CEDH, Cour (première section), DE DIEGO NAFRIA c. l'ESPAGNE, 14 décembre 2000, 46833/99

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 14 déc. 2000, n° 46833/99
Numéro(s) : 46833/99
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 27 janvier 1999
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Recevable
Identifiant HUDOC : 001-31857
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2000:1214DEC004683399
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION FINALE

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 46833/99
présentée par Mariano de DIEGO NAFRIA
contre l'Espagne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 14 décembre 2000 en une chambre composée de

MmesE. Palm, présidente,
W. Thomassen,
MM.A. Pastor Ridruejo,
L. Ferrari Bravo,
C. Bîrsan,
J. Casadevall,
B. Zupančič, juges,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 27 janvier 1999 et enregistrée le 18 mars 1999,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :


EN FAIT

Le requérant est un ressortissant espagnol, né en 1943 et résidant à Madrid.

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A.  Circonstances particulières de l’affaire

Le 2 février 1981, le requérant prit ses fonctions de fonctionnaire de la Banque d’Espagne en tant qu’inspecteur des établissements de crédit et d’épargne. Le 8 juillet 1986, la Banque d’Espagne accepta sa demande de mise en disponibilité volontaire.

1.  Procédure de sanction diligentée par la Banque d’Espagne à l’encontre du requérant pour ses activités dans un établissement de crédit privé

Après son départ de la Banque d’Espagne, le requérant occupa divers postes de cadre dirigeant dans plusieurs établissement de crédit privés. En particulier, il fut désigné conseiller d’une société hypothécaire privée IGS.M.H., poste qu’il occupa jusqu’en 1993.

Au terme d’une procédure de contrôle diligentée par la Banque d’Espagne contre l’établissement de crédit IGS.M.H., le Conseil des Ministres, par une décision du 22 décembre 1993, retira l’agrément administratif à cet établissement et sanctionna les membres de son organe exécutif, parmi lesquels figurait le requérant. Ce dernier se vit infliger une sanction d’interdiction pendant deux ans d’occuper des fonctions d’administration ou de direction dans tout établissement de crédit, et le paiement d’une amende d’un million de pesetas pour infractions graves et très graves à la législation bancaire.

Le 16 février 1994, il réintégra son poste au sein de la Banque d’Espagne.

Contre la décision du 22 décembre 1993, le requérant présenta deux recours devant le Tribunal suprême, le premier en invoquant la loi de 1978 sur la protection des droits fondamentaux de la personne et, le deuxième, sous forme d’un recours contentieux-administratif. Par un arrêt du 10 janvier 1997, le Tribunal suprême, estimant que les droits de la défense du requérant n’avaient pas été respectés dans la phase administrative, déclara nulle la décision du 22 décembre 1993 et ordonna le remboursement de l’amende payée par le requérant. Par un deuxième arrêt du 8 juillet 1997, le Tribunal suprême confirma son arrêt antérieur en y ajoutant l’obligation pour l’administration de verser au requérant les intérêts légaux correspondant à l’amende.

Par une décision du 11 mars 1997, la Banque d’Espagne, tenant compte de l’arrêt du Tribunal suprême du 10 janvier 1997 et, eu égard au fait que les faits reprochés au requérant n’étaient pas prescrits, engagea une nouvelle procédure de sanction à l’encontre du requérant. Au terme de cette procédure, par une décision du 19 février 1998, le ministère de l’Économie et des Finances sanctionna le requérant d’une mesure d’interdiction pendant deux ans d’occuper des fonctions d’administration et de gestion dans toute entité de crédit, et lui infligea une amende d’un million de pesetas. Le requérant a attaqué cette nouvelle procédure moyennant un recours contentieux-administratif qui se trouve pendant.

