CEDH, DELAHAYE ET MERAHI c. FRANCE et 3 autres affaires, 1er février 2021, 38288/15 et autres

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Chronologie de l’affaire

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CEDH

Communiqué de presse sur les affaires 33754/16, 38288/15, 57195/17, 29962/18, 45580/15, 43399/13, 7833/12, 51470/15, 16623/19, 50690/11, …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, 1er févr. 2021, n° 38288/15 et autres
Numéro(s) : 38288/15, 45340/17, 83700/17, 52833/19
Type de document : Affaire communiquée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Affaire communiquée
Identifiant HUDOC : 001-208371
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Texte intégral

Communiquée le 1er février 2021

Publié le 22 février 2021

CINQUIÈME SECTION

Requête no 38288/15
Loïc DELAHAYE et Danny MERAHI contre la France
et 3 autres requêtes
(voir liste en annexe)

La liste des parties requérantes figure en annexe.

  1. Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit.

  1. Affaire no 38288/15

Les requérants, MM. D. Merahi (D.M.) et L. Delahaye (L.D.), sont nés respectivement en 1991 et 1988 et résident en France.

Le 31 juillet 2010, une enquête fut ouverte pour des faits de destruction du bien d’autrui. De premières constations et analyses furent effectuées. Les empreintes de D.M. furent retrouvées sur une bouteille brisée, située à proximité du lieu des faits.

Le 14 mai 2011, à 9 h 10, D.M. se présenta, sur convocation, dans les locaux de gendarmerie. Le procureur de la République prescrivit de l’entendre librement, sous réserve de son accord. Informé du fait qu’il était soupçonné d’avoir détruit par incendie un bus en stationnement, le requérant consentit à être entendu librement. Il ne fut pas informé de son droit de garder le silence et ne bénéficia pas de l’assistance d’un avocat. Dans un premier temps, il nia les faits, expliquant avoir passé du temps dans un square près de chez lui avec un ami proche, L.D., avant de décider avec ce dernier de rentrer chez eux pour ne pas être accusés de l’incendie dont ils étaient témoins. Cependant, lorsque les gendarmes lui indiquèrent que ses empreintes avaient été retrouvées sur la scène de l’incendie, il revint sur ses déclarations. Il expliqua que L.D. et lui avaient consommé beaucoup d’alcool et qu’après avoir mis le feu à une poubelle, ils s’étaient approchés du bus, que L.D. en avait ouvert la porte, qu’ils étaient tous les deux montés à bord et avaient utilisé un morceau de carton enflammé posé sur un siège pour allumer le feu. Il précisa que ce dernier avait pris de l’ampleur et qu’ils n’avaient eu l’intention d’endommager ni la voiture stationnée à côté ni le compteur EDF. D.M. ajouta qu’ils n’avaient pas agi par représailles, leur geste ayant pour origine un état second dû à leur consommation d’alcool. À 10 h 45, il fut placé en garde à vue, avec effet rétroactif à l’heure de sa présentation à la gendarmerie. Il fut informé de ses droits, notamment de la possibilité de bénéficier d’un entretien confidentiel et de l’assistance d’un avocat lors des auditions et confrontations, ainsi que du droit de se taire. Le requérant garda le silence lors des auditions suivantes, alors qu’il était assisté d’un avocat. Son conseil fit des observations portant notamment sur l’absence de notification des droits et d’assistance d’un avocat dès le début de l’audition libre. La garde à vue prit fin le 15 mai 2011 à 9 h 10.

Le 14 mai 2011 à 14 h 10, L.D. fut placé en garde à vue. Assisté d’un avocat, et s’étant vu notifier son droit de se taire, il garda le silence lors de ses auditions. La garde à vue prit fin le 15 mai 2011 à 10 h 40.

Le 17 septembre 2011 à 14 h 15, L.D. fut de nouveau entendu, cette fois sous le régime de l’audition libre. Informé de son droit de se taire et de quitter les locaux à tout moment, il répondit partiellement aux questions des enquêteurs. L’audition prit fin le 17 septembre 2011 à 14 h 35.

