CEDH, Cour (deuxième section), LAVENTS c. la LETTONIE, 7 juin 2001, 58442/00

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 7 juin 2001, n° 58442/00
Numéro(s) : 58442/00
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 1 juin 2000
Jurisprudence de Strasbourg : Barry c. Irlande (déc.), n° 41957/98, 6.7.2000 Comm. Eur. D.H. No 10803/84, déc. 16.12.87, D.R. 54, p. 35
Arrêt Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1210, § 68
Arrêt Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2277, § 52
Arrêt Bernard c. France du 23 avril 1998, Recueil 1998-II, p. 879, § 37
Arrêt Daud c. Portugal du 21 avril 1998, Recueil 1998-II, p. 749, § 33
Arrêt Erdagöz c. Turquie du 22 octobre 1997, Recueil 1997-VI, p. 2310, § 51
Arrêt F.C.B. c. Italie du 28 août 1991, série A n° 208-B, p. 20, § 29
Arrêt Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni du 30 août 1990, série A n° 182, p. 16, § 32
Arrêt Margaret Murray c. Royaume-Uni du 28 octobre 1994, série A n° 300-A, p. 27, § 55
No 18892/91, déc. 3.12.93, D.R. 76, p. 51
No 23997/94, déc. 15.5.95, D.R. 81, p. 102
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-32411
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:0607DEC005844200
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIEME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 58442/00
présentée par Aleksandrs LAVENTS
contre la Lettonie

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 7 juin 2001 en une chambre composée de

MM.C.L. Rozakis, président,
A.B. Baka,
G. Bonello,
P. Lorenzen,
MmeM. Tsatsa-Nikolovska,
MM.R. Maruste,
A. Kovler, juges,
et de M. E. Fribergh, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 1er juin 2000 et enregistrée le 26 juin 2000,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant letton né en 1959. Domicilié à Riga (Lettonie), il se trouve actuellement en détention provisoire. Devant la Cour, il est représenté par Me Stephen Grosz, solicitor exerçant à Londres (Royaume-Uni).

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

A. Circonstances particulières de l’affaire

1.La détention provisoire du requérant et l’instruction de son affaire

a) L’ouverture de poursuites pénales contre le requérant et sa mise en détention provisoire

Par une décision du 31 mai 1995, le procureur en chef du Département d’instruction des affaires d’importance majeure du Parquet général (Latvijas Republikas Ģenerālprokuratūra) déclencha une procédure pénale concernant les activités du requérant en tant que président du conseil de surveillance de la société anonyme « Banka Baltija », la plus grande banque lettonne dont la faillite avait entraîné des conséquences désastreuses pour l’économie nationale et la ruine de centaines de milliers de personnes. Le procureur constata notamment que le requérant avait autorisé la cession de 80 millions de lats [environ 800 millions de FRF], soit plus de la moitié du portefeuille de crédit de sa banque à une banque russe située à Moscou, qui, en contrepartie, s’était engagée à effectuer un paiement en obligations du Gouvernement russe. Or, d’après le procureur, la valeur réelle de ces obligations, exigibles uniquement à partir de l’année 2008, ne représentait  que 29 pour cent de leur valeur nominale. Le procureur en conclut que le requérant avait intentionnellement agi de cette façon afin d’exclure toute possibilité, pour les créanciers et pour l’Etat letton, de récupérer les sommes cédées. Aux termes de la décision du procureur, les activités du requérant pouvaient constituer le délit de sabotage (kaitniecība), puni par l’article 64 de l’ancien code pénal en vigueur à l’époque des faits et passible de douze ans d’emprisonnement.

Le 1er juin 1995, un procureur du Parquet général chargé de l’enquête déclara le requérant suspect (aizdomās turētais) du chef de sabotage et l’interrogea, en tant que tel, en présence d’un avocat de son choix. Du 16 juin au 14 juillet 1995, le parquet ne procéda à aucun interrogatoire, le requérant étant hospitalisé en raison d’une crise cardiaque.

Par une décision du 28 juin 1995, le procureur en chef du Département d’instruction des affaires d’importance majeure mit le requérant en examen du chef de sabotage, ainsi que deux autres personnes. En plus des allégations contenues dans la décision du 31 mai 1995, le procureur fit valoir qu’en tant que président du conseil de surveillance de sa banque, le requérant avait réalisé des démarches frauduleuses afin de créer une image de croissance et de stabilité de la banque, et inciter le plus grand nombre de personnes physiques et morales à y déposer leurs fonds. Par la suite, selon le procureur, le requérant avait frauduleusement obtenu, auprès du gouvernement letton et de la Banque de Lettonie, une garantie desdits dépôts. En outre, il avait mis sous hypothèque tous les biens de sa banque. Le procureur en conclut que le requérant avait « fait tout pour empêcher ses deux cent mille dépositaires de se voir rembourser leurs 160 millions de lats [environ 1,5 milliards de FRF]», ainsi que pour transmettre à une puissance étrangère les droits de créance de portée stratégique.

Le requérant fut aussitôt informé de sa mise en examen. Postérieurement, son chef d’inculpation fut complété par quatre autres chefs de délit relevant du droit bancaire et économique, ainsi que du chef de détention illégale d’armes.

Par une ordonnance prise le même jour à la demande du procureur, le juge du tribunal de première instance de l’arrondissement du Centre de la ville de Riga ordonna la mise en détention provisoire du requérant. Toutefois, en raison de son hospitalisation, le requérant ne fut effectivement incarcéré qu’à partir du 14 juillet 1995.

b) La prolongation de la détention provisoire du requérant au stade de l’investigation de l’affaire par le parquet

La détention provisoire du requérant, initialement ordonnée pour une période de deux mois, fut successivement prolongée jusqu’au 28 novembre 1996, par des ordonnances du juge du tribunal de l’arrondissement du Centre rendues les 28 août, 28 octobre, 21 décembre 1995, 15 février, 22 avril, 25 juin, 26 août et 22 octobre 1996. Ces ordonnances étaient motivées par la crainte qu’une fois libéré, le requérant pourrait faire obstruction à l’instruction de l’affaire. Contre les ordonnances du 28 août 1995 et du 22 avril 1996, le requérant forma des recours en opposition devant le même tribunal, qui les rejeta par des ordonnances contradictoires du 11 septembre 1995 et du 28 mai 1996 respectivement. Quant à l’opposition introduite contre l’ordonnance du 28 octobre 1995, le juge de première instance refusa d’y donner suite.

Entre le 1er juin 1995 et le 13 septembre 1996, le requérant fut interrogé à quinze reprises par le procureur. Parallèlement, les deux coaccusés du requérant, ainsi que plusieurs témoins, furent également interrogés. Du 23 septembre au 28 octobre 1996, le requérant fut hospitalisé ; après quoi il retourna en prison.

Le 30 octobre 1996, le procureur en chef du Département d’instruction des affaires d’importance majeure du Parquet général délivra l’acte final d’accusation contre le requérant. Cet acte lui fut transmis par la suite. Par une décision du 19 novembre 1996, le requérant fut mis en demeure de conclure la lecture de cet acte. Le même jour, le parquet transmit au requérant les 69 volumes d’au moins 250 pages chacun, constituant le dossier. Le 29 avril 1997, le requérant et un de ses avocats achevèrent la lecture des pièces du dossier.

Entre-temps, le 9 décembre 1996, en raison de l’aggravation de l’angine de poitrine dont il souffrait, ainsi que d’un dysfonctionnement rénal, le requérant fut hospitalisé sous surveillance jusqu’au 9 mars 1997.

c) La prolongation de la détention provisoire du requérant au stade judiciaire de la procédure

i. Le renvoi de l’affaire devant la juridiction de jugement

Par une décision du 12 juin 1997, le procureur chargé de l’affaire renvoya le dossier devant la cour régionale de Riga. Par la suite, le requérant demanda à la cour régionale de Riga d’ordonner sa mise en liberté, et de lui appliquer une autre mesure préventive. Par une ordonnance définitive du 30 juin 1997, la cour régionale, siégeant en session préparatoire (rīcības sēde), rejeta la demande au motif que la gravité de l’infraction, dont le requérant était accusé, justifiait son maintien en détention. Le 13 octobre 1997, la cour régionale de Riga débuta l’examen au fond de l’affaire.

ii. Le confinement à domicile du requérant et les déclarations des membres du Gouvernement

Victime d’une grave crise cardiaque au cours d’une audience, qui entraîna son hospitalisation immédiate, la cour régionale de Riga, par une ordonnance du 14 octobre 1997, remplaça la détention du requérant en prison (apcietinājums) par son confinement à domicile (mājas arests). En exécution de l’ordonnance, il lui fut interdit de quitter son appartement et d’entrer en contact avec ses coaccusés. L’appartement du requérant, spécialement réaménagé afin d’assurer sa sécurité personnelle, fut constamment surveillé par des agents de police. Le confinement à domicile se prolongea jusqu’au 25 septembre 1998.

