CEDH, Cour (quatrième section), RODRIGUEZ VALIN c. l'ESPAGNE, 8 février 2001, 47792/99

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 8 févr. 2001, n° 47792/99
Numéro(s) : 47792/99
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 20 avril 1999
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Klein c. Allemagne, n° 33379/96, § 30 - (27.7.00)
Arrêt Pammel et Probstmeier c. Allemagne du 1er juillet 1997, Recueil 1997-IV
Arrêt Ruiz-Mateos c. Espagne du 23 juin 1993, série A n° 262, p. 24, § 59
Arrêt Süssmann c. Allemagne du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1171, § 41
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Recevable
Identifiant HUDOC : 001-32552
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:0208DEC004779299
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 47792/99
présentée par Alejandro RODRÍGUEZ VALÍN
contre l’Espagne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 8 février 2001 en une chambre composée de

MM.G. Ress, président,
A. Pastor Ridruejo,
J. Makarczyk,
I. Cabral Barreto,
V. Butkevych,
MmeN. Vajić,
M.M. Pellonpää, juges,
et de M.V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 20 avril 1999 et enregistrée le 28 avril 1999,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant est un ressortissant espagnol, né en 1972 et résidant à La Corogne. Il est avocat inscrit au barreau de La Corogne.

A.  Circonstances particulières de l’affaire

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Par un jugement en date du 13 janvier 1997, le tribunal pénal n° 4 de El Ferrol reconnut coupable le requérant d’une contravention pour les blessures causées par ses chiens à d’autres chiens lors d’une promenade, et le condamna à la peine de quinze jours-amendes de 2 000 pesetas par jour, et au paiement de dommages-intérêts aux propriétaires des chiens agressés. Contre ce jugement, le requérant interjeta appel auprès de l’Audiencia provincial de La Corogne qui, par un arrêt du 2 juillet 1997, rejeta le recours et confirma le jugement entrepris. Cet arrêt fut notifié au requérant le 20 septembre 1997.

Par un courrier posté en recommandé à El Ferrol (Galice) le 14 octobre 1997, le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel, dans le délai de vingt jours ouvrables prévu pour présenter le recours en question, en invoquant les articles 25 (principe de légalité des délits et des peines) et 24 (droit à un procès équitable) de la Constitution. Le recours fut enregistré au greffe du Tribunal constitutionnel le 15 octobre 1997.

Par une décision du 15 octobre 1998, le Tribunal constitutionnel déclara le recours d’amparo irrecevable pour tardiveté, le recours ayant été reçu au greffe du tribunal vingt et un jours ouvrables après le 20 septembre 1997, date de la notification de l’arrêt de l’Audiencia provincial.

Dans sa décision, le Tribunal se prononça comme suit :

« Selon une doctrine constante, l’introduction des recours d’amparo ne peut être valablement réalisée qu’au siège du Tribunal constitutionnel lui-même ou, exceptionnellement, au siège de juge de garde de Madrid, capitale où se trouve le siège du Tribunal constitutionnel, en vertu de l’application supplétive – et autorisée par l’article 80 de la loi organique du Tribunal constitutionnel (LOTC) – de l’article 1 de la loi de procédure civile combiné avec l’article 41.1 du règlement 5/1995, du 7 juin 1995, sur les aspects accessoires des actes de procédure, adopté par une décision du Conseil général du Pouvoir judiciaire du 7 juin 1995 (B.O.E. du 13 juillet 1995). Cette dernière disposition précise que « dans les cas où un service spécifique à cette fin n’est pas organisé, il revient au juge de garde de recevoir les mémoires dont la présentation est sujette à un délai impératif, pour autant qu’ils soient adressés à tout autre organe judiciaire du même siège et soient déposés une fois terminée la journée de travail du tribunal destinataire. » (...)

(...)

