Cour de cassation, 12 juin 2019, n° P/2018/83298 ; ECLI:FR:CCASS:2019:CR00998

  • Pratiques commerciales trompeuses·
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  • Pratique commerciale trompeuse·
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Résumé de la juridiction

La commercialisation en ligne d’un vin, dont l’étiquette met en exergue les mentions "second vin" et "Petrus Lambertini", ne crée pas de confusion avec le grand cru Petrus pour le consommateur d’attention moyenne. La cour d’appel a notamment estimé que l’étiquette ne laissait pas place à l’ambiguïté et que la marque litigieuse Coureau & Coureau Petrus Lambertini Major Burdigalensis 1208 sous laquelle le vin est commercialisé – qui a été enregistrée malgré l’opposition de la partie civile – est suffisamment complexe pour qu’aucun lien ne puisse être directement fait avec le vin issu du château viticole Petrus. Elle en a conclu que si les prévenus avaient fait une utilisation habile de leur marque dans le but manifeste d’attirer l’attention du client, ceci ne signifiait pas le tromper ou risquer de le tromper. Elle a ainsi démontré que la pratique concernée n’était pas trompeuse ni susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement du consommateur visé.

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www.doctrinactu.fr · 19 juin 2019

Comm. Cass., crim, 12 juin 2019, n°18-83298 Le 12 juin 2019, sur la toile, la nouvelle s'est propagée comme une trainée de poudre : « Pomerol : le nom Petrus n'est pas protégé, tranche définitivement la justice » Sud-Ouest.fr « Bordeaux : Le nom Petrus n'est pas protégé, tranche définitivement la justice » 20minutes.fr « Le château Petrus perd l'usage de son nom » Capital.fr « Viticulture bordelaise : le nom Petrus n'est pas protégé, tranche définitivement la Cour de Cassation » France3-regions.francetvinfo.fr Avertie en temps réel de l'arrêt rendu le jour même par la chambre …

 
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Sur la décision

Référence :
Cass., 12 juin 2019, n° 18-83.298
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : P/2018/83298 ; ECLI:FR:CCASS:2019:CR00998
Publication : L'Essentiel, 8, septembre 2019, p. 6, note d'Audrey Lebois, Appréciation du risque de confusion en matière de pratique commerciale trompeuse ; Légipresse, 374, septembre 2019, p. 454-455, note ; Légipresse, 375, octobre 2019, p. 560-562, note de Caroline Le Goffic, Un « Petrus » peut en cacher un autre dans le Bordelais ; RTDCOM, 4, octobre-décembre 2019, p. 899-902, note de Jérôme Passa ; PIBD 2019, 1123, IIIM-426 (brève)
Décision(s) liée(s) :
  • Cour d'appel de Bordeaux, 3 avril 2018
  • (en réquisition)
Domaine propriété intellectuelle : MARQUE
Référence INPI : M20190170
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Texte intégral

COUR DE CASSATION Audience publique le 12 juin 2019

No P 18-83.298

REJET

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

— La société du Château Petrus, partie civile,

contre l’arrêt de la cour d’appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 3 avril 2018, qui l’a déboutée de ses demandes après relaxe de M. Stéphane C, M. Jérôme C et la société CGM vins du chef de pratiques commerciales trompeuses ;

La COUR, statuant après débats en l’audience publique du 16 avril 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l’article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Lavielle, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ; Greffier de chambre : Mme D ; Sur le rapport de M. le conseiller LAVIELLE, les observations de la société civile professionnelle ROUSSEAU et TAPIE, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général LE DIMNA ;

Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles de la directive européenne 2005/29/CE du 11 mai 2005, des articles L. 121-2oet L. 121-4 du code de la consommation, 121-1 du code pénal, 591,593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, violation de la loi ;

"en ce que la cour d’appel a infirmé le jugement et, après avoir renvoyé les prévenus des fins de la poursuite, a débouté la société civile du Château Petrus de l’ensemble de ses demandes ;

"1o) alors qu’une pratique commerciale est réputée trompeuse lorsqu’elle est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen et qu’elle est en outre de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique de celui-ci en le conduisant à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement ; qu’il résulte des pièces de la procédure et des mentions mêmes de l’arrêt attaqué

que les frères C ont, en faisant usage du nom « Petrus », eu une démarche « habile » et choisi un nom « porteur » dans le « but manifeste d’attirer l’attention du client », cette pratique commerciale ayant pu d’attirer certains consommateurs « qu’il aurait été difficile de séduire sans elle » ; que ces circonstances établissent suffisamment que la pratique dénoncée était de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen, lui suggérant un rapport entre le vin de Petrus et le vin Petrus L le conduisant à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;