Le 15 octobre 1997, le lendemain, « Diena », le plus grand journal quotidien letton, publia une information concernant un communiqué officiel conjoint du Premier ministre et du ministre de la Justice, dans lequel ces derniers exprimaient leur désaccord avec l’ordonnance précitée du 14 octobre 1997. Le texte intégral du communiqué, reproduit le 16 octobre 1997 par le journal officiel letton, « Latvijas Vēstnesis », était rédigé comme suit :

« La modification de la mesure préventive appliquée à l’ex-président du conseil de surveillance de la « Banka Baltija », Aleksandrs Lavents, est inacceptable pour la société lettonne. Suite à cette affaire et à des affaires similaires, nous estimons nécessaire de soumettre une proposition de révision des principes de responsabilité des juges, prévus par les lois sur le pouvoir judiciaire et sur la responsabilité disciplinaire des juges. »

Le 16 octobre 1997, les juges de la cour régionale de Riga confirmèrent la mesure préventive appliquée au requérant, et se désistèrent de l’examen de l’affaire, au motif que la pression « de la part du Gouvernement et de la société » ne leur permettait pas de poursuivre objectivement l’instruction du dossier.

Le 22 octobre 1997, un juge de la cour régionale de Riga ordonna la saisie et le dépouillement de la correspondance du requérant, y compris celle avec ses avocats. Ces derniers déposèrent un recours au greffe de la cour régionale de Riga. Par lettre du 27 octobre 1997, le juge ayant rendu l’ordonnance entreprise retourna le mémoire aux avocats, tout en leur expliquant que celle-ci n’était pas susceptible de recours.

iii. Le renvoi du requérant en prison

L’examen de l’affaire par la cour régionale de Riga fut repris le 14 septembre 1998. Par une ordonnance du 25 septembre 1998, la cour régionale de Riga, statuant d’office et sans entendre les parties sur le sujet, modifia la mesure préventive appliquée au requérant et ordonna sa réincarcération. Arrêté en salle d’audience, le requérant fut transféré à la prison centrale de Riga. Contre cette décision, le requérant forma, les 15 décembre 1998, 3 septembre et 27 octobre 1999, 24 février, 1er mars, 30 mars, 11 avril et 15 juin 2000, des demandes d’élargissement devant la cour régionale de Riga, qui furent toutes rejetées.

Après l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du code de procédure pénale (Latvijas Kriminālprocesa kodekss, ci-après le « KPK ») le 1er avril 1999, prévoyant la possibilité pour les prévenus d’interjeter appel contre les ordonnances de détention provisoire, lorsque l’examen de l’affaire était ajourné pour une période dépassant un mois, le requérant forma un recours contre l’ordonnance du 27 octobre 1999. Par une décision du 27 novembre 1999, le Sénat de la Cour suprême le rejeta, en se déclarant incompétent pour l’examiner.

Du 20 avril au 7 juin 2000, le requérant fut transféré à un hôpital situé hors de l’enceinte de la prison. Le 5 septembre 2000, après avoir subi une nouvelle crise d’angine de poitrine, le requérant fut transporté d’urgence à l’hôpital de la prison centrale de Riga. Vu l’impossibilité de lui assurer un traitement médical adéquat en prison, le requérant fut transféré, le 25 septembre 2000, à l’hôpital n° 1 de la ville de Riga, où il fut placé dans une chambre surveillée. Les 25 octobre et 20 novembre 2000, le requérant changea d’hôpital.

Il ressort des pièces du dossier que le requérant se trouve actuellement sous surveillance dans un hôpital ordinaire, et que son état de santé s’est considérablement détérioré.

iv. Le caractère des restrictions imposées au requérant pendant son hospitalisation

Durant la période où le requérant a été placé dans des établissements médicaux situés hors de la prison, il a pu librement rencontrer les membres de sa famille. En revanche, il lui était formellement interdit de communiquer avec ses coaccusés. Pendant son hospitalisation en prison, les visites de toute personne autre que le personnel soignant devaient être expressément autorisées par le juge. Les avocats du requérant obtinrent une telle autorisation. De même, selon le requérant, toute correspondance lui était interdite, et sa chambre de l’hôpital était constamment surveillée par deux agents de police armés qui étaient également présents lors de ses entretiens avec ses avocats.

2. Les faits relatifs aux demandes en récusation des juges de la cour régionale de Riga

a) Les premières demandes en récusation du juge et des juges assesseurs

Les 25 janvier et 18 juin 1999, le requérant introduisit deux demandes en récusation, respectivement contre la présidente du collège de la cour régionale de Riga chargé de l’affaire, Mme I.Š., et contre le collège entier composé de la présidente et des juges assesseurs, au motif que les graves violations du code de procédure pénale témoignaient du manque d’impartialité du tribunal. Les deux demandes furent rejetées.

Les 1er et 3 septembre 1999, le requérant voulut contester la conclusion contenue dans un rapport médical établi par un expert à la demande de la cour, selon laquelle le requérant ne faisait que simuler une maladie du cœur. De même, il demanda à la cour régionale de Riga d’examiner un autre rapport déjà joint au dossier le 14 octobre 1997. Mme I.Š. l’informa qu’un tel rapport n’avait jamais été produit, et refusa d’examiner l’exemplaire qu’il lui présentait, au motif qu’il ne s’agissait que d’une photocopie et non de l’original. Toutefois, le 14 octobre 1999, les avocats du requérant découvrirent l’existence du texte du rapport parmi les pièces du dossier. Par conséquent, le 27 octobre 1999, le requérant introduisit une nouvelle demande en récusation contre Mme I.Š., en faisant valoir que le fait, pour un juge, de dissimuler une pièce importante à décharge témoignait clairement de son manque d’impartialité. Par une ordonnance rendue le même jour, les juges assesseurs donnèrent suite à la demande et ajournèrent l’examen de l’affaire, puisque l’un d’eux, Mme Z.L., s’était exprimé en faveur du désistement de Mme I.Š. Toutefois, par une ordonnance définitive du 14 décembre 1999, le Sénat de la Cour suprême, statuant sur opposition des procureurs dans l’affaire, annula l’ordonnance du 27 octobre pour des vices de forme, et renvoya la question de la récusation de Mme I.Š. devant les mêmes juges de la cour régionale de Riga. Le Sénat ne retint pas l’argument de la défense selon lequel la décision de désistement était définitive et n’était susceptible d’aucun recours ni opposition.

b) Les déclarations du juge à la presse

Les 4 et 5 novembre 1999, « Lauku avīze » et « Respublika », deux quotidiens lettons, publièrent les déclarations de Mme I.Š., qui, en répondant aux questions d’un journaliste sur l’état de l’affaire, déclara notamment :

« (...) La défense a encore le droit d’introduire la demande en récusation contre le juge. Pour moi, c’est déjà la cinquième demande en récusation. Je m’y suis déjà habituée. Les avocats de Lavents ont profité de toute occasion pour me récuser. Et je ne comprends pas pourquoi. (...)

Il est impossible de prolonger infiniment l’examen de l’affaire. Mais il est possible de l’ajourner s’il y a des raisons objectives pour cela. La législation du travail nous garantit le droit au congé annuel et au congé pour maladie. Si les avocats de Lavents et de [son coaccusé] manifestaient vraiment de l’intérêt pour l’accélération de l’examen de l’affaire, celle-ci pourrait être terminée dans le délai de six ou sept mois. Ce serait possible s’ils ne voulaient pas se débarrasser de moi.

Pourquoi ? Parce qu’il est impossible de m’acheter ou de me faire peur. D’ailleurs, s’ils étaient des gens vraiment intelligents, ils pourraient débattre les preuves qui se trouvent dans le dossier. Pendant le débat contradictoire, ils pourraient exprimer leurs objections et démontrer les erreurs du Parquet général. S’ils étaient en désaccord avec le jugement, ils pourraient former un recours devant une juridiction supérieure. Mais la défense a décidé de se débarrasser de moi par tout moyen, et les demandes en récusation s’enchaînent les unes après les autres. (...)