Les requérants furent renvoyés devant le tribunal correctionnel de Saint‑Etienne pour destruction du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes. Devant le tribunal, les requérants nièrent les faits.

Le 16 octobre 2012, le tribunal correctionnel prononça la relaxe des requérants, jugeant que la seule présence de l’empreinte génétique de D.M. sur une bouteille retrouvée à plus de trente mètres de l’incendie était insuffisante à établir la culpabilité des requérants, en l’absence de réitération d’aveux. Le ministère public interjeta appel.

Dans un arrêt du 28 novembre 2013, la cour d’appel de Lyon reprit notamment les explications détaillées de D.M. au cours de son audition libre et les déclarations faites au cours de l’audience. S’agissant de l’absence d’avocat au cours de l’audition libre, la cour d’appel estima qu’elle avait été régulière, dès lors que cette assistance n’était prévue par les textes qu’en cas de garde à vue. Après avoir écarté les arguments soulevés par la défense, elle aboutit à la conclusion suivante :

« Il apparaît en conséquence qu’il existe donc un ensemble d’éléments qui établit que les deux prévenus étaient bien sur les lieux de l’incendie et dans un laps de temps très proche des faits, très alcoolisés. Les tentatives de [D.M.] de faire reconnaître son incapacité à se déplacer par de fausses déclarations et l’extrême réticence de [L.D.] à reconnaître sa présence sur les lieux avec [D.M.] malgré l’étude de la téléphonie des numéros des prévenus accréditent la version initialement énoncée par [D.M.] devant les gendarmes, laquelle apparaît comme retraçant l’exacte chronologie des faits et non une version « arrangée » par les services enquêteurs. Il y a donc lieu de retenir leur culpabilité quant aux faits reprochés et de réformer la décision déférée sur la culpabilité. »

La Cour d’appel déclara les requérants coupables des faits reprochés et les condamna à une peine de dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis, assortie d’une mise à l’épreuve pendant trois ans. Des dommages-intérêts furent accordés aux parties civiles.

D.M. forma un pourvoi en cassation. Il fit notamment valoir, sur le fondement de l’article 6 de la Convention, qu’il n’avait pu bénéficier du droit d’être assisté par un avocat et du droit de se taire dans le cadre de sa première audition. L.D. produisit quant à lui des observations à l’appui du pourvoi de D.M., s’associant en outre aux moyens soulevés par celui-ci et tendant à ce que les effets de la cassation potentielle lui soient étendus.

Par un arrêt du 18 février 2015, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Sans répondre spécifiquement au moyen tiré de la violation de l’article 6 de la Convention, elle releva que si la personne entendue sous le régime de l’audition libre n’avait pas été avertie expressément de son droit de quitter à tout moment les locaux de la gendarmerie, la cour d’appel s’était notamment fondée sur d’autres éléments que les déclarations recueillies au cours de l’audition libre.

  1. Affaire no 45340/17

Le requérant est né en 1961 et réside à Villemandeur.

Le 30 juillet 2013, Mme P. déposa plainte contre le requérant pour des faits d’abus de confiance par fausse qualité d’avocat. Elle expliqua avoir fait appel à lui par l’intermédiaire d’un ami, concernant des faits de violences conjugales et de séparation de biens, et qu’il était venu discuter du dossier à son domicile où il lui avait présenté ses références, sa carte de visite et son site internet. Il avait également perçu une provision d’honoraires de cinq cents euros, sur un montant total de deux mille cinq cents euros pour son intervention. Une enquête fut ouverte sous la qualification d’exercice illégal de la profession d’avocat.

Le requérant fut entendu le 5 septembre 2013 à 9 h 01, sous le régime de l’audition libre. Il fut informé des faits qui lui étaient reprochés, ainsi que de son droit de mettre fin à l’audition à tout moment. Il ne fut pas informé de son droit de garder le silence et ne bénéficia pas de l’assistance d’un avocat. Le requérant nia les faits. L’audition prit fin le 5 septembre 2013 à 12 h 20.

