CEDH, Cour (troisième section), SATIK, CAMLI, SATIK ET MARASLI c. la TURQUIE, 13 mars 2001, 24737/94 et autres

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 13 mars 2001, n° 24737/94 et autres
Numéro(s) : 24737/94, 24739/94, 24740/94, 24741/94
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 20 juillet 1994
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Assenov c. Bulgarie du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, §§ 86, 101-04
Arrêt Caloc c. France, n° 33951/96, § 91, CEDH 2000-IX - (20.7.00)
Arrêt Dikme c. Turquie, n° 20869/92, §§ 51-57, 79, 108, 109, CEDH 2000-VIII - (11.7.00)
Arrêt Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni du 30 août 1990, série A n° 182, pp. 19-20, §§ 41-43
Arrêt Ilhan c. Turquie [GC], n° 22277/93, § 90, CEDH 2000-VII - (27.6.00)
Arrêt Özgür Gündem c. Turquie, n° 23144/93, §§ 44-46, CEDH 2000-II - (16.3.00)
Arrêt Ribitsch c. Autriche du 4 décembre 1995, série A n° 336, p. 26, § 34
Arrêt Selmouni c. France [GC], n° 25803/94, § 87, CEDH 1999-V - (28.7.99)
Arrêt Tomasi c. France du 27 août 1992, série A n° 241-A, pp. 40-41, §§ 108-111
Arrêt Yasa c. Turquie du 2 septembre 1998, Recueil 1998-VI, p. 2440, §§ 105, 106
Kaplan c. Turquie (déc.), n° 24932/94, 19.9.2000, non publiée
Kerr c. Royaume-Uni (déc.), n° 40451/98, 7.12.1999, non publiée
Koç c. Turquie (déc.), n° 24937/94, 14.11.2000, non publiée
Kürküt c. Turquie (déc.), n° 24933/94, 9.1.2001, non publiée Comm. Eur. D.H. No 22909/93, déc. 6.9.95, D.R. 82-B, pp. 29-30
Parlak, Artürk et Tay c. Turquie (déc.), nos 24942/94, 24943/94, 25512/94, (jointes), 8.1.2001, non publiée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-32131
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:0313DEC002473794
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

des requêted n°s 24737/94 - 24739/94 - 24740/94 - 24741/94
présentées par Murat SATIK - Nuran ÇAMLI, Fahriye SATIK - Recep MARAŞLI
contre la Turquie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (Troisième section), siégeant le 13 mars 2001 en une chambre composée de

MM.J.-P. Costa, président,
W. Fuhrmann,
P. Kūris,
MmeF. Tulkens,
M.K. Jungwiert,
SirNicolas Bratza,
M.K. Traja, juges,

et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu les requêtes susmentionnées introduites devant la Commission européenne des Droits de l’Homme le 20 juillet 1994 et enregistrées le 1er août 1994,

Vu l’article 5 § 2 du Protocole n° 11 à la Convention, qui a transféré à la Cour la compétence pour examiner les requêtes,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, M. Recep Maraşlı, son épouse, Mme Nuran Çamlı (Maraşlı), M. Murat Satık et Mme Fahriye Satık, sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1956, en 1961, en 1962 et en 1967 ; actuellement ils résident à l’étranger, en leur qualité de réfugiés politiques.

A l’époque des faits, M. Maraşlı, écrivain politique, était l’éditeur et l’un des fondateurs de la maison Komal. Fondée en 1975, celle-ci publiait, depuis mars 1994, une revue intitulée Stêrka Rızgari. Les autorités de l’Etat voyaient en ce périodique un instrument véhiculant l’idéologie de l’organisation Rızgari - Kürdistan Kurtuluş Partisi (Parti de la libération du Kurdistan – « le PRK ») qui, elle-même, était qualifiée de séparatiste. De fait, M. Maraşlı avait auparavant été condamné pour appartenance au PRK et purgé 9 ans d’emprisonnement avant qu’il ne bénéficie de la libération conditionnelle en 1991. Cependant, depuis le 6 septembre 1993, il était recherché en vertu d’un mandat d’arrêt décerné suite à des propos qu’il aurait tenu pendant une émission télévisée. Par ailleurs, une peine de 2 ans et 5 mois avait été récemment prononcée à son encontre pour séparatisme.

Mme Çamlı, publicitaire de profession, avait, elle aussi, été poursuivie en 1980 et condamnée à 8 ans d’emprisonnement du chef d’appartenance au PRK ; libérée en 1986, elle vivait depuis 1991 avec M. Maraşlı. Celle-ci ainsi que M. et Mme Satık travaillaient chez Komal et participaient, à des niveaux différents, à la publication de Stêrka Rızgari. 

Dans la procédure devant la Cour, les requérants sont représentés par Me Rıza Dinç, avocat au barreau d’Istanbul.

A.Circonstances particulières de l’affaire

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

1.L’arrestation et la garde à vue des requérants  

Le 8 juillet 1994, les requérants furent arrêtés à leurs domiciles par des policiers de la Section anti-terrorisme de la Direction de sûreté d’Istanbul (« la Section »), dans le cadre d’une enquête menée contre le PRK.

Lors des arrestations, la police perquisitionna, entre autres, des faux papiers, une carte d’identité et plusieurs documents concernant les activités et la structure du PRK. Par conséquent, les requérants furent placés en garde à vue, en même temps que six autres suspects, dont Y.B., E.K. et N.B..

Le 11 juillet 1994, Me Dinç s’enquit du sort des requérants auprès du procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul (« le procureur » – « la cour de sûreté de l’Etat »). On lui aurait fait part de ce que les intéressés demeuraient en garde à vue, mais pas des raisons à l’origine de cette mesure. A cette même date et à la demande écrite de la Section, le procureur autorisa la prolongation des gardes à vue des requérants jusqu’au 21 juillet 1994.

Le 12 juillet 1994, les requérants Maraşlı et Çamlı signèrent des dépositions contenant, en partie, des aveux sur leurs liaisons avec le PRK.

Toujours le 12 juillet 1994, Mes Kanar et Keskin, respectivement président et secrétaire général du Bureau d’Istanbul de l’Association des Droits de l’Homme, furent autorisés par le procureur à s’entretenir avec M. et Mme Satık, et M. Maraşlı. Le lendemain, le quotidien Özgür Ülke publia une interview desdits avocats. Selon leurs dires, M. Maraşlı leur aurait exposé avoir subi (aux mains de la police) des coups, des électrocutions et des bastonnades aux plantes de pieds, à la manière dite falaka. Toutefois, cet article semble plutôt relater le cas d’une autre coaccusée, N.B., laquelle avait été hospitalisée au cours de sa garde à vue pour fractures diverses ; quant à cet incident, le directeur de la Section, R.A., aurait déclaré : « quelques collègues pourraient avoir mal agi ». Il ressort d’ailleurs du dossier que N.B. a porté plainte contre les responsables de sa garde à vue et une enquête a été ouverte à ce sujet.