(...) Ils [la défense] considèrent que les accusés ne sont pas coupables, que l’accusation est fausse. Je ne puis pas encore dire aujourd’hui si le jugement portera condamnation ou acquittement partiel. (...) »

Le 7 décembre 1999, le journal letton « Kommersant Baltic » publia une nouvelle déclaration de Mme I.Š., où elle déclara :

« (...) Franchement, je ne comprends pas la défense et les accusés. Ils ne se reconnaissent pas coupables, voyez-vous ? Par exemple, Lavents va jusqu’à nier l’épisode de l’accusation concernant la détention d’armes. Alors, prouvez votre innocence, et c’est tout ! Mais eux, il me semble, ils pensent que je veux simplement mettre Lavents et [son coaccusé] en prison. Je n’ai pas besoin de cela. (...) »

c) Les demandes en récusation consécutives aux déclarations du juge chargé de l’affaire

Le 24 février 2000, la demande en récusation renvoyée par le Sénat de la Cour suprême fut réexaminée par la cour régionale de Riga, siégeant dans la même composition et présidée par Mme I.Š. Cette demande en récusation fut rejetée au motif qu’aucun indice plausible ne témoignait de la partialité du juge. De plus, Mme Z.L., l’assesseur ayant précédemment été favorable au désistement de Mme I.Š., apposa en bas de l’ordonnance ses explications justifiant le changement de son opinion par la découverte, parmi les pièces du dossier, du rapport médical litigieux qu’elle croyait perdu ou volé. Le même jour, la défense introduisit une demande en récusation contre la formation entière de la cour. Par une ordonnance du 1er mars 2000, la cour régionale de Riga, siégeant dans la même composition qu’auparavant et présidée par Mme I.Š., rejeta la demande au motif que, n’ayant pas lu les journaux ayant publié ses déclarations, et n’étant pas en mesure de vérifier si ces journaux avaient correctement et complètement retranscrit le contenu desdites déclarations, elle ne pouvait, de ce seul fait, se voir imputer une quelconque partialité dans l’affaire.

d) La demande en récusation contre l’un des assesseurs

En août 2000, le requérant reçut une lettre d’un hôpital de Riga attestant que depuis le mois de juin 2000, Mme Z.L. y était traitée en raison de son état cyclothymique, provoqué par un traumatisme crânien. Lors de sa dernière parole clôturant les débats dans l’affaire, le 4 septembre 2000, le requérant demanda à la cour régionale de Riga de rouvrir l’instruction judiciaire de l’affaire, afin de pouvoir récuser Mme Z.L. Par une ordonnance prise le même jour, la cour régionale de Riga rejeta cette demande. Contre ladite ordonnance, le requérant forma un pourvoi en cassation devant le Sénat de la Cour suprême, en le déposant au greffe de la cour régionale de Riga. Par une lettre reçue le 14 septembre 2000, Mme I.Š. refusa de transmettre le pourvoi au Sénat, au motif que l’ordonnance en litige n’était pas susceptible de recours. Le requérant tenta alors d’attaquer cette lettre de rejet par voie de recours devant le Sénat. Par courrier du 19 septembre 2000, Mme I.Š. refusa également de transmettre ce recours au destinataire.

B. Le droit interne pertinent

1.Les mesures préventives

a) La détention provisoire dans le système général des mesures préventives

Aux termes de l’article 68 du KPK, une mesure préventive peut être appliquée lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner que l’accusé cherchera à se soustraire à l’investigation ou qu’il mettra des obstacles à la détermination de la vérité dans l’affaire. Il existe huit types de mesures préventives : un engagement de ne pas changer de résidence, une garantie personnelle, un cautionnement, un contrôle policier, un confinement à domicile, une détention en prison, ainsi que deux mesures spécifiques applicables respectivement aux mineurs et aux membres des forces armées.

Conformément à l’article 72 du KPK, l’application et le choix d’une mesure provisoire doivent s’opérer en fonction des critères suivants : la gravité de l’infraction imputée ; la personnalité de l’accusé ; la probabilité, pour ce dernier, de vouloir se soustraire à l’instruction et de mettre des obstacles à la détermination de la vérité dans l’affaire ; son occupation, âge, statut familial, état de santé, ainsi que d’autres critères pertinents. Toute mesure préventive doit être appliquée par une ordonnance dûment motivée.

Nonobstant le fait que formellement, la détention en prison (apcietinājums) et celle à domicile (mājas arests) constituent deux mesures distinctes, elles sont régies par les mêmes dispositions législatives. Conformément à l’article 52 §§ 4 et 5 du nouveau code pénal letton (Krimināllikums), la détention provisoire s’impute sur la durée de la peine d’emprisonnement. Le paragraphe 3 du même article mentionne « des mesures coercitives de caractère médical » comme étant assimilables à une détention provisoire.

Aux termes de l’article 76, une détention ne peut être appliquée que par le juge et qu’à l’égard d’une personne accusée d’une infraction passible d’emprisonnement. L’ordonnance portant détention doit être prise au bout d’un examen contradictoire des pièces justificatives présentées par le parquet ou la police, la présence de l’intéressé étant en principe obligatoire.

b) Les délais de détention provisoire

En vertu de l’article 77 du KPK, le délai d’une détention provisoire ne peut excéder deux mois. Lorsqu’il est impossible de terminer l’instruction préliminaire et de déférer l’affaire devant le tribunal dans ce délai, et « qu’il n’y a pas de raisons pour modifier la mesure préventive », le procureur peut demander au juge de prolonger la détention. Dans cette hypothèse, l’audition de l’accusé et de son avocat a lieu « si nécessaire ». La durée totale de la détention provisoire ne peut en aucun cas excéder un an et six mois ; si, après l’écoulement de ce délai, l’affaire n’est pas encore transmise à la juridiction de jugement, le détenu doit être impérativement remis en liberté. De même, il doit être immédiatement libéré si la durée de sa détention dépasse la durée maximale de la peine d’emprisonnement prévue pour l’infraction dont il est accusé. En revanche, au stade contradictoire de la procédure, après le renvoi de l’affaire devant la juridiction de jugement, la durée de la détention provisoire n’est pas limitée.

c) Le recours contre une détention provisoire

Lorsqu’une mesure provisoire, y compris une détention, a été appliquée ou prolongée en violation des dispositions de la loi, ou qu’elle n’est plus nécessaire, cette mesure doit être annulée ou modifiée. Au stade de l’instruction préliminaire, la mise en liberté peut être ordonnée soit par le procureur, soit par le juge chargé du dossier. En outre, conformément à l’article 222-1 du KPK, le détenu ou son avocat peuvent attaquer une ordonnance portant détention provisoire par voie de recours devant une juridiction supérieure (une cour régionale, lorsque l’affaire est examinée en première instance par un tribunal de première instance, et la Chambre des affaires pénales de la Cour suprême, lorsqu’elle est examinée en première instance par une cour régionale), dont l’ordonnance contradictoire est définitive.

Avant le 1er avril 1999, les ordonnances concernant la détention provisoire au stade judiciaire de la procédure, n’étaient susceptibles d’aucun recours devant une juridiction supérieure. Une loi portant modification des articles 237, 248 et 465 du KPK, entrée en vigueur à la date susmentionnée, a introduit un tel droit de recours. Toutefois, son exercice est subordonné à la condition que l’examen de l’affaire par le tribunal soit ajourné pour une durée minimale d’un mois. Le recours peut être introduit dans un délai de sept jours à compter de la notification de l’ordonnance respective, le tribunal étant obligé de l’examiner dans les sept jours suivant sa réception.

2.Les dispositions relatives aux garanties d’indépendance et d’impartialité des juges

a) Les principes généraux

Les principes généraux de l’indépendance du pouvoir judiciaire sont établis par la Constitution (Satversme) de la République de Lettonie. En vertu de son article 83, les juges sont indépendants et ne sont soumis qu’à la loi. Conformément à l’article 84 (tel que modifié par la loi du 4 décembre 1997), tous les juges sont nommés par le Parlement ; ils sont inamovibles. Avant d’atteindre l’âge de la retraite, un juge ne peut être démis de ses fonctions contre sa volonté que par le Parlement et dans les cas prévus par la loi, sur la base d’une décision du collège disciplinaire judiciaire ou d’une condamnation pénale.

L’article 11 de la loi sur le pouvoir judiciaire (Likums « Par tiesu varu ») du 15 décembre 1992 oblige toute personne et tout organisme, public ou privé, à respecter l’indépendance et l’immunité des juges. De même, il interdit toute ingérence, quel qu’en soit le prétexte, dans l’examen des affaires par les tribunaux, et toute pression sur un juge (ou sur un juge assesseur, toutes les dispositions relatives aux juges étant également applicables aux juges assesseurs). En particulier, nul ne peut contraindre un juge à s’expliquer sur le résultat d’une affaire qu’il a tranchée, ou à révéler les opinions exprimées au cours d’un délibéré. L’article 13 de la même loi énumère les garanties d’immunité des juges, notamment en matière pénale.

