CEDH, ASSOCIATION INNOCENCE EN DANGER c. FRANCE et 1 autre affaire, 27 septembre 2017, 15343/15;16806/15

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, 27 sept. 2017, n° 15343/15;16806/15
Numéro(s) : 15343/15, 16806/15
Type de document : Affaire communiquée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Affaire communiquée
Identifiant HUDOC : 001-178044
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Texte intégral

Communiquée le 27 septembre 2017

CINQUIÈME SECTION

Requêtes nos 15343/15 et 16806/15
ASSOCIATION INNOCENCE EN DANGER contre la France
et ASSOCIATION ENFANCE ET PARTAGE contre la France
introduites respectivement
le 26 mars 2015 et le 7 avril 2015

EXPOSÉ DES FAITS

Les associations requérantes, Innocence en Danger (requête no 15343/15) et Enfance et Partage (requête no 16806/15), sont des associations spécialisées dans la protection de l’enfance, fondées respectivement en 2000 et en 1990, ayant leur siège à Paris. Elles sont représentées devant la Cour respectivement par Me G. Thuan dit Dieudonné, avocat à Strasbourg, et par Me R. Constantino, avocat à Paris.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

Les deux requêtes sont liées au décès de Marina, en 2009, à l’âge de huit ans, à la suite de sévices infligés par ses parents.

1.  Durant la vie de Marina

Née le 27 février 2001 sous X, abandonnée à sa naissance, Marina fut récupérée par sa mère un mois plus tard et vécut ensuite auprès de ses deux parents et de sa fratrie.

Marina fut scolarisée pour la première fois le 21 avril 2007 mais fut portée absente de nombreux jours des diverses écoles dans lesquelles elle était inscrite successivement en raison de multiples déménagements de la famille.

Dès la première année scolaire 2007-2008, les enseignants de Marina consignèrent par écrit diverses lésions constatées régulièrement, principalement sur le visage mais aussi sur le corps de l’enfant.

Le 19 juin 2008, la directrice de l’école de l’époque adressa un « signalement au titre de la protection de l’enfance » au procureur de la République du Mans et au président du Conseil Général ; le signalement ne comportait pas la mention de la nécessité d’une mesure de protection immédiate. La directrice s’inquiétait qu’à la suite d’un déménagement, Marina ne s’était toujours pas présentée à sa nouvelle école, contrairement à ses frères et sœur. Elle se souciait de cette absence, dans la mesure où le directeur de l’ancienne école lui avait fait part d’une suspicion de maltraitance et où elle avait reçu un dossier scolaire relatant des marques physiques constatées sur le corps de Marina par les institutrices de l’ancienne école.

Le 1er juillet 2008, le service d’aide sociale à l’enfance (« ASE ») informa le procureur du constat d’ecchymoses par le médecin scolaire, le Dr D. ; un certificat médical était joint au message électronique.

Le 2 juillet 2008, le substitut chargé des mineurs auprès du procureur de la République du Mans adressa un « soit-transmis » au commandant de gendarmerie afin de faire procéder à une enquête sur « d’éventuels faits de maltraitance dont pourrait être victime l’enfant ». Il ressort du compte rendu du Défenseur des Droits du 30 juin 2014 (« L’HISTOIRE DE MARINA ») que le substitut ajouta ceci : « Commencez votre enquête par un examen médico-légal de l’enfant (...) et son audition filmée. Rendre compte en traitement en temps réel TTR ».