Le 13 juillet 1994, les requérants Satık déposèrent, à leur tour, à la police. D’après les procès verbaux établis en conséquence, ceux-ci fournirent plutôt des informations quant aux activités de Komal et de ses dirigeants.

Le même jour, Me Dinç rendit visite aux requérants. Mme Çamlı lui aurait expliqué avoir été, lors de la garde à vue, l’objet d’électrocutions et de falaka ; par ailleurs, les policiers, sachant qu’elle souffrait d’une maladie rénale, aurait non seulement refusé de lui donner ses médicaments mais ils l’auraient également matraqué, sciemment, au niveau de la région lombaire. Les autres requérants lui réitérèrent ce qu’ils avaient déjà raconté aux Mes Kanar et Keskin.

Dans une interview parue le 18 juillet 1994, toujours dans le quotidien Özgür Ülke, Me Keskin déclara avoir adressé au ministre de la Santé une lettre concernant la situation des requérants, et dont la partie pertinente se présenterait comme suit :

« (…) au cours de sa vie pénitentiaire antérieure, Maraşlı a été atteint de maladies très graves et son état de santé demeure précaire en raison de l’atrophie cérébrale qui avait été diagnostiquée. (…) Nuran Çamlı, actuellement gardée à vue, souffre d’une maladie rénale. Lors des tortures, les policiers ont exprès frappé sur ses reins et elle nous a dit qu’elle avait en permanence des hémorragies (…). Ayant prêté le serment d’Hippocrate, vous devriez être gêné par les actes de torture, or nul n’a, jusqu’à ce jour, entendu de votre part une quelconque déclaration quant à la torture, dont on a systématiquement recours en Turquie. En notre qualité de défenseurs des Droits de l’Homme, nous vous demandons, si vous n’avez pas [encore] oublié votre serment, de constater personnellement l’état de ses gens, victimes de tortures, et de porter les vérités à la connaissance de l’opinion publique (…) »   

Le 21 juillet 1994, les requérants furent renvoyés devant le bureau de l’Institut médico-légal d’Istanbul. D’après les rapports médicaux les concernant, aucune trace de coups et blessures n’a été décelée sur les corps de Mmes Çamlı et Satık. Quant à M. Satık, le médecin légiste releva l’existence d’une lacération de 0.5 cm sur la lèvre supérieure. Quant à M. Maraşlı, il fut constaté une dysphasie motrice et une perte de sensation partielle sur la partie droite du corps ; le requérant expliqua au médecin que ces symptômes pouvaient résulter de la paralysie qui l’avait frappé en 1986 dans la maison d’arrêt où il était incarcéré.      

Suite à leur examen médical, les requérants furent entendus par le procureur, devant lequel, ils admirent s’être munis, pour diverses raisons, de faux papiers, mais contestèrent les accusations quant à leur appartenance au PRK. Au demeurant, les procès verbaux d’audition ne contiennent rien quant aux mauvais traitements, jusqu’alors dénoncés par Özgür Ülke.  

Toujours le 21 juillet 1994, le requérant Maraşlı fut traduit devant le juge assesseur de la cour de sûreté de l'État. Il réitéra, sans plus, les dires qu’il avait fait au procureur ; ledit juge ordonna son placement en détention provisoire. Si le dossier ne contient pas les procès verbaux d’audition des trois autres requérants, il permet cependant de constater que le juge a ordonné leur élargissement pendant la procédure. Cela étant, d’après le quotidien Özgür Ülke, la requérante Çamlı n’aurait pu comparaître devant le juge assesseur à cette date car on aurait dû l’hospitaliser du fait « des tortures intenses » ; il s’agit cependant d’un fait que Me Dinç n’invoque point.      

2.L’action publique   

Le 1er septembre 1994, le procureur mit les requérants en accusation devant la cour de sûreté de l’Etat. Reprochant à M. Maraşlı d’être dirigeant de l’organisation illégale PRK et, aux autres requérants, d’avoir prêté leur assistance à celle-ci, le procureur requérait l’application de l’article 7 §§ 1 et 2 de la loi n° 3713 sur la lutte contre le terrorisme.

Le 20 octobre 1994, les débats furent ouverts devant la cour de sûreté de l’État, où le requérant Murat Satık n’a pu comparaître. Les autres étaient présents, assistés de leurs conseils. Les juges du fond donnèrent lecture des dépositions antérieures des intéressés. D’après le compte rendu de l’audience, ceux-ci s’expliquèrent ainsi :

M. Maraşlı :

« Je conteste les accusations présentées dans le réquisitoire ; le vrai but de ce procès [est différent] : conformément à une décision prise contre les éditions Komal, on a mis un terme à mes activités en tant qu’éditeur de cette maison et, par la suite, le présent procès a été déclenché contre [nous]. A la vérité, dans le réquisitoire, il n’est même pas allégué que nous sommes membres d’une organisation terroriste. Cette action pénale a été ouverte seulement par rapport à [Komal] et aux œuvres que l’on avait publiées ; c’est pourquoi nous rejetons les accusations (…). Ma déposition faite à la police m’appartient dans son ensemble ; cependant, il lui a été ajouté quelques passages concernant l’implication de [Komal] dans les activités organisationnelles [du PRK] ; ces déclarations ne m’appartiennent pas (...) j’ai signé ladite déposition après l’avoir lu. (…) Je confirme l’authenticité et le contenu de mes déclarations devant le procureur et le juge assesseur (…) » 

Mme Çamlı :

« Je conteste les accusations portées contre moi ; ma déposition recueillie par le procureur est véridique (…). [Quant à celle faite] à la police, ils me l’ont faite signée alors que j’avais les yeux bandés ; ils m’en avaient lu une partie. (…) cette [dernière] déposition relève d’un scénario : bien que non officiellement, Maraşlı était mon mari ; pour assurer qu’il soit condamné, j’ai été l’objet de pressions intenses ; ils m’ont demandé de déposer contre lui ; lors de l’interrogatoire, j’ai eu une hémorragie rénale, or aucune intervention médicale n’a été faite (…).  Mes déclarations devant le procureur sont véridiques ; j’utilisais des faux papiers que j’avais confectionnés au nom de E.K. (…) »

Mme Satık :

« Je conteste les accusations portées contre moi (…) ; mes déclarations devant le procureur sont véridiques (…). Ma déposition faite à la police est véridique (…) » 

Quant à Me Keskin, elle exposa :

« (…) lorsque je m’étais rendue à la Section, mes clients, Murat Satık, Fahriye Satık et Recep Maraşlı furent ramenés, les yeux bandés, là où se trouvait le directeur de la Section, R.A. ; il était visible qu’ils avaient été torturés ; (…) le directeur de la Section R.A. a reconnu que les prévenus avaient été torturés et dit, lui-même, que les tortures avaient été arrêtées juste la veille (…) »

Au cours de la procédure, à une date non précisée, M. Maraşlı a été admis au bénéfice de la libération provisoire.