2.  Licenciement du requérant par la Banque d’Espagne en tant qu’employé de la Banque d’Espagne

Le 27 février 1997, le requérant adressa une lettre à E.H.E., Sous-directeur général de la Banque d’Espagne, chef du bureau de l’Inspection des services dont la teneur fut la suivante :

« Cher Monsieur :

D’après l’organigramme de la Banque d’Espagne, l’une des fonctions essentielles du bureau de l’Inspection des services que vous dirigez consiste à surveiller et contrôler l’exécution des lois en vigueur, des règlements et des dispositions prises autant dans les bureaux du centre que dans les succursales.

Or, dans le cadre de ses fonctions, et partant de sa responsabilité, moi, Mariano de Diego Nafría, avec la carte nationale d’identité n° 16.771.673, Inspecteur des établissements de crédit et d’épargne de la Banque d’Espagne, porte à votre connaissance, à tous effets légaux et réglementaires, et ce même de manière très succincte, les faits et circonstance que je décris ci-après.

Le 22 décembre 1992, le Conseil des Ministres me condamna, en étant absolument innocent, à deux années d’interdiction d’occuper des fonctions d’administration ou de direction dans tout établissement de crédit et au paiement d’une amende d’un million de pesetas. Il s’agissait là de l’acte final d’une procédure qui fut « instruite » pendant sept mois par la Banque d’Espagne en violant « tout » le système juridique espagnol.

J’énumère quelques-unes des gravissimes irrégularités commises :

a)  J’ai été privé de toute possibilité de défense (violation flagrante de l’article 24 de la constitution espagnole) puisque la première information que j’ai eue de cette affaire, ce fut à travers les médias le 24 décembre 1993, une fois que l’accord du Conseil des Ministres fut publié au Journal Officiel de l’Etat du 23 décembre 1993.

b)  Le Secrétariat général de la Banque d’Espagne (...) occulta aux services juridiques une documentation fondamentale.

c)  La Direction générale de l’Inspection occulta aux services juridiques de la documentation me concernant et parlant de mon innocence.

d)  L’acte de l’Inspection (...) contient des affirmations fausses en ce qui me concerne.

e)  Les services juridiques (...) présentent comme fondements juridiques un tape-à-l’œil argumentaire prétentieux sur le vide.

f)  Le chef des services juridiques présente au Sous-gouverneur un mémoire (...) contenant de graves mensonges.

Après tout cela, et après le dommage infini causé à moi-même et à ma famille, j’ai réintégré la Banque d’Espagne le 16 février 1994 où j’ai été soumis pendant vingt mois, à un traitement vexatoire, dégradant, inhumain et humiliant, violant ainsi, une fois encore, mes droits fondamentaux protégés par la Constitution espagnole.

Des personnes importantes de la Banque d’Espagne ne remplissent pas leurs obligations et mentent dans des documents publics alors que je continue de faire l’objet de discriminations et de décisions arbitraires et prévaricatrices.

En raison de tout cela :

1.  J’ai introduit deux recours auprès du Tribunal suprême (un recours ordinaire et un autre de protection des droits fondamentaux). Le premier se trouve pendant des délibérations et du jugement. Le deuxième a fait l’objet d’un jugement très récent dont le contenu est le suivant :

« Jugeons : que nous devons faire droit au recours contentieux-administratif (...) introduit sous couvert de la Loi 62/1978 par la représentation de M. Mariano de Diego García contre les sanctions qui lui furent infligées par décision du Conseil des Ministres du 22 décembre 1993 (...), sanctions que nous déclarons nulles de plein droit pour avoir violé l’article 24.1 de la Constitution, et condamnons l’administration générale de l’Etat au remboursement de l’amende d’un million de pesetas au cas où elle aurait été payée par l’intéressé. (...) »

2.  Un recours contre la Banque d’Espagne est en cours d’instruction pour violation une fois de plus de mes droits fondamentaux (...) auprès de la chambre sociale du Tribunal supérieur de justice de Madrid.

3.  Mes avocats étudient en ce moment la possibilité d’introduire diverses actions contre plusieurs personnes de la  Banque d’Espagne.