Le 10 juillet 2008, un médecin légiste fut missionné. Le 15 juillet 2008, Marina fut examinée par le Dr B., en présence de son père. En conclusion de son rapport, remis le 17 juillet 2008 à la gendarmerie, le Dr B. déclare :

« L’examen permet de retrouver de très nombreuses lésions d’allure ancienne pouvant toutes individuellement être la conséquence d’accident de la vie courante mais dont le nombre est fortement suspect (...). Malgré les explications concordantes données par le papa (...) nous ne pouvons exclure des faits de violence ou de mauvais traitements. »

Le 23 juillet 2008, âgée de huit ans, Marina fut entendue dans les locaux de la brigade de prévention de la délinquance juvénile d’une commune de l’agglomération du Mans. Elle ne dénonça elle-même aucune violence de ses parents ou de quiconque. Il ressort du compte rendu du Défenseur des Droits du 30 juin 2014 que le père attendait dans l’entrée de la brigade et que Marina était entendue dans une salle équipée du matériel vidéo, séparée de deux pièces de la salle d’attente où se trouvait le père. Marina et ses parents avaient donné leur accord pour cette audition filmée.

Le 17 septembre 2008, l’agent de police judiciaire en charge de l’enquête se présenta au domicile familial et entendit la mère de Marina, qui affirma que les cicatrices provenaient d’accidents de la vie courante et de disputes entre frères et sœurs.

Le 18 septembre 2008, il rédigea et signa le procès-verbal de synthèse de l’enquête et conclut ceci : « (...) de l’enquête effectuée, il ne ressort aucun élément susceptible de présumer que Marina a été ou est victime de maltraitance ». En conséquence, il clôtura l’enquête en son état et transmit le dossier de l’enquête préliminaire au parquet.

Le 10 octobre 2008, le parquet classa sans suite le dossier, au motif suivant : « infraction insuffisamment caractérisée ».

Le 27 avril 2009, le directeur et le médecin scolaire de l’école de l’époque sommèrent le père d’emmener Marina aux urgences pédiatriques du Centre hospitalier du Mans, où elle restera hospitalisée pendant un mois. Simultanément, le directeur de l’école adressa au service ASE du Conseil général de la Sarthe une « information préoccupante (protection de l’enfance) », qui donnera lieu à des visites à domicile d’une assistante sociale et d’une puéricultrice.

Il ressort du compte rendu du Défenseur des Droits du 30 juin 2014 que les deux intervenantes rédigèrent chacune un compte rendu en date des 1er et 29 juillet 2009, et que ces rapports furent classés par le service ASE en attendant d’autres visites prévues en août et septembre.

Marina décéda vraisemblablement dans la nuit du 6 au 7 août, mais sa mort ne fut constatée que le 10 septembre 2009. Le père avait signalé aux gendarmes la disparition de sa fille sur le parking d’un restaurant « fast‑food », le 9 septembre 2009. Un important dispositif de recherches fut déployé pour retrouver l’enfant. Toutefois, des contradictions furent rapidement relevées entre les auditions des parents et d’un frère de Marina. Par ailleurs, plusieurs personnes signalèrent aux enquêteurs leurs doutes quant à la réalisation de cette disparition. Le 10 septembre 2009, le père finit par amener les enquêteurs dans un local où ils découvrirent, sous une chape de béton coulée dans une caisse en plastique, le corps de l’enfant, emmaillotée dans un drap et des sacs poubelles.

2.  Après le décès de Marina

Les parents de Marina furent immédiatement placés en garde à vue et les autres enfants du couple confiés à l’ASE.

Sur un réquisitoire introductif du 11 septembre 2009, une information judiciaire fut suivie contre les parents, qui étaient détenus dès le 12 septembre 2009. Une autopsie du corps de l’enfant et des analyses anatomo-pathologiques furent, entre autres, réalisées. L’information judiciaire permit aux frères et sœur de s’exprimer sur le vécu de Marina. Elle révéla également qu’outre les faits du 6 août 2009 ayant conduit au décès de Marina, le supplice de l’enfant avait débuté lorsqu’elle était âgée de deux ans et demi.

a)  Procès des parents

Par une ordonnance du 17 juin 2011, les juges d’instruction du tribunal de grande instance du Mans ordonnèrent la mise en accusation et le renvoi des parents devant la cour d’assises de la Sarthe des chefs d’actes de torture et de barbarie sur mineur de 15 ans par ascendant, d’actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort, et de dénonciation d’infraction imaginaire.