L’ancien code pénal letton (Latvijas Kriminālkodekss), en vigueur jusqu’au 31 mars 1999, et le nouveau code pénal (Krimināllikums) sanctionnent pénalement les atteintes à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Aux termes des deux textes, sont punissables l’ingérence dans l’examen d’une affaire ou la pression sur un juge et atteinte à l’honneur et à la réputation d’un juge. En outre, l’ancien code pénal érigeait en une infraction distincte des menaces proférées à l’égard d’un membre d’un tribunal. Tous ces délits sont passibles d’une amende ou d’un emprisonnement pour une durée allant jusqu’à cinq ans (l’ancien code) ou trois ans (le nouveau code).

b) La récusation des membres d’un tribunal

Le principe général d’incompatibilité des membres d’un tribunal est consacré par l’article 22 du KPK, aux termes duquel un juge ne peut pas participer à l’examen d’un dossier et doit être récusé, s’il a un intérêt personnel, direct ou indirect, dans l’issue de l’affaire. De même, conformément à l’article 27, un juge ne peut pas participer à l’examen d’une affaire lorsque l’on peut raisonnablement douter de son impartialité. Toutefois, le deuxième alinéa de cet article précise que les décisions prises par le juge en matière de mesures provisoires ne sont pas, à elles seules, de nature à justifier une récusation.

Toute demande en récusation doit être présentée avant le début de l’instruction judiciaire. Une demande ultérieure ne peut être accueillie qu’en cas d’une découverte tardive, par l’intéressé, du motif d’incompatibilité (article 29, al. 2 du KPK).

Lorsque la récusation porte sur l’un des membres de la formation, elle est décidée par une ordonnance prise au nom du tribunal par les deux membres restants, sans participation du récusé. Le désaccord entre les membres restants porte l’acceptation du désistement. Lorsque tout le collège est récusé, l’ordonnance est arrêtée par tout le collège (article 30 du KPK). Toutes ces ordonnances sont rédigées et prononcées immédiatement, et elles ne sont susceptibles d’aucun recours.

En cas du désistement d’un juge, il doit être remplacé par un autre juge, et la phase contradictoire de la procédure doit impérativement recommencer à nouveau. Un juge ne peut pas participer à l’examen d’une affaire si, dans la même affaire, une décision prise par lui-même ou par une formation dont il faisait partie, a été annulée (article 28 du KPK).

3. Autres dispositions

a) Le délit de sabotage

L’article 64 de l’ancien code de pénal, le délit de sabotage était défini comme « une action ou une omission ayant pour but la destruction du système monétaire (...) ou des autres branches de l’économie nationale, ainsi que la réalisation des actes contraires au fonctionnement des organismes publics ou privés, dans l’objectif final d’affaiblir la République de Lettonie, lorsque cette infraction est commise par l’intermédiaire d’entreprises (...) ou par des actes allant à l’encontre de leur fonctionnement normal ».

b) Le recours contre les ordonnances en général

Conformément à l’article 465, al. 1, du KPK, avant l’entrée en vigueur d’une ordonnance prise par un juge ou par un collège de juges au stade contradictoire de la procédure, l’accusé ou le procureur peut l’attaquer par voie de recours dit complémentaire (blakus sūdzība) devant la juridiction supérieure, lorsque la loi prévoit expressément le droit de recours contre l’ordonnance en question. Le recours doit être formé dans le délai de dix jours à partir du prononcé de l’ordonnance entreprise. La décision prise par la juridiction supérieure est définitive.

c) L’étendue des pouvoirs d’une cour d’appel

Aux termes de l’article 433, al. 1 du KPK, une juridiction d’appel est compétente pour réexaminer l’affaire au fond pour des raisons tant de fait que de droit. De même, un appel peut être motivé par toute violation alléguée des droits procéduraux d’une partie. Conformément à l’article 443, les parties en appel ont le droit de soumettre des preuves supplémentaires tout au long du procès. La cour régionale de Riga peut également, soit à la demande d’une partie, soit d’office, convoquer des témoins n’ayant pas été entendus en première instance, de même qu’ordonner une expertise et interroger des experts.

d) La saisie et le dépouillement de la correspondance des détenus

Selon l’article 176 du KPK, la saisie et le dépouillement de la correspondance ne peuvent être ordonnés que par un juge ou par un tribunal lorsqu’il s’agit de crimes graves ou particulièrement graves. Après la réception d’une copie de l’ordonnance portant saisie et dépouillement, le procureur l’envoie au bureau de poste, auquel il communique également les horaires selon lesquels il viendra retirer la correspondance saisie. Au bureau de poste, le procureur dépouille la correspondance de l’accusé, saisissant et emportant les pièces qu’il estime pertinentes dans l’affaire. La levée de cette mesure peut être ordonnée par le procureur, qui en informe aussitôt les responsables du bureau de poste. Aucune disposition du KPK ne prévoit expressément un droit de recours contre la saisie et le dépouillement de la correspondance.

GRIEFS

Le requérant se plaint qu’après l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de la Lettonie, sa détention n’est plus justifiée au regard de l’article 5 § 1 c) de la Convention. Les motifs fournis, à savoir la gravité du chef de l’accusation, la crainte que le requérant puisse empêcher la poursuite de l’instruction et la nécessité de préserver sa sécurité personnelle ne sont pas, selon le requérant, de nature à justifier son maintien en détention.

Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, le requérant se plaint également de la durée de sa détention provisoire. Il fait observer qu’à la date de l’introduction de la requête devant la Cour, il avait passé en détention quatre ans, dix mois et seize jours.

De même, le requérant se plaint que son droit au contrôle juridictionnel de la légalité de sa détention, garanti à l’article 5 § 4 de la Convention, a été violé, le tribunal examinant ses demandes de mise en liberté étant dépourvu des garanties d’indépendance et d’impartialité inhérentes à la notion d’un tribunal du fait des déclarations de la présidente du collège de juges chargé de l’affaire. Il considère également que cette disposition de la Convention a été violée en raison du rejet de tous ses recours au simple motif que son maintien en détention était justifié par la nature et la gravité de l’infraction dont il était inculpé et sans que soit examinée la nécessité objective de cette mesure.

Sous l’angle de l’article 6 § 1, le requérant se plaint que sa cause n’a pas été entendue dans un délai raisonnable. Il se plaint également d’un manque d’indépendance et d’impartialité des tribunaux ayant examiné sa cause. A cet égard, il soutient que le communiqué du Premier ministre et du ministre de la Justice du 16 octobre 1997 ont influencé les juges quant à l’attitude à adopter à l’égard de son maintien en détention provisoire, ainsi que les déclarations faites par le juge chargé de l’affaire, publiées les 4 et 5 novembre et le 7 décembre 1999 dans la presse révèlent clairement sa conviction en faveur de sa culpabilité et démontrent la partialité du tribunal. De même, le requérant soutient que le tribunal examinant sa cause n’est pas « établi par la loi », dès lors qu’après la récusation de Mme I.Š., survenue le 27 octobre 1999, le Sénat de la Cour suprême annula l’ordonnance de désistement et renvoya l’affaire devant la juridiction de première instance, alors que le droit interne ne lui conférait pas un tel pouvoir. Enfin, invoquant le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1, il se plaint de certaines irrégularités dans l’administration des preuves tant à sa charge qu’à sa décharge.

Invoquant l’article 6 § 2, le requérant se plaint que les déclarations faites par le juge chargé d’examiner son affaire au fond et compétent pour prendre des décisions relatives à son maintien en détention provisoire, publiées les 4 et 5 novembre et le 7 décembre 1999 dans la presse montrent sa conviction en faveur de sa culpabilité, et, partant, ont violé son droit à la présomption d’innocence.

Invoquant l’article 6 § 3 a), b) et d), le requérant se plaint que, bien que les copies des preuves documentaires fussent certifiées par le Parquet général, ses avocats se sont constamment vu refuser l’accès aux originaux, étant ainsi privés de toute possibilité de vérifier l’authenticité des pièces à charge. Le requérant fait également état de nombreux obstacles à sa communication avec ses avocats, tant pendant les heures d’audience qu’entre elles, et soutient qu’en raison de la mauvaise qualité des pièces du dossier et du défaut de traduction des pièces rédigées en langues étrangères (notamment en anglais, en tchèque et en néerlandais), il n’a pas pu les examiner toutes d’une manière appropriée, dans le délai imparti à cet effet par le parquet. De même, le requérant se plaint du refus de la cour régionale de Riga de convoquer et d’interroger les témoins à décharge qu’il lui indiquait.

Enfin, invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint de l’interdiction faite à son épouse et à sa fille mineure de le visiter, et de violation du secret de sa correspondance.

EN DROIT

A. Grief tiré de l’article 5 § 1 c) de la Convention

Le requérant se plaint que sa détention, du moins après le renvoi de l’affaire devant la juridiction de jugement, n’est pas justifiée par aucun motif conforme à l’article 5 § 1 c) de la Convention, dont le libellé est comme suit :

« 1. (...) Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ; (...) »

Le Gouvernement estime que, le requérant ayant occupé, au sein de sa banque, un poste investi d’une très grande responsabilité, il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis l’infraction dont il est accusé. De même, le Gouvernement insiste sur la réalité du risque d’évasion du requérant, citant à cet égard l’exemple de deux autres responsables de la même banque dont la détention avait également été ordonnée et qui se trouvent en fuite.