En l’espèce, l’arrêt d’appel fut notifié au requérant le 20 septembre 1997. Le délai de vingt jours était échu le 14 octobre 1997. Cependant, le requérant présenta ce même jour le recours d’amparo auprès du bureau de poste, et celui-ci fut enregistré dans ce tribunal le 15 octobre 1997, soit un jour après l’expiration du délai. Ce Tribunal a qualifié d’impératif le délai de présentation du recours, dont l’inobservation entraîne l’extinction du droit et qui ne peut être prorogé ni suspendu (...), et a souligné que la condition de délai pour la recevabilité du recours d’amparo est une exigence ne pouvant être réparée (...). »

B.  Droit interne pertinent

1.  Constitution

Article 24 § 1

« Toute personne a le droit d’obtenir la protection effective des cours et tribunaux dans l’exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans jamais pouvoir être mise dans l’impossibilité de se défendre. »

2.  Loi organique du Tribunal constitutionnel

Titre VII : Des dispositions communes de procédure

Article 44 § 2

« Le délai pour introduire le recours d’amparo sera de vingt jours à partir de la notification de la décision rendue dans le procès judiciaire. »

Article 80

« Les dispositions de la loi organique du Pouvoir judiciaire et du code de procédure civile seront appliquées de manière supplétive à la présente loi en matière de comparution en jugement, récusation et désistement, publicité et forme des actes, communication et actes d’assistance judiciaire, jours et heures ouvrables, décompte de délais, délibération et vote, caducité, renoncement et désistement, langue officielle et police du tribunal. »

3.  Loi organique du Pouvoir judiciaire (loi n° 6/1985 du 1er juillet 1985)

Les dispositions pertinentes de la loi organique du Pouvoir judiciaire sont les suivantes :

Article 11

«  1. Les règles de la bonne foi seront respectées dans toutes les procédures.

2.  (...)

3.  Conformément au principe de la protection effective reconnu à l’article 24 de la Constitution, les cours et tribunaux devront toujours statuer sur des prétentions formulées, et ne pourront les rejeter pour vice de forme que lorsque celui-ci ne peut pas être redressé ou ne peut l’être selon la procédure [de redressement] prévue par les lois. »

Article 268 § 1

« Les actes judiciaires devront être effectués au siège de l’organe juridictionnel. »

Article 270

« Les actes de procédure, décisions et jugements seront notifiés à toutes les parties au litige ainsi qu’à toutes les personnes auxquelles ils se réfèrent ou qui peuvent subir un préjudice, lorsqu’il en sera décidé expressément dans les décisions conformément à la loi. »

Article 271

« Les notifications pourront être effectuées par le biais de la poste, du télégraphe ou de n’importe quel autre moyen technique qui constate sa réalisation et les circonstances de cette dernière conformément aux lois de procédure. »

Article 272

« 1.  Dans les communes où existent plusieurs tribunaux (...), un service commun, dépendant du bâtonnier, pourra être établi afin de procéder aux notifications que les tribunaux doivent effectuer.

2.  (...)

3.  Des services de registre général pourront également être établis pour le dépôt d’actes ou documents adressés à des organes juridictionnels. »

Article 283 § 1

« Les greffiers constateront le jour et l’heure du dépôt des demandes, des requêtes introductives d’instance et de tout autre acte dont la présentation est assujettie à un délai impératif (perentorio). »

4.  Code de procédure civile

Article 1

« La personne devant comparaître en jugement (...) devra le faire devant le juge ou tribunal compétent, dans les formes prescrites par la présente loi. »

5.  Législation applicable en matière administrative

La disposition pertinente de la loi n° 30/1992 du 26 novembre 1992 sur le régime juridique des administrations publiques et sur la procédure administrative ordinaire est rédigée comme suit :

Article 38 § 4

« Les demandes, mémoires et communications adressés par les citoyens aux organes des administrations publiques pourront être déposés :

(...)

c)  auprès des bureaux de poste, selon la forme établie par voie réglementaire. »

Le règlement du service de la poste, tel qu’adopté par le décret n° 1653/1964 du 14 mai 1964 et modifié par l’arrêté du 14 août 1971 et le décret n° 2655/1985 du 27 décembre 1985, dispose :

Article 205

« Admission de recours et documents adressés à des institutions administratives

(...)