L’enquête ayant révélé que le requérant avait également prétendu être avocat dans le cadre d’une audience devant le tribunal de commerce d’Orléans et d’une affaire civile devant la cour d’appel de Rouen, il fut renvoyé pour ces différents faits devant le tribunal correctionnel de Montargis des chefs d’exercice illégal de la profession d’avocat et usurpation de titre, diplôme ou qualité.

Par un jugement du 25 juin 2014, le tribunal correctionnel reconnut le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés. Il releva que le requérant indiquait notamment avoir interrompu ses études de droit en France, mais qu’il les aurait reprises dans le cadre d’une formation à distance avec des universités américaines, devenant même doyen et exerçant des fonctions de direction bénévoles dans l’une d’elles. En outre, il soutenait avoir créé son propre cabinet à Londres avec un avocat du barreau de Valence (Espagne) également membre du barreau du Gers, dont il avait repris le titre seul à la suite d’un litige financier entre eux. Le tribunal, jugeant que les documents versés au dossier ne permettaient pas de justifier des titres étrangers et qualités revendiqués par le requérant, condamna le requérant à une peine de dix mois d’emprisonnement avec sursis. À titre de peine complémentaire, il ordonna la publication de la condamnation dans plusieurs journaux et prononça l’interdiction d’exercer l’activité professionnelle du droit ou de l’enseignement du droit pour une durée de cinq ans. La somme d’un euro (EUR) fut accordée à l’Ordre des avocats de Montargis à titre de dommages-intérêts. Le requérant et le ministère publique interjetèrent appel.

Par un arrêt du 13 janvier 2016, la cour d’appel d’Orléans déclara le requérant recevable à soulever pour la première fois en appel la nullité de l’audition libre, dès lors qu’il n’avait pas bénéficié de tous les moyens nécessaires à la préparation de sa défense compte tenu des modalités de désignation de son avocat commis d’office et le moyen tiré du droit à un procès équitable pouvant être soulevé à tous les stades de la procédure. Elle rejeta les exceptions de nullité soulevées par le requérant concernant l’absence de l’assistance d’un avocat durant l’audition libre, estimant qu’il était libre de quitter à tout moment les locaux du Commissariat et qu’il lui était loisible de prendre attache avec un avocat. En outre, elle souligna que le requérant avait pu s’expliquer sur les faits et n’avait pas été conduit à s’auto-incriminer au cours de l’audition litigieuse. Sur le fond, elle releva que le requérant avait fait état de sa qualité d’avocat à plusieurs reprises, auprès de Mme P., devant le tribunal de commerce d’Orléans et la cour d’appel de Rouen, mais qu’il avait également fait l’objet d’une plainte auprès du procureur de la République de Montargis concernant le fait qu’il inondait les établissements scolaires de ses enfants, l’inspection académique du Loiret, le rectorat et le ministère de l’éducation nationale de courriers et emails péremptoires et souvent agressifs, le tout en mettant en avant ses titres. De plus, en 2013, le Conseil National des Barreaux avait alerté le bâtonnier de l’ordre des avocats de Montargis sur la situation du requérant qui prétendait faussement être avocat à Londres. Par ailleurs, le professeur d’anglais de la fille du requérant avait également été menacé par celui-ci et avait à cette occasion constaté que le requérant maîtrisait très mal l’anglais. La cour d’appel déclara le requérant coupable d’exercice illégal de la profession d’avocat, en se fondant notamment sur les éléments suivants : l’absence de document prouvant la réalité des titres et qualités revendiqués ; le défaut d’inscription à un barreau français ; les écrits rédigés par le requérant dans le cadre de son activité ; divers courriers et témoignages, parmi lesquels la lettre du président du Conseil National des Barreaux qui, alors qu’il procédait à des vérifications, avait appris que le requérant n’était pas inscrit comme avocat à Londres et n’avait pas la qualité de sollicitor. Elle le relaxa partiellement du chef d’usurpation de titre, diplôme ou qualité, puisqu’il résultait d’échanges de mails que le requérant avait cotisé en tant que membre des associations de différents barreaux américains. Elle le condamna à des peines de six mois d’emprisonnement et deux mille EUR d’amende avec sursis. À titre de peine complémentaire, elle prononça l’interdiction d’exercer la profession d’avocat pendant cinq ans, confirmant par ailleurs les dispositions civiles du jugement de première instance.