Le requérant combat cette appréciation. Selon lui, rien dans son comportement ne laissait supposer une possibilité d’évasion, dès lors que, pendant son confinement à domicile, il n’a jamais refusé de coopérer avec les autorités chargées de l’instruction. Quant aux deux responsables de la même banque ayant pris la fuite, le requérant cite le contre-exemple de ses deux coaccusés, jugés en même temps que lui et n’ayant jamais tenté de se soustraire à l’instruction, malgré leur incarcération très tardive.

La Cour rappelle que la « plausibilité » des soupçons sur lesquels doit se fonder une détention constitue un élément essentiel de la protection offerte par l’article 5 § 1 c) contre les privations arbitraires de liberté. Le terme « plausibles » ne signifie pas seulement « authentiques » ou « sincères » ; en revanche, l’existence de soupçons plausibles présuppose celle de faits ou renseignements propres à persuader un observateur objectif que l’individu en cause peut avoir accompli l’infraction (cf. arrêts Erdagöz c. Turquie du 22 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, p. 2310, § 51 in fine, et Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni du 30 août 1990, série A n° 182, p. 16, § 32). Les faits donnant naissance à des soupçons au sens de l’article 5 § 1 c) ne doivent pas être du même niveau que ceux nécessaires pour justifier une condamnation ou même pour porter une accusation, ce qui intervient dans la phase suivante de la procédure (cf. arrêt Margaret Murray c. Royaume-Uni du 28 octobre 1994, série A n° 300-A, p. 27, § 55 , ainsi que n° 10803/84, déc. 16.12.87, D.R. 54, p. 35).

En l’espèce, la Cour observe que la mise en détention du requérant a été ordonnée immédiatement après sa mise en examen du chef de sabotage. Elle constate également que ce chef d’inculpation se fonde sur des faits précis exposés dans la décision  du procureur en chef du Département d’instruction des affaires d’importance majeure du Parquet général du 28 juin 1995. Sur ce point, la Cour relève que, d’après le procureur, la « Banka Baltija » avait adopté toute une stratégie visant à attirer le plus grand nombre de dépositaires par des démarches frauduleuses. De même, la banque avait pris la décision de céder la plus grande partie de ses actifs à l’étranger, en recevant en contrepartie des titres pratiquement dépourvus de valeur réelle. Dans ces circonstances, le procureur estima qu’en tant que président du conseil de surveillance de la banque en question, le requérant pouvait être soupçonné d’être à l’origine des démarches ayant abouti à la faillite de celle-ci et provoqué un désastre économique aux conséquences nationales. Dans le cas d’espèce, la Cour estime que ces arguments sont de nature à rendre plausibles les soupçons pesant contre le requérant.

Il s’ensuit que ce grief doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention

Le requérant se plaint que la durée de sa détention provisoire, qui, au moment de l’introduction de la requête devant la Cour, atteignait quatre ans, dix mois et seize jours, a dépassé la limite du raisonnable au sens de l’article 5 § 3 de la Convention, rédigé comme suit :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

1. Sur la période à prendre en considération au sens de l’article 5

Selon le Gouvernement, toute la période pendant laquelle le requérant était officiellement placé en détention ne peut pas être appréciée selon des critères uniques, dès lors qu’il n’a pas passé tout ce temps en prison. A cet égard, le Gouvernement fait remarquer que le requérant a été à plusieurs reprises hospitalisé, et que du 14 octobre 1997 au 25 septembre 1998, il était confiné à domicile. Par conséquent, durant les quatre ans, dix mois et seize jours de détention auxquels il fait référence, le requérant a passé trois mois à l’hôpital et onze mois et douze jours assigné à domicile.

S’agissant de ces deux périodes, le Gouvernement rappelle que l’article 5 § 3 concerne uniquement la privation de liberté, et non seulement une simple restriction à la liberté, et que, pour déterminer les limites de ces notions, il faut partir de la situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure litigieuse (cf. arrêt Guzzardi c. Italie du 6 novembre 1980, série A, n° 39, p. 33, § 92). Dans le cas d’espèce, le Gouvernement relève que, pendant son hospitalisation, le requérant était pour la plupart de temps placé dans un établissement médical situé hors de l’enceinte de la prison, où il était confié aux soins des meilleurs spécialistes en cardiologie. De même, pendant le confinement du requérant à domicile, aucune restriction à sa communication avec sa famille ne fut imposée. Par ailleurs, le Gouvernement attire l’attention sur le confort qu’offre le séjour dans un appartement privé. Par conséquent, le Gouvernement estime que ni l’hospitalisation du requérant ni son confinement à domicile ne peuvent être assimilées à une privation de liberté au sens de l’article 5 § 3, et que la seule période tombant sous le coup de cette disposition atteint trois ans, huit mois et deux jours.

Le requérant conteste les thèses du Gouvernement. Après avoir précisé, de nombreux documents à l’appui, les dates de son hospitalisation, il soutient que, même à l’hôpital, il a subi des restrictions parfois plus sérieuses qu’en prison (cf. supra). A cet égard, il souligne que les mesures de sécurité et de surveillance appliquées à son égard étaient régies par les instructions du ministère de l’Intérieur relatives au régime de détention en prison. Concernant son confinement à domicile, il rappelle qu’à l’exception des visites médicales, il ne pouvait pas franchir la porte de son appartement, dépourvu de balcon et donnant sur une rue bruyante, que tous ses déplacements dans l’appartement étaient constamment surveillés par des agents armés, et que l’interdiction de correspondance et de rencontres avec des personnes autres que les membres de sa famille demeuraient inchangées. A cet égard, il souligne que, conformément au nouveau code pénal letton, tant une hospitalisation sous surveillance qu’un confinement à domicile s’imputent sur la peine d’emprisonnement de la même manière qu’une détention provisoire en prison. En conséquence, il estime que ces deux mesures tombent sous le coup de l’article 5 § 3 et, donc, entrent dans le délai total de sa « privation de liberté », au sens de cette disposition.

2. Sur les motifs justifiant le maintien en détention du requérant

Pour ce qui est du refus systématique de la cour régionale de Riga de libérer le requérant de sa détention, le Gouvernement insiste sur la réalité du risque sinon de fuite, au moins de soustraction du requérant (cf. supra). En outre, la détention du requérant était nécessaire pour assurer sa comparution aux interrogatoires et aux autres opérations d’investigation. Le Gouvernement relève en particulier qu’au cours de l’investigation, ayant duré approximativement un an et six mois, le requérant fut interrogé à 32 reprises, ce qui a permis de recueillir une information très importante pour le tribunal.

Au vu de ce qui précède, le Gouvernement conclut que le délai de la détention du requérant n’a pas été déraisonnable au sens de l’article 5 § 3 de la Convention, dès lors que la détention elle-même était conforme aux exigences de l’article 5 § 1 c).

Le requérant observe d’emblée qu’aucun des deux arguments principaux que le Gouvernement soulève dans son mémoire, à savoir sa position au sein de la banque et le risque de sa fuite, ne figurait parmi les motifs des nombreuses ordonnances le mettant en détention provisoire ou prolongeant celle-ci. En toute hypothèse, le requérant estime que le Gouvernement n’a donné aucune justification plausible de sa détention après le renvoi de l’affaire devant le juge du fond. En effet, en prolongeant sa détention, les tribunaux imposèrent au requérant la charge de les convaincre d’un changement important pouvant justifier sa mise en liberté, au lieu de se demander si les circonstances du moment justifiaient encore sa détention et si l’application d’une autre mesure préventive n’était pas possible.

En outre, le requérant insiste sur le fait que l’état critique de sa santé et les conditions insalubres de la prison constituent un facteur déterminant quant au caractère raisonnable de la durée de sa détention.

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

C. Grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention

Le requérant se plaint de l’absence d’un contrôle juridictionnel effectif de sa détention. A cet égard, il soutient que le fait, pour un collège de juges manifestement dépourvu des garanties d’indépendance et d’impartialité inhérentes à la notion d’un tribunal, de rejeter toutes ses demandes de mise en liberté, et ce, sans aucun examen sérieux de la nécessité objective de cette mesure, a constitué une violation de l’article 5 § 4. La disposition indiquée se lit ainsi :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

Selon le Gouvernement, la procédure dont le requérant a bénéficié en vue du contrôle de sa détention, correspond pleinement aux notions cardinales de l’article 5 § 4, à savoir celles de « bref délai », de « légalité » et de « tribunal ». Pour ce qui est du « bref délai », le Gouvernement rappelle qu’aux termes de l’article 222-1 du KPK, un recours en la matière peut être introduit dans un délai de sept jours à compter de la notification de l’ordonnance respective, et que le tribunal est obligé d’examiner un tel recours dans les sept jours suivant sa réception. S’agissant du contrôle de « légalité », le Gouvernement fait valoir que les ordonnances critiquées par le requérant étaient fondées tant sur la disposition pertinente du KPK que sur les résultats d’un examen du caractère raisonnable de la détention. Enfin, quant à la notion de « tribunal », le Gouvernement rappelle que toutes les ordonnances en litige étaient prises en conformité avec l’article 76 du KPK, conférant aux seuls tribunaux la compétence pour ordonner la détention provisoire ou la prolonger. Le requérant a pu, sans aucun obstacle, présenter des demandes de mise en liberté, et le tribunal les a toutes examinées. En conséquence, le Gouvernement n’aperçoit aucun indice de violation de l’article 5 § 4. Par ailleurs, le Gouvernement fait remarquer que le requérant n’a pas attaqué, par voie d’opposition ou de recours, chacune des ordonnances prolongeant sa détention.