Le père de Marina interjeta appel de cette ordonnance. Par un arrêt du 5 octobre 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Angers confirma l’ordonnance à son égard.

Différentes associations (dont les deux associations requérantes), l’administratrice ad hoc représentant les frères et sœur de Marina, ainsi que la tante paternelle de Marina figurent comme parties civiles dans l’ordonnance du 17 juin 2011 et dans l’arrêt du 5 octobre 2011.

Le procès devant la cour d’assises de la Sarthe se déroula du 11 au 26 juin 2012. Par un arrêt du 26 juin 2012, les parents furent condamnés chacun à 30 ans de réclusion criminelle. Il n’y eut pas appel de cet arrêt.

Par un arrêt civil rendu le même jour, la cour d’assises de la Sarthe condamna chacun des parents à payer aux deux associations requérantes, en leur qualité de parties civiles, un euro symbolique à titre de dommages et intérêts.

b)  Procédure en responsabilité de l’État

Le 5 octobre 2012, les deux associations requérantes assignèrent l’État en responsabilité pour fonctionnement défectueux de la justice. Elles estimaient qu’entre juin et octobre 2008 les services d’enquête et du parquet du Mans avaient commis une série de négligences et manquements caractérisant la faute lourde au sens de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire (« COJ »). Elles estimèrent que si l’enquête pénale avait été effectuée correctement, l’enfant aurait pu être sauvé. Elles précisèrent que les fautes du service de la justice étaient en lien direct avec le préjudice subi par elles, du fait de leur mission de protection de l’enfance maltraitée. Elles sollicitèrent la condamnation de l’État à leur verser un euro symbolique.

i.  Jugement du 6 juin 2013 du tribunal d’instance de Paris

Le 6 juin 2013, le tribunal d’instance de Paris XIIIe rendit son jugement en dernier ressort.

Notant que la qualité à agir des deux associations requérantes n’était pas contestée par l’agent judiciaire de l’État, le tribunal déclara l’action en responsabilité recevable.

Sur le fond, il débouta les associations requérantes de l’intégralité de leurs demandes.

En premier lieu, il rappela que, sauf dispositions particulières, la responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux de ses services judiciaires n’était engagée que par une faute lourde ou un déni de justice. Il retraça les éléments caractérisant la notion de faute lourde :

« La faute lourde s’entend de toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, ce qui concerne aussi les services de police et gendarmerie intervenant pour des missions de service judiciaire, sous l’autorité et le contrôle des juges du siège ou des magistrats du parquet.

Constitue une faute lourde l’acte qui révèle une erreur manifeste et grossière d’appréciation des éléments de droit ou de fait et qui procède d’un comportement anormalement déficient, erreur caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant cette inaptitude et qui doit s’apprécier non au regard des événements postérieurement survenus et non prévisibles à la date des décisions incriminées mais dans le contexte soumis aux magistrats et aux enquêteurs.

Si prises séparément aucune des éventuelles négligences relevées ne s’analyse en une faute lourde, le fonctionnement défectueux du service de la justice peut découler de l’addition de celles-ci et ainsi caractériser une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l’État. (...) »

Ensuite, il examina chaque point soulevé par les associations requérantes.

Il rappela que le jour de la réception par fax du signalement du 19 juin 2008, le substitut des mineurs avait fait diligenter une enquête, prescrivant l’examen de l’enfant par un médecin légiste et son audition filmée. Il conclut que la réponse pénale avait été immédiate et adaptée.

Il estimait qu’il ne pouvait être reproché au procureur de ne pas avoir entendu l’auteur du signalement du 19 juin 2008, ni le directeur et les enseignantes de l’ancienne école (mentionnés dans ce signalement). Il notait, entre autres, que les enseignantes n’avaient pas été témoins des faits générant les marques relevées ni ne les avaient imputés aux parents ou autres adultes entourant Marina. Il poursuivait que le directeur de l’ancienne école n’avait pas fait de signalement ; quant à la directrice de la nouvelle école, ayant signalé les deux premiers jours d’absence, elle n’avait ensuite transmis aucun autre élément jusqu’à la fin du mois de juin 2008 clôturant l’année scolaire.