Le requérant forma un pourvoi en cassation. Dans son mémoire, il fit grief à l’arrêt d’appel d’avoir rejeté l’exception de nullité concernant l’audition libre dont il avait fait l’objet sans pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat.

Par un arrêt du 6 décembre 2016, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, après avoir relevé qu’abstraction faite des motifs surabondants fondés sur les déclarations effectuées au cours de l’audition libre, la cour d’appel s’était fondée sur d’autres éléments que ceux recueillis à cette occasion.

  1. Affaire no 83700/17

La requérante est née en 1972 et réside à Saint-Priest-Ligoure.

Le 5 décembre 2012, le Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins de la Haute-Vienne signala au procureur de la République que la requérante pratiquait des actes d’acupuncture, ce qui pouvait constituer un exercice illégal de la médecine. Une enquête fut ouverte. Le 22 janvier 2013, une perquisition fut menée au domicile de la requérante. Le 25 janvier 2013 à 8 h 55, elle fut auditionnée au sein des locaux de gendarmerie.

Informée des faits qui lui étaient reprochés, ainsi que de son droit de mettre fin à l’audition à tout moment, la requérante consentit à être entendue librement. Elle ne fut pas informée de son droit de garder le silence et ne bénéficia pas de l’assistance d’un avocat. La requérante, dont la langue maternelle est le chinois, ne fut pas assistée d’un interprète. L’audition libre prit fin le 25 janvier 2013 à 10 h 10.

La requérante fut renvoyée devant le tribunal correctionnel de Limoges du chef d’exercice illégal de la profession de médecin. Elle souleva une exception de nullité tenant au défaut d’interprète durant son audition libre ou, du moins, du défaut d’information de la possibilité d’en bénéficier, ainsi que de l’absence de notification du droit au silence.

À l’audience, le président du tribunal ayant constaté que la requérante ne parlait pas suffisamment le français, il désigna un interprète de langue chinoise inscrit sur la liste des experts de la cour d’appel de Limoges.

Par un jugement du 27 octobre 2015, le tribunal correctionnel rejeta l’exception de nullité soulevée par la requérante concernant l’absence d’interprète et d’information du droit de garder le silence au cours de l’audition libre, au motif que ces droits découlaient de directives européennes qui n’avaient pas encore été transposées en droit français au moment de l’audition libre et que, partant, celle-ci était régulière. Sur le fond, il nota que la requérante n’était titulaire d’aucun diplôme lui permettant d’exercer la médecine et n’était pas inscrite au tableau de l’ordre des médecins, mais qu’elle détenait seulement un diplôme d’acupuncture délivré en 1996 par une université de médecine traditionnelle chinoise. Se fondant sur les propos tenus au cours de l’audition libre, ainsi que sur l’ensemble des pièces produites au dossier et les débats à l’audience, il releva que : la requérante recevait dans un local aménagé avec deux lits pour son activité, les témoignages prouvant par ailleurs que les personnes s’y rendaient exclusivement pour résoudre un problème de santé ; qu’au début des premières rencontres, elle avait un entretien d’une heure à une heure et demi afin de déterminer les problèmes, ce qui était caractéristique d’un diagnostic ; qu’enfin, elle s’adonnait à des actes personnels par massages et/ou points d’acupuncture avec des aiguilles. Il en déduisit qu’elle s’adonnait de manière régulière à des actes médicaux en violation de l’article L. 4161-1 du code de la santé publique. La requérante n’ayant pas d’antécédents et compte tenu de la nature lucrative de son activité, il la condamna à une peine d’amende de cinq cents euros (EUR). Une somme de quatre cents EUR fut accordée à titre de dommages-intérêts au Conseil Départemental de l’Ordre des Médecins de la Haute-Vienne. La requérante et le ministère publique interjetèrent appel.