A l’heure actuelle, l’action publique est en litispendance devant la cour de sûreté de l'État et la procédure se déroule par contumace, tous les requérants se trouvant actuellement à l’étranger. 

B.Droit et pratique internes pertinents

1.Les  modalités des gardes à vue

Aux termes de l’article 9 a) de la loi n° 2845 sur la procédure devant les cours de sûreté de l’Etat, les infractions visées aux articles 125, 168 et 169 du code pénal et celles réprimées par la loi n° 3713 du 12 avril 1991 sur la lutte contre le terrorisme relèvent de la compétence exclusive de ces juridictions. A l’époque des faits, l’article 16 de la loi n° 2845 prévoyait quant à ce type d’infractions, que toute personne arrêtée devait être traduite devant un juge au plus tard dans les 48 heures ou, en cas de délit collectif commis en dehors de la région soumise à l’état d’urgence, dans les 15 jours, ce sans compter le temps nécessaire pour amener le détenu devant ledit juge.

Aux termes de la législation d’alors, telle qu’applicable aux procédures devant les cours de sûreté de l’Etat, une personne détenue ne disposait pas d’un recours d’habeas corpus pour ce qui est des gardes à vue, que les procureurs étaient habilités à prolonger d’office jusqu’à 15 jours.

2.La poursuite des actes de mauvais traitements

Le code pénal turc érige en infraction le fait pour un agent public de soumettre un individu à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 pour la torture et 245 pour les mauvais traitements). Les obligations incombant aux autorités quant à la conduite d’une enquête préliminaire au sujet des faits et omissions susceptibles de constituer pareilles infractions que l’on porte à leur connaissance sont régies par les articles 151 à 153 du code de procédure pénale (« CPP »). Les infractions peuvent être dénoncées non seulement aux parquets ou aux forces de sécurité mais également aux autorités administratives locales. Les plaintes peuvent être déposées par écrit ou oralement. Dans ce dernier cas, l’autorité est tenue d’en dresser procès-verbal (article 151).

En vertu de l’article 235 du code pénal, tout agent public qui omet de dénoncer à la police ou au parquet une infraction dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions est passible d’une peine d’emprisonnement. Le procureur qui, de quelque manière que ce soit est avisé d’une situation permettant de soupçonner qu’une infraction a été commise, est obligé d’instruire les faits afin de décider s’il y a lieu ou non d’engager des poursuites (article 153 du CPP).

3.Les recours civils et administratifs ouverts en droit turc s’agissant de mauvais traitements  

D’après l’article 125 §§ 1 et 7 de la Constitution :

« Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel..              (...)
L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. »

Cette disposition consacre une responsabilité objective de l’Etat, laquelle entre en jeu quand il a été établi que dans les circonstances d’un cas donné, l’Etat a manqué à son obligation de maintenir l’ordre et la sûreté publics ou de protéger la vie et les biens des personnes, et cela sans qu’il faille établir l’existence d’une faute délictuelle imputable à l’administration. Sous ce régime, l’administration peut donc se voir tenue d’indemniser quiconque est victime d’un préjudice résultant d’actes commis par des personnes non identifiées. Le recours judiciaire administratif est régi par la loi n° 2577, dont l’article 2 prévoit que toute personne ayant subi un préjudice résultant des actes de l’administration peut intenter une action de plein juridiction devant les tribunaux administratifs.  

Sur le terrain du code des obligations, les personnes lésées du fait d’un acte illicite ou délictuel peuvent introduire une action en réparation pour le préjudice tant matériel (articles 41–46) que moral (article 47). En la matière, un tribunal civil peut statuer sur un grief même en l’absence de poursuites pénales et, au demeurant, il n’est lié ni par les considérations ni par le jugement d’une juridiction répressive reconnaissant l’innocence d’une personne accusée, si pareil jugement se fonde sur l’insuffisance des preuves pour établir la responsabilité pénale du prévenu (article 53).

GRIEFS

1.Sur le terrain de l’article 5 § 3 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée excessive des gardes à vue qu’ils ont subies, privés d’un avocat et en l’absence d’un quelconque contrôle judiciaire. Sur ce point, ils exposent que, dans les procédures devant les cours de sûreté de l'État, les personnes arrêtées sont exclues du bénéfice des garanties offertes par la loi de réforme n° 3842 du 18 novembre 1992, laquelle est inapplicable aux procédures en question.

2. En connexion avec la disposition susmentionnée de la Convention, les requérants affirment, par ailleurs, n’avoir disposé d’aucune voie de recours, au sens de l’article 13, afin de contester leur garde à vue.

3.Toujours, se référant aux faits dénoncés quant à l’article 5 § 3, ils exposent également avoir subi de la main des policiers des traitements contraires à l’article 3 : notamment lors des 5 premiers jours de leur garde à vue, on leur aurait infligé des sévices, tels que « des électrocutions, des pendaisons, des coups et le falaka ».  

A cet égard, Me Dinç précisait que ses clients disposent des voies de recours pour se plaindre de ce dont ils ont été victimes et qu’ils chercheront à les intenter. Cependant, dans un mémoire complémentaire du 20 avril 1995, il expose n’avoir pas été en mesure de mettre en cause les présumés tortionnaires des requérants, ce du fait des obstacles inhérents à la pratique du droit turc et, notamment, en raison de l’impossibilité de fournir des preuves concrètes à l’appui des allégations de mauvais traitements ; à ce sujet, rappelant qu’à l’issue de leur garde à vue les requérants avaient été examinés par un médecin de l’Institut médico-légal d’Istanbul, Me Dinç déplore qu’aucun rapport médical n’ait été délivré et soutient que, dans ces circonstances, nulle voie de droit n’aurait pu prospérer.

4.Les requérants se plaignent en outre d’une double violation de l’article 6 § 3 de la Convention : d’abord, ils n’auraient pas été dûment informés des raisons ayant fondé leur arrestation et leur placement en garde à vue ; ensuite, la circonstance qu’ils ont été empêchés, lors de leur garde à vue et pendant les interrogatoires, de se faire assister par un conseil, aurait constitué une atteinte injustifiée à leurs droits de défense.     

5.Les requérants se disent également victimes d’une discrimination fondée sur leurs opinions politiques et leur identité ethnique : ils dénoncent derechef la distinction que la législation pénale turque – en vigueur à l’époque pertinente – opérait quant aux modalités de garde à vue des personnes soupçonnées, selon que le délit reproché relève ou non de la compétence des cours de sûreté de l'État. De plus, ils soutiennent que ces juridictions extraordinaires se présentent comme les lieux de jugement des représentants de l’opposition et, particulièrement, des intellectuels kurdes. A ces égards, ils invoquent l’article 14 de la Convention, en connexion avec les articles 5 et 6. 