Le requérant précise que les modifications du KPK garantissant le droit de recours contre les ordonnances de mise en détention ne sont entrées en vigueur que le 1er avril 1999. Avant cette date, seules les ordonnances prises par un seul juge au stade de l’instruction préliminaire, et non par un collège de juges au stade contradictoire, étaient susceptibles de recours devant une instance supérieure. Même depuis le 1er avril 1999, le droit de recours ne peut être exercé qu’au cas où le tribunal ajourne l’audience pour une durée supérieure à un mois. Or, dans le cas d’espèce, cette exigence ne s’est trouvée remplie qu’une fois, soit en octobre et novembre 1999. Qui plus est, même dans cette occasion unique, il n’a pas pu former un recours puisque le Sénat de la Cour suprême le déclara irrecevable par son ordonnance du 27 novembre 1999.

Pour ce qui est de l’argument du Gouvernement, selon lequel il n’a pas attaqué toutes les ordonnances concernant sa détention provisoire, le requérant précise que cette allégation n’est relative qu’à la période antérieure au transfert de l’affaire au juge du fond le 30 juin 1997. En effet, il avait, en vain, introduit une opposition contre les ordonnances des 28 août et 26 octobre 1995 et du 22 avril 1996. Le fait, pour les tribunaux, de laisser ces oppositions sans examen ou de les rejeter sans motivation suffisante, l’ont convaincu, ainsi que ses avocats, qu’une opposition ultérieure serait manifestement dépourvue de toute chance de succès.

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

D. Griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention

Invoquant l’article 6 § 1, le requérant soulève plusieurs griefs portant sur des violations alléguées de son droit à un procès équitable dans un délai raisonnable devant un tribunal indépendant, impartial et établi par la loi. Les parties pertinentes de l’article 6 § 1 se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

La Cour estime nécessaire d’examiner séparément les diverses branches de ce grief, portant sur des aspects particuliers des garanties de l’article 6 § 1.             

1. Sur les irrégularités dans l’administration des preuves

Pour autant que le requérant se plaint que la manière dont la cour régionale de Riga a instruit son affaire a révélé de nombreuses irrégularités, en particulier en matière d’interrogatoires et de l’administration d’autres preuves, la Cour constate que la procédure en litige est toujours pendante en première instance devant la cour régionale de Riga. A cet égard, la Cour rappelle la jurisprudence constante des organes de la Convention, selon laquelle la conformité d’un procès aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention doit en principe être examinée sur la base de l’ensemble de la procédure une fois celle-ci terminée (cf., par exemple, arrêt Bernard c. France du 23 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 879, § 37). Il est vrai que, dans certains cas exceptionnels, on ne peut exclure qu’un élément déterminé soit décisif à ce point et qu’il permette à la Cour de juger de l’équité du procès à un stade plus précoce, avant même que la juridiction nationale ait rendu le jugement dans l’affaire (cf. n° 18892/91, déc. 3.12.93, D.R. 76, p. 51 ; n° 23997/94, déc. 15.5.95, D.R. 81, p. 102). Toutefois, dans le cas d’espèce, la Cour relève que les dispositions du chapitre 36 du KPK garantissent à l’accusé le droit d’interjeter appel contre tout jugement rendu en première instance, et que la juridiction d’appel est compétente pour réexaminer l’affaire au fond tant pour des erreurs alléguées de fait ou de droit que pour le non-respect des droits procéduraux de l’accusé. En particulier, en vertu de l’article 443 du même code, la cour d’appel peut, soit à la demande d’une partie, soit d’office, procéder à l’audition des témoins qui n’ont pas été interrogés par le juge de première instance, de même qu’ordonner une expertise. Par conséquent, la Cour considère que, même si les irrégularités de l’instruction commises par la cour régionale de Riga se révèlent fondées, elles n’impliqueraient pas automatiquement un caractère inéquitable de la procédure dans son intégralité (cf., mutatis mutandis, Barry c. Irlande (déc.), n° 41957/98, 6.7.2000).

Dans ces circonstances, la Cour estime que le grief particulier portant sur l’interrogation des témoins et sur l’administration d’autres preuves dans l’affaire est prématuré, et qu’il doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

2. Sur la durée excessive de la procédure

Le Gouvernement rappelle tout d’abord que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes, seuls les délais imputables à l’Etat pouvant justifier un constat de violation sur ce point.

Pour ce qui est de la complexité des éléments de fait et de droit à la disposition du tribunal, le Gouvernement rappelle que les pièces du dossier sont rassemblées dans 69 volumes et qu’il y a cent témoins dans l’affaire. En outre, l’affaire « Banka Baltija » étant à la fois la première et la plus importante affaire pénale de ce genre en Lettonie, les juges, dépourvus de toute expérience en la matière, durent consacrer beaucoup de temps à l’étude du droit bancaire.

Le Gouvernement considère également que le comportement des autorités compétentes n’a pas contribué à la prolongation de la procédure. En effet, le dossier ayant été reçu par la cour régionale de Riga le 16 juin 1997, la première audience fut tenue le 30 juin 1997. Les deuxième et la troisième audiences, ayant eu lieu les 13 et 14 octobre 1997, furent suivies par l’hospitalisation du requérant et son confinement à domicile, et, le 16 octobre 1997, par le désistement du juge et des assesseurs. L’audience suivante se déroula le 31 octobre 1997, quand la défense introduisit une demande en récusation du tribunal et que celui-ci y fit droit. Il n’y eut pas d’audience du 4 novembre 1997 au 14 septembre 1998, puisque les juges étudiaient le dossier et la législation bancaire, et du 3 septembre au 26 octobre 1999, à cause du congé annuel des juges. Cependant, depuis le 14 septembre 1998, la cour régionale de Riga avait déjà tenu 206 jours d’audience à compter au 20 octobre 2000, soit 173 jours au moment de l’introduction de la requête.

En revanche, pour le Gouvernement, c’est le comportement du requérant qui a prolongé l’examen de l’affaire. A cet égard, le Gouvernement souligne que c’est à cinq reprises que le requérant a demandé le renvoi de l’affaire pour une instruction supplémentaire. Or, conformément au KPK, un tel renvoi ne peut être décidé que par une ordonnance contradictoire séparée, obligatoirement précédée d’une audition des parties sur le sujet. Par conséquent, plus de six jours d’audience furent consacrés exclusivement à cette question procédurale. La même conclusion vaut pour les neuf demandes en récusation (la dernière date du 15 juin 2000) et qui ont exigé plus de neuf jours d’audience. De plus, le requérant avait choisi sept avocats qui ont tous exercé leur droit de prendre connaissance des pièces du dossier.

Le Gouvernement fait également état d’autres démarches de la défense, ayant contribué à la prolongation des délais de procédure. Ainsi, selon le Gouvernement, les avocats du requérant avaient demandé au tribunal un congé à sept occasions. A leur demande, avant chaque audience, une heure leur était octroyée pour discuter la tactique de la défense. Par ailleurs, il n’y eut pas d’audience le vendredi, ce jour étant réservé aux examens médicaux du requérant. Cinq fois, les avocats durent s’absenter pendant une demi-journée, de sorte que l’audience n’eut lieu que le matin ou que l’après-midi. Pendant quatre jours, l’audience dut être ajournée pour absence de la défense. Enfin, c’est à dix reprises que le requérant avait demandé l’ajournement des interrogatoires ou l’administration de nouvelles preuves, toutes ces demandes ayant été satisfaites par le tribunal. Dans ces circonstances, le Gouvernement soutient que les retards de la procédure sont imputables au requérant.

Tout en reconnaissant la grande complexité de l’affaire, le requérant estime que le manque d’expérience des magistrats n’est pas de nature à justifier la longueur excessive de la procédure. Selon lui, il incombe à l’Etat lui-même d’organiser son système judiciaire de manière à remplir les exigences de la Convention.