4.  J’ai déposé une plainte auprès de l’Ordre des avocats de Madrid (...) pour qu’une procédure disciplinaire (et j’espère que la sanction prononcée sera la radiation du barreau) soit ouverte à l’encontre de (suit une liste de cinq noms).

5.  J’ai présenté une plainte devant le Défenseur du Peuple (ombudsman) qui a été déclarée recevable le 28 janvier 1997.

« Par la présente lettre je profite également pour porter à votre connaissance la conduite, que je considère gravement irrégulière, de, au moins (suit une liste de noms, notamment de dirigeants de la Banque d’Espagne, à commencer par son Gouverneur). 

Monsieur H.E., de votre responsabilité, probité et droiture, j’attends un éclaircissement des faits et des conséquences qui en découleraient, pour des personnes honnêtes et des institutions honorables, d’une connaissance responsable et exigeante de la vérité. »

Le requérant envoya copie de sa lettre à deux collègues de la Banque d’Espagne. Une  copie manuscrite de cette lettre fut apposée au tableau d’affichage du centre de travail.

Le 11 mars 1997, le Gouverneur de la Banque d’Espagne adressa au requérant une lettre de licenciement dont le libellé est le suivant :

« (...) Je vous communique la décision de cet établissement de se passer de vos services. Cette décision est motivée par les faits suivants :

1.  Votre lettre du 27 février 1997, adressée à M. E.H.E., Sous-directeur général de cet établissement (...). Dans cette lettre il est tenu des affirmations relatives aux actes réalisés par divers départements et services de cet établissement dans la procédure ouverte à IGS de Mercado Hipotecario S.C.H. S.A., dont la teneur est la suivante en ce qui vous concerne : (suit la liste des affirmations émises par le requérant dans sa lettre aux points b) à f) relatives aux irrégularités commises par divers services de la Banque). »

La lettre de licenciement poursuivait comme suit :

«(...)

c)  Vous qualifiez de « gravement irrégulières » les conduites de Messieurs (suit une liste de noms avec en premier lieu le nom du Gouverneur de la Banque d’Espagne). »

2.  Avoir distribué, moyennant photocopies, la lettre en question surs les lieux de travail de cet établissement, à Alcalá, 50 et 522, les 3 et 5 mars (...) lui donnant ainsi une énorme diffusion et portant atteinte au nom et à l’image tant de l’Institution que des personnes auxquelles il y est fait allusion.

Considérant que de telles conduites supposent un manquement grave et coupable aux obligations contractuelles, cet établissement a décidé de vous licencier, dans l’exercice des droits conférés par l’article 54.2 c) et d) du Statut des Travailleurs, avec effet au jour de la date de la présente lettre. (...)

Le Gouverneur. »

Le 20 mars 1997, le président du Comité national d’entreprise de la Banque d’Espagne adressa une lettre au Gouverneur de la Banque centrale en faisant observer que le requérant avait agi dans le cadre de ses obligations réglementaires d’informer l’Inspection des services des faits qui, de son avis, violaient ses droits en tant que travailleur, et supposaient un fonctionnement anormal de personnes et de services de la Banque centrale. Il exprima sa surprise devant une sanction aussi radicale prise dans une affaire sans aucune répercussion publique, et demanda au Gouverneur de laisser sans effet la décision de licenciement et d’ouvrir une procédure réglementaire à l’encontre du requérant.

Contre la décision de licenciement, le requérant présenta un recours devant le tribunal social n° 16 de Madrid en alléguant notamment la violation des articles 14 (principe de non-discrimination) et 20 (droit à la liberté d’expression) de la Constitution espagnole. Par un jugement contradictoire rendu le 31 juillet 1997, le tribunal social n° 16 de Madrid annula la décision de licenciement du requérant en estimant que le droit à la liberté d’expression-information du requérant avait été violé. Examinant l’article 20 de la Constitution, le tribunal estima notamment que :