6. Enfin, invoquant les articles 9 et 10 de la Convention, les intéressés affirment avoir été arrêtés et privés de leur liberté du fait de leurs opinions politiques et de leur position sensible à la question kurde. A ce sujet, Me Dinç se réfère aux antécédents des requérants : M. Maraşlı, d’origine ethnique kurde, aurait auparavant été l’objet de plusieurs poursuites et condamnations du fait de ses opinions politiques et de ses propos sur la question Kurde en Turquie ; quant aux autres requérants, ils seraient bien connus en Turquie pour leur personnalité réactionnaire et leur identité kurde.

EN DROIT

I.L’OBJET DES REQUÊTES

Dans leurs requêtes, les requérants se plaignent des violations des articles 3, 5, 6, 9, 10, 13 et 14 de la Convention. Leur conseil, dans ses lettres des 20 avril 1995 et 8 août 2000, a cependant précisé que les questions de fait et de droit soulevées au regard de l’article 5 constituaient le cœur du litige devant la Cour.

Quant à la Cour, elle estime d’emblée que le grief tiré de la non information des raisons des arrestations et des gardes à vue litigieuses appelle un examen sous l’angle du deuxième paragraphe de l’article 5 de la Convention, et celui formulé au regard de l’article 13 de la Convention, du quatrième paragraphe de l’article 5.   

II.SUR LA RECEVABILITÉ ET LE BIEN-FONDÉ DES GRIEFS      

A.L’article 5 § 3 de la Convention

Les requérants se plaignent de la durée de leur garde à vue et dénoncent une violation de l’article 5 de la Convention qui, dans ses parties pertinentes, se lit ainsi :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(…)

c)  s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

(…)

3.  Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

1.Les arguments des parties au litige

Le Gouvernement fait notamment valoir la régularité des gardes à vue imposées en l’espèce, dont les durées n’auraient pas dépassé les limites prévues par la loi. Au demeurant, il attire l’attention sur les difficultés et la spécificité des enquêtes au sujet d’infractions terroristes, telles que celles reprochées aux requérants, accusés d’appartenir au PRK, et argue de ce que pareilles infractions « nécessitent un long délai lors de l’instruction préliminaire pour la préparation du dossier, à cause de la difficulté de rassemblement des preuves ». Cette préparation faciliterait le jugement et en raccourcirait la durée.

Les requérants combattent ces arguments et estiment que rien ne saurait justifier des gardes à vue si longues, à l’abri de tout contrôle judiciaire, durant lesquelles l’individu demeure complètement à la merci des policiers. D’après eux, le fait que les procureurs près les cours de sûreté de l’Etat soient habilités à ordonner des gardes à vues pouvant aller jusqu’à 15 jours n’aurait pour but que de permettre aux autorités policières d’extorquer des aveux, plus précisément, de faciliter tant l’administration de mauvais traitements que l’atténuation des séquelles qui pourraient en résulter.

2.L’appréciation de la Cour

La Cour observe que les gardes à vue dont il s’agit ont débuté avec l’arrestation des requérants le 8 juillet 1994 et pris fin le 21 juillet, lorsqu’ils  comparurent devant le juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat : les mesures litigieuses ont donc duré 13 jours. Au vu de cette circonstance et aux arguments qui lui ont été présentés, la Cour estime que cette partie de la requête soulève des questions importantes de fait et de droit qui ne sauraient être résolues à ce stade et méritent un examen au fond. Elle ne saurait, dès lors, être déclarée manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour constate en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.

B. L’article 5 § 2 de la Convention

Les requérants se disent aussi victimes d’une violation de l’article 5 § 2 de la Convention, ainsi libellé :

« 2.  Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle. »

1.Les arguments des parties

Le Gouvernement soutient que, contrairement aux assertions de Me Dinç, les requérants ont été informés des raisons de leur garde à vue tant par les agents de la Section que le procureur. Sur ce point, se référant aux prétendues activités des requérants au sein de l’organisation PRK, il rappelle notamment que ceux-ci avaient été arrêtés en possession de faux papiers d’identités, y inclus un passeport préparé au nom de M. Maraşlı qui, d’après le Gouvernement, s’apprêtait à fuir la Turquie.

Le conseil des requérants rétorque que ses clients n’ont pas pu connaître les raisons de l’arrestation avant qu’ils ne soient interrogés par la police en date des 12 et 13 juillet 1994. Il soutient que lui non plus n’a été informé de ces raisons lorsqu’il avait rendu visite aux requérants. Par ailleurs, Me Dinç plaide que, si ses clients n’ont jamais renié avoir possédé des faux papiers, cela ne saurait cependant suffire à établir un lien quelconque avec « une organisation illégale et terroriste ». D’après lui, le port de faux papiers en question devrait s’analyser en une mesure de sûreté personnelle, compte tenu de la densité des enlèvements, assassinats et attentats dont maints journalistes et écrivains furent victimes en Turquie. Concernant plus précisément les raisons pour lesquelles M. Maraşlı aurait pu se confectionner un faux passeport, Me Dinç expose que ce dernier recevait sans cesse des menaces de mort, risquait de se voir condamné à des peines lourdes en raison de ses écrits et des propos qu’il avait tenus lors des panels, et ne pouvait obtenir un passeport selon les voies légales, alors qu’à cette époque plusieurs personnages de l’intelligentsia se réfugiaient à l’étranger, craignant des représailles.             

2.L’appréciation de la Cour

En l’espèce, la Cour rappelle d’emblée que les requérants ont été arrêtés dans le cadre d’une opération menée contre le PRK, organisation qui, du moins aux yeux des autorités étatiques, œuvrait en faveur du séparatisme kurde. Toujours dans l’esprit desdites autorités, le périodique Stêrka Rızgari, publié par les éditions Komal, était le porte-parole idéologique de cette organisation. Si la Cour n’a pas à tirer un quelconque argument des antécédents de l’un ou l’autre requérant, elle estime néanmoins que ni M. Maraşlı, en sa qualité d’éditeur et d’écrivain politique, ni les trois autres requérants, ses collaborateurs à Komal, ne sauraient légitimement prétendre ignorer la position officielle de l'État, qui était sans conteste défavorable à la raison d’être présumée de ce périodique, plus qu’à telle ou telle opinion politique qui y avait été exprimée.

La Cour constate en outre que, d’après les documents versés au dossier et qui – du reste – n’ont jamais été contestés par la partie requérante, lors de l’arrestation de M. Maraşlı, la police avait perquisitionné, entre autres, des négatifs pour fabriquer de faux tampons, des tracts et un organigramme appartenant au PRK, des enregistrements vidéos présentant les activités organisationnelles du requérant et un faux passeport arborant la photographie de celui-ci. Quant à M. Satık, celui-ci avait été arrêté, alors qu’il était muni de faux papiers et, à son domicile, il avait notamment été trouvé des compte rendus des réunions ainsi que des rapports relatifs à l’organisation du PRK. Finalement, Mmes Çamlı et Satık avaient été appréhendées en possession de fausses cartes d’identité.