"2o) alors que, la pratique commerciale trompeuse est caractérisée en son élément intentionnel dès lors que le prévenu n’a pas suffisamment vérifié la teneur du message diffusé au public pour s’assurer qu’il n’était pas inexact ou susceptible d’être mal interprété ; qu’il résulte des pièces de la procédure et des mentions mêmes de l’arrêt attaqué que les frères C avaient fait usage du nom « Petrus » dans une démarche « habile », choisi un nom « porteur » dans le « but manifeste d’attirer l’attention du client », entrepris ainsi une pratique commerciale ayant pu convaincre certains consommateurs « qu’il aurait été difficile de séduire sans elle », et que des consommateurs s’étaient effectivement interrogés sur des sites internet commerciaux sur le vin en cause ; que ces circonstances établissent encore suffisamment que le message diffusé, fondé sur l’utilisation d’un nom de domaine viticole très prestigieux, était susceptible d’être sujet à interprétation et source d’un rapprochement avec le vin de Petrus ; qu’en relaxant néanmoins les prévenus, aux motifs inopérants que leur démarche n’est pas « maligne », quand l’habilité constatée aux fins d’attirer la clientèle caractérisait précisément l’élément intentionnel, la cour d’appel n’a de plus fort pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;

"3o) alors qu’il résulte de la directive européenne 2005/29/CE du 11 mai 2005 que le consommateur moyen se définit comme celui qui est normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, compte tenu des facteurs sociaux, culturels et linguistiques ; que pour relaxer les prévenus, la cour expose premièrement que l’utilisation du nom « Petrus L » à la place de Pierre Lambert s’expliquait par la circonstance que le nom de ce personnage était apparu en latin dans un acte de donation trois siècles avant l’ordonnance de Villers- Cotterêts ayant instauré l’usage du français à la place du latin dans les actes officiels ; que, deuxièmement, les clés figurant sur les bouteilles de Petrus L faisaient référence aux clés de la ville refusées aux assaillants castillans par celui qui fut le premier maire de l’ancienne Burdigala et non le symbole religieux qui serait à mettre en lien avec Saint Pierre, Petrus, apôtre de Jésus et premier pape, qui dans la tradition chrétienne détient les clés du royaume des cieux et donc avec la clé unique que Saint Pierre a en main sur le médaillon figurant sur l’étiquette de Petrus ; que, troisièmement, l’appellation de

second vin n’est pas interdite même en l’absence de premier vin ; qu’en n’ayant pas constaté ni même recherché si le consommateur moyen devait ou était même en mesure de procéder à des telles investigations d’ordre linguistique, historique et juridique pour se convaincre de l’absence de lien entre le vin Petrus L et le vin de Petrus, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard des dispositions susvisées ;

"4o) alors qu’il résulte de la directive européenne 2005/29/CE du 11 mai 2005 que le consommateur moyen se définit comme celui qui est normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, compte tenu des facteurs sociaux, culturels et linguistiques ; que, pour relaxer les prévenus, la cour relève que le consommateur moyennement averti ou amateur en matière de vins sait qu’il existe des appellations et ne pourra dès lors être directement certain que le « Petrus L » soit issu du château « Petrus » ou ait un lien important avec lui ; qu’il pourra vérifier, s’il l’ignore, que « Petrus » est un vin de l’appellation « Pomerol », et que, intrigué par l’appellation « côtes de Bordeaux » du vin litigieux, il se demandera si le second vin d’une propriété située dans une appellation donnée peut être d’une autre appellation puis trouvera facilement la réponse à cette question, en constatant par là- même que « Petrus » n’a pas de second vin ; qu’en énumérant ces investigations poussées que le consommateur moyen était supposé mener pour se convaincre de l’absence de lien « important » entre le vin Petrus L et le vin de Petrus, quand la qualité de consommateur moyen doit s’apprécier au regard de ses connaissances actuelles supposées, et non en considération du résultat d’investigations poussées auxquelles il est censé devoir procéder pour acquérir des connaissances qu’il n’avait pas, ce qui ne caractérise pas la réaction typique d’un consommateur moyen au sens de la directive, mais bien celui d’un consommateur spécialiste, c’est-à-dire un consommateur déjà bien renseigné, enclin à se poser les questions pertinentes et à se documenter pour y répondre, la cour d’appel a violé les dispositions susvisées ;

"5o) alors que, la pratique commerciale douteuse n’implique pas, pour être caractérisée, qu’elle provoque une certitude invincible chez le consommateur moyen ; qu’une simple supposition ou doute du consommateur suffit, dès lors qu’il est susceptible d’influer sur son comportement ; qu’en retenant que le consommateur moyen ne pourra être directement certain que le « Petrus L » soit issu du château « Petrus » ou ait un lien « important » avec lui, quand il suffisait qu’une simple supposition soit possible sur l’existence d’un lien quelconque – et non nécessairement « important » – dès lors qu’elle pouvait avoir une influence sur son comportement de consommateur, la cour d’appel a violé les dispositions susvisées ;

"6o) alors que, en jugeant que si le consommateur avait en main la bouteille avant de l’acheter, il ne manquera pas de lire précisément l’étiquette et la contre-étiquette et se rendra compte qu’il ne s’agit

nullement d’un « Petrus », ni d’un « deuxième » de « Petrus » ni enfin d’un « Pomerol », mais d’un assemblage de « Côte de Bordeaux », la cour d’appel s’est prononcée par des motifs hypothétiques ;