Par un arrêt du 20 juillet 2016, la cour d’appel de Limoges rejeta les exceptions de nullité de la requérante, tirées de l’absence d’interprète et de notification du droit de se taire pendant l’audition libre, pour les motifs suivants :

« Il s’avère de la clarté des propos retranscrits, de la précision des termes employés et de la cohérence des mots choisis, qui ne peuvent être le fait des enquêteurs, dans une procédure qui n’apparaît pas d’une complexité particulière, que [la requérante], mariée à un français depuis cinq années, vivant en France depuis quatre ans et demi et exerçant une activité professionnelle en lien avec le public, avait une connaissance suffisante de la langue pour comprendre les enjeux de son audition (...). Il ne peut être tiré grief de la désignation d’un interprète par les premiers juges, qui n’est, comme devant la cour d’appel, intervenu que dans un souci scrupuleux du respect de ses droits.

Il convient également d’écarter le moyen de nullité fondé sur le défaut d’information de son droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination lorsqu’il a été procédé à son audition le 25 janvier 2013, soit antérieurement à la loi du 27 mai 2014, le juge du fond devant néanmoins veiller à ce qu’une déclaration de culpabilité ne repose ni exclusivement, ni essentiellement sur ces déclarations. (...) »

Sur le fond, elle confirma le jugement, se fondant notamment sur les éléments suivants : l’absence de diplôme de docteur en médecine ou d’un diplôme assimilé ; l’utilisation d’un local dédié aménagé avec deux lits médicalisés ; son fichier contenant plus de quatre cent-cinquante noms de patients saisi au cours de la perquisition à son domicile ; ses explications durant l’audition libre et au cours de l’audience ; les courriers et témoignages de patients transmis aux enquêteurs par son époux à la suite de son audition.

La requérante forma un pourvoi en cassation. Dans son mémoire, elle fit grief à l’arrêt d’appel de s’être fondée, pour la déclarer coupable, sur ses déclarations à charge faites au cours de son audition libre, sans interprète et sans avoir été informée de son droit de garder le silence.

Par un arrêt du 13 juin 2017, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, après avoir relevé qu’abstraction faite des motifs surabondants fondés sur les déclarations effectuées au cours de l’audition libre, dont il résulte que la requérante avait l’usage de la langue française, la cour d’appel s’était fondée sur d’autres éléments que ceux recueillis à cette occasion.

  1. Affaire no 52833/19

Le requérant est né en 1949 et réside à Joué-lès-Tours.

Le 29 janvier 2014, le président du Syndicat des Chirurgiens-Dentistes d’Indre-et-Loire alerta la Direction départementale de la protection des populations sur les agissements du requérant, prothésiste-dentaire, qui continuait à dispenser des soins dentaires alors qu’il avait fait l’objet de plusieurs condamnations pour exercice illégal de l’art dentaire. Il précisait que, pour sa défense, le requérant avait toujours invoqué la réalisation de prothèses amovibles, la prise d’empreinte étant censée être effectuée par les patients grâce à des auto-kits, et que l’analyse de trois factures montrait qu’il réalisait des couronnes et faisait des implants, lesquels constituent des actes sanglants et douloureux nécessitant des actes particuliers.

Une enquête fut ouverte pour des faits d’exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste. Les trois patients dont les factures avaient été produites par le syndicat furent entendus et confirmèrent que le requérant avait posé leurs couronnes ou implants.

Le requérant fut entendu sous le régime de l’audition libre le 13 novembre 2014 de 9 h 07 à 10 h 30. Il fut informé des faits qui lui étaient reprochés, ainsi que de son droit de mettre fin à l’audition à tout moment. Il ne fut pas informé de son droit de garder le silence et ne bénéficia pas de l’assistance d’un avocat. Le requérant accepta de s’expliquer sans jamais s’auto-incriminer.

Le requérant fut cité à personne pour comparaître devant le tribunal correctionnel de Tours pour exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste.