A ce sujet, la Cour estime devoir d’abord souligner que, nonobstant les arguments de Me Dinç concernant la nécessité pour les requérants de disposer de faux papiers afin de parer à toute éventualité dangereuse, pareille entreprise n’en demeure pas moins délictueuse et délibérée. Au demeurant, compte tenu des particularités de l’espèce, à savoir notamment les données qui dénotent le caractère illégal – du moins dans l’esprit des autorités turques – des activités susceptibles de se rapporter à l’organisation PRK, la nature du matériel ayant fait l’objet de perquisitions lors des arrestations litigieuses et, enfin, les motifs qui ont pu pousser les requérants à chercher à dissimuler leur identité, et M. Maraşlı a même envisager un voyage clandestin à l’étranger, la Cour considère que ceux-ci aurait dû ou pu se rendre compte qu’on les soupçonnait d’être mêlés à des activités prohibées du PRK (voir, mutatis mutandis, Dikme c. Turquie, n° 20869/92, §§ 51-57, CEDH 2000-VIII). 

Par ailleurs, si les requérants ne donnent aucun détail sur l’objet de leurs interrogatoires ni sur les moments où ils ont eu lieu, la Cour a néanmoins pu se convaincre – eu égard aux circonstances dénoncées quant à la période de détention litigieuse, à la teneur des dépositions faites à la police et au contenu de l’acte de d’accusation du procureur – qu’ils étaient intenses et fréquents lors des 5 premiers jours de la garde à vue, et qu’ils portaient sur l’appartenance supposée des requérants au PRK ainsi que sur leur rôle présumé  dans cette organisation. Pour la Cour, il s’agit des éléments qui, considérés ensemble, permettent de supposer que, dès la première séance d’interrogatoire, les requérants ont pu se faire une idée de ce dont ils étaient soupçonnés (ibidem ; voir également Kerr c. Royaume-Uni (décision), n° 40451/98, [7.12.99], non publiée) et que, par conséquent, les contraintes de temps qu’impose la promptitude voulue par l’article 5 § 2 peuvent passer pour avoir été respectées en l’espèce (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni du 30 août 1990, série A n° 182, pp. 19-20, §§ 41-43). 

Bref, dans les circonstances de cette présente affaire et en l’absence d’explications pertinentes de la part des requérants, la Cour conclut que les doléances tirées de l’article 5 § 2 doivent être rejetées comme étant manifestement mal fondées, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

C. L’article 5 § 4 de la Convention

Les requérants se plaignent également d’une méconnaissance de leur droit garanti par l’article 5 § 4 de la Convention, aux termes duquel :

« 4.  Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

1.Les arguments des parties

Quant à ce grief le Gouvernement se borne à exciper, de manière générale, du non-épuisement des voies de recours. D’après le Gouvernement, les requérants auraient pu s’adresser au parquet pour obtenir leur libération.

Les requérants combattent cette thèse, insistant sur le fait qu’à l’époque pertinente, c’est la législation elle-même qui fermait toute voie de recours contre les gardes à vue ordonnées par des procureurs près les cours de sûreté de l'État ; le Gouvernement, lorsqu’il argue de la possibilité d’un recours devant le parquet, pêcherait contre la réalité juridique.     

2.L’appréciation de la Cour

La Cour, après avoir examiné les arguments ci-dessus des parties, estime que l’exception préliminaire du Gouvernement soulève des questions étroitement liées à celles posées par le grief que les requérants ont formulés sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention et, par conséquent, elle la joint au bien-fondé du grief dont il s’agit.

Cela dit, la Cour estime ne pas être en mesure de se prononcer, à ce stade de la procédure, sur cette partie de la requête, laquelle pose des questions de fait et de droit suffisamment complexes pour que leur solution doive relever d’un examen au fond. Celle-ci ne saurait dès lors être déclarée manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et la Cour n’aperçoit en outre aucun autre obstacle à sa recevabilité.

D. L’article 3 de la Convention

Les requérants prétendent avoir été, lors de leur garde, l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la Convention, d’après lequel :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1.Les arguments des parties

Le Gouvernement soulève d’abord une exception préliminaire tirée du non-épuisement des voies de recours internes et articulée en trois branches.

En premier lieu, il souligne que les requérants ont saisi la Commission, 12 jours après avoir été placés en garde à vue ; ils ne se sont jamais plaints auprès du parquet compétent pour obtenir une enquête officielle ni n’ont formulé la moindre doléance quant à ses allégations de mauvais traitements lorsqu’ils comparurent devant le procureur près la cour de sûreté de l’Etat puis devant le juge assesseur de cette juridiction.

Par ailleurs, le Gouvernement estime que la voie pénale ne devrait pas être considérée comme la seule susceptible de redresser les torts d’une victime : Il cite d’abord la voie de recours administratif, dont l’exercice se fonde sur les articles 125 et 129 de la Constitution et la loi n° 2577 sur la procédure administrative. Ensuite, il affirme que les requérants auraient pu intenter avec succès une action en dommages et intérêts, sur le terrain du code des obligations.

A ces égards, le Gouvernement se réfère à la jurisprudence de la Cour et soutient que les requérants ne sauraient se prétendre dispensés d’exercer ces recours en prétextant le doute qu’ils nourriraient quant à leur chance de succès, d’autant moins que ce doute ne s’appuie sur aucun élément concret.

Sur le fond, le Gouvernement attire l’attention sur la circonstance que rien dans le dossier n’étaye les allégations de mauvais traitement dont il s’agit ; en revanche, celles-ci seraient contredites par les rapports médicaux du 21 juillet 1994 qui, établis à la fin de la garde à vue des requérants, indiqueraient clairement l’absence d’une quelconque trace de mauvais traitements sur les corps des intéressés.

Le conseil des requérants réplique que ses clients doivent passer pour avoir satisfait à la règle d’épuisement inscrite à l’article 35 § 1 de la Convention. Il rappelle qu’en droit pénal turc, les procureurs avisés de la commission d’un délit sont tenus d’enquêter ex officio au sujet des faits dénoncés. Or, dans la présente affaire, nul procureur n’aurait porté d’intérêt aux articles parus dans le quotidien Özgür Ülke relatifs aux faits qui avaient été relatés par les avocats Kanar et Keskin concernant les tortures infligées aux requérants. De plus, ces derniers se seraient également exprimés devant le procureur, devant le juge assesseur ainsi que devant les juges du fond, mais nul n’aurait cependant cherché à vérifier leurs allégations. Pareille passivité démontrerait qu’en Turquie le mécanisme de poursuites pénales est rendu inopérant à cause de l’omission par les magistrats d’instruire les faits portés à leur connaissance et de la carence de l’Etat à lutter contre les actes de tortures perpétrés par ses agents. 

Dans ces circonstances, les requérants estiment que l’on ne devrait pas les blâmer de n’avoir pas exercé de plus les voies d’indemnisation qui, en l’espèce, n’auraient pas pu prospérer.