« (...) Dans la lettre du 27 février 1997, rédigée par le requérant, il est fait une série d’imputations à ses supérieurs. Toutefois, dans aucune de ces imputations, il est attribué la commission d’un délit mais au contraire il est fait allusion aux irrégularités commises, d’ordre administratif pouvant revêtir une indiscutable importance sans qu’il soit fait référence aux infractions pénales contenues dans le code pénal, telles que faux en documents (...), toutes les imputations dénoncées se référant à sa propre défense. En conséquence, même si les allégations du requérant contenues dans sa lettre du 27 février 1997 revêtent une indiscutable importance, on ne peut considérer que celles-ci contiennent des imputations de faits délictueux. Cela est de première importance dès lors que, selon la jurisprudence citée (du Tribunal constitutionnel), le droit de tout citoyen à exercer le droit garanti par l’article 20 de la Constitution espagnole comprend les affirmations pouvants’avérer dérangeantes, pour autant qu’elles n’enfreignent pas le droit fondamental qui en constitue la limite, à savoir le droit à l’honneur. Ce droit sera violé, selon la jurisprudence du Tribunal constitutionnel (...), lorsque les imputations émises se réfèrent à la réalisation de conduites délictueuses. En outre, il convient d’accorder une plus grande importance aux circonstances dans lesquelles a eu lieu l’envoi de la lettre du requérant. Ainsi, le requérant a été sanctionné et fait l’objet d’un traitement distinct dans l’attribution d’un travail effectif, (...) de sorte qu’en envoyant la lettre à son supérieur le requérant ne fait que se défendre des imputations faites à son encontre.

(...)

En conséquence, on ne saurait considérer que le contenu de la lettre adressée à E.H.E., Sous-directeur général de la Banque d’Espagne, ait dépassé les limites de l’exercice d’un droit fondamental.

(...) Quant au fait d’avoir rendu public le contenu de la lettre parmi les travailleurs (...), certes il remit la lettre personnellement à plusieurs de ses collègues, ainsi qu’au registre. Toutefois, il n’est pas démontré, qu’en plus, il ait déposé les photocopies dans les différents centres de travail. (...) Il est indiscutable que la conduite de l’intéressé pourrait aller à l’encontre de l’image de l’entreprise mais il est également vrai que la diffusion s’est limitée à l’entreprise, sans qu’il soit prouvé que le requérant n’a effectué aucun acte tendant à rendre publique sa lettre. (...) En conséquence, on ne peut estimer que le requérant a exercé son droit prévu à l’article 20 de la Constitution espagnole au-delà des limites conformant ce droit, de sorte que la résiliation du contrat de travail (...) doit être qualifiée comme ayant violé un droit fondamental, entraînant ainsi la nullité du licenciement. (...) »

La Banque d’Espagne interjeta appel de ce jugement devant le Tribunal supérieur de justice de Madrid. Par un arrêt contradictoire du 14 juillet 1998, le tribunal infirma le jugement entrepris et estima le licenciement conforme aux droits fondamentaux invoqués par le requérant et, en particulier, l’article 20 de la Constitution, notamment aux motifs suivants :

« (...) le requérant présenta le 27 février 1997, par le biais du registre général de la Banque d’Espagne, une lettre adressée à E.H.E., Sous-directeur général, chef du bureau de l’Inspection des services. Copie de cette lettre avec la mention manuscrite « A tous les collègues de la Banque d’Espagne » fut apposée dans le centre de la banque à Alcalá 522, dans le tableau d’affichage destiné à l’information des syndicats (...) sans qu’il soit démontré que sa distribution fut réalisée par le requérant. S’agissant du contenu de la lettre, il convient de souligner qu’une première partie porte sur la procédure ouverte à l’encontre du requérant et qui, administrativement, donna lieu à la décision du Conseil des Ministres du 22 décembre 1993 et, une autre partie ou aspect, étranger ou sans connexion avec l’instruction de ladite procédure.