Par un jugement du 2 juin 2016, le tribunal correctionnel, saisi d’une exception de nullité, procéda à l’annulation du procès-verbal d’audition libre « au nom des principes d’exercice des droits de la défense garantissant un procès équitable », après avoir toutefois relevé que les policiers n’avaient commis aucune irrégularité dès lors que le droit à l’assistance d’un avocat n’étant pas prévu par les textes à la date de l’audition. Sur le fond, il releva que le requérant comparaissait pour la neuvième fois depuis 1986 pour des faits d’exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste, alors qu’il n’était pas contesté qu’il ne possédait pas le diplôme requis, ne pouvant exercer que la profession de prothésiste-dentaire. Il nota également que le requérant ne pouvait ignorer que ses interventions nécessitaient un diplôme de chirurgien-dentiste, qu’il militait depuis des années pour la reconnaissance en France du diplôme de « denturologue » qu’il avait obtenu au Canada et qu’il était passé à l’acte plusieurs fois, dans le cadre d’un lieu baptisé « centre de santé dentaire » et possédant un équipement très semblable à celui d’un chirurgien-dentiste. Après avoir écarté les arguments du requérant au vu des factures et des témoignages de ses victimes, il le déclara coupable d’exercice illégal de la profession de chirurgien-dentiste en récidive et le condamna à deux cents jours-amende d’un montant unitaire de quatre-vingts euros (EUR). Il prononça également des peines complémentaires, dont l’interdiction définitive d’exercer la profession de prothésiste dentaire, et ordonna la confiscation de son matériel. Des dommages et intérêts furent accordés aux parties civiles.

Par un arrêt du 14 mars 2018, la cour d’appel d’Orléans jugea que le tribunal correctionnel avait à tort annulé le procès-verbal d’audition libre, tous les droits attachés à l’audition libre ayant été respectés et dès lors que la loi n’imposait pas encore le droit à l’assistance d’un avocat, le requérant ayant en outre été informé des charges pesant contre lui. Se fondant notamment sur les déclarations des personnes ayant eu recours aux services du requérant, sur les déclarations de ce dernier au cours des débats devant elle et lors de son audition libre, la cour d’appel confirma le jugement sur la culpabilité et le condamna à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis, assortie d’une mise à l’épreuve pendant trois ans avec l’obligation particulière de ne pas se livrer à l’activité dans l’exercice de laquelle l’infraction fut commise et de réparer les dommages causés par l’infraction. Elle confirma en outre les peines complémentaires et dommages-intérêts prononcés en première instance.

Le requérant forma un pourvoi en cassation. Dans son mémoire, il fit grief à l’arrêt d’appel de s’être fondée, pour le déclarer coupable des faits qui lui étaient reprochés, sur des déclarations incriminantes faites au cours de son audition libre, sans l’assistance d’un avocat et sans avoir été informé de son droit de garder le silence.

Le 14 mai 2019, la Cour de cassation déclara le pourvoi du requérant non admis.

  1. Le cadre et la pratique juridiques pertinents
    1. Genèse de l’audition libre

Avant le 1er juin 2011, la pratique de l’audition libre n’était pas encadrée par la loi. Cependant, par une jurisprudence constante, la Cour de cassation confirmait la possibilité d’entendre une personne suspectée d’avoir commis une infraction en dehors du régime de la garde à vue. Elle jugea notamment qu’« aucune disposition légale n’impose à l’officier de police judiciaire de placer en garde à vue une personne entendue sur les faits qui lui sont imputés, dès lors qu’elle a accepté d’être immédiatement auditionnée et qu’aucune contrainte n’a été exercée durant le temps strictement nécessaire à son audition où elle est demeurée à la disposition des enquêteurs » (Cass. crim., 2 septembre 2004, no 03-86.721, et Cass. crim., 3 juin 2008, no 08-81.932).

En 2010, environ la moitié des auditions de personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions était alors réalisée sous le régime de l’audition librement consentie, sans placement en garde à vue (Rapport no 3040 fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée Nationale, déposé le 15 décembre 2010, sur le projet de loi relatif à la garde à vue).

La loi no 2011-392 du 14 avril 2011 entrée en vigueur le 1er juin 2011, a codifié la jurisprudence de la Cour de cassation en ajoutant un second alinéa à l’article 73 du code de procédure pénale (CPP) et en modifiant son article 62.