Quant au bien-fondé, Me Dinç expose que le 21 juillet 1994, « tous les requérants (…) avaient expliqué au médecin légiste qu’ils avaient été l’objet de mauvais traitements et de tortures, et un rapport avait été établi en conséquence ». Le 22 juillet, le requérant Maraşlı aurait en outre demandé au médecin de la maison d’arrêt de l’examiner et celui-ci, constatant des traces de mauvais traitements, aurait renvoyé le requérant ainsi que les coaccusés E.K. et Y.B., à l’hôpital. A ce sujet, Me Dinç se réfère également au cas de la coaccusée N.B. dont une jambe aurait été fracturée pendant une séance de torture.

Quoi qu’il en soit, d’après Me Dinç, la torture correspondrait en Turquie à une pratique administrative, maintenue de sorte que les justiciables ne soient jamais en mesure d’appuyer leurs allégations de mauvais traitements par des preuves concrètes : les examens faits en présence des policiers et par les médecins incompétents des bureaux de l’Institut médico-légal pêcheraient par manque de sérieux et, pour les instances policières, il importerait plus de nier les faits qui leur sont reprochés que de rechercher la vérité.    

2.L’appréciation de la Cour

Quant aux arguments du Gouvernement concernant l’épuisement des voies de recours internes, la Cour n’estime pas devoir se prononcer sur cette exception préliminaire dès lors que le grief apparaît entaché d’un autre motif d’irrecevabilité : son absence manifeste de fondement.

La Cour rappelle d’emblée ce qu’elle a maintes fois énoncé dans les affaires où elle avait pu se fonder sur des éléments pertinents quant aux allégations formulées par des personnes dénonçant des mauvais traitements infligés pendant une garde à vue : « lorsqu'un individu est placé en garde à vue alors qu'il se trouve en bonne santé et que l'on constate qu'il est blessé au moment de sa libération, il incombe à l’Etat de fournir une explication plausible pour l'origine des blessures, à défaut de quoi l'article 3 de la Convention trouve manifestement à s'appliquer » (voir, par exemple, les arrêts Tomasi c. France du 27 août 1992, série A n° 241‑A, pp. 40-41, §§ 108‑111, Ribitsch c. Autriche du 4 décembre 1995, série A n° 336, p. 26, § 34, Selmouni c. France [GC], n° 25803/94, § 87, CEDH 1999-V et Dikme précité, § 79).

Devant la Cour, les intéressés allèguent avoir été, lors des 5 premiers jours de leur garde à vue, l’objet « d’électrocutions, de pendaisons, de coups et du falaka » ; les policiers auraient en outre matraqué la requérante Çamlı au niveau des reins, au point qu’elle aurait eu une hémorragie. Toutefois, contrairement à ce que la Cour avait relevé dans les précédents cités ci-devant, il s’agit là, en l’espèce – et il faut le souligner – de l’unique explication fournie à la Cour et qui, pour les raisons suivantes, s’avère insuffisante.

A cet égard, Me Dinç, dans un mémoire complémentaire du 20 avril 1995, arguait de ce que la difficulté pour ses clients d’appuyer davantage leurs doléances résultait de la carence du bureau d’Istanbul de l’Institut médico-légale de délivrer un rapport médical sur l’état de leur santé. Or le Gouvernement a ultérieurement versé au dossier copies de deux rapports médicaux, établis le 21 juillet 1994 par des médecins légistes dudit bureau. Parmi ces rapports, seul celui établi quant à M. Satık mentionne l’existence d’une « lacération de 0.5 cm. sur la lèvre supérieure ». Cependant, après avoir pris connaissance desdits rapports, Me Dinç n’a tenté ni d’expliquer l’origine de « la lacération » susmentionnée ni à mettre en doute, d’une manière ou d’une autre, les autres constats médicaux quant à l’absence de traces de coups et blessures sur les corps des requérants. Cela étant, Me Dinç a toutefois sensiblement modifié ses dires initiaux et présenté de nouveaux arguments, mais ceux-ci ne convainquent pas la Cour.

D’abord, contrairement à ce que Me Dinç affirme, les deux rapports médicaux en question ne mentionnent rien quant aux explications que les requérants auraient faites au médecin légiste sur ce dont ils auraient été victimes lors de leur garde à vue. Si M. Maraşlı a, quant à lui, fourni certaines explications au docteur, celles-ci ne tendaient cependant qu’à l’informer de l’origine probable des séquelles neurologiques constatées en l’espèce : la paralysie qui avait frappé l’intéressé bien avant son placement en garde à vue. Selon toute vraisemblance, la seule personne qui, le 21 juillet 1994, s’était plainte au médecin légiste d’avoir été hospitalisée du fait des coups infligés pendant la garde à vue était le coaccusé Y.B. En conséquence, le médecin légiste avait d’ailleurs décidé d’ajourner l’établissement du rapport quant à celui-ci, en attendant la transmission de son dossier médical ouvert audit hôpital.

Ensuite, rien dans le dossier ne corrobore l’argument de Me Dinç, selon lequel, le 22 juillet 1994, M. Maraşlı aurait été renvoyé à l’hôpital en même temps que deux autres coaccusés, E.K. et Y.B. ; en effet, le rapport médical produit à cet égard ne concerne que E.K., sur le corps duquel il avait déjà été décelé, lors de l’examen médical du 21 juillet 1994, des traces suspectes. Quant au cas de la coaccusée N.B., celui-ci diffère, lui aussi, de ceux des requérants : tel qu’il ressort du dossier, N.B. a effectivement été hospitalisée et traitée pendant sa garde à vue ; des rapports médicaux ont été établis à son égard et, sur le fondement de ceux-ci, une instruction pénale a été déclenchée au plan nationale, car N.B. avait déposé une plainte formelle contre les policiers responsables de sa garde à vue, ce que les requérants n’ont vraisemblablement jamais estimé utile de faire. 

Au vu de ce qui précède, la Cour ne saurait accorder de poids déterminant aux assertions des requérants tendant à assimiler leurs situations à celles de E.K., Y.B. et/ou de N.B., ni à l’argument général qu’ils tirent de l’incompétence et de l’indifférence des autorités médico-légales turques. Pour la Cour, il en va de même quant à l’évaluation de Me Dinç relative à l’existence d’une pratique administrative de torture en Turquie, celle-ci ne se fondant pas sur des faits concrets et pertinents pour les présentes affaires (voir, mutatis mutandis, Kürküt c. Turquie (décision), n° 24933/94, 9 janvier 2001, non publiée).

Nonobstant ces constats, la Cour reconnaît qu’il peut être difficile pour un individu d’obtenir des preuves quant aux mauvais traitements subis lors d’une garde à vue et il peut également y avoir des cas où la difficulté de produire des preuves résulte, au moins en partie, de l’omission par les autorités de réagir d’une façon effective aux grief formulés à l’époque pertinente. Elle est également prête à admettre qu’au cours de leur garde à vue, les requérants eurent pu se trouver dans une situation susceptible de « leur inspirer un sentiment de vulnérabilité, d’impuissance et d’appréhension face aux représentants de l'État » (ibidem). Cependant, la Cour, limitant son appréciation aux circonstances propres à l’espèce, ne saurait admettre, a priori et en l’absence d’explications pertinentes, que la situation soit demeurée la même lors des phases suivant la détention au secret des requérants.