Pour ce qui est du comportement des autorités compétentes, il relève en premier lieu qu’au cours de l’instruction préliminaire, elles omirent de procéder à la traduction des pièces du dossier établies dans des langues qu’il ne comprenait pas. Par conséquent, le requérant n’ayant pas été en mesure d’en prendre connaissance avant la clôture de l’investigation, les juges durent ordonner leur traduction pendant l’examen contradictoire de l’affaire, ce qui a exigé beaucoup de temps. De même, l’omission du procureur d’ordonner certaines expertises avant le transfert du dossier au juge de fond, ainsi que le manque de clarté et de cohérence de l’acte d’accusation ont sérieusement influé sur la vitesse de la lecture du dossier par le requérant.

En deuxième lieu, le requérant note qu’un nouveau collège de juges fut nommé après le désistement des juges chargés de l’affaire, provoqué par la pression exercée de la part du Premier ministre et du ministre de la Justice. Ces nouveaux juges durent donc prendre connaissance du dossier, ce qui a nécessité beaucoup de temps. D’après lui, c’est à cette circonstance qu’était due l’interruption des audiences jusqu’au 14 septembre 1998. Cela étant, le requérant estime que le comportement des autorités nationales a été la cause principale de la longueur excessive de la procédure.

Selon le requérant, aucun délai injustifié ne lui est imputable. A cet égard, il fait valoir que l’exercice normal de ses droits procéduraux ne peut pas être invoqué à son détriment. Il soutient également que, même s’il a changé d’avocat pendant l’instruction préliminaire, aucun de ses avocats n’a contribué à la prolongation de l’examen de l’affaire. Bien au contraire, entre le 3 septembre 1999 et le 26 octobre 1999, la défense a profité des vacances judiciaires pour étudier trois volumes de pièces complémentaires.

Pour ce qui est des demandes de renvoyer l’affaire pour une instruction supplémentaire, il estime qu’aucune d’elles n’a été dilatoire ou dénuée de fondement. Pour chacune de ces demandes, il cite des motif précis, tels le caractère incomplet de l’investigation d’un élément précis de l’accusation, les doutes de la défense sur l’authenticité de certaines photocopies, la nécessité de traduire certains documents (cf. supra) ou de procéder à une expertise.

S’agissant des demandes en récusation de Mme I.Š. et du collège entier des juges, le requérant estime que, ses doutes quant à leur impartialité étant objectifs et raisonnables (cf. infra), il ne pouvait pas se voir imputer les retards causés de ce fait.

Citant plusieurs exemples, le requérant soutient qu’aucune disposition n’oblige le tribunal à suspendre la procédure pour examiner une demande d’instruction supplémentaire ou une demande en récusation. Toutefois, dans le cas d’espèce, l’audience fut à plusieurs reprises ajournée à la demande du procureur qui, n’étant pas obligé de le faire, souhaitait présenter ses observations supplémentaires sur la demande en question. Par ailleurs, le requérant estime que l’examen de la plupart des requêtes de caractère procédural, présentées par la défense, n’exigeait que quelques minutes, de sorte qu’elles ne pouvaient pas influer sur la durée globale de la procédure.

En outre, il conteste certains faits relatés par le Gouvernement. Selon lui, s’il est vrai qu’il a demandé au tribunal de lui octroyer une heure avant chaque audience pour la préparation de la défense et une journée par semaine pour des visites médicales, les juges n’y firent jamais droit, sauf à la première demande, en janvier et février 1999.

Enfin, le requérant demande à la Cour de prendre en considération l’état critique de sa santé, attesté par de nombreux certificats, et l’effet néfaste provoqué à cet égard par la longueur de la procédure.

A la lumière de l’ensemble des arguments des parties, la Cour estime que cette partie de la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que cette partie de la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

3. Sur le manque d’indépendance et d’impartialité des tribunaux

Pour autant que le requérant se plaint que sa cause est examinée par un tribunal dépourvu de garanties d’indépendance et d’impartialité, le Gouvernement fait valoir que les garanties d’indépendance du pouvoir judiciaire, consacrées par la Constitution et la législation lettonnes, constituent une protection suffisante contre toute influence de l’extérieur.

S’agissant des déclarations litigieuses du Premier ministre et du ministre de la Justice, le Gouvernement soutient que, la révocation des juges relevant de la seule compétence du Parlement, les détenteurs de ces deux postes ne sont en mesure d’influencer le tribunal ni formellement ni en réalité. De même, le Gouvernement souligne que, même après la publication desdites déclarations, le tribunal chargé de l’affaire n’a pas modifié la mesure préventive appliquée au requérant et l’a laissé confiné à domicile. Le tribunal a donc agi en toute indépendance de l’exécutif.

Quant à l’impartialité personnelle de Mme I.Š., le Gouvernement estime que son comportement, qu’il soit examiné selon une démarche objective ou subjective (cf. arrêt Saraiva de Carvalho c. Portugal du 22 avril 1994, série A n 286-B, p. 38, § 33), ne révèle aucun doute sur son impartialité. A cet égard, le Gouvernement note que Mme I.Š. a donné suite à toutes les demandes de la défense concernant l’administration des preuves et autres questions procédurales. Pour ce qui est des déclarations qu’elle avait faites à la presse, le Gouvernement fait valoir que leur contenu n’a pas été retranscrit dans leur intégralité, et qu’en toute hypothèse, rien dans ces propos n’indique que le juge aurait déjà pris position sur l’issue de l’affaire.

Le requérant conteste les thèses du Gouvernement. Selon lui, Mme I.Š. n’ayant jamais désavoué les déclarations en litige après leur publication, l’argument selon lequel leur contenu serait incomplètement retranscrit est dénué de fondement. Ces déclarations suscitent dès lors un doute objectif et raisonnable, quant à l’impartialité du juge en matière de culpabilité du requérant.

De même, le requérant note que la cour régionale de Riga a omis d’examiner la question de la santé mentale de Mme Z.L., ce qui met en cause sa capacité de délibérer et de porter un jugement indépendant et objectif. Il fait enfin valoir que la partialité du collège des juges chargés de l’affaire est amplement démontrée par le refus ou l’omission de la cour régionale de Riga de citer comme témoins plusieurs personnes dont les témoignages auraient été cruciaux pour l’issue de l’affaire, ainsi que par diverses irrégularités de l’instruction hautement préjudiciables aux intérêts de la défense.

Quant à l’indépendance de la cour régionale de Riga, le requérant soutient que le communiqué officiel du Premier ministre et du ministre de la Justice a exercé une pression évidente sur les juges et a constitué un facteur important dans la détermination du tribunal de le renvoyer en prison le 25 septembre 1998.

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

4. Sur le point de savoir si le tribunal est « établi par la loi »

Pour le Gouvernement, le collège de la cour régionale de Riga chargé de l’examen de l’affaire était régulièrement constitué. A cet égard, le Gouvernement considère que l’article 29 du KPK, régissant la récusation des juges et des assesseurs, doit être lu en combinaison avec l’article 41 du même code, autorisant le procureur à former des recours contre les décisions des tribunaux en général. Le Sénat, investi de la compétence d’interprétation du droit interne, a donc procédé à une interprétation de la loi procédurale, ce qui a été reflété dans son ordonnance du 14 décembre 1999.

Le requérant combat cette appréciation. Selon lui, l’article 41 susvisé ne consacre que le locus standi du procureur en général, les modalités précises de recours contre les ordonnances étant régies par l’article 465, aux termes duquel un tel recours est possible « lorsque ceci est prévu par la loi ». Cependant, l’article 29 ne confère aux parties aucun droit de recours contre les ordonnances de récusation. En outre, le requérant rappelle que, par l’ordonnance du 14 décembre 1999, l’affaire fut renvoyée devant les mêmes juges de la cour régionale de Riga, alors que l’article 28 du KPK interdit à un juge de participer à l’examen de l’affaire lorsqu’une décision prise dans la même affaire avec sa participation a été annulée. En conséquence, le requérant estime qu’en toute hypothèse, les assesseurs ne pouvaient plus faire partie du même collège. Le tribunal n’a donc pas été établi par la loi.

Au vu de ce qui précède, la Cour estime que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

E. Grief tiré de l’article 6 § 2 de la Convention

Le requérant soutient que les déclarations faites par la présidente de l’audience, publiées les 4 et 5 novembre et le 7 décembre 1999 dans la presse, et révélant sa conviction en faveur de la culpabilité de celui-ci, ont porté atteinte à son droit à la présomption d’innocence, garanti par l’article 6 § 2, ainsi libellé :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

Le Gouvernement renvoie à ses conclusions, quant au respect de l’article 6 § 1 de la Convention relatif à l’impartialité du tribunal (cf. supra). En outre, Mme I.Š. ayant elle-même déclaré qu’elle ne connaissait pas encore l’issue de l’affaire, le Gouvernement estime qu’aucun élément ne montre que celle-ci aurait adopté une position prédéterminée sur la culpabilité du requérant. Il n’y a donc pas eu d’atteinte à la présomption d’innocence du requérant.