Quant au grief tiré de ce que les parents, avisés de l’enquête, avaient pu conditionner Marina et orienter ses réponses, le tribunal rappela que la procédure imposait aux gendarmes d’aviser les représentants légaux de l’enfant mineure en vue de son audition filmée et de son examen par un expert. Il ajoutait que Marina était toujours préparée à répondre aux questions directes d’une façon qui n’incriminait pas ses parents.

Le tribunal rejeta les griefs selon lesquels les médecins auraient dû être entendus comme témoins. Il estimait que le médecin légiste (Dr B.), avait rendu, le 17 juillet 2008 en sa qualité d’expert, un avis circonstancié ne nécessitant aucun complément d’enquête. Quant au médecin scolaire (Dr D.), le tribunal considérait que le message électronique d’une assistante sociale avisant le parquet du constat par Dr D. d’ecchymoses le 1er juillet 2008 était antérieur à l’expertise et ne pouvait en modifier les conclusions.

Le tribunal considéra qu’aucun vice de procédure ne pouvait être retenu du fait que l’audition de Marina ne s’était pas faite en présence d’un psychologue ou d’un médecin spécialiste de l’enfance. Il rappelait que le gendarme ayant procédé à l’audition filmée de Marina était un enquêteur spécialisé dans le recueil de la parole de l’enfant.

Après avoir relaté les éléments recueillis dans le procès-verbal de synthèse de l’enquête préliminaire, le tribunal conclut qu’il ne pouvait être fait grief au parquet d’avoir classé la procédure sans suites le 6 octobre 2008 sans exiger de nouvelles diligences.

Enfin, le tribunal se prononça sur un grief qui n’avait pas été soulevé dans l’assignation et qui avait été ajouté par l’association Enfance et Partage. Celle-ci reprochait au parquet de ne pas avoir rouvert son enquête à l’occasion d’un nouveau signalement d’informations préoccupantes enregistré le 4 mai 2009 par le président du conseil général. Le tribunal rejeta ce moyen, au motif que ce signalement n’était pas destiné au parquet et que le président du conseil général qui avait fait diligenter une enquête sociale ne le lui a jamais transmis.

En guise de conclusion, le tribunal estima que les associations succombaient dans la preuve qui leur incombait de faute lourde ou de multiples fautes légères confinant à la faute lourde qu’auraient commises le parquet ou les enquêteurs de police judiciaire à la suite du signalement de suspicion de maltraitance sur Marina effectué le 19 juin 2008.

Les deux associations se pourvurent en cassation du jugement du 6 juin 2013. À l’occasion de son pourvoi, l’association Innocence en Danger formula une question prioritaire de constitutionnalité (« QPC »).

ii.  Arrêt de non-lieu à renvoi de la QPC

L’association Innocence en Danger posa la question de la conformité du régime légal de responsabilité pour faute lourde au principe du droit à un recours juridictionnel effectif. Ainsi, elle sollicita le renvoi au Conseil constitutionnel de la QPC suivante :

« Les dispositions de l’article L. 141-1, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire qui exigent la preuve d’une faute lourde pour que soit engagée la responsabilité de l’État du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice sont-elles, s’agissant de l’instruction de signalements de maltraitances d’enfants, conformes au principe de responsabilité issu de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi qu’au droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la même Déclaration ? »