"7o) alors qu’en jugeant que, si le consommateur avait procédé à un achat par internet, il se rendrait compte de tout ceci et ne manquerait pas d’exercer son droit de rétractation, la cour d’appel s’est de plus fort prononcée par des motifs hypothétiques ;

"8o) alors que, la pratique commerciale trompeuse est constituée même si l’acquéreur à distance dispose de la faculté d’exercer son droit de rétractation ; qu’en relaxant les prévenus de ce chef de poursuites en retenant qu’en cas d’achat sur internet, l’acquéreur serait en mesure au vu de la contre-étiquette de réaliser l’absence de lien entre le vin Petrus L et le vin de Petrus, la cour d’appel a violé les dispositions susvisées ;

"9o) alors qu’en se bornant à juger que l’habileté de la pratique commerciale dénoncée n’avait pas porté préjudice à la société Château Petrus, dont la clientèle était très différente de celle ainsi touchée par les frères C, ni au préjudice du prestige de ce grand vin et de ce grand nom de « Petrus » qui se suffisait à lui-même pour évoquer la qualité même, cependant que le prestige ou la qualité d’un produit n’empêche pas qu’il soit porté atteinte à son image et que son exploitant subisse ainsi un préjudice tant moral que matériel lié au galvaudage de son nom et de son prestige, la cour d’appel s’est prononcée par des motifs inopérants à exclure l’existence d’un préjudice" ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que la société du Château Petrus a porté plainte et s’est constituée partie civile après avoir constaté sur des sites Internet la commercialisation d’un vin présenté, selon elle, comme étant le second vin de Petrus ; qu’une information judiciaire a été ouverte contre MM. Stéphane et Jérôme C et la société CGM Vins, dont ils étaient les cogérants associés, pour contrefaçon de marque et pratique commerciale trompeuse ; que ces derniers ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour avoir, en apposant sur les étiquettes de leur vin déposé sous la marque « Coureau et Coureau Petrus Lambertini Major Burdegalensis 1208 », en caractère gras la seule mention « Petrus L 2010 », et en caractères fins inclus dans un symbole religieux, la mention « Major B 1208 », et en indiquant « second vin » alors qu’il n’existe pas de premier vin, commis une pratique commerciale trompeuse en créant une confusion avec un autre bien ou service, un nom commercial ou un signe distinctif de concurrent, en l’espèce en laissant penser que ce vin était le second vin de la société civile du château Petrus ; que le tribunal a déclaré les prévenus coupables, les a condamnés à certaines peines et a alloué

à la société, partie civile, certaines sommes à titre de dommages et intérêts ; que toutes les parties ont relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour infirmer le jugement et débouter la partie civile de ses demandes après relaxe des prévenus, les juges énoncent que l’étiquette, complétée par sa contre-étiquette, ne laisse pas place à l’ambiguïté, qu’un consommateur moyennement averti en matière de vins, sait qu’il existe des appellations, que la marque « Coureau & Coureau Petrus L Major B 1208 », même présentée de manière habile pour faire surtout ressortir les prénom et nom « Petrus L », est suffisamment complexe pour que, bien évidemment, on ne puisse être directement certain que ce vin soit issu du château viticole « Petrus » ou ait un lien important avec lui et qu’à supposer que le consommateur moyen ne sache pas que « Petrus » est un vin de l’appellation « Pomerol », il peut vérifier ce point sans la moindre difficulté et ne pourra que remarquer que « Petrus L » est vendu sous l’appellation « côtes de Bordeaux », que, naturellement intrigué, il se demandera si le second vin d’une propriété située dans une appellation donnée peut être d’une autre appellation et trouvera facilement la réponse négative à cette question et qu’il verra d’ailleurs aussi facilement que « Petrus » n’a pas de second vin ; que les juges retiennent encore que le consommateur moyennement averti sait comme les grands vins sont chers et que si les pratiques commerciales des ventes en primeur mais aussi des seconds vins de grands châteaux permettent certes de faire des acquisitions intéressantes à des prix abordables, cela n’est certainement pas le cas, lorsqu’il s’agit de vins provenant de très grands châteaux du niveau de « Petrus », à des prix de l’ordre de 10 euros la bouteille ; que les juges en concluent qu’il résulte de l’ensemble des éléments du dossier et de l’analyse qu’en fait la cour, que les frères C et leur société ont fait une utilisation habile de la marque qu’ils ont déposée et qui a été validée malgré l’opposition de la partie civile, dans le but manifeste d’attirer l’attention du client mais qu’attirer l’attention du client ne signifie pas le tromper ou risquer de le tromper ;

Attendu que, par ces énonciations, exemptes d’insuffisance comme de contradiction et procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, la cour d’appel, qui a démontré que la pratique concernée n’était pas trompeuse ni susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique d’un consommateur de vin normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, a justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze juin deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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