2. Les documents et recours en cause seront présentés sous enveloppe ouverte (...)

3. L’agent qui admet l’envoi apposera un tampon avec mention de la date sur la partie supérieure gauche du document principal, de façon que le nom du bureau de poste et la date de présentation apparaissent clairement (...) »

GRIEFS

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de ce que le Tribunal constitutionnel a déclaré irrecevable son recours d’amparo pour tardiveté, alors qu’il l’a envoyé par la poste dans le délai de vingt jours prévu par la loi. Le requérant souligne que son domicile est situé à El Ferrol, soit à plus de 620 km de Madrid. A cet égard, il fait valoir que ni la loi organique du Pouvoir judiciaire du 1er juillet 1985 ni la loi du 26 novembre 1992 sur la procédure administrative ne s’opposent à la présentation de documents par le biais du service postal.

Le requérant estime également que du fait de l’obligation de présenter le recours au siège du Tribunal constitutionnel, juridiction nationale mais dont le siège est à Madrid, il a été victime d’une discrimination fondée sur le lieu de résidence, contraire à l’article 14 de la Convention.

EN DROIT

1.  Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de ce que le Tribunal constitutionnel a déclaré irrecevable son recours d’amparo pour tardiveté, alors qu’il l’a envoyé par la poste depuis son domicile à El Ferrol dans le délai de vingt jours prévu par la loi.

La partie pertinente de l’article 6 § 1 se lit comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

a)  Sur l’exception du Gouvernement tirée de l’incompatibilité ratione materiae du grief avec la Convention

Le Gouvernement souligne que la cause du requérant a été examinée par deux juridictions du fond et qu’il ne se plaint d’aucune violation d’un droit de procédure devant celles-ci. Sa plainte concerne uniquement l’accès au Tribunal constitutionnel. Or, d’après le Gouvernement, l’article 6 § 1 de la Convention n’est pas applicable à la procédure d’accès au Tribunal constitutionnel.

Pour sa part, le requérant fait valoir que la juridiction constitutionnelle ne saurait échapper à l’application de la Convention. En effet, dès lors qu’une telle juridiction existe, le justiciable doit jouir d’un droit effectif d’accès, ce qui entre dans le champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention.

La Cour rappelle que d’après sa jurisprudence constante, une procédure relève de l’article 6 § 1 de la Convention, même si elle se déroule devant une juridiction constitutionnelle, si son issue est déterminante pour des droits ou obligations de caractère civil ou concerne le bien-fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre le requérant (voir, notamment, les arrêts Süssmann c. Allemagne du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1171, § 41, Pammel et Probstmeier c. Allemagne du 1er juillet 1997, Recueil 1997-IV, et Klein c. Allemagne, n° 33379/96, § 30. En l’espèce, La Cour constate que le recours d’amparo introduit par le requérant portait sur une procédure pénale engagée contre lui, et qui s’est achevée par sa condamnation par un arrêt de l’Audiencia provincial de La Corogne du 2 juillet 1997. Dans son recours d’amparo, le requérant invoquait les articles 25 (principe de légalité des délits et des peines) et 24 (droit à un procès équitable) de la Constitution. La Cour observe que la voie du recours d’amparo constituait l’unique moyen dont disposait le requérant pour se plaindre d’une atteinte à des droits et libertés fondamentaux protégés par la Constitution. Un tel recours concernait indubitablement le bien-fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre lui. Partant, l’article 6 § 1 de la Convention s’appliquait à la procédure litigieuse (cf., mutatis mutandis, arrêt Ruiz-Mateos c. Espagne du 23 juin 1993, série A, n° 262, p. 24, § 59).