Elle arguait que la question posée était nouvelle. Elle rappelait que la Cour de cassation avait déjà été saisie à quatre reprises de la conformité de l’article L. 141-1 du COJ aux principes de séparation des pouvoirs et d’impartialité des juridictions issus de l’article 16 de la Déclaration de 1789, en ce que l’article L. 141-1 du COJ attribue au juge judiciaire le soin de juger des dysfonctionnements de son propre corps. Or, dans ces quatre espèces, la question ne portait pas, comme au cas présent, sur la condition de faute lourde exigée à l’alinéa 2 de l’article L. 141-1 du COJ. Elle ajoutait que, dans le contexte de la loi anti-Perruche, le Conseil constitutionnel s’était prononcée sur la conformité de l’exigence d’une faute caractérisée avec la Déclaration de 1789, mais qu’il avait pris soin de distinguer la nature caractérisée de cette faute de celle en cause en l’espèce (la faute lourde). Elle soulignait également que la question posée s’inscrivait au cœur de l’actualité sociale et judiciaire française, le sujet de la maltraitance d’enfants constituant un véritable débat de société.

Elle considérait que l’exigence de la faute lourde constituait une condition trop sévère pour les victimes d’actes fautifs des acteurs du service de la justice, s’agissant des enfants à l’égard desquels un fait de maltraitance avait été signalé. Cette exigence conduisait à priver les victimes de la faculté d’exercer un recours effectif. Elle estimait que la prise en compte de la difficulté d’exécution de la mission de service public incombant aux acteurs du service de la justice devait être considérée comme secondaire au regard de l’impératif absolu de protection des enfants à l’égard desquels existait un fort soupçon de maltraitance. Elle concluait que la censure que pourrait opérer le Conseil constitutionnel serait limitée au cas des signalements de maltraitance d’enfants, et le cas échéant, plus largement, aux activités d’enquête et de police, sans remettre en cause le régime de la faute lourde pour ce qui concerne les activités juridictionnelles qui pourraient rester gouvernées par un régime de faute lourde.

Le 12 février 2014, la Cour de cassation rendit son arrêt sur la QPC formulée par Innocence en Danger à l’occasion de son pourvoi, en présence de l’association Enfance et Partage. Elle décida qu’il n’y avait pas lieu à renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC. Elle estimait que la question n’était pas nouvelle et ne présentait pas un caractère sérieux. À ce dernier égard, elle précisa ceci :

« (...) ni le droit à un recours juridictionnel effectif ni le droit à réparation d’un dommage consécutif à une faute ne font obstacle à ce que le législateur aménage l’action des victimes des dommages causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice, pour des motifs d’intérêt général répondant à l’objectif de protection de l’indépendance de l’activité de ce service, en exigeant pour engager la responsabilité de l’État l’établissement d’une faute lourde, au regard de la portée effective que confère à l’article L. 141-1 du [COJ] l’interprétation qu’en donne la jurisprudence constante de la Cour de cassation, selon laquelle constitue une faute lourde au sens de ce texte, toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi. »

iii.  Arrêt de rejet des pourvois

Dans un arrêt du 8 octobre 2014, la Cour de cassation prononça la jonction des pourvois des deux associations et les rejeta. Elle décida, notamment, ceci :

« Attendu que les associations Innocence en Danger et Enfance et Partage font grief au jugement de les débouter de leur demande ;

Attendu qu’après avoir rappelé que, le 19 juin 2008, jour de la réception du fax transmettant le signalement effectué par la directrice de l’école pour absentéisme de l’enfant et suspicion de mauvais traitements, le substitut des mineurs avait fait diligenter une enquête, prescrivant l’examen de l’enfant par un médecin légiste et son audition filmée, le jugement constate que, contrairement aux allégations des associations, aucun des éléments d’information communiqués par les enseignants au procureur de la République n’incriminait les parents de l’enfant dans les actes de maltraitance suspectés et que les services de gendarmerie, qui avaient reçu les instructions le 2 juillet 2008, avaient réquisitionné le médecin légiste le 10 juillet suivant et informé les parents de leur enquête et de la date d’audition de leur fille ; qu’il relève que l’avis circonstancié du médecin ne nécessitait aucun complément d’enquête auprès de ce dernier, qu’au cours de son audition par un gendarme spécialisé, l’enfant, souriante et qui ne montrait aucune appréhension, donnait une explication circonstanciée pour chaque cicatrice révélée par l’expert, sauf pour deux lésions trop anciennes ; qu’en l’état de ces énonciations, le tribunal a pu en déduire qu’aucune faute lourde, au sens de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, n’était caractérisée ; que les moyens ne peuvent être accueillis. »