La Cour constate d’abord que M. Maraşlı n’a pas suggéré que l’on lui ait jamais refusé l’autorisation de voir un médecin ; il ne ressort d’ailleurs pas du dossier qu’il ait, à une quelconque phase de sa détention, cherché à voir un docteur. Quant aux requérants Satık et Çamlı, nul n’a tenté d’expliquer à la Cour pourquoi ils n’ont pas consulté un médecin de leur choix, alors que, libérés à la fin de leur garde à vue, rien ne les empêchait de le faire. S’il est vrai qu’il peut y avoir, comme les requérants le soutiennent, des formes de supplices dont les symptômes sont susceptibles de s’estomper au cours d’une garde à vue (voir, Dikme précité, § 79), il échet cependant de souligner que notamment les électrocutions et le falaka, tout comme la bastonnade qui aurait valu une hémorragie rénale à Mme Çamlı, sont des sévices de nature si graves que l’on pourrait s’attendre à ce que des séquelles puissent être décelées même longtemps après les faits (ibidem, voir également, Koç c. Turquie (décision), n° 24937/94, 14 novembre 2000, non publiée).

Quant à la question de passivité de la part des autorités judiciaires, la Cour note avant tout que, d’après les procès verbaux d’audition établis par le procureur et le juge assesseur qui avaient entendu les requérants à la fin de leur garde à vue, ceux-ci n’ont – contrairement à ce que Me Dinç prétend – soulevé aucune question ayant trait aux allégations de mauvais traitements (comparer, par exemple, l’arrêt Tomasi précité, ibidem). Or la Cour ne comprend pas en quoi les requérants furent, devant ces magistrats, empêchés de s’exprimer librement sur ce qui eût pu se passer dans les locaux de la police et, du moins, de réitérer ce qu’ils prétendent avoir pu, en présence des policiers, raconter aux avocats qui leur avaient rendu visite les 12 et 13 juillet 1994.      

De surcroît, rien n’explique non plus pourquoi, devant la cour de sûreté de l'État, les requérants se sont bornés à repousser les accusations, sans faire de déclarations détaillées, orales ou écrites, sur les mauvais traitements dénoncés en l’espèce. A cet égard, les dires de la requérante Çamlı, concernant les « pressions intenses » et l’absence d’une « intervention médicale » quant à l’hémorragie qu’elle aurait eu lors de sa garde à vue, ne sauraient suffire, à eux seuls, pour considérer que les allégations de tortures dont la Cour a été saisie avaient été suffisamment portées à la connaissance des autorités judiciaires. Pareille conclusion vaut également quant à la  plaidoirie de Me Keskin qui a attendu jusqu’à l’audience du 20 octobre 1994 pour faire part aux juges du fond de ses observations personnelles issues de son entretien du 12 juillet 1994 avec trois des requérants. En effet, malgré la gravité de ce dont elle disait avoir été témoin, Me Keskin avait, pour une raison ou autre, préféré médiatiser la situation des requérants, en contactant plusieurs fois les journalistes du quotidien Özgür Ülke et en rappelant le ministre de la Santé à ses devoirs, sans jamais tenter de s’adresser aux autorités judiciaires. Me Dinç qui affirmait avoir été témoin des mêmes faits, en date du 13 juillet 1994, n’a pas eu non plus une quelconque démarche dans ce sens, persuadé que les articles parus dans ledit quotidien suffiraient pour qu’une instruction pénale soit mise en branle.

Or la Cour, au vu de l’ensemble des données de l’affaire et après lecture attentive des articles en question, ne partage pas cet avis et conclut que les requérants ne pouvaient pas légitimement escompter que des investigations approfondies seraient menées suite aux publications isolées de Özgür Ülke (comparer, l’arrêt Yaşa c. Turquie du 2 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions  1998-VI, p. 2440, §§ 105 et 106), sans qu’eux mêmes ou leurs avocats dussent fournir aux autorités compétentes un fondement plus solide au sujet de leurs doléances (voir également, mutatis mutandis, les décisions Koç et Kürküt, précitées, et Kaplan c. Turquie (décision), n° 24932/94, 19 septembre 2000, non publiée, ainsi que les références qui y sont faites).       

En conclusion, la Cour juge que les griefs que les requérants tirent de l’article 3 de la Convention n’ont pas été suffisamment étayés devant elle et considère qu’en l’espèce pareille circonstance n’était pas, en tant que telle,  attribuable à une carence critiquable de la part des autorités médicales et/ou judiciaires turques (ibidem ; voir aussi , mutatis mutandis, Caloc c. France, n° 33951/96, § 91, 20 juillet 2000, CEDH 2000-IX ; comparer, les arrêts Assenov c. Bulgarie du 28 octobre 1998, Recueil 1998, §§ 86 et 101-104, et İlhan c. Turquie [GC], n° 22277/93, § 90, CEDH 2000-VIII).

Cette partie de la requête doit donc être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

E. L’article 6 § 3 de la Convention

Dans leurs requêtes, les requérants allèguent en outre n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable devant la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul, parce qu’ils auraient été privés de l’accès à un avocat pendant leur garde à vue. A cet égard, ils invoquent l’article 6 § 3 de la Convention, dont la partie pertinente se présente comme suit :

«  3.  Tout accusé a droit notamment à :

(…)

b)  disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; (…) »

1.Les arguments des parties

En réponse, le Gouvernement renvoie aux documents versés au dossier et avance que les requérants sont malvenus à formuler pareille allégation, dès lors qu’ils ont bel et bien eu l’occasion de s’entretenir avec leurs avocats, les 12 et 13 juillet 1994, donc pendant la période de la garde à vue.  

Me Dinç réplique qu’en l’espèce ces visites n’avaient été autorisées que pour permettre de questionner les requérants sur leur état de santé, pas pour leur offrir la possibilité de jouir d’une assistance juridique proprement dite : de fait, ces deux visites, réalisées en présence de deux policiers, n’auraient duré que quelque minutes.

2.L’appréciation de la Cour

La Cour s’est déjà maintes fois prononcée sur des griefs similaires et a souligné que les modalités d’application de l’article 6 § 3 – notamment de son alinéa c) – durant l’instruction dépendent des particularités de la procédure et des circonstances de l’espèce : pour savoir si le résultat voulu par l’article 6 – un procès équitable – a été atteint, il convient de prendre en compte l’ensemble des procédures menées dans l’affaire considérée (voir, entre autres, Dikme, précité, §§ 108-109).