  1. Les dispositions du code de procédure pénale applicables au moment des faits

a)      Requêtes nos 38288/15, 45340/17 et 83700/17

Article 62

« Les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ne peuvent être retenues que le temps strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée ne puisse excéder quatre heures.

S’il apparaît, au cours de l’audition de la personne, qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous la contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue. Son placement en garde à vue lui est alors notifié dans les conditions prévues à l’article 63. »

Le Conseil constitutionnel déclara le second alinéa de l’article 62 du code de procédure pénale conforme à la Constitution, sous la réserve suivante (décision du 18 novembre 2011, no 2011-191/194/195/196/197 QPC) :

« 20. Considérant que, toutefois, le respect des droits de la défense exige qu’une personne à l’encontre de laquelle il apparaît, avant son audition ou au cours de celle-ci, qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction pour laquelle elle pourrait être placée en garde à vue, ne puisse être entendue ou continuer à être entendue librement par les enquêteurs que si elle a été informée de la nature et de la date de l’infraction qu’on la soupçonne d’avoir commise et de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie ; que, sous cette réserve applicable aux auditions réalisées postérieurement à la publication de la présente décision, les dispositions du second alinéa de l’article 62 du code de procédure pénale ne méconnaissent pas les droits de la défense »

Article 73, alinéa 2

« (...)

Lorsque la personne est présentée devant l’officier de police judiciaire, son placement en garde à vue, lorsque les conditions de cette mesure prévues par le présent code sont réunies, n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu’elle a été informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie. Le présent alinéa n’est toutefois pas applicable si la personne a été conduite par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »

b)     Requête no 52833/19

La loi no 2014-535 du 27 mai 2014, entrée en vigueur le 2 juin 2014, créa un nouvel article 61-1 du CPP, tout en modifiant les articles 62 et 73, alinéa 2 :

Article 61-1

« La personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ne peut être entendue librement sur ces faits qu’après avoir été informée :

1o De la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;

2o Du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ;

3o Le cas échéant, du droit d’être assistée par un interprète ;

4o Du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ;

5o Si l’infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, du droit d’être assistée au cours de son audition ou de sa confrontation, selon les modalités prévues aux articles 63-4-3 et 63-4-4, par un avocat choisi par elle ou, à sa demande, désigné d’office par le bâtonnier de l’ordre des avocats ; elle est informée que les frais seront à sa charge sauf si elle remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle, qui lui sont rappelées par tout moyen ; elle peut accepter expressément de poursuivre l’audition hors la présence de son avocat ;

6o De la possibilité de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit.

La notification des informations données en application du présent article est mentionnée au procès-verbal.

Si le déroulement de l’enquête le permet, lorsqu’une convocation écrite est adressée à la personne en vue de son audition, cette convocation indique l’infraction dont elle est soupçonnée, son droit d’être assistée par un avocat ainsi que les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle, les modalités de désignation d’un avocat d’office et les lieux où elle peut obtenir des conseils juridiques avant cette audition.

Le présent article n’est pas applicable si la personne a été conduite, sous contrainte, par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »

Les dispositions du 5o et l’avant-dernier alinéa de l’article n’entrèrent toutefois en vigueur que le 1er janvier 2015.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel déclara l’article 61-1 du CPP, dans sa rédaction issue de la loi no 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, contraire à la Constitution et il reporta la date de l’abrogation de ces dispositions au 1er janvier 2020 (décision du 8 février 2019, no 2018-762 QPC).

Article 62

« Les personnes à l’encontre desquelles il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction sont entendues par les enquêteurs sans faire l’objet d’une mesure de contrainte.

Toutefois, si les nécessités de l’enquête le justifient, ces personnes peuvent être retenues sous contrainte le temps strictement nécessaire à leur audition, sans que cette durée puisse excéder quatre heures.

Si, au cours de l’audition d’une personne entendue librement en application du premier alinéa du présent article, il apparaît qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, cette personne doit être entendue en application de l’article 61-1 et les informations prévues aux 1o à 6o du même article lui sont alors notifiées sans délai, sauf si son placement en garde à vue est nécessité en application de l’article 62-2.