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

1.  La responsabilité de l’État du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice

Les dispositions de l’article L. 141-1 du COJ ainsi que l’évolution de la jurisprudence interne en la matière sont relatés dans la décision Benmouna et autres c. France (no 51097/13, 15 septembre 2015).

2.  Le traitement en temps réel « TTR »

Le compte rendu du Défenseur des Droits du 30 juin 2014 explique que le traitement en temps réel TTR se caractérise par le fait que les membres du parquet répondent par téléphone, et non par courrier comme dans les enquêtes préliminaires classiques, aux demandes d’orientation des affaires émanant des officiers de police judiciaire et prennent immédiatement les décisions concernant la suite à donner à ces affaires.

GRIEFS

1.  Invoquant l’article 2 de la Convention sous son volet matériel, les deux associations requérantes se plaignent du classement sans suite de la procédure le 6 octobre 2008, à la suite d’une enquête de police qu’elles jugent inefficace. L’association Enfance et Partage invoque en outre l’article 6 de la Convention à ce sujet.

2.  L’association Innocence en Danger dénonce la nécessité de caractériser une faute lourde, au sens de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire, afin de pouvoir engager la responsabilité de l’État du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice. Elle estime que cette exigence, disproportionnée au regard de l’impératif absolu de protection des mineurs, est contraire au droit à un recours effectif tel que garanti par l’article 13 de la Convention.

3.  Invoquant l’article 3 de la Convention sous son volet matériel, l’association Innocence en Danger estime que le système a failli à protéger Marina des abus extrêmement graves qu’elle a subis et qui ont abouti à son décès. Elle estime que les autorités, qui savaient ou auraient dû connaître la situation de grande détresse dans laquelle se trouvait l’enfant, avaient l’obligation de la protéger.

QUESTIONS AUX PARTIES

1.  Les associations requérantes, l’association Innocence en Danger et l’association Enfance et Partage, disposent-elles d’une qualité pour agir au nom de Marina et introduire les présentes requêtes devant la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention (au regard des critères retenus dans Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c.  Roumanie [GC], no 47848/08, § 112, CEDH 2014, et rappelés notamment dans Comité Helsinki bulgare c. Bulgarie (déc.), no  35653/12 et 66172/12, § 51, 28 juin 2016) ?

2.  Le droit de Marina à la vie, consacré par l’article 2 de la Convention, a-t-il été violé en l’espèce ? Plus précisément, en réponse au signalement du 19 juin 2008, le classement sans suites par le parquet, le 6 octobre 2008, associé aux insuffisances alléguées de l’enquête de police, a-t-il emporté violation des obligations positives qui incombent à l’État défendeur en vertu de l’article 2 de la Convention ?

3.  L’État défendeur a-t-il respecté son obligation positive en vertu de l’article 3 de la Convention de protéger Marina contre les agissements de ses parents ? Plus précisément, en réponse au signalement du 19 juin 2008, le classement sans suites par le parquet, le 6 octobre 2008, associé aux insuffisances alléguées de l’enquête de police, a-t-il emporté violation des obligations positives qui incombent à l’État défendeur en vertu de l’article 3 de la Convention ?

4.  Eu égard au seuil, allégué comme étant trop élevé, pour mettre en cause la responsabilité civile de l’État au sens de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire, l’association Innocence en Danger avait-elle à sa disposition, comme l’exige l’article 13 de la Convention, un recours interne effectif pour formuler ses griefs de méconnaissance de l’article 2 ?

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