Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 6 juin 2018, 414482

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Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

Les dispositions de l’article 244 quater T du code général des impôts (CGI) dans leur rédaction issue de la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail ont créé un dispositif fiscal destiné à inciter les entreprises à conclure des accords d’intéressement ou à modifier des accords existants dans un sens plus favorable aux salariés entre la date de publication de cette loi et le 31 décembre 2014. Les accords d’intéressement visés par ce dispositif incitatif sont, en vertu de l’article L. 3312-5 du code du travail, conclus pour une durée de trois ans. Il résulte de ces dispositions fiscales, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le crédit d’impôt, qui est calculé au titre des primes d’intéressement versées en application d’un accord d’intéressement signé durant cette période, bénéficie aux entreprises pendant la période triennale de l’accord. Ces dispositions étaient de nature à laisser espérer leur application sur l’ensemble de la période triennale pour laquelle est conclu un accord d’intéressement. Par suite, en excluant les entreprises de plus de 250 salariés du dispositif à compter de l’année 2011, le législateur a privé la société requérante et ses filiales d’une espérance légitime d’en bénéficier jusqu’au terme de la période triennale d’intéressement qui courait à compter du mois de janvier 2009.

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Sur la décision

Référence :
CE, 3e et 8e ch. réunies, 6 juin 2018, n° 414482, Lebon T.
Juridiction : Conseil d'État
Numéro : 414482
Importance : Mentionné aux tables du recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Cour administrative d'appel de Versailles, 19 juillet 2017, N° 16VE01776
Précédents jurisprudentiels : [RJ1] Rappr., CE, Plénière fiscale, 9 mai 2012, Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ Société EPI, n° 308996, p. 200
CE, Plénière fiscale, 25 octobre 2017, Min. c/ Société Vivendi, n° 403320, p. 324.
Identifiant Légifrance : CETATEXT000037022320
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2018:414482.20180606

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

La société Dekra France a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la restitution d’une somme de 70 014 euros résultant de l’application à l’exercice clos le 31 décembre 2011 du crédit d’impôt prévu par l’article 244 quater T du code général des impôts. Par un jugement n° 1402204 du 19 avril 2016, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 16VE01776 du 20 juillet 2017, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel formé par la société Dekra France contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 septembre et 20 décembre 2017 et le 4 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société Dekra demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

 – le code du travail, notamment son article L. 3312-5 ;

 – le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

 – la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 ;

 – la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 ;

 – la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 ;

 – le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

— le rapport de M. Thomas Janicot, auditeur,

— les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société Dekra France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’administration fiscale s’est fondée sur l’article 131 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 et l’article 20 de la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 excluant les sociétés membres d’un groupe fiscal de plus de 250 salariés du bénéfice du crédit d’impôt prévu par l’article 244 quater T du code général des impôts pour l’année 2011 pour refuser à trois filiales du groupe fiscalement intégré Dekra France le bénéfice de ce crédit d’impôt au titre d’un accord d’intéressement signé en 2009. Par un jugement du 19 avril 2016, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande de la société Dekra France tendant à obtenir la restitution d’une somme de 70 414 euros, correspondant au montant du crédit d’impôt auquel ses filiales auraient pu prétendre au titre de l’année 2011. Par un arrêt du 20 juillet 2017, la cour administrative d’appel de Versailles a confirmé ce jugement. La société Dekra France se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. Aux termes de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour (…) assurer le paiement des impôts (…) ». Une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d’un bien qu’elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. A défaut de créance certaine, l’espérance légitime d’obtenir une somme d’argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations.