Si, au cours de l’audition d’une personne retenue en application du deuxième alinéa du présent article, il apparaît qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle ne peut être maintenue sous contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue. Son placement en garde à vue lui est alors notifié dans les conditions prévues à l’article 63-1. »

Article 73, alinéa 2

« Lorsque la personne est présentée devant l’officier de police judiciaire, son placement en garde à vue, lorsque les conditions de cette mesure prévues par le présent code sont réunies, n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu’elle a été informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie. Le présent alinéa n’est toutefois pas applicable si la personne a été conduite, sous contrainte, par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »

  1. Modifications ultérieures

L’article 61-1 du CPP, modifié par la loi no 2019-222 du 23 mars 2019, entra en vigueur le 1er juin 2019 :

Article 61-1

« Sans préjudice des garanties spécifiques applicables aux mineurs, la personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ne peut être entendue librement sur ces faits qu’après avoir été informée :

1o De la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ;

2o Du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ;

3o Le cas échéant, du droit d’être assistée par un interprète ;

4o Du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ;

5o Si l’infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, du droit d’être assistée au cours de son audition ou de sa confrontation, selon les modalités prévues aux articles 63-4-3 et 63-4-4, par un avocat choisi par elle ou, à sa demande, désigné d’office par le bâtonnier de l’ordre des avocats ; elle est informée que les frais seront à sa charge sauf si elle remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle, qui lui sont rappelées par tout moyen ; elle peut accepter expressément de poursuivre l’audition hors la présence de son avocat ;

6o De la possibilité de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit.

La notification des informations données en application du présent article est mentionnée au procès-verbal.

Si le déroulement de l’enquête le permet, lorsqu’une convocation écrite est adressée à la personne en vue de son audition, cette convocation indique l’infraction dont elle est soupçonnée, son droit d’être assistée par un avocat ainsi que les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle, les modalités de désignation d’un avocat d’office et les lieux où elle peut obtenir des conseils juridiques avant cette audition.

Le présent article n’est pas applicable si la personne a été conduite, sous contrainte, par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »

GRIEFS

Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 c), les requérants allèguent une violation de la Convention, en ce que leur condamnation fut fondée sur les déclarations faites au cours de leur audition libre (ou celle de leur coaccusé concernant L. Delahaye - requête no 38288/15), à l’occasion de laquelle il n’ont pas bénéficié de la notification du droit de garder le silence (requêtes nos 38288/15, 83700/17 et 52833/19), de l’assistance effective d’un avocat (requêtes nos 38288/15, 45340/17 et 52833/19) ou de l’assistance d’un interprète (requête no 83700/17).

QUESTION AUX PARTIES

À la lumière de la jurisprudence de la Cour, le défaut de notification aux requérants, dans le cadre de l’audition libre, du droit de garder le silence (requêtes nos 38288/15, 83700/17 et 52833/19), à l’assistance effective d’un avocat (requêtes nos 38288/15, 45340/17 et 52833/19) ou à l’assistance d’un interprète (requête no 83700/17) a-t-il porté atteinte à leur droit à un procès équitable, en particulier s’agissant du droit à ne pas contribuer à leur propre incrimination, ainsi qu’aux droits de la défense, tels que garantis par l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention ?


ANNEXE

No

No de requête

Date d’introduction

Nom du requérant

Année de naissance

Lieu de résidence

Nationalité

Représentant

  1.  

38288/15

31/07/2015

Loïc DELAHAYE

1988

Cuzieu

Français

Danny MERAHI

1991

Chazelles-sur-Lyon

Français

Me Sylvain CORMIER

  1.  

45340/17*

22/06/2017

Loïc HENRI

1961

Villemandeur

Français

  1.  

83700/17*

08/12/2017

Yanjun WANG

1972

Saint Priest Ligoure

Chinois

Me Christophe PETTITI

  1.  

52833/19*

07/10/2019

Joël DUBOIS

1949

Joue les Tours

Français

Me Christophe NOUZHA

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CEDH, DELAHAYE ET MERAHI c. FRANCE et 3 autres affaires, 1er février 2021, 38288/15 et autres