Importance : Inédit
Décision précédente : Cour d'appel de Douai, 29 juin 1999
Textes appliqués :
Code de la sécurité sociale L454-1 à 3, L452-1
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 4 novembre 2021
Identifiant Légifrance : JURITEXT000007446120
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Sur les parties

Texte intégral

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur les pourvois n° V 00-11.794 et K 99-18.391 formés par la société Eternit industries, dont le siège social est …, et son établissement de Thiant route de Thiant, 59224 Thiant,

en cassation de deux arrêts rendus les 30 juin et 17 décembre 1999 par la cour d’appel de Douai (Chambre sociale) , au profit:

1 / de Mme Louise Y…, veuve de Myrtil Z…,

2 / de Mme Annie-Claude Z…,

demeurant toutes deux 44, Cité Maurice Thorez, 59224 Thiant,

3 / de Mme Laurence Z…, épouse X…, demeurant …, 57580 Remilly, prises toutes trois en leur qualité d’héritières de Myrtil Z…,

4 / de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Valenciennes, dont le siège est …,

défenderesses à la cassation ;

La Caisse primaire d’assurance maladie de Valenciennes a formé un pourvoi provoqué contre l’arrêt du 17 décembre 1999 ;

La société Eternit industries invoque, à l’appui de son pourvoi n° K 99-18.391, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

La société Eternit industries, demanderesse au pourvoi principal n° V 00-11.794, invoque, à l’appui de son recours, un moyen unique de cassation, commun au pourvoi provoqué de la CPAM de Valenciennes, également annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au Procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l’article L. 131-6-1 du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 17 janvier 2002, où étaient présents : M. Sargos, président, M. Ollier, conseiller rapporteur, MM. Merlin, Boubli, Le Roux-Cocheril, Brissier, Gougé, Thavaud, Lanquetin, Chauviré, conseillers, M. Poisot, Mme Trassoudaine-Verger, M. Petit, conseillers référendaires, M. Benmakhlouf, premier avocat général, M. Richard, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Ollier, conseiller, les observations de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la société Eternit industries, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat des consorts Z…, de Me Foussard, avocat de la Caisse primaire d’assurance maladie de Valenciennes, les conclusions de M. Benmakhlouf, premier avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu leur connexité, joint les pourvois n° K 99-18.391 et V 00-11.794 ;

Attendu que Myrtil Z…, salarié de la société Eternit industries depuis 1955, a été atteint d’un mésothéliome, reconnu maladie professionnelle, le 16 mai 1995 ; que l’arrêt attaqué par le premier pourvoi (Douai, 30 juin 1999), statuant sur les demandes présentées par le salarié, puis, après le décès de celui-ci, survenu le 20 juillet 1998, par sa veuve et ses deux enfants, a dit que cette maladie professionnelle était due à la faute inexcusable de l’employeur, fixé le taux de la majoration de la rente, alloué diverses sommes aux consorts Z… en réparation de leur préjudice moral et ordonné la réouverture des débats pour statuer sur leur réclamation relative au préjudice personnel subi par le salarié jusqu’à son décès ; que l’arrêt attaqué par le second pourvoi (Douai, 17 décembre 1999) a fixé les différents chefs de préjudice subis par Myrtil Z… personnellement et dit que le règlement de ces sommes aux ayants droit incombait à la caisse primaire d’assurance maladie qui en récupérerait le montant, conformément aux dispositions de l’article L.452-3, dernier alinéa, du Code de la sécurité sociale ;

Sur les deux moyens du pourvoi n° K 99-18.391, pris en leurs diverses branches :

Attendu que la société Eternit industries fait grief à la cour d’appel d’avoir statué comme elle l’a fait, alors, selon le premier moyen :

1 / qu’un dispositif de mesures spécifiques à la protection des risques liés à l’inhalation de poussières d’amiante n’a été défini qu’à compter d’un décret n° 77-949 du 17 août 1977 qui a posé pour la première fois une règle appropriée en fonction du degré de concentration des fibres d’amiante dans l’atmosphère (à savoir alors deux fibres par cm3, concentration qui devait être ultérieurement peu à peu réduite pour atteindre 0,1 fibre par cm3 en vertu du décret n° 96-08 du 7 février 1996) ;

que viole en conséquence les articles L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale l’arrêt attaqué qui considère la société Eternit comme l’auteur d’une faute inexcusable en fonction de textes relatifs à la salubrité en général dans les établissements industriels (décrets du 10 mars 1894, du 10 juillet 1913 et du 13 décembre 1948) et totalement inappropriés aux poussières d’amiante, en ne tenant aucun compte des textes spécifiques édictés depuis 1977 ;