Le requérant observe que, dans son discours à la presse publié les 4 et 5 novembre 1999 dans « Lauku avīze » et « Respublika », Mme I.Š. a en effet soutenu qu’elle ne croyait pas à l’innocence du requérant et que, dans le meilleur des cas, le jugement porterait acquittement partiel. L’hypothèse de l’acquittement total se trouve ainsi écartée. Le requérant attire également l’attention de la Cour sur l’interview publiée au « Kommersant Baltic » le 7 décembre 1999, où la présidente de l’audience suggère au requérant de prouver son innocence. De même, selon le requérant, les déclarations précitées montrent clairement que la présidente de l’audience est parvenue à une certaine conclusion sur la bonne foi de la défense, ce qui l’empêche d’examiner l’affaire objectivement.

En outre, le requérant note que, dans les ordonnances des 30 mars et 15 juin 2000, la cour régionale de Riga a déclaré que son maintien en détention était justifié par sa personnalité. Ce motif n’ayant pas été étayé, le requérant estime qu’il démontre une attitude prédéterminée du tribunal à son égard.

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

F. Grief tiré de l’article 6 § 3 de la Convention

Le requérant se plaint que les obstacles créés par le Parquet général à sa communication avec ses avocats, les obstacles créés à l’exercice normal, par ceux-ci, de leurs fonctions, ainsi que le refus de la cour régionale de Riga de convoquer et d’examiner certains témoins à décharge, constituent une violation de ses droits procéduraux garantis par l’article 6 § 3, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

« Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; (...) ; 

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; (...) »

La Cour rappelle que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 s’analysent en aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 (cf., parmi beaucoup d’autres, arrêts Daud c. Portugal du 21 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 749, § 33, et F.C.B. c. Italie du 28 août 1991, série A n° 208-B, p. 20, § 29). A cet égard, elle renvoie à ses conclusions quant à la recevabilité du grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et portant sur les prétendues irrégularités dans l’administration des preuves dans l’affaire (cf. supra). Le requérant ayant la possibilité d’attaquer le jugement rendu en première instance par voie d’appel devant une juridiction compétente pour interroger de nouveaux témoins et pour ordonner de nouvelles expertises, la Cour ne peut pas conclure au caractère inéquitable de la procédure en question avant que celle-ci ne soit terminée.

Il s’ensuit que ce grief est prématuré et doit dès lors être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

G. Griefs tirés de l’article 8 de la Convention

Le requérant se plaint que le fait, pour les tribunaux, d’interdire à son épouse et à sa fille mineure de le visiter, ainsi que la saisie et le dépouillement de sa correspondance, constituent une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie familiale et de sa correspondance, garanti par l’article 8, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

1. Sur le respect de la vie familiale du requérant

Se référant à l’arrêt Berrehab c. Pays-Bas du 21 juin 1998 (série A n° 138, p. 15, § 21), le Gouvernement reconnaît que, dès l’instant et du seul fait de la naissance d’un enfant, il existe entre lui et ses parents un lien constitutif d’une « vie familiale », dont les événements ultérieurs ne peuvent amener la rupture que dans des cas exceptionnels. Or, dans le cas d’espèce, le Gouvernement est convaincu que de telles circonstances exceptionnelles existent. Selon le Gouvernement, la détention du requérant étant pleinement justifiée au sens de l’article 5 § 1 c) (cf. supra), les restrictions aux visites de sa famille étaient, elles aussi, justifiées au regard de l’article 8 § 2. En particulier, le Gouvernement fait remarquer que, pendant la détention du requérant à domicile, il pouvait rencontrer sa femme et son enfant sans aucune restriction, les visites n’étant interdites que pendant son séjour en prison. Par conséquent, le Gouvernement conclut à l’absence de violation de l’article 8 de la Convention.

Tout en reconnaissant que sa femme et sa fille pouvaient lui rendre visite pendant son confinement à domicile et dans les hôpitaux situés hors de la prison, le requérant estime que le seul fait d’être détenu ne justifie pas l’interdiction complète des visites familiales. Ce domaine n’étant régi par aucune loi, le Gouvernement n’a fait état d’aucune base légale de l’interdiction. En effet, les visites relevant de l’autorité discrétionnaire du juge ou du procureur et les décisions de ces derniers n’étant pas susceptibles de recours, le requérant estime qu’il n’existe en droit interne aucune garantie contre l’arbitraire. De même, selon lui, une telle interdiction ne poursuit aucun but légitime, les contacts qu’il a eus avec sa famille pendant son confinement à domicile n’ayant porté aucun préjudice à l’instruction de son affaire. Au demeurant, le requérant est d’avis que, l’interdiction complète de rencontres avec la famille étant disproportionnée même au regard d’un prisonnier condamné, elle l’est encore plus au regard d’une personne placée en détention provisoire et bénéficiant de la présomption d’innocence.

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.

2. Sur le respect de la correspondance du requérant

a) Sur l’exception préliminaire du Gouvernement

S’agissant du dépouillement de la correspondance du requérant, le Gouvernement défendeur soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Selon le Gouvernement, le requérant a omis d’introduire un recours contre l’ordonnance du 22 octobre 1997 portant saisie et dépouillement de sa correspondance.

Le requérant combat cette exception. Il soutient qu’il a tenté, se fondant sur l’article 465 du KPK, d’attaquer l’ordonnance de la cour régionale de Riga du 22 octobre 1997 par voie de recours devant la juridiction supérieure, et que ce recours lui fut rendu par lettre du président de l’audience du 27 octobre 1997, comme étant irrecevable. A l’appui de ses arguments, il fournit une copie de cette lettre, aux termes de laquelle une ordonnance concernant le dépouillement de la correspondance d’un prévenu n’est susceptible d’aucun recours.

La Cour rappelle que l’article 35 § 1 de la Convention exige l’épuisement des seuls recours normalement disponibles, c’est-à-dire existant, à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie (cf. arrêt Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, p. 2277, § 52). Dans le cas d’espèce, la Cour constate que, par lettre du 27 octobre 1997, le juge de la cour régionale de Riga chargé de l’affaire refusa de transmettre le recours formé par le requérant à la Cour suprême, au motif qu’un tel recours était inexistant en droit interne. En particulier, la Cour note que le Gouvernement n’a fait état d’aucune autre voie de droit conforme aux exigences de l’article 35 § 1 de la Convention et que le requérant aurait dû emprunter au lieu du recours tenté (cf. notamment arrêt Akdivar et autres c. Turquie du 16 du septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1210, § 68). Dans ces circonstances, l’exception préliminaire ne saurait être retenue.

b) Sur le fond du grief

Le Gouvernement est convaincu que l’ingérence dénoncée est compatible avec les exigences de l’article 8 § 2. En premier lieu, il note que le dépouillement de la correspondance d’un prévenu est régi par l’article 176 du KPK, définissant les cas où cette mesure peut être ordonnée et la procédure à suivre à cet effet. Le texte de l’article étant accessible et formulé en des termes précis, le Gouvernement est d’avis que l’ingérence est prévue par la loi.

En deuxième lieu, s’agissant du but poursuivi par le dépouillement, le Gouvernement fait valoir que cette mesure était indispensable pour assurer le respect de l’ordonnance mettant le requérant en détention. L’ingérence poursuivait donc un but légitime, à savoir la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales. Enfin, le Gouvernement estime que la mesure entreprise est nécessaire dans une société démocratique et proportionnelle à son but légitime susmentionné.

Le requérant conteste l’appréciation du Gouvernement. Il estime tout d’abord que l’article 176 du KPK est rédigé en des termes assez peu clairs, ne présentant aucune garantie contre l’arbitraire. De même, le requérant considère que, le tribunal n’ayant pas étayé la nécessité d’interdire au requérant de correspondre avec ses coaccusés, cette justification ne saurait être retenue. En particulier, rien ne justifie la saisie de la correspondance du requérant après la clôture de l’instruction préliminaire, cette saisie pouvant être remplacée par un simple contrôle des expéditeurs et des destinataires. Le requérant rappelle également que, depuis son renvoi en prison le 25 septembre 1998, il lui est formellement interdit de correspondre avec quiconque, et que le Gouvernement n’a pas présenté une justification séparée à cet égard.

La Cour estime, à la lumière de l’ensemble des arguments des parties, que ce grief pose de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond ; il s’ensuit que ce grief ne saurait être déclaré manifestement mal fondé, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’a été relevé.


Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare recevables, tous moyens de fond réservés, les griefs du requérant tirés des articles 5 § 3, 5 § 4, 6 § 2 et 8 de la Convention, ainsi que de l’article 6 § 1 relatif au droit à l’examen de l’affaire dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant, impartial et établi par la loi.

Déclare la requête irrecevable pour le surplus.

Erik FriberghChristos Rozakis              Greffier              Président

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Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
  2. CODE PENAL
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CEDH, Cour (deuxième section), LAVENTS c. la LETTONIE, 7 juin 2001, 58442/00