3. Aux termes des dispositions de l’article 244 quater T du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail : " I.- Les entreprises imposées d’après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 decies, 44 undecies et 44 duodecies, et ayant conclu un accord d’intéressement en application du titre Ier du livre III de la troisième partie du code du travail peuvent bénéficier d’un crédit d’impôt au titre des primes d’intéressement dues en application de cet accord. II.-Ce crédit d’impôt est égal à 20 % : a) De la différence entre les primes d’intéressement mentionnées au I dues au titre de l’exercice et la moyenne des primes dues au titre de l’accord précédent ; b) Ou des primes d’intéressement mentionnées au I dues au titre de l’exercice lorsque aucun accord d’intéressement n’était en vigueur au titre des quatre exercices précédant celui de la première application de l’accord en cours « . Aux termes du V de l’article 2 de la même loi : » Les I à IV s’appliquent au crédit d’impôt calculé au titre des primes d’intéressement dues en application d’un accord d’intéressement ou d’un avenant à un accord d’intéressement en cours à la date de publication de la présente loi modifiant les modalités de calcul de l’intéressement, conclus à compter de la date de publication de la présente loi et au plus tard le 31 décembre 2014. Pour le calcul du crédit d’impôt en cas d’avenant à un accord en cours à la date de publication de la présente loi, l’accord précédent s’entend de la période couverte par l’accord en cours jusqu’à la date d’effet de l’avenant ".

4. L’article 131 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 a modifié ce dispositif en restreignant son champ d’application aux entreprises ayant conclu un accord d’intéressement et employant habituellement moins de 50 salariés et le crédit d’impôt a été porté à 30% de la différence entre, d’une part, les primes d’intéressement mentionnées au I dues au titre de l’exercice et, d’autre part, la moyenne des primes dues au titre de l’accord précédent ou, si leur montant est plus élevé, les primes d’intéressement dues au titre de l’exercice précédent. Ce nouveau dispositif était applicable aux crédits d’impôt acquis au titre des primes versées à compter du 1er janvier 2011. L’article 20 de la loi du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 a modifié l’entrée en vigueur de ces dispositions en disposant qu’elles étaient applicables aux primes d’intéressement dues au titre des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2011 et que, pour les entreprises employant plus de 49 salariés et moins de 250 salariés, les anciennes dispositions s’appliquaient aux crédits d’impôt relatifs aux primes d’intéressement dues en application d’accords d’intéressement conclus ou renouvelés avant le 1er janvier 2011.

5. Aux termes de l’article L. 3312-5 du code du travail : « les accords d’intéressement sont conclus pour une durée de trois ans, selon l’une des modalités suivantes (…) ».

6. Les dispositions de l’article 244 quater T du code général des impôts dans leur rédaction issue de la loi du 3 décembre 2008 ont créé un dispositif fiscal destiné à inciter les entreprises à conclure des accords d’intéressement ou à modifier des accords existants dans un sens plus favorable aux salariés entre la date de publication de la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail et le 31 décembre 2014. Les accords d’intéressement visés par ce dispositif incitatif sont, en vertu de l’article L. 3312-5 du code du travail, conclus pour une durée de trois ans. Il résulte de ces dispositions fiscales, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le crédit d’impôt, qui est calculé au titre des primes d’intéressement versées en application d’un accord d’intéressement signé durant cette période, bénéficie aux entreprises pendant la période triennale de l’accord. Ces dispositions étaient de nature à laisser espérer leur application sur l’ensemble de la période triennale pour laquelle est conclu un accord d’intéressement.

7. Par suite, en jugeant qu’en excluant du bénéfice du crédit d’impôt intéressement les entreprises de plus de 250 salariés à compter de l’année 2011, le législateur n’avait pas privé la société Dekra France et ses filiales d’une espérance légitime d’en bénéficier jusqu’au terme de la période triennale de l’accord d’intéressement que ses filiales avait signé en juin 2009 et qui courait à compter du 1er janvier 2009, la cour a donné aux faits qui lui étaient soumis une qualification juridique erronée.

8. Il résulte de ce qui précède que la société Dekra France est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Dekra France au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L’arrêt du 20 juillet 2017 de la cour administrative d’appel de Versailles est annulé.

Article 2 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Versailles.

Article 3 : L’Etat versera la somme de 3 000 euros à la société Dekra France au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Dekra France et au ministre de l’action et des comptes publics.

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