(...) s’agissant (...) du traitement vexatoire et humiliant dont il dit avoir été victime de la part de la banque, en violation de tous les droits fondamentaux, l’inexécution des obligations qu’il attribue à des personnes importantes de la banque ainsi que les mensonges dans des documents publics, décisions arbitraires et prévarications, l’espoir que des personnes citées par lui soient radiées de l’ordre des avocats et les conduites gravement irrégulières qu’il attribue à dix-sept personnes de la banque, parmi lesquelles les dirigeants, ces termes constituent des opinions clairement offensantes et infamantes car invitant à soupçonner que la façon d’agir de la banque en tant qu’entreprise et de ses dirigeants est contraire aux normes et portant atteinte et discrédit à ces derniers (...) Ces termes contenus dans la lettre ne répondent pas à une réaction instantanée et inattendue, ce qui est le propre des excès oraux, mais furent précédés de sérénité et discernement, quant au fond et à la forme (...). Le fait que la lettre n’ait pas eu de diffusion extérieure n’enlève rien à la gravité de l’atteinte à l’image de l’entreprise en son sein même (...). Il faut dès lors conclure que le requérant a outrepassé le droit à la liberté d’expression en portant atteinte à l’honorabilité de l’entreprise et des employés (...) ».

Contre cet arrêt, le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel en invoquant les articles 20 (droit à la liberté d’expression et d’information) et 24 (droit à un procès équitable) de la Constitution espagnole. Par une décision du 30 novembre 1998, la haute juridiction, reprenant pour l’essentiel la motivation du Tribunal supérieur de justice de Madrid, rejeta le recours pour défaut de fondement.

B.  Droit interne pertinent

1.  Les dispositions pertinentes du Statut des Travailleurs se lisent comme suit :

Article 54

« Licenciement disciplinaire. – 1. L’employeur peur décider de mettre fin au contrat de travail, par un licenciement du travailleur pour non-respect grave et coupable de ses obligations.

(...)

2.  Seront considérées comme inexécutions contractuelles :

(...)

c)  Les offenses orales ou physiques envers l’employeur ou les personnes travaillant dans l’entreprise ou les membres de leurs familles vivant avec eux.

d)  La violation de la bonne foi contractuelle, ainsi que l’abus de confiance dans la réalisation du travail. »

Article 55

« Forme et effets du licenciement disciplinaire.

(...)

5.  Le licenciement justifié entraînera l’extinction du contrat sans droit à indemnisation (...). »

2.  En outre, l’article 20 de la Constitution entre en ligne de compte dans la présente affaire :

Article 20

« 1.  Son reconnus et protégés les droits suivants :

a)  à exprimer et diffuser librement des pensées, idées et opinions oralement, par écrit ou par tout autre moyen de reproduction ;

(...)

d)  à communiquer et recevoir librement des informations vraies par tous les moyens de diffusion. (...)

2.  L’exercice de ces droits ne peut être restreint par aucune censure préalable.

(...)

4.  Ces libertés ont leur limite dans le respect des droits reconnus dans ce Titre, dans les dispositions des lois d’application et particulièrement dans le droit à l’honneur, à la vie privée, à son image et à la protection de la jeunesse et de l’enfance. »


3.  L’article 171 de la convention collective de la Banque d’Espagne se lit ainsi :

« Pour autant que la nature de la faute le permet, le licenciement sera réservé aux cas de récidive dans des fautes très graves. »

GRIEF

Le requérant souligne que le contenu de la lettre qui a valu son licenciement reflète la vérité. Il souligne que les termes jugés offensants ont été extraits hors de leur contexte et interprétés en marge de celui-ci. Il fait observer qu’aucune des personnes mises en cause n’a porté plainte ni au pénal ni au civil à son encontre. Il se plaint que le Tribunal de justice de Madrid puis le Tribunal constitutionnel ont porté atteinte à son droit à la liberté d’expression tel que garanti par l’article 10 de la Convention.