b)  Sur le fond

Le Gouvernement souligne les spécificités de la procédure d’amparo constitutionnel. En particulier, il n’est pas possible d’appliquer des normes de procédure propre au contentieux administratif à une procédure non administrative, car cela entraînerait une confusion sur la nature des organes judiciaires et des procédures y afférentes, et serait contraire à la loi organique du Pouvoir judiciaire. Quant à la distance entre El Ferrol et Madrid, siège du Tribunal constitutionnel, le Gouvernement fait observer que le recours adressé par le requérant mit moins de 24 heures pour arriver à sa destination. Or, en termes de procédure, ce qui est déterminant, c’est la date d’arrivée du mémoire au greffe du tribunal. Et d’ailleurs, le Tribunal constitutionnel a adopté une attitude flexible à ce sujet en tenant compte du fait que le requérant soit assisté d’un avocat ou pas, de son lieu de résidence etc. En l’espèce, le requérant, qui est avocat, connaissait la nécessité de respecter le délai de vingt jours et, c’est pourquoi, il l’envoya sous pli urgent. Toutefois, il ne l’adressa que le dernier jour du délai de vingt jours, de sorte que le recours parvint au greffe du Tribunal constitutionnel après l’échéance du délai. En définitive, c’est le manque de diligence du requérant qui a motivé l’irrecevabilité de son recours d’amparo. Le Gouvernement conclut que le grief est manifestement mal fondé.

Le requérant conteste la thèse du Gouvernement. En premier lieu, il souligne que le Tribunal constitutionnel a compétence sur tout le territoire espagnol. Par ailleurs, s’il est raisonnable que les recours soient soumis à des conditions de recevabilité, encore faut-il que l’application qui en est faite soit compatible avec le droit d’accès aux tribunaux garanti par l’article 6 § 1. En particulier, il faut que ces conditions aient une fin légitime et un caractère raisonnable. Or, il est surprenant que la loi organique du Pouvoir judiciaire autorise l’introduction de recours par voie postale pour les juridictions ordinaires, mais que cela ne soit pas possible pour une juridiction ayant son siège à Madrid et ayant compétence pour l’Espagne entière. Le requérant conteste vigoureusement les affirmations du Gouvernement selon lesquelles il aurait fait preuve d’un manque de diligence. A cet égard, il précise qu’il a expédié son recours dans les délais légaux en s’adressant à un préposé de la poste et sous pli urgent. Or, si la loi prévoit vingt jours pour la présentation du recours d’amparo, il ne voit pas en quoi le fait de l’avoir adressé le dernier jour dudit délai constituerait une négligence de sa part. S’il ne l’a envoyé que le dernier jour, c’est parce qu’il a eu besoin de ce délai pour préparer le mémoire. Il estime qu’en déclarant irrecevable son recours d’amparo parvenu au siège du Tribunal constitutionnel le lendemain de la date d’expiration, cette haute juridiction s’est livrée à une interprétation rigide de la disposition procédurale qui, selon lui, est contraire à l’article 6 § 1 de la Convention.

Après avoir procédé à un examen préliminaire des arguments des parties, la Cour estime que le grief du requérant pose des questions de droit et de fait complexes qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond.

2.  Le requérant estime que l’obligation de présenter le recours au siège du Tribunal constitutionnel, juridiction nationale mais dont le siège est à Madrid, suppose une discrimination fondée sur le lieu de résidence, contraire à l’article 14 de la Convention.

La Cour relève que ce grief se fonde sur le même ensemble de faits que ceux qui font l’objet du grief formulé au titre de l’article 6 § 1 de la Convention avec lesquels il est étroitement lié. Elle décide dès lors d’en renvoyer également l’examen au fond de l’affaire. Ce grief ne saurait donc être déclaré manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.

Vincent BergerGeorg Ress
GreffierPrésident

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  1. Constitution du 4 octobre 1958
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