2 / que selon l’article 21 du décret du 10 juillet 1913, qui avait repris les dispositions du décret du 10 mars 1894, l’employeur ne pouvait être constitué en faute au regard des dispositions de ce décret relatives à l’empoussièrement qu’en cas de non-respect d’une mise en demeure passé un délai d’un mois ; qu’en l’absence de constatation d’une quelconque méconnaissance par la société Eternit d’une telle mise en demeure, viole ce texte l’arrêt attaqué qui considère que ladite société aurait commis une faute, d’une exceptionnelle gravité, par suite de la méconnaissance des dispositions de ce décret au regard d’une maladie professionnelle liée à l’amiante ;

3 / que ne justifie pas légalement sa décision au regard des articles L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale l’arrêt attaqué qui retient l’existence d’une faute inexcusable de la société Eternit sur le fondement d’irrégularités décrites par l’inspecteur du travail dans une lettre du 1er février 1996, à la suite de visites opérées en octobre et novembre 1995 dans l’établissement de Thiant, sans tenir compte du fait que des prélèvements de poussières effectués en mars 1996, en exécution d’une mise en demeure du même inspecteur du travail, par un organisme agréé pour procéder aux contrôles de la concentration en poussières d’amiante de l’atmosphère des lieux de travail, avaient fait apparaître qu’en tout lieu de l’établissement la concentration en poussières d’amiante était bien inférieure au maximum alors autorisé et que la moyenne des concentrations mesurées était de 0,024 fibre par cm3 en regard d’une valeur limite de 0,1 fibre par cm3 posée par le décret n° 96-98 du 7 février 1996, le contrôleur ayant conclu : « ces résultats traduisent donc une situation satisfaisante et reflètent bien la propreté générale de l’usine » ;

4 / que ce défaut de base légale est d’autant plus caractérisé que la cour d’appel ne pouvait en tout état de cause valablement se fonder sur des considérations non contemporaines de la déclaration de la maladie ;

5 / que manque encore de base légale au regard des mêmes articles L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale l’arrêt attaqué qui retient l’existence d’une faute inexcusable de la société Eternit sur le fondement d’attestations d’anciens salariés (par ailleurs demandeurs dans d’autres procédures) relatant des faits non précisément situés dans le temps, sans tenir compte du fait que ces attestations ne portaient pas sur le niveau de concentration de poussières d’amiante dans l’atmosphère, seul élément légalement et scientifiquement déterminant quant au risque lié à l’exposition des salariés à ces poussières en vertu des textes spécifiques, et ne tenaient pas compte des résultats des prélèvements officiels de poussières faisant apparaître que les densités de poussières de cet établissement étaient toujours inférieures au taux réglementairement autorisé ;

6 / que ce défaut de base légale est d’autant plus caractérisé que la cour d’appel a omis de tenir compte du fait que la société Eternit avait de tous temps été en avance sur les pouvoirs publics en la matière (avec, antérieurement à la publication en 1977 du premier texte réglementaire spécifique à la protection contre l’inhalation des poussières d’amiante, l’apparition du broyage humide en 1952, du traitement centralisé de l’amiante humide en 1963, du transport pneumatique de l’amiante humide en 1968, du dépoussiérage centralisé pour tous les tours d’usinage en 1970, et la réflexion « plan poussière » en 1976) ;

7 / que, faute d’avoir caractérisé le lien de causalité qui aurait existé entre la faute imputée à la société Eternit et la maladie professionnelle contractée par le salarié au poste qu’il occupait, l’arrêt attaqué a privé sa décision de base légale au regard des articles L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale ;

et alors, selon le second moyen :