EN DROIT

Le requérant se plaint que la mesure de licenciement prise à  son encontre par la Banque d’Espagne constitue une violation de son droit à la liberté d’expression et d’opinion garanti par l’article 10 de la Convention dont le libellé est le suivant :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

Le Gouvernement estime en premier lieu que l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression du requérant que constituait la mesure de licenciement est prévue par l’article 54.2.c) et d) du Statut des Travailleurs. Par ailleurs, elle visait un but légitime à savoir la protection de la réputation ou des droits d’autrui. En effet, la Banque d’Espagne, en tant qu’employeur, ne pouvait tolérer que 17 personnes employées soient insultées et gravement injuriées par le requérant. Le fait que les personnes visées par les propos diffamatoires du requérant aient ou n’aient pas déposé plainte pénale pour diffamation ne saurait entrer en ligne de compte pour justifier la mesure de licenciement.

S’agissant de la proportionnalité de l’ingérence, le Gouvernement souligne qu’à la différence de l’affaire Fuentes Bobo c. Espagne (arrêt du 29 février 2000), les propos injurieux écrits par le requérant ne s’inséraient dans aucun débat d’intérêt général. En outre, il utilisa le moyen de l’écrit de manière consciente et réfléchie et ce, alors même qu’il avait obtenu gain de cause devant le Tribunal suprême au sujet de la sanction qui lui avait été imposée par le Conseil des Ministres. Or le  requérant accusa les plus hautes instance de la Banque d’Espagne de conduites gravement irrégulières. Le caractère offensant et vexatoire des accusations portées par le requérant sont évidentes, graves et concernent toutes les catégories de personnel de la Banque d’Espagne. Ces accusations ont causé un dommage à l’établissement dont il était l’employé. En conclusion, le Gouvernement estime que la mesure de licenciement était proportionnée et justifiée aux termes du paragraphe 2 de l’article 10.

Pour sa part, le requérant souligne que son licenciement fut motivé non pour avoir envoyé une lettre au chef du bureau de l’Inspection des services de la Banque d’Espagne, dans laquelle il demandait l’ouverture d’une enquête sur des faits irréguliers commis à son encontre, mais parce que sa lettre contenait des phrases supposées être offensantes et  qu’elle avait été distribuée dans les locaux de la Banque d’Espagne, lui donnant ainsi une énorme diffusion. Or il estime qu’aucun de ces faits n’a été prouvé. D’ailleurs, si les personnes mises en cause dans sa lettre se considéraient réellement victimes d’atteinte à leur honneur, elles auraient pu porter plainte civile ou pénale contre lui ce qu’aucune d’entre elles n’a fait. Le requérant soutient que la Banque d’Espagne aurait dû prouver et la diffusion de sa lettre et le caractère offensant de son contenu. Or, à aucun moment elle n’y parvient. Par ailleurs, il estime que l’exercice de la  liberté d’expression n’exige pas que le sujet traité soit d’intérêt général. Au demeurant, il se permet de souligner que les grands scandales qui se sont produits au sein de la Banque d’Espagne, ainsi que les graves irrégularités commises par les principaux responsables de cet établissement, ont donné lieu à de multiples articles de journaux. A titre d’exemple, il rappelle que ces scandales ont amené en prison l’ancien Gouverneur de la Banque d’Espagne à un moment où l’actuel Gouverneur était Gouverneur-Adjoint de l’institution. Le requérant souligne qu’il utilisa le moyen écrit de manière réfléchie en étant pleinement conscient de la portée de son contenu, non pour insulter qui que ce soit, mais pour demander une enquête à la personne responsable auprès de la Banque d’Espagne en lui soumettant des faits commis à son encontre et signaler in fine de sa lettre la conduite, qu’il estimait irrégulière, d’une série de personnes qu’il désignait expressément afin que soit ouverte à une enquête.

Après avoir procédé à un examen préliminaire des arguments des parties, la Cour estime que le grief du requérant pose des questions de droit et de fait complexes qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare le restant de la requête recevable, tous moyens de fond réservés.

Michael O’BoyleElisabeth Palm
GreffierPrésidente

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