En l’espèce, il faut se rappeler qu’à la date de l’introduction des présentes requêtes, la procédure des requérants était pendante devant la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul et, à l’heure actuelle, elle l’est encore. La Cour n’est donc pas en mesure de procéder à un examen global du procès litigieux et elle estime ne pouvoir spéculer ni sur ce que décideront les juges du fond, ni sur l’issue d’un pourvoi en cassation éventuel, les intéressés ayant toujours la faculté d’emprunter cette voie s’ils devaient considérer que leur procès emporte finalement violation des droits dont ils se prévalent maintenant devant la Cour (voir, par exemple, Parlak, Aktürk et Tay c. Turquie (décision), n°s 24942/94, 24943/94 et 25512/94 (jointes), 8 janvier 2001, non publiée).

Dans ces circonstances, la Cour estime que ce grief est prématuré et doit donc être rejeté comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

F. L’article 14 de la Convention, combiné avec les articles 5 et/ou 6

En connexion avec leurs griefs présentés sur le terrain des articles 5 et 6 de la Convention, les requérants affirment avoir été l’objet d’une discrimination contraire à l’article 14. Celui-ci énonce :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

1.Les arguments des parties

Le Gouvernement plaide que l’ensemble des arguments tirés du caractère discriminatoire des dispositions pénales portant réglementation des procédures devant des cours de sûreté de l'Etat est dépourvu de tout fondement. En particulier, précisant que lesdites juridictions ont été instaurées pour connaître des délits contre l'État, il soutient qu’en Turquie, aucune infraction, aucune fonction judiciaire n’est définie sur la base d’une distinction ethnique, religieuse, linguistique ou autre.

Les requérants se disent victimes d’une discrimination fondée sur leurs opinions politiques et leur identité ethnique mais, dans leurs observations, ne se prononcent pas davantage sur ce point.

2.L’appréciation de la Cour

La Cour constate que dans la présente affaire les distinctions litigieuse résultant de la loi relative aux différentes phases des procédures devant les cours de sûreté de l'État, ne s’appliquaient pas à différents groupes de personnes mais à différents types d’infractions, selon la gravité que leur reconnaissait le législateur. Elle ne décèle donc aucun élément de discrimination contraire à l’article 14 de la Convention.

Il s’ensuit que cette partie de la requête doit également être rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

G. Les articles 9 et 10 de la Convention

Selon les requérants, les mesures privatives de liberté infligées en l’espèce auraient, de par leur but, emporté violation des articles 9 et 10 de la Convention. Ces dispositions, dans leur parties pertinentes, se lisent ainsi :

Article 9

« 1.  Toute personne a droit à la liberté de pensée (…) ; ce droit implique la liberté (…) de manifester sa (…) conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé (…).

2.  La liberté de manifester (…) ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 10

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. » 

1.Les arguments des parties

Le Gouvernement, se référant à l’acte d’accusation déposé contre les requérants, souligne que ceux-ci avaient été appréhendés à l’issue d’une opération policière menée contre l’organisation « terroriste » PRK, dont les requérants Satık et Çamlı étaient soupçonnés d’être membres, et M. Maraşlı, d’être l’un des dirigeants. Il avance que les faits reprochés aux requérants ne constituent nullement l’expression d’une opinion politique : ils s’inscrivent dans le cadre des activités visant à nuire à l’intégrité territoriale de l’Etat turc et, partant, tombent sous le coup de l’article 17 de la Convention, dont l’application s’imposerait dans la présente affaire.   

En réponse, le conseil des requérants affirme que ses clients ont subi une garde à vue prolongée en raison de leur identité kurde et des opinions qu’ils avaient publiquement exprimées sur le problème kurde en Turquie. Il expose que la maison Komal concentrait ses publications dans le domaine de recherches sociologiques et historiques portant sur ce problème ; de ce fait, les autorités étatiques se seraient acharnées à interdire les publications de Komal ainsi qu’à harceler et poursuivre ses cadres, contre lesquels il existerait des dizaines de procès en cours. D’après Me Dinç, en présentant la revue Stêrka Rızgari comme le porte-parole du PRK, le Gouvernement ne chercherait qu’à créer un appui juridique afin d’opprimer et de « terroriser » les idées s’opposant à la politique officielle. Renvoyant à l’acte d’accusation du procureur, Me Dinç attire l’attention sur le fait qu’en l’espèce aucune activité armée ou terroriste n’avait été reprochée aux requérants ni même au PRK, dont ils étaient accusés d’appartenir : les seules preuves à charge seraient des livres, des revues, des bulletins que quiconque pourrait retrouver dans n’importe quelle bibliothèque.   

2.L’appréciation de la Cour

Au vu des arguments des requérants, la Cour considère d’abord que ces griefs doivent être examinés sous l’angle de l’article 10 de la Convention.

Quant au bien-fondé, elle observe d’emblée que l’action pénale initiée contre les requérants se fondait sur des accusations relevant des premier et deuxième paragraphes de l’article 7 de la loi n° 3713 sur la lutte contre le terrorisme, lesquels répriment la création, l’appartenance et l’assistance à une organisation (armée ou non) nuisible aux intérêts de l'État. De par leur objet, ces dispositions diffèrent de l’article 8 de ladite loi, lequel sanctionne tout acte isolé de propagande et/ou de manifestation, entre autres, séparatiste ou contre l’Etat. La Cour note également que, si le procureur s’est référé aux antécédents des requérants et a tenté de démontrer la relation entre le PRK et la revue Stêrka Rızgari, les faits qu’il a finalement reprochés aux intéressés ne se rapportaient aucunement à telle ou telle opinion exprimée par ceux-ci, au sens de l’article 10. Par ailleurs, l’acte d’accusation déposé en l’espèce ne visait nullement l’interdiction de ladite revue ni la maison Komal qui, à la date d’introduction des présentes requêtes, poursuivait ses activités. Au vu de ce qui précède, les arguments que Me Dinç tire de l’acharnement des autorités turques sur les publications de Komal se révèlent être non pertinents pour cette présente affaire (comparer l’arrêt Özgür Gündem c. Turquie, n° 23144/93, [16.3.00], CEDH 2000-III, §§ 44-46).

Dans ces circonstances, la Cour estime que le placement en garde à vue et le déclenchement de poursuites pénales litigieux ne sauraient passer pour des mesures prises afin d’imposer des conditions, des restrictions ou des sanctions à l’exercice du droit à la liberté d’expression des requérants (voir, par exemple, Stephan Waldberg c. Turquie, requête n° 22909/93, décision de la Commission, 6.9.95, D.R. 82-B, pp. 29-30).

Il s’ensuit que cette partie de la requête aussi est manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

DÉCLARE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés, les griefs tirée de l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention ;

DÉCLARE IRRECEVABLE le restant de la requête.

S. DolléJ.-P. Costa
GreffièrePrésident

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Textes cités dans la décision

  1. CODE PENAL
  2. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (troisième section), SATIK, CAMLI, SATIK ET MARASLI c. la TURQUIE, 13 mars 2001, 24737/94 et autres