1 / que l’inscription de l’asbestose en 1950 au tableau n° 30 des maladies professionnelles et l’inscription dans la liste des travaux susceptibles de provoquer cette maladie de la manipulation et de la l’utilisation de l’amiante brut dans les opérations de fabrication de l’amiante-ciment en 1951 ne sauraient par elles-mêmes rendre auteur d’une faute inexcusable l’employeur qui continue d’exercer l’une des activités prises en compte dans ledit tableau, laquelle, de ce fait, demeure licite sous réserve du respect des normes de prévention en vigueur, de sorte que l’arrêt attaqué qui, en l’absence d’interdiction du traitement de l’amiante à l’époque, se détermine par la considération que la seule connaissance par la société Eternit de l’inscription de l’asbestose au tableau des maladies professionnelles aurait un « caractère fautif » viole les articles L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale ;

2 / que Myrtil Z… ayant été atteint d’un mésothéliome, et le mésothéliome ayant été inscrit au tableau n° 30 en 1976 seulement et étant une maladie totalement différente de l’asbestose inscrite à ce tableau en 1950, ne justifie pas légalement sa décision au regard des articles L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale l’arrêt attaqué qui, pour l’appréciation de la conscience que la société Eternit avait pu avoir du danger qu’avait couru Myrtil Z… en travaillant dans son établissement de Thiant, fait exclusivement référence à la date d’inscription de l’asbestose au tableau des maladies professionnelles en ignorant totalement le fait que le mésothéliome n’avait été inscrit à ce tableau que vingt-six ans plus tard ;

3 / qu’un vide juridique ayant incontestablement existé quant aux mesures de sécurité à prendre dans les établissements où le personnel est exposé à l’inhalation de poussières d’amiante et un dispositif de mesures appropriées n’ayant été défini par les pouvoirs publics que par un décret n° 77-949 du 17 août 1977 que les juges du fond se sont totalement abstenus de considérer, la cour d’appel ne pouvait, sans priver sa décision de base légale au regard des articles L.452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale, caractériser la conscience du danger qu’aurait dû avoir l’employeur quant aux risques qu’il faisait courir au salarié du fait de l’utilisation d’une matière qui demeurait autorisée, en se référant à un article confidentiel paru dans une revue médicale en 1930 et en ignorant le caractère très progressif de l’évolution des connaissances scientifiques en la matière ;

Mais attendu qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L.452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ;

Et attendu que les énonciations de l’arrêt caractérisent le fait, d’une part, que la société avait ou aurait dû avoir conscience du danger lié à l’amiante, d’autre part, qu’elle n’avait pas pris les mesures nécessaires pour en préserver son salarié ; que la cour d’appel, qui n’encourt aucun des griefs invoqués, a pu en déduire que la société Eternit industries avait commis une faute inexcusable ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° V 00-11.794, commun au moyen unique du pourvoi provoqué formé par la Caisse :

Attendu que la société Eternit industries et la caisse primaire d’assurance maladie font grief à la cour d’appel d’avoir statué comme elle l’a fait, alors, selon le moyen, qu’il résulte de la législation spécifique des articles L.452-1, L.452-2 et L.452-3 du Code de la sécurité sociale que l’indemnisation complémentaire des éléments de préjudice personnel en cas de faute inexcusable est demandée soit par la victime soit par ses ayants droit, et que les ayants droit d’une victime décédée ne peuvent prétendre qu’à l’attribution de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice personnel ; qu’il s’ensuit que viole les textes précités l’arrêt attaqué qui impute à la société Eternit Industries le paiement de dommages-intérêts aux ayants droit de la victime d’une maladie professionnelle en réparation des préjudices purement personnels (préjudice de souffrances physiques, préjudice psychologique, préjudice d’agrément) subis par cette dernière ;

Mais attendu que la cour d’appel a décidé à bon droit que les ayants droit de la victime d’une maladie professionnelle due à la faute inexcusable de l’employeur et décédé des suites de cette maladie étaient recevables à exercer, outre l’action en réparation du préjudice moral qu’ils subissent personnellement du fait de ce décès, l’action en réparation du préjudice moral personnel de la victime résultant de sa maladie ; que le moyen est mal fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société Eternit industrie et la Caisse primaire d’assurance maladie de Valenciennes aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Eternit industrie à payer aux consorts Z… la somme de 1 850 euros et rejette la demande de la Caisse primaire d’assurance maladie de Valenciennes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit février deux mille deux.

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Cour de Cassation, Chambre sociale, du 28 février 2002, 00-11.794, Inédit